Le contrat d’assurance, par la richesse de ses mécanismes et la variété des intérêts qu’il cristallise, se distingue au sein du droit des obligations comme une figure contractuelle particulièrement singulière. Instrument de prévoyance et de protection, il s’inscrit dans une logique de couverture du risque qui dépasse les frontières classiques de l’engagement bilatéral. Si, comme tout contrat, il unit deux volontés — celle de l’assureur, porteur du risque, et celle du souscripteur, en quête de sécurité — il irrigue, par sa structure et sa fonction, un champ d’effets plus large, souvent pluripersonnel, qui en accentue la complexité juridique.
À cette complexité tient notamment la pluralité des figures que l’opération d’assurance met en jeu. Car ce contrat, s’il repose fondamentalement sur une relation entre deux parties, n’en demeure pas moins ouvert, par vocation, à l’intervention de tiers, lesquels peuvent être les véritables destinataires de la garantie, voire, dans certains cas, ses titulaires effectifs. Le contrat d’assurance manifeste ainsi une capacité d’irradiation qui oblige à dépasser la stricte lecture synallagmatique, pour embrasser une conception fonctionnelle de la relation contractuelle, où se croisent et se combinent les intérêts du souscripteur, de l’assuré, du bénéficiaire, voire du tiers lésé.
Cette dimension plurielle du contrat appelle une réflexion structurée autour des personnes concernées, directement ou indirectement, par l’opération d’assurance. Le droit positif, mû par la pratique, affiné par la jurisprudence et systématisé par la doctrine, a progressivement défini les contours de ces différentes figures, en traçant une ligne de partage entre les parties au contrat et les tiers intéressés. À l’intérieur même de cette seconde catégorie, la distinction entre le tiers assuré, qui bénéficie de la garantie en tant que destinataire de la couverture du risque, et le tiers bénéficiaire, auquel revient l’indemnité, s’avère décisive.
C’est donc à une véritable cartographie des personnes liées à l’opération d’assurance qu’il convient de procéder, en prenant soin de restituer, pour chacune d’entre elles, la logique propre de son rattachement au contrat, les modalités de sa participation à l’opération, et les règles qui gouvernent son interaction avec l’assureur. Ce faisant, il devient possible de comprendre comment le droit des assurances, au-delà de l’apparent binôme contractuel, a construit un régime à la fois souple et précis, capable de répondre aux exigences de protection, de prévisibilité et de sécurité juridique que commande la gestion du risque.
A. Les parties au contrat d’assurance : assureur et souscripteur
Le contrat d’assurance repose d’abord sur l’intervention de deux parties essentielles?: l’assureur, qui prend en charge un risque en contrepartie du paiement d’une prime, et le souscripteur, qui conclut le contrat et en supporte les principales obligations. L’un engage sa garantie, l’autre manifeste le consentement à l’acte assurantiel. Autour de ce duo s’organise la relation d’assurance, à laquelle peuvent s’ajouter d’autres figures (assuré, bénéficiaire, intermédiaire), mais dont la formation repose fondamentalement sur cet échange initial. Il convient ainsi d’examiner, en premier lieu, la qualité d’assureur, puis celle de souscripteur.
1. L’assureur
Le contrat d’assurance ne saurait valablement exister sans la présence d’un assureur, entendu comme la personne morale qui assume, en vertu d’un engagement contractuel, le risque garanti. Par cette obligation, l’assureur s’engage, en contrepartie d’une prime ou cotisation, à fournir une prestation déterminée lors de la survenance d’un événement aléatoire spécifié au contrat. Il est ainsi le débiteur originaire et principal de l’obligation d’assurance.
L’article L. 310-1 du Code des assurances réserve la qualité d’assureur à ceux qui, à titre habituel et professionnel, effectuent des opérations d’assurance ou de réassurance, sous réserve d’un agrément administratif préalable. Cette définition restrictive exclut expressément les simples intermédiaires, qui ne sont pas parties au contrat mais seulement intéressés à son exécution. L’usage commun, souvent imprécis, conduit à confondre ces opérateurs avec l’assureur véritable, alors même que seule l’entité investie du pouvoir de porter le risque — c’est-à-dire de garantir l’aléa — peut revendiquer cette qualité.
1.1. La diversité des porteurs de risques
Le contrat d’assurance implique, par essence, l’existence d’un assureur, entendu comme le porteur du risque. Celui-ci est tenu, en contrepartie d’une prime ou cotisation, d’exécuter la prestation convenue en cas de survenance du sinistre garanti. La figure de l’assureur ne se limite cependant pas à une seule catégorie d’entité : elle recouvre, en droit français, une pluralité d’organismes, régis par des régimes distincts, eux-mêmes déterminés par le code sectoriel auquel ils se rattachent. Trois grandes catégories peuvent ainsi être distinguées : les sociétés d’assurance régies par le Code des assurances, les mutuelles relevant du Code de la mutualité, et les institutions de prévoyance, soumises au Code de la sécurité sociale.
a. Les sociétés d’assurance (Code des assurances)
Les sociétés d’assurance constituent historiquement le cœur du secteur assurantiel. Leur activité est encadrée par les dispositions du Livre III du Code des assurances, qui établit une typologie reposant à la fois sur leur forme juridique et sur leur mode de fonctionnement.
i. Les sociétés anonymes d’assurance
Ces entités à but lucratif, soumises au droit commun des sociétés commerciales (C. com., art. L. 225-1 et s.), sont les plus répandues sur le marché français. Elles opèrent toutes branches d’assurance (sous réserve de compatibilité entre elles) et doivent satisfaire aux exigences prudentielles définies par la réglementation Solvabilité II. Leur gouvernance est souvent duale (directoire et conseil de surveillance), bien que le modèle moniste subsiste. Leur agrément est délivré par l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), au vu de critères relatifs à leur solvabilité, à leur gouvernance et à leur spécialisation technique.
