La gestion des biens indivis suit des règles qui varient selon la nature des actes accomplis par les indivisaires.
Les articles 815-2 et 815-3 du Code civil distinguent ainsi entre trois types de gestion : individuelle, majoritaire, et commune.
Tandis que les mesures conservatoires peuvent être prises librement par chaque indivisaire pour protéger le bien, les actes d’administration et de disposition, touchant plus directement l’avenir de l’indivision, nécessitent une concertation plus large, parfois jusqu’à l’unanimité.
Cette distinction des régimes de gestion permet de concilier l’autonomie de chacun avec l’intérêt collectif, assurant ainsi une administration ordonnée et équilibrée du patrimoine indivis.
Nous nous focaliserons ici sur les mesures conservatoires.
A) La détermination des mesures conservatoire
1. Notion
La notion de mesure conservatoire, bien que non explicitement définie par le Code civil, trouve son fondement dans l’article 815-2, alinéa 1er, qui permet à chaque indivisaire de prendre des mesures nécessaires à la préservation du bien indivis sans le consentement des autres.
Ce texte, modifié par la loi n°2006-728 du 23 juin 2006, marque une rupture avec la jurisprudence antérieure, en supprimant la condition de péril imminent qui restreignait les possibilités d’action individuelle des indivisaires.
En conséquence, toute mesure destinée à protéger le bien contre la détérioration ou la perte, sans nécessairement relever d’une situation d’urgence, peut désormais être prise par un seul indivisaire, à condition qu’elle soit strictement nécessaire et proportionnée.
==>Distinction avec les actes conservatoires
Les mesures conservatoires prises dans le cadre d’une indivision doivent être distinguées des actes conservatoires au sens général du droit civil, qui visent la protection d’un bien ou d’un droit mais peuvent également concerner des domaines hors indivision.
Claude Brenner a proposé des critères permettant de qualifier un acte de conservatoire : il doit être nécessaire, urgent, de faible coût par rapport à la valeur du bien, et ne pas engager l’avenir du bien[1]. Ces actes peuvent consister, par exemple, en la réalisation de réparations urgentes ou en l’inscription d’une hypothèque, l’objectif visé étant toujours la sauvegarde, tant physique, que juridique du bien.
==>L’abandon de la condition de péril Imminent
Avant la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006, la jurisprudence imposait la condition de péril imminent pour qualifier un acte de mesure conservatoire.
Dans un arrêt du 25 janvier 1983 la Cour de cassation a jugé en ce sens que les mesures conservatoires « s’entendent des actes matériels ou juridiques ayant pour objet de soustraire le bien indivis a un péril imminent sans compromettre sérieusement le droit des indivisaires » (Cass. 3e civ., 25 janv. 1983, n°80-15.132).
Cette condition de péril imminent, définie comme une menace immédiate et concrète pour l’intégrité matérielle ou juridique du bien, était manifestement de nature à entraver l’action individuelle d’un indivisaire quant à la préservation du bien indivis.
Par exemple, un indivisaire souhaitant supprimer des poutres sur un mur non mitoyen s’est vu refuser le droit d’agir seul, car la solidité de l’immeuble n’était pas compromise (Cass. 3e civ., 25 janv. 1983, n°80-15.132).
De même, l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre ne pouvait être entreprise par un indivisaire seul, en l’absence de menace imminente justifiant cette mesure (Cass. 1ère civ. 25 nov. 2003, n°01-10.639).
Avec la loi du 23 juin 2006, le législateur a modifié cette exigence en supprimant la condition de péril imminent, élargissant ainsi considérablement la portée des mesures conservatoires en matière d’indivision.
L’article 815-2, alinéa 1er du Code civil, dispose désormais que toute mesure « nécessaire à la conservation des biens indivis » peut être prise par un indivisaire seul, même sans caractère d’urgence.
Cette suppression de l’exigence du péril imminent autorise donc une approche préventive, où l’accent est placé sur la nécessité et la pertinence de l’acte en vue de préserver l’intérêt commun.
En effet, cet assouplissement introduit une flexibilité qui permet aux indivisaires d’agir de manière proactive, anticipant ainsi des risques futurs sans attendre que le bien soit directement menacé.
Désormais, toute mesure visant à garantir l’intégrité physique, matérielle ou juridique du bien indivis, pour autant qu’elle ne compromette pas les droits des autres indivisaires, peut être entreprise par un seul indivisaire.
2. Typologie
Classiquement on distingue trois sortes de mesures conservatoires :
- Les actes matériels
- Les actes juridiques
- Les actions en justice
a. Les actes matériels
Un acte matériel se définit comme une intervention physique effectuée sur un bien, ayant pour objectif d’en assurer la sécurité et d’éviter sa détérioration.
Pour qu’un acte matériel soit reconnu comme une mesure conservatoire au sens de l’article 815-2, alinéa 1er du Code civil, il doit répondre à plusieurs critères : la nécessité de l’acte, la proportionnalité des coûts engagés et la préservation de l’intérêt commun de l’indivision. Ces critères garantissent que l’acte matériel vise uniquement la conservation du bien et respecte les droits de tous les indivisaires.
==>La nécessité de l’acte
L’acte matériel doit avant tout être indispensable à la préservation physique ou matérielle du bien indivis.
Il s’agit d’interventions concrètes, physiques, qui visent à prévenir une dégradation ou un risque potentiel.
La jurisprudence a ainsi reconnu la remise en état d’une toiture, lorsque des tuiles menaçaient de tomber et de causer des accidents, comme un acte nécessaire à la conservation du bien.
Cet acte est justifié par le péril que représente le défaut d’entretien pour la sécurité des tiers et des occupants (Cass. 1ère civ., 11 juin 1996, n°94-18.382).
De même, l’élagage de branches d’arbres surplombant une propriété indivise constitue un acte matériel nécessaire, surtout si ces branches, provenant d’un fonds voisin, risquent de causer des dommages matériels ou de compromettre la sécurité des occupants ou des tiers (Cass. 3e civ., 18 févr. 2021, n°20-11.080).
Ces exemples illustrent la nécessité d’interventions immédiates pour éviter un risque de dégradation ou un danger concret.
==>La proportionnalité des coûts
En matière d’indivision, les actes matériels qualifiés de mesures conservatoires doivent non seulement être nécessaires, mais également proportionnés en termes de coûts par rapport à la valeur du bien indivis.
Le principe de proportionnalité impose que les dépenses engagées soient raisonnables et en adéquation avec l’intérêt de l’indivision.
Ainsi, des actes impliquant des dépenses élevées, alors que des alternatives plus économiques sont disponibles, ne peuvent être qualifiés de mesures conservatoires.
