Bien que le contrat d’assurance se forme, en principe, entre deux parties — le souscripteur et l’assureur —, il est loin de se limiter à ce seul cercle contractuel. Le droit des assurances admet qu’il puisse impliquer des tiers, soit par leurs intérêts dans les effets du contrat, soit par leur intervention lors de sa formation.
Ainsi, certains tiers — tels que l’assuré pour compte ou le bénéficiaire — se voient reconnaître un véritable droit propre à la garantie, sans avoir pris part à la conclusion du contrat. Leur intégration dans la sphère contractuelle résulte d’une stipulation pour autrui ou, dans certains cas, d’une disposition légale.
D’autres tiers, en amont cette fois, interviennent dans le processus de formation du contrat. Il en va ainsi des intermédiaires d’assurance — agents généraux, courtiers, mandataires — dont le rôle, bien que distinct des parties, est juridiquement structurant : ces professionnels facilitent, encadrent ou engagent la relation contractuelle.
Le contrat d’assurance se révèle ainsi perméable : ouvert en aval à des bénéficiaires extérieurs, et en amont à des acteurs de sa genèse, il invite à repenser les frontières classiques de la relation contractuelle.
1. Les tiers intéressés aux effets du contrat d’assurance: les assurés et les bénéficiaires
Certains tiers, bien qu’étrangers à la conclusion du contrat d’assurance, peuvent en tirer directement avantage. C’est le cas de l’assuré pour compte et du bénéficiaire, qui accèdent à la garantie par un mécanisme conventionnel ou légal. Leur intégration dans la relation contractuelle leur confère un droit propre, tout en les soumettant au régime du contrat.
a. Le tiers assuré : l’assurance pour compte
La structure classique du contrat d’assurance repose sur une relation intuitu personae entre le souscripteur et l’assureur. Pourtant, cette relation bilatérale peut être aménagée de manière à conférer la qualité d’assuré à un tiers, par le biais du mécanisme de l’assurance pour compte. Ce dernier, consacré à l’article L. 112-1, alinéa 2, du Code des assurances, permet de souscrire une assurance « pour le compte de qui il appartiendra », transformant alors un tiers en véritable assuré, sans qu’il ait participé à la formation du contrat.
i. Fondement
L’assurance pour compte repose sur le mécanisme juridique de la stipulation pour autrui, prévu à l’article 1205 du Code civil. Dans ce schéma, le souscripteur (qualifié de stipulant) conclut un contrat d’assurance avec un assureur (le promettant), en vue de faire bénéficier un tiers (le bénéficiaire de la stipulation) de la garantie d’assurance. Ce tiers acquiert ainsi, par l’effet du contrat, la qualité d’assuré, bien qu’il ne soit pas partie au contrat au moment de sa formation.
L’article L. 112-1, alinéa 2, du Code des assurances reconnaît expressément ce montage : « L’assurance peut […] être contractée pour le compte de qui il appartiendra. La clause vaut, tant comme assurance au profit du souscripteur du contrat que comme stipulation pour autrui au profit du bénéficiaire connu ou éventuel de ladite clause. »
Ce texte opère une double reconnaissance : il confirme d’une part que le souscripteur peut contracter pour son propre compte et, d’autre part, qu’il peut le faire au bénéfice d’un tiers, désigné ou non, lequel se voit conférer la qualité d’assuré.
Cependant, l’existence d’une assurance pour compte ne se présume pas. Conformément aux principes du droit des obligations (art. 1203 et 1205 du Code civil), la stipulation pour autrui suppose une volonté claire des parties de conférer des effets au contrat au profit d’un tiers. Cette volonté non équivoque peut toutefois résulter implicitement des termes du contrat et des circonstances de sa souscription. Elle ne doit donc pas nécessairement être exprimée de manière formelle dans la police, pourvu qu’elle puisse être déduite avec suffisamment de certitude (Cass. 2e civ., 5 mars 2020, n°19-10.201).