ii. Les sociétés d’assurance mutuelle (SAM)
Les SAM relèvent également du Code des assurances (art. L. 322-26-1 et s.), mais se distinguent par leur but non lucratif et par leur mode de fonctionnement mutualiste. Dépourvues de capital social, elles reposent sur une logique de solidarité entre sociétaires, lesquels sont à la fois assurés et membres de la structure. Les excédents réalisés ne sont pas distribués mais réaffectés au bénéfice des sociétaires, par exemple sous la forme de réduction des cotisations. Ces sociétés ne sont pas commerciales au sens du droit commun et échappent à ce titre à la compétence des tribunaux de commerce.
iii. Les sociétés européennes d’assurance
Introduites par le règlement (CE) n° 2157/2001 et transposées en droit français par la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 (art. L. 322-5-1 C. assur.), ces sociétés permettent une harmonisation des activités d’assurance au sein du marché intérieur européen. Elles peuvent librement transférer leur siège social d’un État membre à un autre, sans dissolution, et constituent un levier d’intégration pour les grands groupes opérant à l’échelle de l’Union.
iv. Les formes groupées : SGAM et GAM
Le Code des assurances reconnaît également des formes plurales, telles que les sociétés de groupe d’assurance mutuelle (SGAM) (art. L. 322-1-2 C. assur.) et les groupements d’assurance mutuelle (GAM) (art. L. 322-1-5). Tandis que la SGAM, en tant que société faîtière, peut regrouper plusieurs entités mutualistes autour d’un pilotage stratégique sans exercer elle-même d’activité d’assurance, le GAM a un rôle plus modeste et non contraignant, consistant à coordonner les actions des membres tout en laissant à chacun la responsabilité de ses engagements.
b. Les mutuelles (Code de la mutualité)
Les mutuelles sont régies, quant à elles, par le Livre II du Code de la mutualité. À l’instar des SAM, elles sont à but non lucratif, mais s’en distinguent par un cadre juridique propre et une vocation plus exclusivement orientée vers la santé, la prévoyance ou la solidarité sociale.
Les mutuelles fonctionnent selon un modèle démocratique, où chaque membre dispose d’une voix à l’assemblée générale (C. mut., art. L. 114-1). Elles ne disposent pas de capital social, mais doivent constituer un fonds d’établissement pour couvrir les engagements initiaux (C. mut., art. L. 114-4). Leur gouvernance est organisée autour d’un conseil d’administration et d’un dirigeant opérationnel, ce dernier n’étant pas administrateur (art. L. 211-14 C. mut.).
Les mutuelles du Livre II peuvent exercer des opérations d’assurance, à l’exclusion de certaines branches techniques (v. art. L. 111-1 C. mut.). En revanche, celles relevant du Livre III (mutuelles de prévention ou à vocation médico-sociale) n’ont pas vocation à pratiquer des opérations d’assurance, leur objet étant centré sur la gestion de prestations sociales ou sanitaires.
Comme les sociétés d’assurance, les mutuelles peuvent se regrouper sous forme d’union mutualiste de groupe (UMG) ou d’union de groupe mutualiste (UGM), structures analogues à la SGAM et au GAM, respectivement. Ces entités assurent une coordination stratégique sans mise en commun de la mutualisation du risque (C. mut., art. L. 111-4-1 et L. 111-4-2).
c. Les institutions de prévoyance (Code de la sécurité sociale)
Les institutions de prévoyance constituent la troisième catégorie d’assureurs à part entière, bien qu’elles soient souvent perçues comme des opérateurs spécifiques. Leur régime est défini par le Livre IX du Code de la sécurité sociale, plus précisément par les articles L. 931-1 et suivants.
Les institutions de prévoyance sont des personnes morales de droit privé à but non lucratif, créées pour couvrir les risques sociaux dans un cadre collectif. Elles sont administrées selon un modèle paritaire, associant des représentants des employeurs (membres adhérents) et des salariés (membres participants) (C. séc. soc., art. L. 931-1).
Leur activité est plus restreinte que celle des assureurs classiques. Elles ne peuvent intervenir que dans les branches suivantes : vie-décès, mariage-naissance, capitalisation, accidents, maladie, et perte d’emploi (art. L. 932-1 C. séc. soc.). Elles exercent leurs activités soit dans un cadre individuel, par adhésion directe d’un salarié, soit dans un cadre collectif, à adhésion facultative ou obligatoire.
Elles peuvent également se structurer en groupes prudentiels, autour d’une société de groupe assurantiel de protection sociale (SGAPS) (C. séc. soc., art. L. 931-2-2), ou en groupes non prudentiels, dénommés groupes assurantiels de protection sociale (GAPS) (art. L. 931-2-1). Des unions peuvent également être constituées pour mutualiser les engagements ou réassurer les opérations collectives.
1.2. Conditions d’intervention en France
L’accès au marché français de l’assurance est régi par un encadrement juridique exigeant. Il repose sur l’obtention préalable d’un agrément délivré par l’ACPR, auquel s’ajoutent des obligations étendues en matière de gouvernance, de comptabilité et de solvabilité. Ce régime combine les règles issues du droit national avec les prescriptions du droit européen, notamment celles de la directive 2009/138/CE du 25 novembre 2009, dite « Solvabilité II », qui structure l’ensemble des exigences prudentielles applicables aux entreprises d’assurance.
a. Délivrance d’un agrément
En vertu de l’article L. 310-10 du Code des assurances, aucun organisme ne peut pratiquer des opérations d’assurance en France sans avoir obtenu un agrément délivré par l’ACPR. Cette mesure d’autorisation préalable vise à contrôler la capacité de l’entreprise à tenir ses engagements et à protéger les intérêts des assurés. L’agrément, individuel, porte sur une ou plusieurs branches d’assurance déterminées, dont certaines sont incompatibles entre elles. Il est interdit à un même organisme d’exercer à la fois dans les branches d’assurance de personnes et dans celles des assurances de dommages, sauf exceptions strictement encadrées (C. assur., art. L. 322-2-2).