Par exemple, la Cour d’appel de Paris a refusé de considérer l’installation d’un coûteux système d’alarme comme une mesure conservatoire, estimant qu’un garde-meuble aurait pu remplir le même rôle de préservation pour un coût bien moindre (CA Paris, 24 janv. 1990, n° 89/02105).
==>L’intérêt commun de l’indivision
Enfin, l’acte matériel conservatoire doit répondre à l’intérêt de l’ensemble de l’indivision et non à celui d’un indivisaire particulier.
Ainsi, dans une affaire où les travaux de réparation d’une installation d’eau visaient à améliorer uniquement la consommation d’un indivisaire, sans justification de vétusté générale, la Cour de cassation a conclu que ces travaux ne pouvaient être qualifiés de conservatoires (Cass. 3e civ., 10 mai 2001, n°99-17.901).
De même, des travaux de rénovation intérieure, comme le débarras ou la démolition de cloisons non porteuses, ont été jugés par la Cour d’appel de Paris comme relevant de l’intérêt individuel d’un indivisaire et non de la conservation du bien indivis (CA Paris, 19 mai 1998, n°97/03457).
Comme le soulignent des auteurs, cet équilibre entre autonomie individuelle et intérêt collectif préserve la solidarité de l’indivision tout en permettant une réactivité face aux besoins de conservation du bien[2].
b. Les actes juridiques
En droit civil, un acte juridique peut être défini comme une manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit, soit en créant, modifiant, ou éteignant des droits et obligations.
Aussi, l’acte juridique se distingue de l’acte matériel par sa nature essentiellement déclarative ou intentionnelle et par l’objectif qu’il poursuit, qui est souvent de garantir la sécurité juridique des rapports entre les parties ou vis-à-vis des tiers.
Lorsqu’ils sont accomplis dans le cadre d’une indivision, les actes juridiques visent non seulement à protéger les droits des indivisaires mais aussi à sauvegarder la situation juridique dans laquelle se trouve le bien indivis vis-à-vis des tiers.
==>Les actes juridiques conservatoires traditionnels
Dans le cadre de l’indivision, certaines mesures juridiques sont traditionnellement reconnues comme présentant un caractère conservatoire.
C’est le cas de la confection d’un inventaire ou de l’apposition de scellés. Ces actes visent à assurer la sécurité des biens indivis en établissant un état détaillé du patrimoine et en empêchant tout détournement ou toute dégradation. Ils permettent de figer la situation matérielle et financière de l’indivision, garantissant ainsi que les droits de chaque indivisaire soient protégés et qu’aucune partie du bien indivis ne puisse être soustraite ou altérée sans justification. En sécurisant l’intégrité du patrimoine, ces actes facilitent les actions futures, notamment en cas de partage ou de liquidation de l’indivision.
Autre exemple d’acte conservatoire : la déclaration de créance dans le cadre d’une procédure collective. Cet acte permet à un indivisaire d’assurer que les créances de l’indivision seront reconnues et priorisées dans la procédure, protégeant ainsi les droits de l’indivision face à un débiteur en difficulté. La jurisprudence considère cet acte comme conservatoire, car il vise à défendre la position de l’indivision par rapport aux autres créanciers et à prévenir la dilution de ses droits (V. en ce sens Cass. com. 11 juin 2003, n°00-11.913).
Dans les situations de bail commercial, la délivrance d’un commandement de payer visant la clause résolutoire constitue également un acte conservatoire. Il permet à un indivisaire d’agir seul pour prévenir le risque de non-paiement des loyers, qui pourrait compromettre les revenus de l’indivision.
Dans un arrêt du 9 juillet 2014, la Cour de cassation a en ce sens affirmé qu’un indivisaire peut délivrer seul un commandement de payer, sans l’accord des autres coïndivisaires, afin de sauvegarder les droits de l’indivision (Cass. 1re civ., 9 juill. 2014, n°13-21.463).
Ce type d’intervention garantit la perception des revenus locatifs, permettant ainsi de sécuriser la rentabilité du bien indivis. La Haute juridiction justifie cette faculté pour un indivisaire à agir seul par la nécessité d’une réponse rapide aux défaillances potentielles, afin de minimiser les risques financiers pour l’indivision.
De manière similaire, la mise en demeure pour recouvrer des loyers ou fermages impayés est également considérée comme une mesure conservatoire. Dans un arrêt du 6 novembre 1986, la Cour de cassation a validé la démarche d’un indivisaire ayant seul adressé une mise en demeure à un fermier en retard de paiement (Cass. 3e civ., 6 nov. 1986, n° 85-12.354).
L’assurance des biens indivis constitue également un acte conservatoire crucial. Selon le Professeur Catala, cela couvre le renouvellement des polices, le paiement des primes, ainsi que la déclaration des sinistres, voire la souscription du contrat initial.
Ces démarches sont essentielles pour protéger l’indivision contre les risques de perte ou de dégradation. En assurant une couverture adéquate pour les biens indivis, les indivisaires anticipent et atténuent les impacts financiers des éventuels sinistres, garantissant ainsi que le bien indivis conserve sa valeur.
Au nombre des autres actes juridiques relevant de la catégorie des mesures conservatoires, on compte :
- L’opposition à partage qui permet de bloquer temporairement les opérations de division du patrimoine indivis, préservant ainsi les droits de chaque indivisaire en cas de conflits d’intérêt ou de désaccord.
- La saisie conservatoire qui vise à geler certains actifs de l’indivision pour éviter leur dispersion ou leur perte de valeur.
- Les actes interruptifs de prescription qui protègent les droits de l’indivision sur une créance en suspendant les délais de déchéance, permettant ainsi de maintenir la validité de la créance.
Enfin, la conclusion d’une convention d’occupation précaire peut, dans certaines situations, être considérée constituant un acte conservatoire.
Bien que cette qualification ne soit pas automatique, elle est admise lorsque la convention vise à protéger un bien indivis contre des risques de détérioration ou de squattérisation.
En effet, en permettant une occupation temporaire du bien indivis, ces conventions assurent que le bien demeure entretenu et en sécurité, ce qui est particulièrement pertinent pour des immeubles non utilisés. La jurisprudence reste toutefois prudente sur ce point et privilégie une appréciation au cas par cas.
c. Les actions en justice
En principe, les actions en justice relèvent de la catégorie des actes d’administration, voire, dans certaines situations, des actes de disposition. Engager une action en justice implique en effet la prise de décisions qui, de par leur nature, sont susceptibles d’affecter de manière significative les droits des parties en indivision, nécessitant ainsi l’accord des indivisaires détenant la majorité des droits, voire, exceptionnellement, leur unanimité.
