La liberté de disposition attachée à la quote-part indivise permet à chaque indivisaire d’exercer pleinement ses droits sur celle-ci.
Ainsi, il lui est loisible non seulement de céder ses droits indivis, qu’il s’agisse d’une cession totale ou partielle, mais également de les affecter en garantie par la constitution de sûretés.
A) La cession de droits indivis
Chaque indivisaire, en sa qualité de propriétaire exclusif de sa quote-part indivise, dispose du droit fondamental d’en disposer librement.
Cette prérogative, ancrée dans le principe de la propriété individuelle au sein de l’indivision, ouvre la possibilité d’effectuer des cessions portant sur tout ou partie de ces droits.
Ces opérations, qu’elles interviennent à titre onéreux ou gratuit, traduisent l’exercice d’une liberté essentielle, permettant à l’indivisaire de se retirer de l’indivision ou de redistribuer ses droits.
Toutefois, si cette liberté constitue un corollaire naturel de la propriété, elle s’inscrit dans un cadre juridique particulier visant à préserver les équilibres de l’indivision et les intérêts des coïndivisaires.
La cession de droits indivis peut ainsi entraîner des modifications dans la composition de l’indivision, tout en préservant les droits des autres indivisaires, notamment grâce à des mécanismes tels que le droit de préemption.
1. Principe
a. Énoncé du principe
Il est admis de longue date que, à l’instar de n’importe quel propriétaire, les titulaires de droits indivis ont la faculté de céder librement leurs droits indivis.
Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « chacun d’eux peut librement disposer de sa quote-part de droits sur un bien indivis » (Cass. 1ère civ., 4 oct. 2005, n°03-12.697).
Cette liberté de disposition s’exerce de manière absolue sur la quote-part indivise, qu’elle soit cédée à titre onéreux, par le biais d’une vente ou d’un échange, ou à titre gratuit, au moyen d’une donation ou d’un legs.
Le principe de libre disposition des droits indivis rappelle que l’indivisaire appartient à la catégorie des propriétaires et qu’à ce titre, il bénéficie des prérogatives attachées au droit de propriété. Cette qualité lui confère une autonomie et une indépendance qui s’inscrivent dans le prolongement des droits exclusifs qu’il détient sur sa quote-part indivise.
Même dans le cadre d’une indivision, qui repose par nature sur une gestion collective, chaque indivisaire conserve une maîtrise pleine et entière sur sa part abstraite, lui permettant de disposer librement de celle-ci, que ce soit par une cession, une donation ou encore un legs.
Cette faculté de céder ses droits indivis offre à l’indivisaire une alternative précieuse à la demande de partage lorsqu’il souhaite se désengager de l’indivision. Plutôt que d’initier une procédure de partage, qui peut s’avérer longue et conflictuelle, la cession permet une sortie plus souple et individualisée de l’indivision.
Par ailleurs, cet acte n’est pas seulement un moyen de se libérer de l’indivision : il constitue également un outil stratégique au service d’objectifs patrimoniaux diversifiés, tels que la valorisation de ses droits indivis ou encore la réorganisation des rapports entre coindivisaires.
b. Domaine du principe
==>Principe
Le principe de libre disposition des droits indivis s’étend à l’ensemble des formes d’indivision, qu’elles soient successorales, conventionnelles ou post-communautaires.
Dans ces configurations, chaque indivisaire dispose pleinement de sa quote-part et peut en décider du sort sans avoir à solliciter l’accord des autres indivisaires.
En pratique, cette liberté jouera, par exemple, dans le cadre d’indivisions successorales, où chaque héritier peut céder ses droits successoraux, ou encore aux indivisions conventionnelles créées par un accord entre les parties pour gérer en commun un bien indivis.
==>Tempérament
La liberté de disposition des droits indivis connaît une limite pour le cas des indivisions forcées et perpétuelles, soient celles portant sur des biens affectés à un usage collectif ou indispensable à la desserte de plusieurs fonds.
Ces indivisions, en raison de leur nature, ne peuvent être cédées ou partagées que dans le respect de conditions très strictes.
En effet, les indivisions forcées, telles que les cours communes, allées ou chemins d’accès, sont généralement créées par nécessité. Plus précisément, elles sont établies aux fins d’assurer l’exploitation ou l’usage commun des fonds voisins.
Aussi, la Cour de cassation a-t-elle jugé que ces indivisions constituaient un état « normal et perpétuel » auquel il ne pouvait être mis fin sans l’accord unanime des coindivisaires (Cass. 3e civ., 12 mars 1969).
