Résumé
La demande de rescrit social est irrecevable lorsque le contrôle est critiqué devant une juridiction de Sécurité sociale (1). C’est le premier enseignement de cet arrêt. Il en est un second. Il est remarquable, car le pourvoi n’invitait pas la Cour de cassation à le donner. Dans un obiter dictum, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation précise que la demande de rescrit social n’est pas irrecevable pour la seule raison qu’un contrôle du paiement des cotisations a été engagé (2).
Commentaire
Le droit du recouvrement des cotisations sociales se caractérise par sa technicité. C’est dire que la gestion du risque juridique peut s’avérer redoutable pour le débiteur. Pour cette raison, le législateur impose aux URSSAF et aux caisses générales de Sécurité sociale de se prononcer de manière explicite sur toute demande d’un cotisant ou futur cotisant ayant pour objet de connaître l’application à sa situation de la législation dédiée (CSS, art. L. 243-6-3 c. sécu. soc.). La sanction ne sou?re pas la discussion. S’il s’avère que l’organisme de recouvrement ne noti?e pas au demandeur sa décision, “il ne peut être procédé à un redressement de cotisations ou contributions sociales, fondé sur la législation au regard de laquelle devait être appréciée la situation de fait exposée dans la demande“, et ce jusqu’à la noti?cation d’une réponse explicite (CSS, art. L. 243-6-3, al. 4 c. sécu. soc.). Partant, le cotisant échappe au contrôle du paiement de la dette sociale, à tout le moins pour ce qui concerne la période de retard imputable à l’organisme collecteur. C’est précisément ce qu’a recherché le demandeur au pourvoi, mais en vain.
Une entreprise fait l’objet d’un contrôle, qui donne lieu à une lettre d’observations. Pendant qu’elle conteste le redressement devant un tribunal des a?aires de Sécurité sociale (TASS), l’intéressée adresse à l’URSSAF une demande ayant pour objet de connaître l’application de la législation sur sa situation relativement à certains avantages en nature, ceux-là même qui ont justi?é le redressement. L’organisme ne répond pas. Saisie, la commission de recours amiable con?rme l’irrecevabilité de la demande de rescrit social. Déboutée par les juridictions du fond, qui partagent l’analyse de ladite commission, l’entreprise se pourvoit en cassation. Le demandeur au pourvoi soutient qu’à compter de la clôture des opérations de contrôle, une demande de rescrit social peut utilement être formulée. L’article L. 243-6-3, alinéa 2, c. sécu. soc. n’écarte pas l’hypothèse. Il se contente d’a?rmer que “la demande du cotisant ne peut être formulée lorsqu’un contrôle a été engagé“. Et le demandeur de soutenir dans la foulée que la saisine du TASS est par voie de conséquence sans incidence. La Cour de cassation ne partage pas l’analyse : “la demande de rescrit formulée par la société, dès lors qu’elle concerne l’objet du litige encore en cours entre les parties, n’est pas recevable“. A notre connaissance, la question posée à la Cour de cassation, à savoir que faut-il entendre par “contrôle qui a été engagé”, est inédite. Dès lors, la publication de la décision au Bulletin s’imposait.
Aux termes de l’arrêt, la demande du cotisant ou futur cotisant, ayant pour objet de connaître l’application à sa situation des règles d’assiette et de paiement, ne peut être formulée lorsque le contrôle ayant donné lieu au redressement fait l’objet d’un recours devant les juridictions du contentieux général de la Sécurité sociale. L’article L. 243-6-3 du Code de la Sécurité sociale n’imposait pas cette solution, à tout le moins pas à première lecture.
Le législateur s’est formellement limité à priver de tout e?et la demande de rescrit social formulée lorsqu’un contrôle a été engagé. Techniquement, un contrôle est considéré engagé lorsque le cotisant est avisé du passage de l’organisme de recouvrement (CSS, art. R. 243-59, al. 1). Au fond, il n’est plus l’heure de consulter l’URSSAF. Au reste, à l’issue du contrôle, les inspecteurs du recouvrement ont l’obligation de communiquer à l’employeur ou au travailleur indépendant une lettre d’observations circonstanciée, qui comporte, entre autres mentions, les chefs de redressement et leur mode de calcul (CSS, art. R. 243-59, al. 5). En somme, il pourrait être soutenu que les opérations de contrôle sont l’occasion pour l’URSSAF de répondre à une ou plusieurs questions que le cotisant aurait dû se poser en temps utile. La réfutation du moyen est en ce sens.
En l’espèce, il s’avère que le cotisant formule sa demande de rescrit social alors que les opérations de contrôle sont clôturées. C’est-à-dire une fois que le procès-verbal, dressé par les inspecteurs, est transmis à l’organisme chargé de la mise en recouvrement (CSS, art. R. 243-59, al. 8). Mais, et c’est un élément de complexité qui donne tout son intérêt à l’arrêt, il s’adresse à l’URSSAF alors que le TASS est saisi d’une action en contestation du recouvrement.