Pour établir cette volonté implicite, la jurisprudence procède souvent à une analyse des intérêts d’assurance en présence. Elle vérifie si le tiers, prétendument assuré pour compte, justifie d’un intérêt direct et légitime à la non-réalisation du risque (art. L. 121-6 du Code des assurances). Cette exigence d’intérêt d’assurance est centrale : elle permet de distinguer une véritable assurance pour compte d’un simple effet de couverture indirecte.
ii. Domaine
L’assurance pour compte est principalement mobilisée dans les assurances de dommages, qu’il s’agisse d’assurances de chose ou de responsabilité. Elle irrigue notamment les pratiques contractuelles en matière de transport, de location, de dépôt ou encore dans les assurances professionnelles et collectives. L’exemple du transporteur assurant les marchandises qui lui sont confiées par des tiers est éclairant : le contrat couvre à la fois sa responsabilité (assurance de responsabilité) et la valeur des biens transportés (Cass. 1re civ., 24 juin 2003, n°00-17.213).
L’assurance pour compte présente cette particularité que le tiers bénéficiaire n’a pas besoin d’être nommément désigné dans la police : sa déterminabilité suffit. Ainsi, un critère objectif, tel que la qualité de propriétaire des biens ou la participation à l’opération assurée, permet d’identifier l’assuré pour compte (Cass. 1re civ., 10 juill. 1995, n°92-13.534). Cette souplesse permet d’intégrer dans la couverture d’assurance des parties prenantes multiples, comme c’est le cas dans les assurances de chantier ou les contrats multirisques couvrant l’immeuble pour le compte de l’occupant et du propriétaire.
iii. Effets
Le tiers assuré pour compte, bénéficiaire de la stipulation prévue à l’article L. 112-1 du Code des assurances, dispose d’un droit propre contre l’assureur. En tant que titulaire d’un droit personnel direct, il peut exercer une action directe pour obtenir le bénéfice de la garantie d’assurance, sans avoir à passer par le souscripteur (Cass. civ., 17 oct. 1945). Il ne se trouve donc pas en concurrence avec les créanciers du souscripteur : son droit n’est ni dérivé, ni subrogatoire, mais autonome.
Toutefois, le tiers ainsi assuré n’est pas étranger au régime contractuel. En vertu de l’article L. 112-1, alinéa 3, l’assureur peut lui opposer toutes les exceptions nées du contrat, qu’elles soient liées au comportement du souscripteur ou à celui du tiers lui-même. Il en va ainsi, par exemple :
- des déchéances pour déclaration tardive du sinistre (Cass. 1re civ., 10 juin 1997, n°95-15.813);
- des exclusions légales, notamment en cas de faute intentionnelle (Cass. 1re civ., 15 déc. 1998, n°96-20.885);
- ou encore de la prescription biennale prévue à l’article L. 114-1 du Code des assurances (Cass. 1re civ., 17 juill. 1985, n°84-13.324).
La jurisprudence admet toutefois un tempérament en ce qui concerne la prescription : son point de départ est repoussé au jour où l’assuré pour compte a eu la possibilité d’agir, c’est-à-dire lorsqu’il a eu connaissance du sinistre ou de la possibilité d’exercer ses droits (Cass. 2e civ., 15 mars 2007, n°05-20.856).
Par ailleurs, si le tiers assuré bénéficie de la garantie, il ne supporte pas pour autant les obligations principales du contrat. En particulier, il n’est pas tenu au paiement des primes, sauf s’il s’est expressément engagé à le faire (Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 19-13.624). Cette obligation demeure à la charge exclusive du souscripteur.
Il reste que, dans son intérêt, l’assuré pour compte peut être amené à collaborer à l’exécution du contrat, notamment en déclarant le sinistre ou en participant aux opérations d’expertise, afin de ne pas compromettre sa faculté de recours contre l’assureur.
En somme, le tiers assuré occupe une position singulière : sans être partie au contrat lors de sa formation, il est néanmoins intégré dans son exécution, bénéficiant de la garantie tout en étant soumis à ses limites. Il s’agit ainsi d’un tiers bénéficiaire inclus dans le champ contractuel, qui échappe à l’effet relatif classique du contrat sans pour autant se voir reconnaître la plénitude des prérogatives d’un contractant.
b. Le tiers bénéficiaire : entre stipulation contractuelle et désignation légale
La notion de bénéficiaire dans le contrat d’assurance désigne la personne au profit de laquelle la prestation d’assurance est exécutée en cas de réalisation du risque, sans que cette personne ait nécessairement participé à la conclusion du contrat. À la différence de l’assuré pour compte, qui assume le risque, le bénéficiaire est le réceptacle de la garantie, ce qui fait de lui le titulaire d’un droit propre à l’indemnisation. Son intervention dans les effets du contrat peut résulter soit d’une stipulation contractuelle, soit d’une disposition légale.
i. La stipulation pour autrui
Dans les assurances de personnes, et plus particulièrement en matière d’assurance-vie, le bénéficiaire est généralement désigné par le souscripteur à travers une stipulation pour autrui (C. civ., art. 1205 ; C. assur., art. L. 132-8). Le souscripteur (le stipulant) demande à l’assureur (le promettant) de s’engager à verser la prestation au profit d’un tiers (le bénéficiaire), en cas de survenance de l’événement assuré (décès, survie, invalidité, etc.).
