La police de la facturation et de la tarification de l’activité des professionnels de santé est une éminente responsabilité des organismes de sécurité sociale d’autant plus grande que l’augmentation de la dette sociale ne parvient pas à être réfrénée. Cela étant, et nonobstant les enjeux bien compris en termes d’économie de la santé et de lutte contre la fraude sociale, le prononcé de sanctions administratives financières ne saurait autoriser qu’on se passât d’un formalisme de protection des professionnels mis en cause.
En l’espèce, après qu’une infirmière libérale a fait l’objet d’un contrôle de son activité professionnelle, une violation des règles de facturation ou de tarification est découverte par les agents de la caisse. L’arrêt ne révèlent rien de plus précis à ce sujet. En pratique, il peut s’agir de facturation de prestations non réalisées, du non-respect des tarifs opposables, de la multiplication d’actes techniques par exemple. En droit, ces faits peuvent résulter d’une simple faute ; ils peuvent tout aussi bien être constitutifs d’une fraude sociale (art. L. 114-16-2 c. sécu. soc.). C’est la raison pour laquelle, le code renferme une gradation des mesures administratives, qui vont de l’avertissement aux pénalités financières (art. L. 114-7-1 c. sécu. soc.) jusqu’à l’annulation en tout ou partie de la participation de l’assurance maladie au financement des cotisations sociales patronales du professionnel de santé concerné (art. L. 114-17-1-1 c. sécu. soc.). Dans le cas particulier, une demande en restitution de l’indu est signifiée par l’organisme de sécurité sociale et un avertissement est prononcé dans la foulée. L’intéressée conteste cette dernière sanction. Il s’avère que si les faits reprochés ont été notifiés conformément à la loi et si la professionnelle de santé a pu formuler des observations écrites circonstanciées en réponse, la caisse a refusé de faire droit à une demande d’entretien contradictoire préalablement au prononcé de la sanction envisagée.
La question est donc posée de savoir si cette dernière formalité est prescrite ou non à peine de nullité de la procédure.
Saisie, la Cour d’appel de Rennes répond par la négative et rejette le recours formé par la professionnelle de santé. La cour considère que le directeur de la caisse n’avait aucune obligation de faire droit à cette demande dans la mesure où des observations écrites ont été communiquées par l’intéressée. Au surplus, la cour d’appel fait observer que le demandeur a pu répondre aux conclusions de la caisse pendant le procès. Le principe du contradictoire et les droits de la défense auraient donc été respectés.
La cassation est prononcée. Chose plutôt rare, la Cour de cassation considère que l’intérêt d’une bonne administration de la justice justifie qu’il soit statué au fond (attendu n° 9) : l’avertissement litigieux est en conséquence annulé et la caisse est condamnée aux entiers dépens.
En désaccord avec le tribunal judiciaire de Quimper, dont le jugement a été confirmé en appel, la Cour de cassation considère que le droit du professionnel de santé à être entendu, préalablement au prononcé de la sanction envisagée contre lui, constitue une formalité substantielle, dont l’inobservation entraîne la nullité de la procédure de sanction nonobstant la formulation d’observations en défense.
L’application de l’article R. 147-2, I, al. 1 du code de la sécurité sociale est à l’origine du litige. La règle est la suivante : « la notification (du directeur de la caisse) précise les faits reprochés et le montant de la pénalité encourue et indique à la personne mise en cause qu’elle dispose d’un délai d’un mois à compter de sa réception pour demander à être entendue, si elle le souhaite, ou pour présenter des observations écrites ». Faute pour le législateur de s’être appliqué à prescrire la nature de ces formalités et la sanction de leur inobservation, il revient donc au juge de se prononcer.
L’emploi d’une conjonction de coordination donne à penser qu’il est suffisant que l’une ou l’autre des modalités de contestation de la notification ait été satisfaite pour que la procédure de sanction puisse valablement prospérer. L’important semble bien que le professionnel de santé ait été en mesure de se défendre, peu important la forme en définitive.
Par le passé, la Cour de cassation a eu l’occasion de dire que le droit de la personne mise en cause d’être entendue était une formalité substantielle (Civ.2, 29 nov. 2018, JCP S. 2018.1421, note X. Aumeran). Il semblait ici que la réglementation telle que précisée par la Cour de cassation avait été bien appliquée : notification, observations, appréciation, sanction.
Il n’en est rien pourtant. A partir du moment où un professionnel de santé mis en cause demande à être entendu, il doit l’être à peine de nullité de la procédure de sanction engagée à son encontre.