Il aurait pu être considéré en l’espèce que le contrôle étant terminé, au sens où cela est entendu en droit du recouvrement, le cotisant recouvre aussitôt la possibilité d’interroger utilement l’URSSAF. Cette interprétation, qui étend le domaine du rescrit social, aurait eu pour elle le mérite de la cohérence. Non seulement le législateur s’applique, pour sa part, à introduire de nouveaux cas de rescrit, mais le Conseil d’État défend, pour la sienne, la création d’un rescrit social prémunissant le risque de sanctions administratives et ?nancières dans le champ du droit du travail (1). De surcroît, cette dernière interprétation aurait permis de rendre plus e?cace, qu’il ne l’est à ce jour, ce procédé commode de “sécurisation” juridique (2). Ce n’est pourtant pas le choix qui a été fait.
L’interprétation retenue donne à penser que le contrôle du paiement des cotisations, qui est critiqué, n’est pas complètement terminé. D’un point de vue matériel, il pourrait être défendu que le contrôle juridictionnel succède au contrôle “administratif”. Pour cause : l’application à la situation du cotisant des règles d’assiette et de paiement ayant donné lieu à redressement a fait l’objet d’un premier contrôle mené par les inspecteurs ; il fait à présent l’objet d’un second contrôle, en l’occurrence celui exercé par le juge. Si l’on veut bien accorder que la procédure dite de “rescrit social” a pour objet de sécuriser juridiquement la position du débiteur des cotisations, il serait pour le moins hasardeux d’autoriser l’intéressé à interroger dans le même temps l’URSSAF et le juge. Le risque de divergence d’interprétation des règles applicables à la cause doit être pris en considération. A l’analyse, la sécurité juridique commandait la solution retenue en l’espèce. Au reste, mais cela prête moins à conséquences, il n’est pas déraisonnable d’alléger la charge des organismes chargés du recouvrement. A quoi bon les contraindre à se prononcer de manière explicite sur la demande du cotisant, au sens de l’article L. 243-6-3 du Code de la Sécurité sociale, alors que, par hypothèse, une lettre d’observations a nécessairement été remise et que, de surcroît, l’a?aire est pendante ?
Le second enseignement de l’arrêt atteste la volonté de la Cour de cassation de donner toute sa mesure au rescrit social de l’article L. 243-6-3 c. sécu. soc. Bien que l’arrêt soit de rejet, il est assez riche de sens. En l’espèce, la Cour de cassation s’applique à limiter le domaine de l’irrecevabilité de la demande de rescrit. Par voie de conséquence, elle facilite d’autant la saisine de l’URSSAF.
L’alinéa 2 de l’article précité, qui est pour le moins lapidaire, dispose que “la demande du cotisant ne peut être formulée lorsqu’un contrôle prévu a été engagé“. Ceci rappelé, l’option est binaire. Soit le contrôle n’a pas été engagé et l’URSSAF doit se prononcer à peine d’être partiellement interdite de procéder au recouvrement. Soit ledit contrôle l’a été et la demande est déclarée irrecevable. C’est dire l’apport de l’arrêt : “Mais attendu que, selon l’article L. 243-6-3, alinéa 2, du Code de la Sécurité sociale, la demande […] ne peut être formulée lorsqu’un contrôle portant sur les mêmes bases de cotisations de Sécurité sociale [c’est nous qui soulignons] a été engagé“. L’incise ouvre assurément le champ des possibles, à tout le moins en théorie.
Il ne faut pas perdre de vue que le nombre de questions que le cotisant peut poser sont limitativement énumérées. De surcroît, la législation sociale étant aux prises avec l’imagination fertile (pour ne pas dire tous azimuts) du législateur, ce sont les avantages nouveaux et/ou les pratiques nouvelles qui font plus volontiers di?culté. Or, le droit de la Sécurité sociale n’oblige pas les organismes à se prononcer dans ces derniers cas de figure.
En dé?nitive, si l’intention de la Cour régulatrice a bien été de faciliter la saisine des organismes collecteurs, elle aurait gagné, a minima, à déclarer le caractère non exhaustif de l’article L. 243-6-3, alinéa 1, du Code de la Sécurité sociale. Pour ce faire, il eut fallu ajouter à la loi un marqueur de généralité, en l’occurrence l’adverbe “notamment”. A maxima, la Cour de cassation aurait pu contraindre les URSSAF et caisses générales de Sécurité sociale à répondre aux questions de droit nouvelles, qui présentent des di?cultés sérieuses et qui se posent dans de nombreux cas. C’eut été audacieux mais cohérent au regard de l’article D. 243-0-2 du Code de la Sécurité sociale (3) qui dispose : “sur proposition du directeur de l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale faite chaque année avant le 31 mars, le ministre chargé de la Sécurité sociale publie au Bulletin o?ciel et sur le site internet www.securite-sociale.fr, après les avoir rendues anonymes, une liste de décisions prises par les organismes de recouvrement en application de l’article L. 243-6-3 qui présentent une portée générale“.
1- CE, 14 novembre 2013, étude, Doc. fr. mars 2014.
2- G. Vachet, La sécurité juridique du cotisant : illusion ou réalité, JCP éd. S, 2006 n° 1094.
3- Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit.
(Article publié in Lexbase, 17 mars 2015)