Le partage ou la cession de ces biens indivis, s’il était autorisé unilatéralement, compromettrait leur destination et leur usage collectif, entraînant des déséquilibres pour les fonds qui en dépendent.
Par conséquent, ces indivisions relèvent d’un régime dérogatoire qui exige, dans tous les cas, l’unanimité des indivisaires pour toute modification substantielle de leur statut.
2. Régime
Le régime de la cession de droits indivis diffère selon que le cessionnaire est un indivisaire ou un tiers.
En effet, lorsqu’elle est consentie à un coindivisaire, la cession présente la particularité de produire un effet déclaratif, ce qui n’est pas sans la rapprocher d’une opération de partage, notamment en ce qui concerne intéresse les rapports entre indivisaires.
En revanche, lorsqu’elle est effectuée en faveur d’un tiers, elle est soumise à des règles distinctes, notamment en raison de la reconnaissance d’un droit de préemption ou de substitution à la faveur des autres indivisaires.
a. La cession de droits indivis à un indivisaire
i. L’effet déclaratif attaché à la cession
Avant la réforme opérée par la loi du 31 décembre 1976, la cession de droits indivis à un coindivisaire était assimilée à une vente classique. Elle était alors soumise au droit commun des obligations.
Cette approche faisait toutefois fi des spécificités de l’indivision, en particulier de sa nature collective et des mécanismes propres à la redistribution des droits entre indivisaires.
La loi du 31 décembre 1976 est venue corriger cette lacune en rattachant la cession de droits indivis au profit d’un coindivisaire au régime du partage. Cette réforme a permis de conférer à la cession entre indivisaires un effet déclaratif, désormais consacré à l’article 883 du Code civil.
Dans sa rédaction actuelle, cette disposition précise qu’« il n’est pas distingué selon que l’acte fait cesser l’indivision en tout ou partie, à l’égard de certains biens ou de certains héritiers seulement ».
Il ressort de ce texte que l’effet déclaratif attaché à la cession de droits indivis entre coindivisaires s’applique sans distinction, que l’acte mette fin à l’indivision en totalité ou seulement en partie, qu’il concerne certains biens spécifiques ou qu’il n’implique qu’une partie des indivisaires.
Cette généralisation de l’effet déclaratif traduit la volonté du législateur de conférer à la cession entre indivisaires une nature juridique assimilable au partage, indépendamment de l’étendue des droits cédés ou de la composition des parties concernées.
Ainsi, lorsque l’un des indivisaires cède ses droits à un ou plusieurs coindivisaires, ces derniers sont réputés avoir toujours détenu les droits cédés depuis l’origine de l’indivision.
Cette fiction juridique permet de maintenir la continuité des droits et des obligations au sein de l’indivision, évitant toute rupture dans la chaîne de transmission patrimoniale.
Elle offre également une simplification des relations juridiques entre les coindivisaires, en éliminant les complications qui pourraient résulter d’un transfert de propriété soumis aux règles du droit commun des obligations.
Par exemple, si un indivisaire cède ses droits indivis sur un bien particulier à un autre indivisaire, la cession est considérée comme un partage partiel et produit un effet déclaratif.
Le cessionnaire est alors regardé comme ayant toujours été propriétaire de la quote-part cédée depuis l’ouverture de l’indivision. Cette situation présente l’avantage de limiter les risques de contestations ultérieures quant à la provenance des droits ou à leur consistance.
ii. L’application des règles du partage
==>L’assimilation de la cession de droits indivis à une opération de partage
La cession de droits indivis à un coindivisaire, en vertu de l’effet déclaratif qui lui est attaché, s’analyse donc en une opération de partage.
Pour mémoire, le partage, tel que défini par l’article 816 du Code civil, est l’opération par laquelle les indivisaires mettent fin à l’indivision en attribuant à chacun des lots correspondant à leurs droits.
En vertu de l’article 883, le partage « n’est point regardé comme une aliénation » et a un effet déclaratif, attribuant à chaque copartageant des biens ou droits réputés lui avoir toujours appartenu depuis l’origine de l’indivision.
Dans le cadre d’une cession de droits indivis entre coindivisaires, cet effet déclaratif s’applique pleinement, assimilant la cession à un partage partiel.
Il n’est pas nécessaire que l’opération mette fin à l’indivision dans sa totalité ; elle peut concerner un bien spécifique ou n’impliquer qu’un nombre limité d’indivisaires.
Par conséquent, les règles applicables au partage trouvent à s’appliquer, même lorsque l’indivision demeure pour les biens ou les indivisaires non concernés par l’opération.