La délivrance de l’agrément suppose l’examen de critères relatifs à la solidité financière, à la gouvernance et à la nature des opérations envisagées. Le non-respect de l’objet social ainsi agréé est susceptible d’entraîner tant des sanctions disciplinaires que des sanctions civiles, voire pénales, en cas d’exercice illicite de l’activité assurantielle.
Les assureurs établis dans un autre État membre de l’Espace économique européen bénéficient d’un passeport européen, leur permettant, sous réserve de notification préalable par l’autorité de leur État d’origine, d’exercer en France en libre prestation de services ou par le biais d’un établissement secondaire (succursale ou agence). Ce régime repose sur le principe de contrôle unique, la surveillance de l’activité demeurant en principe du ressort de l’État d’origine, sauf en cas d’urgence ou de manquement manifeste à la législation de l’État d’accueil.
b. Exigences de gouvernance
L’agrément n’est que le préalable à l’exercice effectif. L’entreprise agréée doit en outre satisfaire aux exigences d’organisation interne imposées par le pilier II de la directive Solvabilité II, transposée en droit français notamment aux articles L. 354-1 et suivants du Code des assurances. Elle doit ainsi mettre en place un système de gouvernance structuré autour de deux dispositifs principaux : un système de contrôle interne et un système de gestion des risques.
Ces dispositifs sont servis par des fonctions clés, soumises à des conditions d’honorabilité et de compétence contrôlées par l’ACPR : la gestion des risques, la vérification de la conformité, l’audit interne et l’actuariat. L’ensemble repose sur des politiques écrites et sur une séparation claire des responsabilités. En outre, le recours à des prestataires extérieurs dans le cadre de l’externalisation de certaines fonctions ou services fait l’objet d’un encadrement particulier lorsqu’il concerne des fonctions critiques ou importantes, notamment en matière de continuité d’activité ou de maîtrise des risques.
c. Exigences financières
Le cœur du dispositif prudentiel est constitué par l’exigence de disposer de fonds propres suffisants pour faire face aux risques. Le capital de solvabilité requis (CSR), calculé selon une formule standard ou un modèle interne validé par l’ACPR, vise à garantir la continuité d’exploitation à un an avec un niveau de confiance de 99,5 %. Il correspond donc à une valeur en risque de l’entreprise, tenant compte de l’ensemble de ses engagements futurs. Le minimum de capital requis (MCR), plus bas, marque quant à lui le seuil en deçà duquel l’activité de l’assureur devient intolérable, signalant un niveau de fonds propres équivalant à une probabilité de ruine de 15 % à un an.
Ces exigences doivent être couvrables par des fonds propres éligibles, classés en trois niveaux selon leur qualité et leur capacité d’absorption des pertes. Les fonds de base (tier 1) doivent représenter plus de la moitié du total des fonds admissibles.
S’agissant du régime comptable applicable aux assureurs en France, il s’articule autour de deux exigences : la tenue de comptes sociaux établis selon les normes comptables nationales, et, pour les entités concernées, la publication de comptes consolidés conformes aux normes IFRS (International Financial Reporting Standards), conformément au règlement CE n° 1606/2002.
Le bilan social doit notamment refléter les provisions techniques, c’est-à-dire les montants destinés à faire face aux engagements de l’assureur envers les assurés, qu’il s’agisse de provisions mathématiques en assurance-vie ou de provisions pour sinistres et pour primes en assurance non-vie. L’actif de l’entreprise doit représenter ces engagements à travers un actif dit représentatif ou excédentaire, dont la valorisation varie selon qu’il est amortissable ou non.
2. Le souscripteur
Le contrat d’assurance trouve sa source dans l’initiative du souscripteur, véritable pivot de l’engagement assurantiel. Partie originaire à l’accord, il en provoque la formation, en assume les obligations principales, et peut, selon les cas, agir pour son propre compte ou dans l’intérêt d’autrui. Sa qualité ne se confond ni avec celle de l’assuré, ni avec celle du bénéficiaire, même si ces fonctions peuvent coïncider. Comprendre son rôle implique donc d’en cerner les contours juridiques, tant en matière de souscription individuelle que dans le cadre plus complexe des assurances collectives.
a. La notion de souscripteur
Le souscripteur — parfois désigné par la terminologie européenne comme le preneur d’assurance — désigne la personne physique ou morale qui conclut le contrat d’assurance avec l’assureur. Partie originaire à la convention, il est juridiquement celui qui manifeste le consentement nécessaire à la formation du contrat et sur lequel pèsent les obligations essentielles qui en découlent, au premier rang desquelles figurent le paiement de la prime et la déclaration exacte du risque, conformément aux prescriptions de l’article L. 113-2 du Code des assurances.
Cette qualité de souscripteur, centrale dans l’économie contractuelle, ne doit cependant pas être confondue avec celles — distinctes bien que fréquemment cumulées — d’assuré ou de bénéficiaire. Tandis que l’assuré est la personne sur la tête ou sur le patrimoine de laquelle repose le risque couvert, le bénéficiaire est, quant à lui, celui qui a vocation à percevoir la prestation de l’assureur en cas de réalisation du sinistre. Cette distinction, solidement ancrée dans la tradition doctrinale et régulièrement réaffirmée par la jurisprudence, permet d’appréhender avec rigueur la structure tripartite que peut revêtir la relation d’assurance, et d’éviter les amalgames sémantiques parfois induits par l’usage courant.
