La règle de l’unanimité dans l’indivision protège les coïndivisaires contre les décisions unilatérales pouvant affecter leurs droits indivis.
A l’analyse, cette règle s’applique à une grande variété d’actes au nombre desquels figurent notamment, les actes de disposition, certains actes de gestion locative, les actes constitutifs de sûreté, les actes d’affectation d’un bien indivis à une activité professionnelle ou encore les actions en justice.
Nous nous focaliserons ici sur les actes de gestion locative.
La gestion locative d’un bien indivis soulève des questions complexes, notamment en raison de l’application stricte de la règle de l’unanimité prévue par l’article 815-3 du Code civil.
Cette règle s’applique aussi bien lorsque les indivisaires sont propriétaires du bien donné à bail que lorsqu’ils sont locataires indivis d’un bien.
I) Les indivisaires sont propriétaires du bien indivis loué
==>Conclusion du Bail
La conclusion d’un bail portant sur un bien indivis requiert généralement l’unanimité des indivisaires, sauf pour certains baux soumis à des régimes spécifiques.
- Principe de l’unanimité
- Les baux portant sur des immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal sont considérés comme des actes de disposition en raison de l’importance des droits conférés au preneur.
- Aussi, conformément à l’article 815-3 du Code civil, la décision de conclure un tel bail nécessite l’accord unanime des coïndivisaires.
- À défaut, le bail est inopposable aux indivisaires non signataires.
- La Cour de cassation a jugé en ce sens, dans un arrêt du 27 octobre 1992, que « le bail d’un bien indivis consenti par un seul des indivisaires n’est pas nul ; il est seulement inopposable aux autres indivisaires et son efficacité est subordonnée aux résultats du partage » (Cass. 1re civ., 27 oct. 1992, n°90-21.173).
- Exception
- En application de l’article 815-3 « les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal » peuvent être conclus par un ou des indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis, sous réserve d’information préalable des autres indivisaires.
==>Actes intervenant en cours de bail
Pendant la durée du bail, différentes demandes émanant du locataire peuvent intervenir.
Ces demandes sont soumises à des règles de majorité ou d’unanimité selon leur nature et leurs conséquences sur l’indivision.
- Demandes de travaux ou d’aménagements
- Les demandes de travaux ou d’aménagements par le locataire sont soumises à des règles qui diffèrent selon leur impact sur le bien indivis.
- En application de l’article 815-3, alinéa 2 du Code civil, les actes de gestion courante, tels que des travaux mineurs ou nécessaires à l’entretien du bien, peuvent être décidés par une majorité des indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis.
- Lorsque, en revanche, les travaux proposés touchent à la structure même du bien (modifications substantielles) ou entraînent un changement de destination, ils ne relèvent pas de l’exploitation normale des biens indivis et nécessitent dès lors le consentement unanime des indivisaires, conformément à l’article 815-3 du Code civil.
- Demande de sous-location ou de cession du bail
- Une sous-location ou une cession de bail confère des nouveaux droits au locataire.
- A ce titre, cette opération constitue un acte sortant de l’exploitation normale du bien indivis.
- Pour cette raison, il est admis qu’elle nécessite une décision unanime des indivisaires.
- Demande de révision du loyer
- La révision du loyer est traditionnellement considérée comme un acte d’administration.
- Aussi, conformément à l’article 815-3, alinéa 2 du Code civil, une telle demande peut être traitée par les indivisaires représentant deux tiers des droits indivis.
==>Fin du bail
La fin du bail peut donner lieu à deux issues différentes : la poursuivre des rapports locatifs ou leur cessation.
- La poursuite des rapports locatifs
- Renouvellement du bail
- Le renouvellement explicite d’un bail obéit aux mêmes règles que celles encadrant sa conclusion :
- Lorsque le renouvellement du bail intéresse un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal, alors il s’analyse en un acte de disposition.
- L’acte de renouvellement requiert dès lors une décision prise à l’unanimité des indivisaires (V. en ce sens Cass. 3e civ. 18 avr. 1985, n°84-10.083).