==>Les conséquences de l’assimilation de la cession de droits indivis à une opération de partage
L’assimilation de la cession à un partage entraîne l’application des règles propres à cette institution :
- L’effet déclaratif
- Contrairement à une opération classique de transfert de propriété, la cession de droit indivis redistribue les droits au sein de l’indivision sans en modifier la consistance juridique.
- En vertu de ce principe, les coindivisaires acquéreurs sont réputés avoir toujours détenu les droits cédés, comme s’ils en avaient été titulaires dès l’origine de l’indivision.
- La protection contre la lésion
- En vertu de l’article 889 du Code civil, les règles relatives à la lésion de plus du quart s’appliquent aux cessions assimilées à un partage.
- Cette disposition permet à un indivisaire lésé de demander un complément de part, s’il prouve que la valeur des droits qu’il a cédés est inférieure d’un quart à leur valeur réelle.
- L’opposabilité aux tiers
- La cession de droits indivis reste opposable aux créanciers de l’indivisaire cédant, sous réserve des règles spécifiques de l’opposition au partage.
- En principe, les créanciers conservent leur droit de gage sur la quote-part cédée, mais l’effet déclaratif limite leur capacité à contester l’opération.
- Pour protéger leurs intérêts, les créanciers peuvent exercer une opposition au partage, conformément à l’article 882 du Code civil.
- Cette procédure leur permet d’intervenir dans l’opération, soit pour contester la répartition des droits, soit pour exiger des garanties supplémentaires.
- Toutefois, ils ne peuvent empêcher la cession, mais uniquement en demander l’aménagement pour tenir compte de leurs créances.
- En outre, l’effet déclaratif, en modifiant rétroactivement la titularité des droits transmis, peut limiter les recours des créanciers sur les biens attribués aux autres indivisaires.
- Ces derniers ne sont pas tenus des dettes personnelles du cédant, sauf stipulations contraires ou intervention explicite des créanciers dans le partage.
b. La cession de droits indivis à un tiers
i. La cession de droits indivis dans une universalité
La cession de droits indivis dans une universalité, qu’il s’agisse de l’ensemble des droits d’un indivisaire ou d’une fraction de ceux-ci, s’analyse en une vente.
Conformément au régime de cette opération contractuelle, la cession est parfaite dès lors qu’un accord sur la chose et le prix a été trouvé. Cependant, cette opération présente des spécificités propres au cadre de l’indivision.
En matière successorale, l’article 783 du Code civil établit un lien direct entre la cession de droits indivis et l’acceptation de la succession. Ainsi, une cession, qu’elle soit effectuée à titre onéreux ou gratuit, vaut acceptation pure et simple de la succession par le cédant.
En conséquence, le cessionnaire, qui remplace le cédant dans l’indivision, acquiert non seulement les droits patrimoniaux afférents, mais également la qualité d’indivisaire, ce qui lui confère notamment le droit de prendre part au partage des biens indivis (Cass. 1ère civ., 17 mai 1977, n°75-11.673).
Cependant, cette opération implique certaines précautions. Le cédant est tenu de garantir sa qualité d’héritier, faute de quoi le cessionnaire pourrait se retrouver privé des droits qu’il a acquis.
En outre, une vérification préalable de la consistance des droits cédés est essentielle, car les actifs réels obtenus lors du partage peuvent être inférieurs aux attentes théoriques, notamment en cas de passif important ou de droits grevés d’hypothèques.
Enfin, la cession dans une universalité reste soumise au devoir de conseil du notaire, qui doit éclairer le cessionnaire sur les risques potentiels, tels que la possibilité d’un partage défavorable ou d’une opposition exercée par un créancier du cédant.
ii. La cession de droits indivis dans un bien déterminé
==>Formalités
Lorsque la cession porte sur des droits indivis relatifs à un bien déterminé, l’article 815-14 du Code civil impose une notification préalable aux autres indivisaires par voie d’acte extrajudiciaire.
Cette formalité, qui doit mentionner le prix et les conditions de la cession projetée, est cruciale pour permettre aux coindivisaires d’exercer leur droit de préemption. Ce mécanisme vise à préserver l’intégrité de l’indivision en évitant l’intrusion d’un tiers non désiré.
==>Application du droit commun de la vente
En cas de cession droits indivis portant sur un bien déterminé, l’opération est régie par le droit commun de la vente. Le cessionnaire bénéficie donc des garanties légales attachées à ce contrat, notamment celles relatives à l’éviction et aux vices cachés.
Toutefois, cette soumission aux règles de la vente ne permet pas au cessionnaire de contourner les spécificités du régime de l’indivision.