Cette stipulation peut bénéficier à un tiers nommément désigné, mais aussi à une personne déterminable au moment de la réalisation du risque (par ex., « à mes héritiers » ou « à mon conjoint »). En vertu de l’article L. 132-8 du Code des assurances, cette désignation peut être faite dans la police, par avenant, ou même par testament.
L’acceptation du bénéfice de la stipulation par le bénéficiaire confère à sa situation juridique une stabilité accrue : elle rend la stipulation irrévocable, sauf clause contraire (C. civ., art. 1206 ; C. assur., art. L. 132-9). Dès cette acceptation, le bénéficiaire dispose d’un droit propre, de nature contractuelle, qu’il peut exercer directement contre l’assureur.
Néanmoins, ce droit demeure soumis aux conditions du contrat, en vertu de l’article L. 112-6 du Code des assurances, qui prévoit que « l’assureur peut opposer au bénéficiaire toutes les exceptions opposables au souscripteur ». Ainsi, les nullités, les exclusions de garantie, ou encore la prescription, peuvent être invoquées par l’assureur contre le bénéficiaire, y compris lorsqu’elles sont fondées sur un comportement imputable au souscripteur.
Un tempérament important a cependant été admis par la jurisprudence : lorsque le sinistre est déjà réalisé, certaines déchéances ne peuvent plus priver le bénéficiaire de son droit, notamment lorsque le manquement contractuel relève du seul souscripteur (Cass. 1re civ., 2 avr. 1974, n°73-10.356).
ii. La désignation légale du bénéfice
Dans certaines hypothèses, la qualité de bénéficiaire ne résulte pas de la volonté des parties, mais de la loi. C’est notamment le cas en assurance de responsabilité, où la victime du dommage causé par l’assuré dispose d’un droit d’action directe contre l’assureur. Cette prérogative est consacrée à l’article L. 124-3 du Code des assurances, qui prévoit que « le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe contre l’assureur de la personne responsable ».
Ce mécanisme répond à une finalité de protection de la victime, en lui permettant de contourner les éventuelles défaillances du responsable (insolvabilité, absence d’initiative procédurale) et d’agir directement contre le garant du risque.
Là encore, ce droit est autonome et personnel : la victime n’agit ni en subrogation, ni en représentation du responsable, mais en vertu d’un droit propre, de source légale. Toutefois, la jurisprudence a maintenu l’applicabilité des exceptions issues du contrat d’assurance, notamment les exclusions de garantie, la nullité du contrat, ou encore la prescription (Cass. 1re civ., 4 juin 1996, n° 94-13.614). Ces exceptions sont opposables à la victime, même si elle n’en a pas eu connaissance, conformément à l’article L. 112-6 du Code des assurances.
Toutefois, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, les déchéances fondées sur un manquement personnel du souscripteur, telles que l’inexécution d’une obligation de déclaration, ne peuvent être opposées à la victime lorsque le sinistre est déjà survenu. La Haute juridiction rappelle à cet égard que l’intérêt de la victime, protégée par la loi, prime sur la sanction contractuelle du comportement du responsable (Cass. 1re civ., 6 mai 1997, n°95-15.319).
2. Les tiers intéressés à la formation du contrat d’assurance: les intermédiaires
Si le contrat d’assurance s’élabore en principe entre un souscripteur et un assureur, sa formation fait souvent intervenir des tiers qualifiés d’intermédiaires. Ces derniers, qu’ils agissent au nom ou pour le compte de l’assureur, du souscripteur ou même en leur nom propre, jouent un rôle essentiel dans la genèse du lien contractuel. Leur fonction dépasse la simple transmission d’informations : ils peuvent engager juridiquement l’une ou l’autre des parties et influencer la formation, la validité ou encore les effets du contrat. Une distinction s’impose alors entre les différentes catégories d’intermédiaires, chacune dotée d’un statut et d’un régime propres : agent général d’assurance, courtier, mandataire d’assurance, ou encore mandataire d’intermédiaire.
a. L’agent général d’assurance
L’agent général est le représentant permanent d’une entreprise d’assurance. Son statut, régi par le Code des assurances (notamment l’article R. 511-2) et encadré par la Convention collective nationale du 2 juin 2003, repose sur une relation de mandat de droit commun, à laquelle s’ajoutent des dispositions spécifiques issues du droit de l’assurance.