- Dans l’hypothèse, en revanche, où il s’agit de renouveler un bail ne portant pas sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal, alors l’acte de renouvellement peut être accompli par le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis
- Prorogation du bail
- La prorogation du bail se définit comme le report volontaire du terme du contrat, convenu entre les parties, permettant de prolonger les relations locatives au-delà de l’échéance initialement fixée.
- Cette prorogation peut intervenir à la demande explicite des parties ou découler de l’absence de résiliation au terme du bail.
- La prorogation explicite
- Il est admis, en application de l’article 815-3 du Code civil, que la prorogation du bail s’analyse en un acte d’administration.
- Il en résulte qu’elle peut être décidée, en principe, par une majorité représentant au moins deux tiers des droits indivis.
- Toutefois, dans l’hypothèse où la prorogation consentie conduirait à un report de longue durée ou à une modification significative des conditions du bail, alors elle pourrait être considérée comme constituant un acte étranger à l’exploitation normal du bien indivis.
- Dans ce cas, l’unanimité des indivisaires serait alors requise, sauf à obtenir une autorisation judiciaire sur le fondement de l’article 815-5 du Code civil.
- Il peut être observé qu’une prorogation qui aurait été décidée unilatéralement par un indivisaire pourrait être ratifiée a posteriori sur le fondement de la gestion d’affaires (article 1301 et suivants du Code civil), à condition qu’elle soit démontrée utile à tous les indivisaires (V. en ce sens Cass. 3e civ., 5 mai 1999, n°97-17.570).
- La tacite reconduction ou prorogation implicite
- La tacite reconduction, bien que distincte de la prorogation, peut s’analyser en une prolongation implicite du bail lorsque les parties poursuivent leurs relations locatives sans opposition à l’échéance du contrat.
- Aussi, elle obéit aux mêmes règles que la prorogation explicite :
- En principe, la tacite reconduction s’analyse en un acte d’administration, de sorte qu’elle n’est pas soumise à la règle de l’unanimité (V. en ce sens Cass. com. 22 mai 1973, n°71-12.731).
- En revanche, si elle donne lieu à la prolongation du bail pour une durée qui dépasse le cadre de l’exploitation normale du bien indivis, alors elle ne peut être accordée qu’à la condition que tous les indivisaires y aient consenti.
- La prorogation explicite
- Renouvellement du bail
- La Cessation des rapports locatifs
- Résiliation par le locataire
- Le locataire doit notifier son congé à tous les indivisaires pour qu’il soit valide.
- Dans un arrêt du 11 juillet 2007, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « lorsqu’un bail commercial a été consenti par des propriétaires indivis et hormis le cas où l’un de ceux-ci a reçu mandat du ou des autres indivisaires, le congé donné par le preneur doit, pour être valable, avoir été délivré à chacun des propriétaires indivis » (Cass. 3e civ. 11 juill. 2007, n°06-12.210).
- Cette exigence découle du principe selon lequel tous les coïndivisaires ont des droits égaux sur le bien indivis et doivent être informés des actes pouvant affecter ces droits.
- Congé donné par les indivisaires
- La résiliation d’un bail par les indivisaires nécessite une analyse au cas par cas pour déterminer s’il s’agit d’un acte d’administration ou de disposition.
- Actes d’administration
- Il est admis que le congé relève de la catégorie des actes d’administration, lorsqu’il n’affecte pas de façon substantielle les droits des indivisaires.
- Il en va ainsi pour un congé donné avec offre de renouvellement pour un bail d’habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989.
- Tel est encore le cas pour un congé donné avec refus de renouvellement d’un bail professionnel, sans indemnité d’éviction.
- La jurisprudence a admis que ces situations s’inscrivaient dans le cadre d’une gestion normale des biens indivis, ne nécessitant pas l’unanimité dès lors que l’acte n’entraîne pas de conséquences préjudiciables pour l’indivision.
- Actes de disposition
- Un congé peut être regardé comme constituant un acte de disposition, lorsqu’il affecte de manière significative la valeur ou l’usage du bien indivis.