Dans les contrats d’assurance individuels, la figure du souscripteur est généralement celle de l’assuré lui-même : il agit pour son propre compte, supporte le risque et perçoit, le cas échéant, la prestation. Cette identité des qualités, fréquente, ne présente cependant aucun caractère nécessaire. Le souscripteur peut contracter dans l’intérêt d’un tiers — par exemple dans le cadre d’une assurance sur la tête d’autrui, ou d’une assurance pour compte. Dans cette dernière configuration, visée par l’article L. 112-1 du Code des assurances, le contrat est conclu par une personne qui, sans disposer d’un mandat exprès, agit pour le compte d’un individu déterminé. Ce tiers, selon les circonstances, sera lié au contrat en vertu des règles applicables au mandat apparent ou à la gestion d’affaires, à condition que la souscription lui soit utile ou qu’il en ait ratifié les effets. La jurisprudence a ainsi précisé que, dans ces hypothèses, le contractant apparent ne demeure qu’un intermédiaire, la personne véritablement engagée étant celle pour le compte de laquelle l’assurance a été souscrite, pourvu qu’elle ait été identifiée ou identifiable à la date de formation du contrat.
Dans les contrats d’assurance collectifs, le rôle du souscripteur prend une envergure plus institutionnelle. Il s’agit, le plus souvent, d’un employeur, d’une association ou d’un organisme professionnel, qui conclut une convention d’assurance de groupe auprès d’un assureur, en vue de la couverture d’un ensemble de personnes unies par un lien objectif, tel qu’un contrat de travail, l’adhésion à une structure associative, ou une relation contractuelle avec un établissement de crédit. Ce type d’opération, régi par les articles L. 141-1 et suivants du Code des assurances, donne naissance à une configuration tripartite, dans laquelle les adhérents — c’est-à-dire les membres du groupe éligibles à la garantie — accèdent à la qualité d’assuré (et parfois de bénéficiaire), selon des modalités d’adhésion variables.
La doctrine souligne que, dans cette configuration, le souscripteur exerce des fonctions multiples : il négocie la teneur du contrat avec l’assureur, fixe les conditions d’adhésion et assure un rôle de relais entre les adhérents et l’assureur. L’article L. 141-6 du Code des assurances instaure à cet égard une présomption de mandat au profit du souscripteur, lequel est réputé agir pour le compte de l’entreprise d’assurance à l’égard des adhérents. Cette présomption, instituée dans un souci de sécurité juridique, implique que les actes et documents émanant du souscripteur engagent l’assureur vis-à-vis des adhérents, sauf clause contraire expressément portée à la connaissance de ces derniers, conformément à l’article A. 141-6 du même Code.
L’adhésion au contrat collectif peut être soit obligatoire, soit facultative. Dans le premier cas — typiquement en matière de protection sociale complémentaire liée à l’emploi —, l’adhésion résulte automatiquement de l’appartenance au groupe, sans qu’un acte exprès ne soit requis. Elle peut alors s’analyser comme une stipulation pour autrui acceptée tacitement, conférant aux adhérents la qualité d’assurés sans intervention individuelle de leur part. Dans le second cas, l’adhésion repose sur une manifestation de volonté expresse de la personne concernée. Elle s’analyse alors comme une pollicitation, acceptée par l’assureur par l’émission d’un certificat d’adhésion. La relation ainsi formée entre l’adhérent et l’assureur constitue un véritable contrat individuel d’assurance, régi par les conditions générales et particulières négociées dans la convention-cadre. La doctrine hésite, dans cette configuration, entre une analyse en termes de promesse de contrat pour autrui — l’assureur s’engageant à proposer à chaque adhérent les garanties convenues — ou de stipulation classique, chaque adhésion valant contrat distinct une fois acceptée.
Ainsi, qu’il intervienne dans un cadre individuel ou collectif, le souscripteur est toujours celui qui, en sa qualité de cocontractant de l’assureur, déclenche la formation du lien contractuel et en supporte les principales charges. Mais il peut aussi, par un jeu de représentations ou de stipulations, s’effacer derrière d’autres figures — assuré ou bénéficiaire — dont les intérêts justifient la souscription de la garantie.
b. La capacité du souscripteur
La souscription d’un contrat d’assurance constitue, par essence, un acte juridique dont la validité suppose que son auteur soit doté de la capacité requise pour contracter. Cette exigence, d’apparence triviale, n’en recouvre pas moins une diversité de situations dont le traitement repose principalement sur les dispositions du droit commun, en particulier les articles 1145 et suivants du Code civil, mais se colore aussi des règles spécifiques tenant à la nature même du contrat d’assurance. En effet, selon qu’il s’agisse d’un contrat de dommages ou d’un contrat d’assurance-vie, la qualification juridique de l’acte – acte d’administration ou de disposition – influe directement sur le régime applicable.
i. Les mineurs non émancipés
Privé de la capacité d’exercice, le mineur non émancipé ne peut, en principe, souscrire lui-même un contrat d’assurance. La représentation par l’administrateur légal ou le tuteur s’impose. La distinction entre actes d’administration et actes de disposition, reprise par le décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 (annexe 1), joue ici un rôle déterminant?: la souscription d’un contrat d’assurance de dommages – telle qu’une assurance habitation ou de responsabilité civile – relève de la catégorie des actes d’administration et peut donc être accomplie par les représentants légaux agissant seuls, sauf disposition contraire.
En revanche, la conclusion d’un contrat d’assurance-vie est qualifiée d’acte de disposition. Dès lors, elle requiert l’autorisation préalable du conseil de famille ou du juge des tutelles, conformément à l’article 505 du Code civil. Le régime protecteur du mineur se double ainsi d’un contrôle juridictionnel lorsque la souscription emporte des conséquences patrimoniales substantielles.