Mandataire de l’assureur, l’agent engage directement ce dernier vis-à-vis des souscripteurs. Il peut proposer, négocier et conclure des contrats d’assurance au nom de la compagnie qu’il représente. Il peut également percevoir les primes et, dans certaines limites, régler les sinistres. Cette capacité d’engagement fait de lui un relais contractuel de l’assureur, dont les actes – y compris fautifs – peuvent engager la responsabilité, selon les règles de la représentation.
Toutefois, s’il est lié par une relation de dépendance économique, l’agent général n’est pas un salarié : il conserve une autonomie dans la gestion de son portefeuille et dans l’exercice de son activité professionnelle. Cette dualité – autonomie de gestion et pouvoir de représentation – confère à l’agent général une place singulière parmi les professionnels de l’intermédiation.
b. Le courtier d’assurance
À la différence de l’agent général, le courtier n’est pas lié à une compagnie d’assurance déterminée. Il agit en principe pour le compte de l’assuré, auquel il doit loyauté et conseil. Il est tenu d’une obligation d’analyse des besoins du client et d’un devoir de conseil, sous peine d’engager sa responsabilité professionnelle en cas de défaillance.
Sur le plan juridique, le courtier est souvent considéré comme un mandataire du souscripteur. Il est chargé de rechercher, au nom et pour le compte de celui-ci, les garanties les plus adaptées auprès d’un ou plusieurs assureurs. Toutefois, dans certaines hypothèses, il peut également conclure le contrat au nom de l’assuré, lorsque ce dernier lui en donne mandat exprès.
Mais la position du courtier n’est pas univoque. Il peut également être tenu de transmettre certaines informations à l’assureur, et sa défaillance dans l’exécution de cette obligation peut produire des effets sur la validité ou l’opposabilité du contrat. En outre, si le courtier encaisse les primes, il le fait en vertu d’un mandat exprès, et sa responsabilité est engagée en cas de défaut de reversement.
c. Le mandataire d’assurance
Le mandataire d’assurance est défini à l’article L. 511-1 du Code des assurances comme toute personne autre qu’un salarié de l’entreprise d’assurance, habilitée à exercer, contre rémunération, des activités d’intermédiation. Cette notion vise un éventail d’acteurs plus large, qui peuvent agir pour le compte d’un assureur sans en avoir le statut d’agent général.
Le mandataire est donc un intermédiaire occasionnel ou spécialisé, lié par un mandat ponctuel ou limité. Il peut s’agir, par exemple, d’un professionnel distribuant des produits d’assurance en complément d’une autre activité commerciale (vendeur automobile, banquier, etc.). Dans ce cas, sa mission est circonscrite, et sa responsabilité dépendra de l’étendue du mandat reçu et de la nature des informations fournies au souscripteur.
La loi exige que le mandataire soit immatriculé à l’ORIAS, comme tout intermédiaire, et qu’il respecte les obligations d’information et de transparence prévues aux articles L. 521-1 et suivants du Code des assurances.
d. Le mandataire d’intermédiaire
Enfin, le mandataire d’intermédiaire – souvent qualifié de « sous-mandataire » – agit pour le compte d’un intermédiaire principal, qu’il s’agisse d’un agent, d’un courtier ou d’un mandataire d’assurance. Il intervient dans un cadre subordonné, n’ayant pas de relation directe avec l’assureur ou le souscripteur final.
Cette catégorie, introduite par la réforme du droit des assurances issue de la directive Solvabilité II, est soumise à des obligations similaires à celles des autres intermédiaires, notamment en matière de transparence, d’information précontractuelle et d’immatriculation à l’ORIAS. Sa responsabilité est susceptible d’être engagée à la fois à l’égard du mandant et du cocontractant, en cas de manquement dans la phase précontractuelle.