- En pareil hypothèse, le congé requiert l’adoption d’une décision à l’unanimité des indivisaires.
- Tel sera le cas, par exemple, pour un congé portant sur un bail commercial, agricole, industriel ou artisanal, particulièrement en cas de paiement d’une indemnité d’éviction.
- Il en va également ainsi en cas de délivrance d’un congé assorti d’une offre de vente du bien indivis.
- Actes d’administration
- La résiliation d’un bail par les indivisaires nécessite une analyse au cas par cas pour déterminer s’il s’agit d’un acte d’administration ou de disposition.
- Résiliation par le locataire
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- Dans un arrêt du 9 juin 2011, la Cour de cassation a précisé que, dans la mesure où l’indivision est dépourvue de la personnalité juridique, l’acte doit être délivré au nom de chacun des indivisaires (Cass. 2e civ. 9 juin 2011, n°10-19.241).
- Il peut toutefois être observé que, en l’absence de mention des noms de tous les indivisaires, l’irrégularité peut être couverte par la saisie de la juridiction par chaque indivisaire pris individuellement (Cass. 3e civ., 5 déc. 2001, n°00-10.731).
- De façon générale, l’irrégularité résultant de la délivrance d’un congé qui aurait été pris en violation de la règle de l’unanimité ou de la majorité peut être couverte par la ratification a posteriori des indivisaires non consentants.
- Cette ratification peut être tout autant expresse (V. en ce sens Cass. 3e civ. 11 juin 1970, n°67-13.761) que tacite (Cass. soc. 6 mai 1965).
- Dans un arrêt du 12 mars 1970, la Cour de cassation a précisé que « le congé donné par un coindivisaire sans l’accord des autres est nul, s’il n’a pas été ratifié ou confirmé ; que cette confirmation doit être certaine et ne peut se présumer » (Cass. 3e civ. 12 mars 1970, n°69-10.161).
- Expulsion et mesures conservatoires
- L’expulsion d’un locataire d’un bien indivis est un acte dont la nature juridique dépend des circonstances entourant la demande.
- Elle peut constituer un acte d’administration, nécessitant l’accord de plusieurs indivisaires, ou une mesure conservatoire, justifiant une initiative unilatérale dans des situations spécifiques.
- L’expulsion comme acte d’administration
- Conformément à l’article 815-3, alinéa 2 du Code civil, il est admis que l’acte d’expulsion relève du cadre de l’exploitation normal du bien indivis.
- A ce titre, l’expulsion d’un locataire, s’analyse en un acte d’administration qui, dès lors, peut être pris à la majorité des indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis.
- A cet égard dans un arrêt du 16 novembre 2017, la Cour de cassation a jugé que « la délivrance d’un commandement de quitter les lieux, signifié en exécution d’un titre d’expulsion, constitue une mesure nécessaire à la conservation du bien indivis qui n’implique donc pas le consentement d’indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis » (Cass. 2e civ. 16 nov. 2017, n°16-23.173).
- L’expulsion comme mesure conservatoire
- Lorsque la situation présente un caractère urgent ou une menace immédiate pour les droits collectifs des indivisaires, elle justifie qu’un indivisaire seul puisse prendre une mesure conservatoire.
- Dans un arrêt du 4 juillet 2012, la Cour de cassation a admis que l’acte d’expulsion pris par un indivisaire agissant seul puisse être qualifié de mesure conservatoire.
- Aux termes de cette décision, elle a affirmé que « ‘action engagée par le mandataire-liquidateur tendant à l’expulsion d’occupants sans droit ni titre et au paiement d’une indemnité d’occupation, qui avait pour objet la conservation des droits des coïndivisaires, entrait dans la catégorie des actes conservatoires que tout indivisaire peut accomplir seul, sans avoir à justifier d’un péril imminent » (Cass. 1ère civ. 4 juill. 2012, n°10-21.967).