Il n’en demeure pas moins que l’article 1148 du Code civil permet au mineur de conclure lui-même certains actes de la vie courante, à condition qu’ils soient conformes à l’usage et qu’ils interviennent à des conditions normales. Ce tempérament autorise, dans une certaine mesure, la souscription autonome d’assurances liées à des activités sportives ou scolaires. Toutefois, la validité d’un tel contrat demeure conditionnée à l’absence de lésion, laquelle, en matière d’assurance, est d’autant plus difficile à démontrer que le contrat repose sur un aléa (C. civ., art. 1305).
ii. Les majeurs protégés
La capacité du souscripteur fait également l’objet d’aménagements en présence d’une mesure de protection juridique. Le droit positif distingue selon le régime applicable – sauvegarde de justice, curatelle, tutelle ou habilitation familiale – chacun d’eux induisant des conséquences spécifiques.
- Sous sauvegarde de justice, le majeur conserve la plénitude de sa capacité juridique. Toutefois, les actes accomplis peuvent être rescindés pour excès en vertu de l’article 435 du Code civil, si la souscription d’une assurance s’avérait manifestement inadaptée à sa situation patrimoniale. Ce risque est théoriquement limité par le caractère aléatoire du contrat d’assurance, qui rend la démonstration de la lésion complexe.
- Sous curatelle, l’assistance du curateur est exigée pour les actes de disposition. Ainsi, la souscription d’une assurance-vie requiert son concours, conformément à l’article L. 132-4-1 du Code des assurances. En revanche, les contrats de dommages – qualifiés d’actes d’administration – peuvent être conclus par le majeur seul, sauf stipulation contraire ou circonstances particulières.
- En tutelle, la logique de représentation s’impose de manière continue. Le tuteur est seul habilité à souscrire, y compris les contrats d’assurance de dommages. S’agissant de l’assurance-vie, l’article L. 132-4-1 du Code des assurances impose en outre l’autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille, tant pour la souscription que pour la désignation ou la modification du bénéficiaire.
- Enfin, dans le cadre de l’habilitation familiale, instaurée par l’ordonnance n°2015-1288 du 15 octobre 2015, la capacité du majeur est maintenue, sous réserve des restrictions expressément prévues par la décision du juge. L’habilitation peut être générale ou limitée à certains actes, de sorte qu’une analyse casuistique s’impose au regard de la portée du mandat judiciaire (C. civ., art. 494-6 et s.).
iii. Les personnes mariées
Le droit des régimes matrimoniaux n’est pas sans incidence sur les règles de capacité. L’article 1421 du Code civil autorise chacun des époux à gérer seul les biens communs et, à ce titre, à souscrire un contrat d’assurance de dommages utile à la famille. Cette latitude n’est toutefois pas absolue?: dans l’hypothèse d’une assurance-vie souscrite au profit d’un tiers, le risque d’une requalification en donation de biens communs ne peut être écarté. Il convient alors d’apprécier si l’opération respecte les charges du mariage (C. civ., art. 223) ou si elle emporte une atteinte injustifiée au patrimoine commun, auquel cas l’article 1422 pourrait justifier l’exigence du consentement du conjoint.
En tout état de cause, la jurisprudence veille à ne pas restreindre indûment la liberté de chacun des époux de souscrire un contrat d’assurance-vie à titre personnel. L’attribution du capital à un tiers bénéficiaire est en principe considérée comme un droit propre, susceptible néanmoins d’être tempéré par le droit à récompense de la communauté si les primes ont été acquittées avec des deniers communs (Cass. 1re civ. , 31 mars 1992, n° 90-16.343).
iv. Les personnes morales
Enfin, les personnes morales ne jouissent que d’une capacité spéciale, limitée aux actes entrant dans leur objet statutaire ou y étant accessoires (C. civ., art. 1145, al. 2). La souscription d’un contrat d’assurance ne pose généralement pas difficulté, dès lors qu’elle vise à garantir des risques inhérents à l’activité de la structure – qu’il s’agisse de protéger ses biens, sa responsabilité ou ses ressources humaines.
L’acte est valablement accompli par le représentant légal, dont les pouvoirs sont présumés étendus vis-à-vis des tiers. Même lorsque les statuts comportent des limitations internes, celles-ci demeurent inopposables aux cocontractants de bonne foi, conformément au principe d’apparence et à la jurisprudence constante en matière de représentation des personnes morales.
c. La représentation du souscripteur
Le contrat d’assurance peut être valablement conclu par une personne agissant non pour son propre compte, mais au nom ou dans l’intérêt d’autrui. Deux mécanismes juridiques distincts permettent cette représentation du souscripteur : le mandat, d’une part, et la gestion d’affaires, d’autre part. Tous deux sont expressément visés à l’article L. 112-1, alinéa 1er, du Code des assurances, qui dispose que « l’assurance peut être contractée en vertu d’un mandat général ou spécial, ou sans mandat, pour le compte d’une personne déterminée ». Ce texte prévoit ainsi la possibilité d’une souscription indirecte.
Dans le cadre du mandat, la souscription est effectuée par un représentant dûment habilité. Le mandant, c’est-à-dire la personne pour le compte de laquelle l’assurance est contractée, est seul engagé dans les liens du contrat. Il en résulte qu’il est l’unique débiteur des primes (Cass. 1re civ., 18 juill. 1962) et qu’il bénéficie seul des prérogatives afférentes à la qualité de souscripteur (Cass. 1re civ., 27 déc. 1962). Le mandataire, en tant qu’intermédiaire, n’est pas partie au contrat — sauf à ce qu’il ait excédé les limites de son mandat ou qu’il ait omis de révéler sa qualité de représentant. En pareille hypothèse, sa responsabilité personnelle pourrait être engagée, notamment à l’égard de l’assureur.