Néanmoins, il est admis que certaines actions en justice échappent à la règle et puissent être qualifiées de mesures conservatoires. Il en va ainsi lorsque l’action vise spécifiquement à préserver le bien indivis face à un péril imminent, sans porter atteinte de manière substantielle aux droits de chacun des indivisaires.
Aussi, dans le cadre d’une l’indivision, certaines actions en justice peuvent être exercées par un indivisaire agissant seul. Ces actions, motivées par la nécessité de prévenir une détérioration ou une perte de valeur du patrimoine indivis, n’exigent donc pas le consentement préalable des autres indivisaires.
Pour être qualifiée de mesure conservatoire, une action en justice doit toutefois répondre à certaines conditions qui tiennent à la nature de l’action engagée, à l’urgence de la situation et aux effets potentiels de l’action sur les droits des autres indivisaires.
==>Actions tendant à la sauvegarde du droit de propriété du bien indivis
Parmi les actions en justice qui relèvent de la catégorie des mesures conservatoire, on compte l’action en revendication de la propriété indivise.
Cette action permet à un indivisaire d’agir seul pour défendre le patrimoine collectif contre des tiers qui pourraient contester le droit de propriété des indivisaires.
Dans un arrêt du 17 avril 1991 la Cour de cassation a ainsi considéré que l’action en revendication « entrait dans la catégorie des actes conservatoires que tout indivisaire peut accomplir seul » (Cass. 3e civ. 17 avr. 1991, n°89-15.898).
Elle a réaffirmé sa position dans un arrêt du 24 octobre 2019 aux termes duquel elle a jugé sensiblement dans les mêmes termes que « l’action en revendication de la propriété indivise et en contestation d’actes conclus sans le consentement des indivisaires a pour objet la conservation des droits de ceux-ci et entre dans la catégorie des actes conservatoires que chacun d’eux peut accomplir seul » (Cass. 3e ci. 24 oct. 2019, n°18-20.068).
Aux côtés de l’action en revendication, il a été admis que l’action visant à interrompre une prescription pouvait être qualifiée d’acte conservatoire.
Il est, en effet, des cas où le droit de propriété indivis est susceptible de se prescrire.
L’action en interruption de prescription vise alors à garantir que les droits des indivisaires sur le bien demeurent juridiquement protégés et ne se perdent pas par l’écoulement du temps.
Cette action présente un caractère conservatoire dès lors qu’elle prévient l’extinction de droits susceptibles de sécuriser la propriété indivise ou de la valoriser à terme.
==>Actions tendant à la sauvegarde juridique du bien indivis
Le domaine des actes conservatoires s’étend également à des actions judiciaires qui visent à assurer la sauvegarde juridique du bien indivis.
Parmi ces actions, on compte notamment l’action en annulation du jugement d’adjudication d’un bien saisi dans le cadre d’une procédure antérieure à un divorce.
Dans un arrêt du 1er juin 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens que dans la mesure où « postérieurement à la dissolution de la communauté par le divorce, chacun des époux peut engager seul une action tendant à la réintégration d’un bien commun dans l’actif de l’indivision post-communautaire », il doit être admis qu’un indivisaire puisse intenter seul une action en nullité du jugement d’adjudication (Cass. 1re civ., 1er juin 1994, n°92-15.833).
==>Actions tendant à la sauvegarde matérielle du bien indivis
Outre les actions visant la préservation juridique du bien, la jurisprudence reconnaît également un caractère conservatoire à certaines actions qui tendent à assurer la conservation matérielle du bien indivis.
C’est le cas, par exemple, de l’action tendant à faire cesser des voies de fait (Cass. 3e civ. 7 avr. 1994, n°92-14.148) ou à obtenir des dommages et intérêts pour des dégradations causées par des tiers au bien indivis (V. en ce sens CA Versailles, 1er avr. 1994).
Constitue également une mesure conservation, l’action en résiliation d’un bail rural lorsqu’il est établi que le preneur néglige l’entretien des bâtiments indivis, compromettant ainsi leur conservation matérielle (CA Dijon, 5 nov. 1996).
De même, une demande de liquidation d’astreinte visant à contraindre un tiers à réaliser des travaux de remise en état d’un bien indivis peut être initiée par un indivisaire seul, dès lors que l’action tend à préserver l’intégrité du bien (Cass. 1ère civ., 23 sept. 2015, n° 14-19.098).
==>Actions liées aux servitudes et droits de passage
La jurisprudence reconnaît le caractère conservatoire de l’action en revendication d’une servitude de passage au profit d’un bien indivis.
Ainsi, lorsqu’une servitude permettant l’accès au bien indivis est contestée, tout indivisaire peut engager une action pour en maintenir l’exercice (V. en ce sens Cass. 3e civ. 4 déc. 1991, n°89-19.989).
En agissant seul, l’indivisaire protège non seulement son propre accès, mais aussi celui des autres coïndivisaires, garantissant ainsi la préservation de la valeur et de l’utilité du bien. Une telle action vise à éviter l’enclavement du bien, situation qui pourrait le dévaloriser ou limiter son potentiel d’exploitation.
L’action visant à constater une aggravation d’une servitude de passage, telle qu’une obstruction partielle ou une limitation du droit de passage, peut également être qualifiée de conservatoire. Dans ce contexte, l’indivisaire agit pour que la servitude reste effective et complète, évitant ainsi une diminution de l’accès au bien indivis ou un obstacle au libre usage du passage. Cette action permet de maintenir les conditions d’accessibilité initiales, ce qui contribue à la préservation de la fonctionnalité et de la valeur du bien indivis (Cass. 3e civ. 11 juin 1986)
Il convient toutefois de distinguer les actions conservatoires des demandes qui n’ont pas un impact direct sur la conservation matérielle ou l’accessibilité du bien indivis.
Par exemple, si l’accès au bien peut être assuré par des chemins alternatifs ou si une voie de dégagement reste ouverte sans compromettre l’accès principal, une demande de rétablissement d’une voie d’accès n’aura pas un caractère conservatoire.
La jurisprudence ne considère pas ce type de demande comme un acte conservatoire lorsqu’il s’agit de dégagements ponctuels ou d’intérêts personnels qui n’affectent pas directement l’accès ou la valeur globale du bien indivis (V. en ce sens Cass. 3e civ. 19 mai 1999)
==>Actions tendant à la protection des droits locatifs
En matière de gestion locative, certaines actions judiciaires sont qualifiées de conservatoires lorsqu’elles visent à protéger les intérêts économiques de l’indivision.
C’est le cas, par exemple, de l’action en expulsion d’un occupant sans droit ni titre (V. en ce sens Cass. 3e civ. 17 avr. 1991, n°89-15.898). Cette mesure permet de libérer le bien de toute occupation illégale qui pourrait en compromettre la rentabilité ou la valeur patrimoniale.
La Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises sa position, considerant que l’indivisaire peut exercer seul cette action pour garantir la jouissance paisible et la disponibilité économique du bien (Cass. 1ère civ., 4 juill. 2012, n°10-21.967).
S’agissant des baux commerciaux, il a été jugé par la cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 2014 que « le commandement de payer visant la clause résolutoire constitue un acte conservatoire qui n’implique donc pas le consentement d’indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis » (Cass. 1ère civ. 9 juill. 2014, n°13-21.463).
B) La mise en œuvre des mesures conservatoires
1. L’initiative de la mesure conservatoire
==>Principe
L’article 815-2 du Code civil reconnaît à chaque indivisaire un droit d’initiative individuelle aux fins de prendre des mesures conservatoires.
Le premier alinéa de ce texte prévoit en ce sens qu’« un indivisaire peut prendre seul les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis ».
Il ressort de cette disposition que chaque indivisaire, quel que soit son pourcentage de participation dans l’indivision (même s’il ne détient qu’une part infime), peut agir sans le consentement préalable des autres.
Cette règle garantit que l’intérêt collectif prime sur les éventuelles inerties ou divergences entre indivisaires. L’objectif est clair : éviter que des biens indivis ne se dégradent, soient perdus ou menacés par une absence d’initiative concertée.
==>Limites
La liberté d’initiative conférée aux indivisaires quant à l’adoption de mesures conservatoires n’est pas sans limites. Elle est conditionnée par la nécessité de justifier que la mesure prise répond à un besoin réel de conservation.
Cela implique que l’indivisaire doit démontrer que la mesure entreprise vise à préserver le bien indivis d’une dégradation, d’une perte matérielle ou d’une atteinte juridique.
Historiquement, la jurisprudence imposait une double condition pour qu’une mesure conservatoire soit valable : elle devait être non seulement nécessaire, mais également urgente.
Cette exigence d’urgence impliquait la démonstration d’un péril imminent menaçant directement l’intégrité matérielle ou juridique du bien indivis.
Ainsi, des mesures telles que des actions en bornage ou des travaux sur des biens indivis ont parfois été jugées irrecevables faute de satisfaire à cette condition stricte.
Cependant, la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 a marqué un tournant significatif dans le régime des mesures conservatoires en supprimant l’exigence d’urgence.
Désormais, seule la nécessité suffit à justifier l’initiative d’un indivisaire. Cet allègement des conditions de mise en œuvre des mesures conservatoires reflète une volonté de simplifier la gestion des biens indivis et de renforcer la protection de l’intérêt commun, en permettant aux indivisaires d’agir plus librement pour préserver les biens.
À titre d’exemple, des actions telles que l’expulsion d’occupants sans droit ni titre ou encore la liquidation d’une astreinte pour la remise en état d’un bien indivis sont désormais admises, même en l’absence de danger immédiat.
Pour autant, le critère de nécessité reste au cœur de l’analyse. Une mesure conservatoire doit répondre à un besoin réel et objectif de sauvegarde du bien indivis.
Ce critère s’apprécie in concreto, en tenant compte de la situation spécifique du bien et des circonstances environnantes. Par exemple, une réparation destinée à éviter l’effondrement imminent d’un mur ou l’expulsion d’un occupant illégal susceptible de causer des dégradations supplémentaires constitue typiquement une mesure nécessaire.
En revanche, une mesure qui n’est ni indispensable ni directement liée à la conservation du bien pourrait être considérée comme non conforme au cadre fixé par l’article 815-2 du Code civil.
Par exemple, des travaux visant à améliorer le bien ou des actes modifiant sa destination excèdent les prérogatives reconnues aux indivisaires et encourent une requalification en actes d’administration ou de disposition, nécessitant alors l’accord de tous les indivisaires.
2. Le contrôle des mesures conservatoires
La mise en œuvre des mesures conservatoires par un indivisaire, bien que largement encadrée par l’article 815-2 du Code civil, reste soumise à des mécanismes de contrôle visant à garantir leur conformité avec l’objectif de conservation des biens indivis.
Ce contrôle s’exerce à plusieurs niveaux, qu’il s’agisse de la contestation par les coindivisaires ou encore de l’intervention du juge en cas de litige.
==>Le contrôle exercé par les coindivisaires
Les coindivisaires disposent d’un droit de regard sur les mesures conservatoires prises par l’un des leurs.
Ce contrôle intervient généralement a posteriori, lors de l’établissement du compte d’indivision.
À cette occasion, ils peuvent examiner les actes réalisés et les dépenses engagées, afin d’évaluer leur conformité avec les critères de nécessité et de proportionnalité.
A cet égard, lorsqu’un indivisaire dépasse le cadre des mesures conservatoires en entreprenant des actes qui modifient substantiellement la destination ou l’usage du bien, les coindivisaires peuvent demander une requalification de la mesure en acte d’administration ou de disposition.
Cette requalification peut intervenir pour :
- Des travaux visant à améliorer le bien, par exemple en transformant un bâtiment en espace commercial.
- Toute décision ayant pour effet de modifier la destination ou la valeur du bien de manière significative.
Dans ces cas, les actes ne peuvent être qualifiés de conservatoires, car ils n’ont pas pour but exclusif de préserver le bien, mais plutôt d’en tirer un avantage ou de modifier son état.
Ces décisions nécessitent l’accord unanime de tous les indivisaires, conformément au principe de gestion collective.
Si les coindivisaires estiment qu’une mesure conservatoire doit être requalifiée en acte d’administration ou de disposition, ils peuvent contester sa validité.
Une mesure conservatoire jugée injustifiée ou excessive peut être exclue des comptes de l’indivision. Les frais engagés pour sa réalisation ne seront alors pas supportés par l’ensemble des indivisaires, mais exclusivement par celui qui l’a entreprise.
Par exemple, un indivisaire ayant financé des travaux de rénovation coûteux, sans lien direct avec la conservation du bien, devra en assumer seul les coûts.
Ce contrôle par les coindivisaires agit comme un garde-fou, empêchant les abus d’un indivisaire au détriment des intérêts collectifs.
==>Le contrôle exercé par le juge
Lorsque le désaccord entre indivisaires persiste ou que la validité d’une mesure conservatoire est sérieusement contestée, le juge peut être saisi pour trancher la question.
Le contrôle judiciaire, exercé a posteriori, porte principalement sur deux aspects : la qualification de l’acte et le bienfondé de la mesure conservatoire.