- L’expulsion comme acte d’administration
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II) Les Indivisaires sont titulaires d’un droit au bail en indivision
Il est des cas où le droit au bail sera détenu en indivision. Cette situation peut résulter notamment du décès du locataire. La question qui alors se pose est de savoir comment s’opère la répartition des obligations pesant sur les coindivisaires, mais également comment il peut être mis fin au bail.
==>Les obligations des locataires indivis
Les locataires indivis sont tenus par une obligation conjointe, ce qui signifie que chaque indivisaire est débiteur à proportion de sa quote-part dans l’indivision, sauf disposition contractuelle contraire.
Cette règle limite la responsabilité de chacun à la fraction des droits qu’il détient dans le bien loué.
Ainsi, un indivisaire possédant un quart des droits indivis n’est tenu que pour 25 % des loyers ou des frais de réparations locatives.
Toutefois, certaines obligations inhérentes à la nature même de la location, en raison de leur caractère indivisible, s’imposent à tous les indivisaires, sans distinction de leurs parts respectives.
En effet, certaines obligations revêtent un caractère indivisible et engagent tous les indivisaires en tant qu’unité :
- L’entretien des parties communes, essentiel à la conservation de l’immeuble, incombe à l’ensemble des locataires indivis, qui doivent agir collectivement pour garantir la pérennité des lieux ;
- La destination des lieux, dont la modification requiert l’accord unanime des indivisaires, constitue une obligation commune, en ce qu’elle préserve l’usage du bien conformément aux stipulations contractuelles.
Lorsqu’une clause de solidarité est stipulée dans le contrat de bail, les indivisaires locataires deviennent débiteurs solidaires.
Cette clause permet au bailleur de réclamer la totalité des loyers ou des frais de réparations à un seul indivisaire, lequel dispose ensuite d’un droit de recours contre ses co-locataires pour obtenir le remboursement des sommes versées au-delà de sa quote-part.
==>Le renouvellement et la résiliation du bail
- Résiliation par un indivisaire
- Un indivisaire, agissant seul, ne peut valablement mettre fin au bail indivis.
- Cette restriction découle de l’article 815-3 du Code civil, qui impose l’unanimité pour tout acte qui ne relève pas de l’exploitation normale du bien indivis.
- Parce que la résiliation d’un bail affecte de façon significative les droits de tous les indivisaires, elle s’analyse en un acte de disposition qui requiert l’unanimité.
- Dans un arrêt du 23 mars 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens « qu’à défaut d’autorisation de justice, chacun des coïndivisaires ne pouvait mettre fin au bail qu’avec l’accord de tous » (Cass. 3e civ. 23 mars 1994, n°92-10.360).
- Est-ce à dire que, en cas de désaccord, l’indivisaire souhaitant mettre fin au bail reste prisonnier ?
- Il n’en est rien. Il est admis que le congé donné par un indivisaire produira ses effets pour lui-même sans mettre fin au bail.
- La Cour de cassation en a tiré la conséquence que ce dernier ne sera plus tenu au paiement des loyers dus postérieurement à la date de prise d’effet du congé (Cass. 3e civ. 21 nov. 1990, 89-14.827), sauf à ce que le bail comporte une clause de solidarité.
- Renouvellement du bail
- S’agissant du renouvellement d’un bail qui donne lieu à la naissance d’un nouveau contrat, il y a lieu de distinguer selon que le bail concerné porte ou non sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.
- Le bail porte sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal
- Dans cette hypothèse, l’acte de renouvellement du bail est soumis à la règle de l’unanimité ; tous les indivisaires doivent consentir à l’opération.
- Le bail ne porte pas sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal
- Dans cette hypothèse, l’acte de renouvellement peut être accompli par des indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis.
- Le bail porte sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal
- En cas de violation de la règle de l’unanimité ou de la majorité, l’acte de renouvellement est réputé inopposable aux indivisaires non consentants.
- S’agissant du renouvellement d’un bail qui donne lieu à la naissance d’un nouveau contrat, il y a lieu de distinguer selon que le bail concerné porte ou non sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.