Le gérant d’affaires, quant à lui, intervient sans mandat préalable, mais agit dans l’intérêt d’une personne déterminée. Ce mode de représentation spontanée, également reconnu par l’article L. 112-1 du Code des assurances et fondé sur les articles 1372 et suivants du Code civil, emporte des effets analogues au mandat, sous réserve de certaines spécificités. Le contrat d’assurance profite ici à celui que la jurisprudence qualifie de maître de l’affaire, dès lors que la gestion s’est avérée utile ou qu’elle a été ratifiée, fût-ce postérieurement à la survenance d’un sinistre (Cass. 1re civ., 13 juill. 1960). Le gérant d’affaires, tout comme le mandataire, n’est pas tenu personnellement des obligations issues du contrat, sauf s’il a manqué à ses devoirs ou s’il est lui-même à l’origine du sinistre.
Il convient de souligner que, dans ces hypothèses de représentation indirecte, la personne qui agit pour autrui doit clairement révéler sa qualité à l’assureur. À défaut, elle sera présumée avoir contracté en son nom propre, conformément aux règles de droit commun. La distinction entre représentation et souscription personnelle est, à cet égard, décisive, tant pour déterminer le débiteur des primes que pour identifier l’éventuel créancier de la prestation assurantielle.
Ces modes de représentation trouvent un écho particulier dans les assurances pour compte, lesquelles consistent à souscrire un contrat au profit d’un tiers, que ce tiers soit ou non déterminé au jour de la conclusion du contrat. La jurisprudence, tout comme la doctrine la plus autorisée, insiste sur la distinction à opérer entre la représentation, qui repose sur une délégation de volonté, et la stipulation pour autrui, qui ne crée pas un lien contractuel direct entre l’assureur et le bénéficiaire.
B. Les tiers intéressés au contrat d’assurance
Bien que le contrat d’assurance se forme, en principe, entre deux parties — le souscripteur et l’assureur —, il est loin de se limiter à ce seul cercle contractuel. Le droit des assurances admet qu’il puisse impliquer des tiers, soit par leurs intérêts dans les effets du contrat, soit par leur intervention lors de sa formation.
Ainsi, certains tiers — tels que l’assuré pour compte ou le bénéficiaire — se voient reconnaître un véritable droit propre à la garantie, sans avoir pris part à la conclusion du contrat. Leur intégration dans la sphère contractuelle résulte d’une stipulation pour autrui ou, dans certains cas, d’une disposition légale.
D’autres tiers, en amont cette fois, interviennent dans le processus de formation du contrat. Il en va ainsi des intermédiaires d’assurance — agents généraux, courtiers, mandataires — dont le rôle, bien que distinct des parties, est juridiquement structurant : ces professionnels facilitent, encadrent ou engagent la relation contractuelle.
Le contrat d’assurance se révèle ainsi perméable : ouvert en aval à des bénéficiaires extérieurs, et en amont à des acteurs de sa genèse, il invite à repenser les frontières classiques de la relation contractuelle.
1. Les tiers intéressés aux effets du contrat d’assurance: les assurés et les bénéficiaires
Certains tiers, bien qu’étrangers à la conclusion du contrat d’assurance, peuvent en tirer directement avantage. C’est le cas de l’assuré pour compte et du bénéficiaire, qui accèdent à la garantie par un mécanisme conventionnel ou légal. Leur intégration dans la relation contractuelle leur confère un droit propre, tout en les soumettant au régime du contrat.
a. Le tiers assuré : l’assurance pour compte
La structure classique du contrat d’assurance repose sur une relation intuitu personae entre le souscripteur et l’assureur. Pourtant, cette relation bilatérale peut être aménagée de manière à conférer la qualité d’assuré à un tiers, par le biais du mécanisme de l’assurance pour compte. Ce dernier, consacré à l’article L. 112-1, alinéa 2, du Code des assurances, permet de souscrire une assurance « pour le compte de qui il appartiendra », transformant alors un tiers en véritable assuré, sans qu’il ait participé à la formation du contrat.
i. Fondement
L’assurance pour compte repose sur le mécanisme juridique de la stipulation pour autrui, prévu à l’article 1205 du Code civil. Dans ce schéma, le souscripteur (qualifié de stipulant) conclut un contrat d’assurance avec un assureur (le promettant), en vue de faire bénéficier un tiers (le bénéficiaire de la stipulation) de la garantie d’assurance. Ce tiers acquiert ainsi, par l’effet du contrat, la qualité d’assuré, bien qu’il ne soit pas partie au contrat au moment de sa formation.
L’article L. 112-1, alinéa 2, du Code des assurances reconnaît expressément ce montage : « L’assurance peut […] être contractée pour le compte de qui il appartiendra. La clause vaut, tant comme assurance au profit du souscripteur du contrat que comme stipulation pour autrui au profit du bénéficiaire connu ou éventuel de ladite clause. »
Ce texte opère une double reconnaissance : il confirme d’une part que le souscripteur peut contracter pour son propre compte et, d’autre part, qu’il peut le faire au bénéfice d’un tiers, désigné ou non, lequel se voit conférer la qualité d’assuré.
Cependant, l’existence d’une assurance pour compte ne se présume pas. Conformément aux principes du droit des obligations (art. 1203 et 1205 du Code civil), la stipulation pour autrui suppose une volonté claire des parties de conférer des effets au contrat au profit d’un tiers. Cette volonté non équivoque peut toutefois résulter implicitement des termes du contrat et des circonstances de sa souscription. Elle ne doit donc pas nécessairement être exprimée de manière formelle dans la police, pourvu qu’elle puisse être déduite avec suffisamment de certitude (Cass. 2e civ., 5 mars 2020, n°19-10.201).