- Qualification de l’acte
- Le juge analyse si l’acte accompli relève véritablement d’une mesure conservatoire ou s’il constitue un acte d’administration ou de disposition.
- Il procède à une analyse in concreto de la nature de l’acte et de ses conséquences.
- Par exemple, des travaux de grande ampleur ou la modification de l’usage d’un bien peuvent être requalifiés en acte d’administration, même si l’indivisaire prétend agir dans le cadre de la conservation du bien.
- Nécessité et proportionnalité de la mesure
- Le juge contrôle également si la mesure conservatoire répondait aux critères de nécessité et de proportionnalité :
- La nécessité : la mesure était-elle indispensable pour préserver le bien indivis contre une dégradation ou une menace imminente ? Une mesure inutile ou superfétatoire pourrait être annulée.
- La proportionnalité : les dépenses engagées étaient-elles raisonnables au regard de l’objectif poursuivi ? Une mesure jugée disproportionnée, comme des travaux somptuaires pour un bien de faible valeur, pourra être remise en cause.
- Le juge contrôle également si la mesure conservatoire répondait aux critères de nécessité et de proportionnalité :
Si le juge conclut que la mesure prise ne répond pas à ces exigences, il peut en prononcer l’annulation.
L’indivisaire à l’origine de l’acte pourrait alors être tenu de supporter les conséquences financières de ses actions, y compris les éventuels dommages subis par les autres indivisaires.
3. Cas particulier des mesures affectant l’usufruit
La mise en œuvre de mesures conservatoires dans le cadre de l’usufruit soulève des questions spécifiques en raison de la répartition des droits et obligations entre l’usufruitier et le nu-propriétaire.
L’article 815-2 du Code civil, qui prévoit la possibilité pour un indivisaire de prendre seul des mesures nécessaires à la conservation d’un bien indivis, trouve une application particulière dans les situations où un usufruit grève le bien concerné.
==>Opposabilité des mesures conservatoires à l’usufruitier
L’article 815-2, alinéa 4 du Code civil prévoit que les mesures conservatoires prises par un indivisaire sont opposables à l’usufruitier, mais uniquement dans la mesure où celui-ci est tenu des réparations concernées.
La répartition des charges entre usufruitier et nu-propriétaire est précisée par les articles 605 et 606 du Code civil :
- Réparations d’entretien : ces travaux incombent à l’usufruitier (art. 605, al. 1er). Si un indivisaire nu-propriétaire réalise une mesure conservatoire pour effectuer de telles réparations, l’usufruitier ne pourra s’y opposer et pourra être tenu de rembourser les frais engagés.
- Grosses réparations : ces travaux relèvent de la responsabilité du nu-propriétaire (art. 606). Une mesure conservatoire visant de telles réparations ne peut, en principe, être imposée à l’usufruitier, sauf disposition contraire ou accord entre les parties.
Ce régime garantit une répartition équitable des charges tout en permettant la mise en œuvre rapide des mesures nécessaires à la préservation du bien indivis.
Les pouvoirs conférés aux indivisaires par les trois premiers alinéas de l’article 815-2 (prise de mesures nécessaires, utilisation des fonds de l’indivision, obligation des autres indivisaires à contribuer) s’appliquent également lorsque le bien est grevé d’un usufruit.
En conséquence :
- L’usufruitier ne peut s’opposer à des réparations nécessaires, même si elles affectent temporairement sa jouissance du bien.
- Un indivisaire peut obliger l’usufruitier à financer sur ses propres deniers des réparations d’entretien dont il est responsable.
Cette opposabilité des mesures conservatoires vise à pallier les carences éventuelles de l’usufruitier et à préserver l’intégrité du bien, dont il reste le principal bénéficiaire.
==>Les mesures conservatoires prises par l’usufruitier
L’usufruitier, bien que détenteur d’un droit réel distinct, peut également prendre des mesures conservatoires sur le bien dont il a l’usufruit, même lorsque la nue-propriété est indivise.
Cette faculté, longtemps ignorée, trouve désormais son fondement à l’article 815-2, alinéa 4 du Code civil.
Puisque ce texte autorise les indivisaires à opposer des mesures conservatoires à l’usufruitier, il semble logique de reconnaître à ce dernier le pouvoir d’agir de manière symétrique.
Avant la réforme de 1976, cette possibilité était écartée en raison de l’absence d’indivision entre usufruitiers et nus-propriétaires.
Cependant, cette solution était peu pratique, l’usufruitier étant souvent le mieux placé pour intervenir rapidement afin d’assurer la conservation du bien.
L’usufruitier peut désormais, comme un indivisaire, prendre des mesures conservatoires nécessaires à la préservation du bien. Ces mesures doivent toutefois respecter les obligations de réparation pesant sur lui en vertu de l’article 605 du Code civil.
Par exemple :
- Réparations d’entretien pour éviter la détérioration du bien.
- Actions visant à protéger le bien contre des tiers menaçant son intégrité.
Les mesures prises par l’usufruitier seront opposables aux indivisaires, à condition qu’elles respectent le cadre défini par la loi et qu’elles s’inscrivent dans le champ de ses obligations.
==>Le cas particulier de l’usufruit universel
Lorsque le bien indivis est grevé d’un usufruit universel, les règles se complexifient.
En principe, il n’existe pas d’indivision entre le nu-propriétaire et l’usufruitier, l’usufruit étant un droit distinct de la pleine propriété.
Par conséquent, l’article 815-2 du Code civil, qui s’applique spécifiquement aux indivisaires, ne régit pas directement les rapports entre usufruitiers et nus-propriétaires.
Toutefois, certains auteurs soutiennent que, dans un souci de préservation de l’intérêt collectif, l’usufruitier devrait également pouvoir prendre des mesures conservatoires, même s’il n’a pas la qualité d’indivisaire. Cet argument repose sur deux fondements principaux :
- L’existence d’intérêts communs entre les usufruitiers et les nus-propriétaires, notamment en matière de conservation du bien.
- La symétrie des droits : si l’usufruitier peut être tenu par les mesures conservatoires prises par le nu-propriétaire, il devrait également pouvoir en prendre lui-même pour préserver le bien.
Malgré ces arguments, en l’absence d’indivision, ce sont les textes régissant spécifiquement les rapports entre usufruitiers et nus-propriétaires qui s’appliquent.
En particulier, l’article 578 du Code civil impose à l’usufruitier l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour conserver la substance du bien soumis à usufruit.
4. Les obligations de l’indivisaire
L’indivisaire qui prend l’initiative d’une mesure conservatoire agit dans l’intérêt commun des indivisaires.
Toutefois, ce pouvoir s’accompagne d’obligations strictes visant à garantir la transparence, la proportionnalité des dépenses et la répartition équitable des coûts entre les indivisaires.
