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Civ. 2, 10 mars 2016, n° 15-16.312 : Affiliation obligatoire au régime social des indépendants et droit de l’Union européenne

Résumé. Le régime social des indépendants n’a de cesse de faire couler l’encre de ses détracteurs. Priée d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne sur la question de savoir si le monopole accordé aux régimes obligatoires de la Sécurité sociale française est compatible avec le principe de la liberté de s’assurer auprès de l’assureur de son choix et le principe de concurrence en matière d’assurance, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation considère qu’il ne saurait y avoir lieu à saisine préjudicielle.

Sens. En l’espèce, le gérant d’une société demande à la Caisse nationale du régime social des indépendants sa radiation en raison de la souscription d’une assurance maladie auprès d’un organisme privé ayant son siège en Grande-Bretagne. La Caisse la lui refuse et lui décerne dans la foulée deux contraintes. Saisie, la cour d’appel de Colmar ne fait pas droit à sa demande. Et la Cour de cassation de dire qu’il n’y a pas lieu à saisine préjudicielle. Pour mémoire, rappelle la deuxième chambre civile, « si l’article 267 du TFUE rend obligatoire le renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l’Union européenne lorsque la question est soulevée devant une juridiction dont la décision n’est pas susceptible d’un recours juridictionnel en droit interne, cette obligation disparaît quand la question soulevée est matériellement identique à une question ayant déjà fait l’objet d’une décision à titre préjudiciel dans une espèce analogue ». Or, dans le cas particulier, la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie d’une question identique tranchée par arrêt du 26 mars 1996 (aff. n° C-238/94). En l’occurrence, le juge luxembourgeois considère que « (…) des régimes de sécurité sociale qui sont fondés sur le principe de solidarité exigent que l’affiliation à ces régimes soit obligatoire, afin de garantir l’application du principe de solidarité ainsi que l’équilibre financier desdits régimes (…) ». C’est de la survie des régimes qui est en cause, ajoutera la Cour de justice. En bref, l’affiliation obligatoire n’est contraire ni aux dispositions du Traité (1), ni à celles de la directive n° 92/49/CEE du 18 juin 1992 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance directe autre que l’assurance sur la vie (2).

Valeur. Cela fait plus de vingt ans que la Cour de justice se prononce en ce sens. Il semble donc que sa jurisprudence ne soit toujours pas reçue. La Cour de cassation, qui n’a pas souhaité publier cet arrêt, aurait peut-être gagné à expliciter sa décision et à la diffuser largement (3). C’est que ce contentieux s’inscrit dans une critique systématique du dispositif qui a été faite par « Liberté sociale » et le « Mouvement pour la liberté de la protection sociale », entre autres. Leurs zélateurs nient l’existence de l’obligation d’assujettissement au RSI, recommandent aux « entrepreneurs » de cesser le paiement de leurs cotisations sociales, et prétendent que les uns et les autres peuvent valablement assurer les risques de l’existence auprès d’un opérateur tiers (étranger en pratique). Une pareille position juridique, qui ouvrirait certainement le champ des possibles pour les opérateurs privés si elle était validée, est des plus audacieuses. L’arrêt en atteste, la lettre de la loi tout autant.

Portée. Certes, seuls les travailleurs dépendants sont assujettis aux assurances sociales du régime général (CSS, art. L. 311-2). Ce n’est pas à dire que les actifs, qui sont propriétaires du capital productif et travaillent au sein de leur entreprise, échappent à l’emprise de la législation sociale, qui est d’ordre public. Bien au contraire, les intéressés relèvent obligatoirement du régime social des indépendants (CSS, art. L. 611-1, ensemble CSS, art. L. 613-1, ensemble CSS, art. L. 111-2-2). C’est que, pour mémoire, « la Nation affirme son attachement au caractère universel, obligatoire et solidaire de la prise en charge des frais de santé assurée par l’assurance maladie » (CSS, art. L. 111-2-1, al. 1er nouv.). Le RSI n’a d’ailleurs pas manqué de défendre légitimement sa position (4). C’est la raison pour laquelle le Code de la sécurité sociale punit le travailleur indépendant qui ne s’est pas conformé aux prescriptions de la législation de sécurité sociale (CSS, art. L. 244-1 et s., sur renvoi de CSS, art. L. 612-12). La loi punit également toute personne qui a organisé le refus par les assujettis de se conformer aux prescriptions du livre VI et notamment de s’affilier à un organisme de sécurité sociale ou de payer les cotisations dues, d’une peine d’emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 € (CSS, art. L. 652-7). Quant à ceux qui se seraient limités à inciter à la fraude, une peine reste encourue, même si son quantum est moindre.

La discussion au Sénat du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2015 a révélé qu’en pratique, les comportements incriminés ne font pas l’objet de poursuites (5). Ce constat n’a pas empêché le législateur d’aggraver le mauvais sort que le droit de la sécurité sociale réserve aux contrevenants et à ceux qui les incitent. La loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 de financement de la Sécurité sociale pour 2015 a modifié en conséquence le siège de la matière, en l’occurrence l’article L. 114-18 du Code de la sécurité sociale (CSS, art. 90). Un effet remarquable retiendra l’attention. Il s’agit de la contradiction du texte nouveau avec l’article L. 652-7 précité ! Pendant que le premier texte punit l’incitateur d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 € ou de l’une de ces deux peines, le second punit l’intéressé d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 7 500 €…


1.- CJUE, 17 févr. 1993, nos C-159/91 et C-160/91, Poucet et Pistre, point 13.

2.- CJUE, 26 mars 1996, n° C-238/94, point 14.

3.- V. not. en ce sens, « Regards d’universitaires sur la réforme de la Cour de cassation – Actes de la conférence-débat du 24 novembre 2015 », JCP G 2016, suppl. ; v. égal. J. Bourdoiseau, « Le secret de la délibération » in La délibération (colloque), Procédures, mars 2011.

4.- Note du 18 décembre 2014.

5.- Commission des affaires sociales, rapp. n° 127.

(Article publié in Gazette du palais juin 2016)

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