Pour établir cette volonté implicite, la jurisprudence procède souvent à une analyse des intérêts d’assurance en présence. Elle vérifie si le tiers, prétendument assuré pour compte, justifie d’un intérêt direct et légitime à la non-réalisation du risque (art. L. 121-6 du Code des assurances). Cette exigence d’intérêt d’assurance est centrale : elle permet de distinguer une véritable assurance pour compte d’un simple effet de couverture indirecte.
ii. Domaine
L’assurance pour compte est principalement mobilisée dans les assurances de dommages, qu’il s’agisse d’assurances de chose ou de responsabilité. Elle irrigue notamment les pratiques contractuelles en matière de transport, de location, de dépôt ou encore dans les assurances professionnelles et collectives. L’exemple du transporteur assurant les marchandises qui lui sont confiées par des tiers est éclairant : le contrat couvre à la fois sa responsabilité (assurance de responsabilité) et la valeur des biens transportés (Cass. 1re civ., 24 juin 2003, n°00-17.213).
L’assurance pour compte présente cette particularité que le tiers bénéficiaire n’a pas besoin d’être nommément désigné dans la police : sa déterminabilité suffit. Ainsi, un critère objectif, tel que la qualité de propriétaire des biens ou la participation à l’opération assurée, permet d’identifier l’assuré pour compte (Cass. 1re civ., 10 juill. 1995, n°92-13.534). Cette souplesse permet d’intégrer dans la couverture d’assurance des parties prenantes multiples, comme c’est le cas dans les assurances de chantier ou les contrats multirisques couvrant l’immeuble pour le compte de l’occupant et du propriétaire.
iii. Effets
Le tiers assuré pour compte, bénéficiaire de la stipulation prévue à l’article L. 112-1 du Code des assurances, dispose d’un droit propre contre l’assureur. En tant que titulaire d’un droit personnel direct, il peut exercer une action directe pour obtenir le bénéfice de la garantie d’assurance, sans avoir à passer par le souscripteur (Cass. civ., 17 oct. 1945). Il ne se trouve donc pas en concurrence avec les créanciers du souscripteur : son droit n’est ni dérivé, ni subrogatoire, mais autonome.
Toutefois, le tiers ainsi assuré n’est pas étranger au régime contractuel. En vertu de l’article L. 112-1, alinéa 3, l’assureur peut lui opposer toutes les exceptions nées du contrat, qu’elles soient liées au comportement du souscripteur ou à celui du tiers lui-même. Il en va ainsi, par exemple :
- des déchéances pour déclaration tardive du sinistre (Cass. 1re civ., 10 juin 1997, n°95-15.813);
- des exclusions légales, notamment en cas de faute intentionnelle (Cass. 1re civ., 15 déc. 1998, n°96-20.885);
- ou encore de la prescription biennale prévue à l’article L. 114-1 du Code des assurances (Cass. 1re civ., 17 juill. 1985, n°84-13.324).
La jurisprudence admet toutefois un tempérament en ce qui concerne la prescription : son point de départ est repoussé au jour où l’assuré pour compte a eu la possibilité d’agir, c’est-à-dire lorsqu’il a eu connaissance du sinistre ou de la possibilité d’exercer ses droits (Cass. 2e civ., 15 mars 2007, n°05-20.856).
Par ailleurs, si le tiers assuré bénéficie de la garantie, il ne supporte pas pour autant les obligations principales du contrat. En particulier, il n’est pas tenu au paiement des primes, sauf s’il s’est expressément engagé à le faire (Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 19-13.624). Cette obligation demeure à la charge exclusive du souscripteur.
Il reste que, dans son intérêt, l’assuré pour compte peut être amené à collaborer à l’exécution du contrat, notamment en déclarant le sinistre ou en participant aux opérations d’expertise, afin de ne pas compromettre sa faculté de recours contre l’assureur.
En somme, le tiers assuré occupe une position singulière : sans être partie au contrat lors de sa formation, il est néanmoins intégré dans son exécution, bénéficiant de la garantie tout en étant soumis à ses limites. Il s’agit ainsi d’un tiers bénéficiaire inclus dans le champ contractuel, qui échappe à l’effet relatif classique du contrat sans pour autant se voir reconnaître la plénitude des prérogatives d’un contractant.
b. Le tiers bénéficiaire : entre stipulation contractuelle et désignation légale
La notion de bénéficiaire dans le contrat d’assurance désigne la personne au profit de laquelle la prestation d’assurance est exécutée en cas de réalisation du risque, sans que cette personne ait nécessairement participé à la conclusion du contrat. À la différence de l’assuré pour compte, qui assume le risque, le bénéficiaire est le réceptacle de la garantie, ce qui fait de lui le titulaire d’un droit propre à l’indemnisation. Son intervention dans les effets du contrat peut résulter soit d’une stipulation contractuelle, soit d’une disposition légale.
i. La stipulation pour autrui
Dans les assurances de personnes, et plus particulièrement en matière d’assurance-vie, le bénéficiaire est généralement désigné par le souscripteur à travers une stipulation pour autrui (C. civ., art. 1205 ; C. assur., art. L. 132-8). Le souscripteur (le stipulant) demande à l’assureur (le promettant) de s’engager à verser la prestation au profit d’un tiers (le bénéficiaire), en cas de survenance de l’événement assuré (décès, survie, invalidité, etc.).
Cette stipulation peut bénéficier à un tiers nommément désigné, mais aussi à une personne déterminable au moment de la réalisation du risque (par ex., « à mes héritiers » ou « à mon conjoint »). En vertu de l’article L. 132-8 du Code des assurances, cette désignation peut être faite dans la police, par avenant, ou même par testament.