A cet égard, conformément à l’article 815-8 du Code civil, l’indivisaire qui agit pour accomplir une mesure conservatoire doit tenir un compte précis de l’origine et de l’utilisation des fonds engagés.
Cette exigence s’applique indépendamment de la source des fonds, qu’ils proviennent de l’indivision elle-même ou des ressources personnelles de l’indivisaire.
- Détail des opérations : ce compte doit mentionner toutes les informations pertinentes concernant les dépenses, telles que les factures, les contrats ou les justificatifs des paiements effectués.
- Communication aux coindivisaires : l’indivisaire a l’obligation de mettre ce registre à la disposition des autres indivisaires. Cela permet aux coindivisaires d’exercer un contrôle sur les mesures entreprises et de vérifier que les dépenses étaient nécessaires, proportionnées et conformes à l’intérêt commun.
Cette obligation de transparence contribue à prévenir les litiges et à assurer une gestion harmonieuse de l’indivision.
==>Le recours contre les coindivisaires
Lorsqu’un indivisaire finance personnellement une mesure conservatoire, il dispose d’un droit de recours immédiat contre ses coindivisaires pour obtenir le remboursement des frais engagés.
Ce recours est proportionnel aux parts respectives de chaque indivisaire dans l’indivision.
- Droit au remboursement : l’indivisaire peut exiger que les autres indivisaires contribuent aux dépenses engagées, sauf s’ils prouvent que la mesure était inutile ou qu’elle dépassait les strictes nécessités de conservation.
- Responsabilité en cas de faute : si la nécessité de la mesure conservatoire découle de la faute d’un indivisaire (par exemple, un manquement à une obligation de réparation ou un usage inapproprié du bien indivis), cet indivisaire fautif sera tenu de supporter seul les frais correspondants. Cette règle vise à protéger les autres indivisaires contre les conséquences d’un comportement négligent ou abusif.
Ce mécanisme garantit une répartition juste des charges tout en responsabilisant chaque indivisaire dans la gestion de l’indivision.
C) Le financement des mesures conservatoires
S’agissant du financement des mesures conservatoires, l’article 815-2 du Code civil envisage deux situations :
- L’emploi des fonds indivis par l’indivisaire auteur de la dépense
- La contribution des coïndivisaires à la dépense nécessaire
1. L’emploi des fonds indivis
L’article 815-2, alinéa 2, du Code civil confère à tout indivisaire le droit d’utiliser les fonds de l’indivision qu’il détient pour financer des mesures conservatoires.
Cette disposition repose sur une présomption légale de libre disposition à l’égard des tiers, empêchant toute contestation de la part des coindivisaires ou des tiers concernant l’utilisation de ces fonds.
a. Fonds indivis détenus par l’indivisaire
Lorsqu’un indivisaire détient des fonds issus de l’indivision, il dispose d’un pouvoir lui permettant de les mobiliser directement pour financer des mesures conservatoires nécessaires à la préservation des biens indivis. Cette prérogative, consacrée par l’article 815-2, alinéa 2, du Code civil, repose sur une présomption légale de libre disposition, conférant à l’indivisaire une autonomie dans la gestion des fonds, tout en assurant la protection des intérêts communs.
==>Principe et portée de la présomption de libre disposition
L’article 815-2, alinéa 2, instaure une présomption irréfragable selon laquelle l’indivisaire détenteur des fonds indivis est réputé en avoir la libre disposition vis-à-vis des tiers.
Cette présomption, inspirée des dispositions de l’article 221 du Code civil relatives aux comptes bancaires détenus par les époux, vise à simplifier les opérations financières liées à l’indivision.
Ainsi, l’indivisaire peut, sans avoir à solliciter l’autorisation des autres indivisaires, employer les fonds indivis pour couvrir les dépenses inhérentes aux mesures conservatoires. Par exemple, le paiement d’une facture relative à des réparations urgentes nécessaires à la préservation d’un immeuble indivis échappe à toute contestation, sauf en cas d’abus manifeste ou de comportement fautif de l’indivisaire.
==>Conditions d’application : détention légitime des fonds
Le pouvoir conféré à l’indivisaire s’exerce dans des situations où les fonds indivis sont légitimement entre ses mains.
Ces fonds peuvent avoir été reçus à la suite :
- d’un mandat délivré par les coindivisaires,
- d’une opération réalisée dans l’intérêt de l’indivision (par exemple, le produit d’une location ou la vente d’actifs indivis),
- ou encore d’un héritage, dans lequel les fonds du défunt, constituant l’actif indivis, ont été confiés à l’indivisaire.
Toutefois, cette présomption de libre disposition connaît des limites. Si les fonds sont détenus en qualité de dépositaire ou de séquestre, la mobilisation des fonds indivis par l’indivisaire est soumise à des règles spécifiques.
Dans de telles circonstances, l’indivisaire ne peut agir de son propre chef et doit obtenir l’autorisation expresse des autres indivisaires ou, en cas de désaccord, l’approbation du juge.
==>Obligations attachées à l’utilisation des fonds
En mobilisant ces ressources, l’indivisaire agit en qualité de gestionnaire et s’engage à rendre compte de leur emploi.
Cette obligation de reddition de comptes, essentielle au règlement ultérieur de l’indivision, garantit la transparence et protège les droits des coindivisaires.
À ce titre, l’indivisaire doit être en mesure de justifier que les fonds ont été employés exclusivement pour financer des mesures conservatoires nécessaires.
Par exemple, dans le cadre d’une indivision immobilière, les dépenses visant à empêcher la détérioration du bien (réparation d’une toiture, consolidation des fondations) sont considérées comme légitimes, à condition qu’elles soient strictement proportionnées aux besoins de conservation.
==>Conséquences
La présomption de pouvoir protège l’indivisaire contre d’éventuelles oppositions des coindivisaires ou des tiers.
Toutefois, lors du règlement des comptes de l’indivision, l’utilisation des fonds sera prise en considération afin de garantir une répartition équitable des charges entre les indivisaires.
Il convient également de noter que cette faculté peut, dans certaines circonstances, engendrer des tensions entre indivisaires, notamment si l’un d’eux estime que les fonds ont été employés à des fins non conformes à l’intérêt commun.
Ces différends pourront alors être tranchés par le juge au moment de l’établissement du compte final de l’indivision.
==>Rapport avec les tiers
Sur le plan pratique, la présomption de libre disposition protège également l’indivisaire contre les revendications des tiers.