En première réaction, l’on pourrait être tenté de se demander à quoi bon ajouter au formalisme et contraindre la caisse à supporter des coûts environnés supplémentaires aux fins de lutte contre l’inobservance des règles de facturation ou de tarification, lesquels coûts de fonctionnement viennent inévitablement en réduction de la capacité des organismes de sécurité sociale à couvrir les risques et charges de l’existence ? Les faits sont têtus : le professionnel de santé a été constitué en faute par les agents chargés du contrôle, qui ont nécessairement procédé aux vérifications idoines (art. L. 114-10-3 c. sécu. soc.). L’organisme a pris soin dans la foulée de notifier les griefs et de recueillir les observations. On ne voit spontanément pas ce qu’une audition pourrait apporter à la défense.
Le grand public est plus averti de la fraude aux prestations ou bien encore aux cotisations sociales. Il est moins informé des fautes commises par les professionnels de santé voire des fraudes à la tarification ou à la facturation. Un rapport du Haut conseil du financement de la protection sociale, publié en 2024, renseigne que la fraude des professionnels de santé représente 10 % d’une fraude évaluée en termes de manque à gagner à environ 13 milliards d’euros (Lutte contre la fraude sociale. Etat des lieux et enjeux, pp. 15, 77, 79). On aurait pu s’attendre dans ces conditions, au vu des enjeux en termes de couverture du risque maladie, dans le contexte d’une dette sociale de plus de 280 milliards d’euros (à titre de comparaison, la dernière publication de l’INSEE en date du 27 septembre 2024 renseigne une dette publique qui s’établit à 3 228 milliards d’euros, https://www.insee.fr/fr/statistiques/8260877), que l’aptitude des organismes de sécurité sociale à faire la police de la facturation et de la tarification soit sinon facilitée à tout le moins ne soit pas compliquée.
Ceci étant dit, il faut avoir à l’esprit que le professionnel de santé peut encourir sur le fondement des dispositions critiquée une sanction à caractère de punition, dont le quantum est déterminé en fonction de la gravité de l’infraction commise (art. L. 114-17-1, III et IV c. sécu. soc. V. par ex. Civ. 2, 22 juin 2023, n° 21-21.475, inédit). Il est donc question de répression administrative ou de droit social répressif. A ce titre, la lutte contre la fraude sociale ne saurait jamais se départir des règles fondamentales qui garantissent le droit que tout un chacun a à ce que sa cause soit entendue aux fins de contestation de la régularité de la procédure de sanction (Civ. 2, 10 mars 2016, n° 15-12.970 et n° 15-12.971, publié au Bulletin). L’infraction est certes grave en ce qu’elle porte atteinte à l’économie du système de protection sociale et à la confiance légitime des usagers du système de santé dans l’usage que font les ordonnateurs de la dépense des ressources de la Nation. Mais la personne mise en cause a simplement demandé à être entendue pour s’expliquer plus avant afin de prouver sa bonne foi.
Dans un Etat au service d’une société de confiance, qui prône le droit à l’erreur (loi n° 2018-727 du 10 août 2018, ESSOC), il est entendable qu’un administré soit invité par la caisse à s’expliquer par écrit – on le savait – et à l’oral s’il le souhaite au surplus – on vient de l’apprendre. C’est au reste, et plus fondamentalement, l’application des principes les mieux acquis du droit de la procédure pénale à savoir le respect du principe du contradictoire (art. 410 c. pén.) et le respect des droits de la défense. En refusant à la professionnelle de santé d’être entendue, c’est également son avocat dont le ministère est bridé. La capillarité du droit pénal était trop forte ; la cassation était fort probable en conséquence (Crim., 19 févr. 2003, n° 01-88.361).
La faute reprochée à l’auteur de la saisine ne l’a pas rendue justiciable de poursuites pénales au sens de l’article L. 114-9, al. 4 du code de la sécurité sociale, qui sont encourue en sus des pénalités financières (art. L. 114-16-1, II, 1er c. sécu. soc. V. égal. sur la composition évolutive de la commission des pénalités en fonction des personnes mises en cause : art. L. 114-17-2, II). Se pourvoir en cassation pour un « vulgaire » avertissement dit beaucoup plus qu’on ne le pense par voie de conséquence. La professionnelle de santé n’a pas simplement cherché à échapper à la sanction la plus faible qui puisse être prononcée à son encontre. Elle a fait de la reconnaissance de sa bonne foi et de l’impérieuse nécessité qu’elle puisse s’expliquer en personne et être défendue par un avocat une question de principe. La cassation sans renvoi est assez révélatrice à cet égard du sentiment de la cour régulatrice dans cette affaire.
(Article publié in Dalloz actualité 24 janv. 2025)