==>Des prérogatives diminuées
Contrairement à un coindivisaire, le cessionnaire n’endosse pas automatiquement la qualité d’indivisaire dans toute son étendue. Il est privé de certains droits fondamentaux qui découlent de cette qualité, ce qui limite considérablement ses prérogatives dans le cadre de l’indivision :
- Absence de droit au partage du bien indivis
- Le cessionnaire ne peut pas provoquer le partage du bien dans lequel il détient des droits indivis.
- Cette restriction découle de sa position extérieure à la structure initiale de l’indivision.
- Par exemple, dans un arrêt du 17 octobre 1973 la Cour de cassation a clairement énoncé qu’un cessionnaire de droits indivis dans un bien déterminé ne pouvait pas exiger le partage de ce bien (Cass. 1ère civ.,17 oct. 1973, n°71-14.086).
- Ce dernier ne détient pas la qualité nécessaire pour exercer un tel droit.
- Absence de qualité pour solliciter l’attribution préférentielle
- Le cessionnaire ne peut prétendre à une attribution préférentielle, un mécanisme réservé exclusivement aux coindivisaires.
- Cette absence de qualité pour solliciter l’attribution préférentielle découle du fait que la cession ne lui confère qu’un droit limité sur la quote-part cédée, sans intégration pleine et entière dans l’indivision.
==>Les conséquences à l’égard des créanciers
La cession de droits indivis dans un bien déterminé a également des répercussions sur les créanciers du cédant. En principe, les créanciers conservent leur droit de gage sur la quote-part cédée. Cependant, l’opération reste opposable aux créanciers uniquement si elle respecte les règles imposées par le régime de l’indivision.
Les créanciers peuvent, par exemple, exercer une opposition au partage en vertu de l’article 882 du Code civil. Cette procédure leur permet d’intervenir dans l’opération pour préserver leurs droits sur les actifs concernés. Toutefois, ils ne peuvent pas empêcher la cession elle-même mais seulement demander son aménagement pour garantir le règlement de leurs créances.
B) La constitution de sûretés sur des droits indivis
1. L’inscription d’une hypothèque sur une quote-part indivise
Avant la réforme entreprise par la loi du 31 décembre 1976, la jurisprudence avait déjà admis la possibilité pour un indivisaire de constituer une hypothèque sur sa quote-part indivise lorsque les biens indivis comprenaient des immeubles (Cass. Req., 26 mars 1907).
Ce principe a été consacré par la loi du 31 décembre 1976 et trouve aujourd’hui son fondement dans l’article 2412, alinéa 2, du Code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 23 mars 2006 et recodifié par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 réformant les sûretés.
Cette disposition prévoit toutefois que l’hypothèque consentie sur une quote-part indivise demeure conditionnelle. Elle ne devient effective que si, lors du partage, le bien hypothéqué est attribué à l’indivisaire constituant.
En cas d’attribution, l’hypothèque s’étend à l’ensemble des droits obtenus dans le partage, et non seulement à la quote-part initialement visée.
Malgré cette possibilité, l’hypothèque portant sur une quote-part indivise reste peu utilisée en pratique. Son efficacité est étroitement liée au résultat du partage. Si le bien hypothéqué est attribué à un autre indivisaire, l’hypothèque devient inopérante. Cette incertitude dissuade souvent les créanciers, qui privilégient des garanties plus sécurisées.
Par ailleurs, le créancier souhaitant garantir sa créance par une hypothèque sur une quote-part indivise doit être vigilant quant à la publicité de la sûreté, tout comme il doit s’assurer qu’aucune opposition au partage n’a été formulée, ce qui pourrait entraver l’efficacité de l’hypothèque.
2. L’inscription d’un nantissement sur une quote-part indivise
Depuis la réforme des sûretés entreprise par la loi du 23 mars 2006 qui a notamment modifié la classification des sûretés réelles mobilières, il est admis que les droits indivis de nature incorporelle, tels que la quote-part indivise détenue dans une créance ou dans un droit de propriété intellectuelle, peuvent faire l’objet d’un nantissement en garantie d’une dette.
Cette faculté résulte du principe de libre disposition des droits indivis, qui permet à chaque indivisaire de constituer un nantissement sur sa part, sans nécessiter l’accord des autres indivisaires, dès lors que les formalités légales de publicité sont respectées.
Toutefois, lorsque le nantissement vise l’intégralité d’un bien incorporel indivis, l’accord unanime des indivisaires reste requis.
Cette exigence découle du principe selon lequel les actes de disposition affectant l’ensemble de l’indivision doivent être approuvés collectivement, afin de préserver l’équilibre des droits de chacun.
Ainsi, par exemple, le nantissement d’un brevet indivis ne saurait être valablement constitué sans l’aval de l’ensemble des coindivisaires.