Ceux-ci ne peuvent exiger une justification quant à l’emploi des fonds, à condition que l’opération apparaisse clairement comme une mesure conservatoire. Cette sécurité juridique renforce la fluidité des relations entre l’indivision et les tiers, en permettant aux indivisaires de conclure des actes nécessaires à la préservation des biens sans entraves.
b. Fonds indivis détenus par des tiers
Dans le cadre d’une indivision, il peut arriver que les fonds nécessaires à la conservation des biens soient détenus non par un indivisaire mais par un tiers.
Dans ce cas, l’indivisaire se trouve confronté à des obstacles pratiques qui nécessitent une intervention judiciaire pour débloquer ces ressources et les affecter aux besoins urgents de l’indivision.
L’article 815-6 du Code civil offre un cadre légal permettant de surmonter ces difficultés.
==>Principe de l’autorisation judiciaire
L’article 815-6, alinéa 2, du Code civil autorise tout indivisaire à solliciter du tribunal judiciaire l’autorisation de percevoir les fonds indivis détenus par des tiers, tels qu’une banque, un notaire ou tout autre dépositaire. Ces fonds peuvent être issus de diverses sources : produits locatifs, actifs liquides provenant de la succession ou sommes placées sur un compte indivis.
La finalité de cette disposition est de permettre à l’indivisaire d’obtenir rapidement une provision destinée à couvrir les dépenses nécessaires à la conservation des biens indivis. Cette procédure vise à protéger les intérêts de l’indivision tout en évitant qu’une situation d’urgence, comme un sinistre ou des travaux indispensables, ne soit compromise par l’inertie ou l’opposition de certains indivisaires ou dépositaires.
==>Procédure devant le Président près le Tribunal judiciaire
Pour obtenir cette autorisation, l’indivisaire doit présenter une requête devant le Président près le Tribunal judiciaire.
Conformément à l’article à l’article 1380 du Code de procédure civile il doit être statué sur cette demande selon la procédure accélérée au fond, remplaçant l’ancienne procédure « en la forme des référés ».
A cet égard, la requête présentée au Président du Tribunal judiciaire doit établir que les fonds demandés sont strictement nécessaires à la préservation des biens indivis.
L’indivisaire doit également préciser l’usage qui sera fait de ces fonds, en justifiant leur emploi à des fins conservatoires.
Par exemple, une demande visant à financer des travaux de consolidation sur un immeuble indivis serait recevable, tandis qu’une demande visant à financer des dépenses de gestion courante pourrait être rejetée.
==>Contrôle judiciaire de l’utilisation des fonds
L’autorisation accordée par le juge ne confère pas à l’indivisaire une liberté absolue dans l’utilisation des fonds perçus.
Ceux-ci doivent être affectés exclusivement à la réalisation des mesures conservatoires définies dans la requête. Toute déviation dans leur usage pourrait engager la responsabilité de l’indivisaire, tant vis-à-vis des autres indivisaires que des tiers.
Le tribunal veille également à s’assurer que les conditions d’emploi des fonds respectent l’intérêt commun des indivisaires.
Par exemple, si un indivisaire cherche à mobiliser des fonds pour effectuer des travaux non indispensables, cette demande pourrait être rejetée, car elle excéderait les limites du pouvoir conservatoire.
==>Cas spécifiques : opposition des tiers et succession bloquée
La procédure prévue par l’article 815-6 trouve une application particulière dans deux situations fréquentes :
- Première situation
- En cas de décès d’un indivisaire, lorsque les fonds de l’indivision sont temporairement bloqués par un établissement financier ou un notaire, la procédure prévue à l’article 815-6 du Code civil permet de débloquer rapidement les ressources nécessaires à la conservation des biens, sans attendre la fin des opérations successorales.
- Seconde situation
- En cas d’opposition des tiers, tels que des créanciers de l’indivision ou des ayants droit contestataires, l’intervention du juge garantit que les fonds sont utilisés exclusivement à des fins conservatoires, prévenant ainsi tout abus.
==>Conséquences pratiques
L’intervention du juge confère procure une double garantie pour les indivisaires et pour les tiers :
- Pour les indivisaires, elle assure une utilisation juste et transparente des fonds, dans l’intérêt de l’indivision.
- Pour les tiers, elle sécurise leur situation en excluant toute utilisation non autorisée des fonds qu’ils détiennent.
Enfin, il convient de souligner que cette procédure, bien qu’efficace, demeure exceptionnelle.
Elle ne s’applique qu’en cas d’obstruction ou de nécessité impérieuse, l’objectif étant de favoriser une gestion concertée des biens indivis, en limitant le recours au juge aux seuls cas de blocage avéré.
2. La contribution des coindivisaires à la dépense nécessaire
Lorsque l’utilisation des fonds indivis se révèle impossible ou insuffisante pour couvrir les dépenses nécessaires à la conservation des biens indivis, il incombe aux coindivisaires de prendre part au financement.
Ce principe repose sur la logique de l’intérêt commun qui sous-tend l’indivision. Deux situations peuvent alors se présenter : l’avance des deniers personnels par un indivisaire avec droit au remboursement ou la contribution forcée des coindivisaires à la dépense.
a. L’avance sur deniers personnels et le droit au remboursement
Lorsqu’un indivisaire décide de financer seul une mesure conservatoire en mobilisant ses propres deniers, l’article 815-2 du Code civil il confère un droit à remboursement de la dépense exposée.
==>Fondement juridique du droit au remboursement
L’article 815-13 dispose que l’indivisaire ayant engagé des dépenses nécessaires pour la conservation des biens indivis doit obtenir compensation.
Ce droit au remboursement s’applique même si ces dépenses n’ont pas directement amélioré le bien, tant qu’elles ont permis de le préserver. L’objectif est d’éviter qu’un indivisaire, agissant pour l’intérêt commun, supporte seul une charge qui incombe collectivement aux coindivisaires.
Le texte confère à l’indivisaire qui agit un statut de créancier vis-à-vis de l’indivision, lui permettant de réclamer le remboursement des sommes avancées, qu’il s’agisse de frais d’entretien, de réparations urgentes ou d’autres dépenses conservatoires.
==>Calcul de la somme remboursable
La Cour de cassation, dans un arrêt du 11 mai 2012, a précisé les modalités de remboursement des dépenses engagées par un indivisaire pour la conservation d’un bien indivis (Cass. 1ère civ. 11 mai 2012, n°11-17.497).
Elle a jugé que l’indivisaire doit être remboursé de la plus élevée des deux sommes suivantes :
- Le montant de la dépense réellement engagée : il s’agit de la somme effectivement déboursée par l’indivisaire pour couvrir la dépense nécessaire.
- Le profit subsistant généré par la dépense : si la mesure conservatoire a permis une valorisation ou une amélioration notable du bien, la somme remboursable peut inclure ce bénéfice. Cette approche vise à préserver une équité entre l’indivisaire ayant agi et les autres coindivisaires.
La notion de profit subsistant est toutefois modulée par un impératif d’équité, permettant d’ajuster le remboursement pour éviter un enrichissement indu de l’indivisaire à l’origine de la dépense.
==>Moment du remboursement
Dans un arrêt du 11 juin 1996, la Cour de cassation a jugé que l’indivisaire qui a exposé la dépense nécessaire était légitimement en droit de réclamer immédiatement son remboursement auprès de ses coindivisaires, sans qu’il soit besoin d’attendre le partage de l’indivision.
En effet, pour cette dernière, l’article 815-12 « ne prévoit pas que le remboursement des dépenses nécessaires, réalisées par un indivisaire, soit reporté “au temps du partage”; qu’un tel report consisterait à ajouter à l’article 815-2 susvisé une disposition qu’il ne comporte pas » (Cass. 1ère civ. 11 juin 1996, n°94-18.382).
==>Cas particulier en présence d’un usufruitier
Lorsque les biens indivis sont grevés d’un usufruit, la répartition des charges entre usufruitiers et nus-propriétaires vient complexifier le droit au remboursement.
L’article 815-2, alinéa 4, du Code civil précise que les dépenses conservatoires prises en charge par un indivisaire ne sont opposables à l’usufruitier que si elles relèvent des réparations dont il est normalement tenu (par exemple, les réparations d’entretien).
À l’inverse, si ces dépenses concernent des grosses réparations imputables au nu-propriétaire, l’indivisaire peut obtenir le remboursement de ce dernier.
Dans ces cas, la jurisprudence et la doctrine convergent pour admettre que l’indivisaire peut immédiatement exercer son recours, sans attendre l’extinction de l’usufruit, en se fondant sur les règles de l’indivision.
b. La contribution forcée des coindivisaires
En l’absence de fonds suffisants dans l’indivision ou d’un financement volontaire des coindivisaires, l’article 815-2, alinéa 3, du Code civil autorise un indivisaire à contraindre les autres indivisaires à participer aux dépenses nécessaires à la conservation des biens indivis.
==>Mise en demeure préalable
Avant d’engager une action judiciaire, l’indivisaire souhaitant obtenir la contribution des coindivisaires doit d’abord les mettre en demeure.
Cette mise en demeure doit clairement préciser :
- La nature de la dépense : il s’agit de démontrer que les fonds sollicités seront utilisés pour des mesures conservatoires, c’est-à-dire des actions nécessaires à la préservation ou à l’intégrité du bien indivis.
- L’objet et le montant des sommes demandées : l’indivisaire doit justifier l’utilité des dépenses et leur adéquation avec l’objectif de conservation.
Si les coindivisaires restent silencieux ou expriment un refus, une sommation interpellative, signifiée par commissaire de justice, peut formaliser leur position et constituer une preuve essentielle en cas de litige ultérieur.
==>Répartition proportionnelle des charges
Conformément à l’article 815-10 du Code civil, chaque indivisaire doit contribuer à la dépense proportionnellement à sa part dans l’indivision.
Cette règle, qui repose sur le principe d’équité, assure une juste répartition des charges entre les indivisaires, en fonction de leurs droits respectifs.
Si certains indivisaires sont insolvables, les autres devront temporairement assumer leur part. Cette charge additionnelle pourra être compensée lors du règlement définitif des comptes de l’indivision.
Les indivisaires peuvent, d’un commun accord, décider de répartir la dépense selon des modalités différentes si elles conviennent mieux à la situation.
==>Recours judiciaire
Lorsque les tentatives amiables échouent et que le désaccord entre indivisaires persiste, l’article 815-2, alinéa 3, du Code civil offre à l’indivisaire la possibilité de saisir le juge.
- Les modalités de saisine du juge
- Le recours judiciaire peut être introduit selon deux procédures principales :
- Le référé (article 835 du Code de procédure civile)
- Cette procédure rapide permet d’obtenir une décision provisoire, en cas d’urgence ou de blocage qui pourrait causer un préjudice imminent.
- Le juge des référés peut notamment statuer sur des mesures conservatoires ou sur une provision, en fonction des justificatifs apportés.
- La procédure accélérée au fond (article 815-6 du Code civil)
- Depuis la réforme issue du décret n° 2019-1419, cette procédure remplace la précédente dite « en la forme des référés ».
- Elle permet au juge de statuer sur le fond dans des délais raccourcis, tout en rendant une décision qui a autorité de chose jugée.
- Le référé (article 835 du Code de procédure civile)
- Dans les deux cas, l’indivisaire doit démontrer que toutes les démarches préalables ont été entreprises (mise en demeure, sommation interpellative) et présenter des justificatifs précis des dépenses projetées.
- Le recours judiciaire peut être introduit selon deux procédures principales :
- L’appréciation du juge
- Le rôle du juge est déterminant dans l’évaluation des demandes. Il doit notamment s’assurer que :
- La dépense répond aux critères d’une mesure conservatoire : les dépenses sollicitées doivent être strictement nécessaires à la préservation ou à l’intégrité du bien indivis. À titre d’exemple, des réparations urgentes pour éviter une dégradation irréversible ou des actions pour sauvegarder un titre de propriété pourraient être considérées comme des mesures conservatoires.
- Les sommes demandées sont justifiées : l’indivisaire requérant doit fournir des devis, factures ou tout autre document démontrant l’exactitude des montants réclamés. Cela inclut également des explications sur l’urgence ou l’importance des travaux.
- La charge financière est répartie équitablement : le juge veille à ce que la contribution de chaque coindivisaire respecte leur quote-part dans l’indivision, conformément à l’article 815-10 du Code civil. Si certains coindivisaires sont insolvables, le juge peut organiser une compensation lors du partage ou un remboursement différé.
- Le rôle du juge est déterminant dans l’évaluation des demandes. Il doit notamment s’assurer que :
- Les décisions du juge
- En fonction des éléments présentés et de l’urgence des besoins, le juge peut :
- Ordonner le paiement immédiat : si les dépenses sont reconnues nécessaires, le juge peut contraindre les coindivisaires à verser leur contribution proportionnelle sans attendre.
- Autoriser des mesures conservatoires provisoires : en cas d’urgence, une décision provisoire peut permettre à l’indivisaire d’engager les dépenses, avec un règlement ultérieur organisé par le juge.
- Rejeter la demande : si les justificatifs sont insuffisants ou si les dépenses ne répondent pas à la qualification de mesure conservatoire, le juge peut estimer que la charge ne doit pas être supportée par les coindivisaires.
- En fonction des éléments présentés et de l’urgence des besoins, le juge peut :