L’acceptation du bénéfice de la stipulation par le bénéficiaire confère à sa situation juridique une stabilité accrue : elle rend la stipulation irrévocable, sauf clause contraire (C. civ., art. 1206 ; C. assur., art. L. 132-9). Dès cette acceptation, le bénéficiaire dispose d’un droit propre, de nature contractuelle, qu’il peut exercer directement contre l’assureur.
Néanmoins, ce droit demeure soumis aux conditions du contrat, en vertu de l’article L. 112-6 du Code des assurances, qui prévoit que « l’assureur peut opposer au bénéficiaire toutes les exceptions opposables au souscripteur ». Ainsi, les nullités, les exclusions de garantie, ou encore la prescription, peuvent être invoquées par l’assureur contre le bénéficiaire, y compris lorsqu’elles sont fondées sur un comportement imputable au souscripteur.
Un tempérament important a cependant été admis par la jurisprudence : lorsque le sinistre est déjà réalisé, certaines déchéances ne peuvent plus priver le bénéficiaire de son droit, notamment lorsque le manquement contractuel relève du seul souscripteur (Cass. 1re civ., 2 avr. 1974, n°73-10.356).
ii. La désignation légale du bénéfice
Dans certaines hypothèses, la qualité de bénéficiaire ne résulte pas de la volonté des parties, mais de la loi. C’est notamment le cas en assurance de responsabilité, où la victime du dommage causé par l’assuré dispose d’un droit d’action directe contre l’assureur. Cette prérogative est consacrée à l’article L. 124-3 du Code des assurances, qui prévoit que « le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe contre l’assureur de la personne responsable ».
Ce mécanisme répond à une finalité de protection de la victime, en lui permettant de contourner les éventuelles défaillances du responsable (insolvabilité, absence d’initiative procédurale) et d’agir directement contre le garant du risque.
Là encore, ce droit est autonome et personnel : la victime n’agit ni en subrogation, ni en représentation du responsable, mais en vertu d’un droit propre, de source légale. Toutefois, la jurisprudence a maintenu l’applicabilité des exceptions issues du contrat d’assurance, notamment les exclusions de garantie, la nullité du contrat, ou encore la prescription (Cass. 1re civ., 4 juin 1996, n° 94-13.614). Ces exceptions sont opposables à la victime, même si elle n’en a pas eu connaissance, conformément à l’article L. 112-6 du Code des assurances.
Toutefois, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, les déchéances fondées sur un manquement personnel du souscripteur, telles que l’inexécution d’une obligation de déclaration, ne peuvent être opposées à la victime lorsque le sinistre est déjà survenu. La Haute juridiction rappelle à cet égard que l’intérêt de la victime, protégée par la loi, prime sur la sanction contractuelle du comportement du responsable (Cass. 1re civ., 6 mai 1997, n°95-15.319).
2. Les tiers intéressés à la formation du contrat d’assurance: les intermédiaires
Si le contrat d’assurance s’élabore en principe entre un souscripteur et un assureur, sa formation fait souvent intervenir des tiers qualifiés d’intermédiaires. Ces derniers, qu’ils agissent au nom ou pour le compte de l’assureur, du souscripteur ou même en leur nom propre, jouent un rôle essentiel dans la genèse du lien contractuel. Leur fonction dépasse la simple transmission d’informations : ils peuvent engager juridiquement l’une ou l’autre des parties et influencer la formation, la validité ou encore les effets du contrat. Une distinction s’impose alors entre les différentes catégories d’intermédiaires, chacune dotée d’un statut et d’un régime propres : agent général d’assurance, courtier, mandataire d’assurance, ou encore mandataire d’intermédiaire.
a. L’agent général d’assurance
L’agent général est le représentant permanent d’une entreprise d’assurance. Son statut, régi par le Code des assurances (notamment l’article R. 511-2) et encadré par la Convention collective nationale du 2 juin 2003, repose sur une relation de mandat de droit commun, à laquelle s’ajoutent des dispositions spécifiques issues du droit de l’assurance.
Mandataire de l’assureur, l’agent engage directement ce dernier vis-à-vis des souscripteurs. Il peut proposer, négocier et conclure des contrats d’assurance au nom de la compagnie qu’il représente. Il peut également percevoir les primes et, dans certaines limites, régler les sinistres. Cette capacité d’engagement fait de lui un relais contractuel de l’assureur, dont les actes – y compris fautifs – peuvent engager la responsabilité, selon les règles de la représentation.
Toutefois, s’il est lié par une relation de dépendance économique, l’agent général n’est pas un salarié : il conserve une autonomie dans la gestion de son portefeuille et dans l’exercice de son activité professionnelle. Cette dualité – autonomie de gestion et pouvoir de représentation – confère à l’agent général une place singulière parmi les professionnels de l’intermédiation.
b. Le courtier d’assurance
À la différence de l’agent général, le courtier n’est pas lié à une compagnie d’assurance déterminée. Il agit en principe pour le compte de l’assuré, auquel il doit loyauté et conseil. Il est tenu d’une obligation d’analyse des besoins du client et d’un devoir de conseil, sous peine d’engager sa responsabilité professionnelle en cas de défaillance.
Sur le plan juridique, le courtier est souvent considéré comme un mandataire du souscripteur. Il est chargé de rechercher, au nom et pour le compte de celui-ci, les garanties les plus adaptées auprès d’un ou plusieurs assureurs. Toutefois, dans certaines hypothèses, il peut également conclure le contrat au nom de l’assuré, lorsque ce dernier lui en donne mandat exprès.
Mais la position du courtier n’est pas univoque. Il peut également être tenu de transmettre certaines informations à l’assureur, et sa défaillance dans l’exécution de cette obligation peut produire des effets sur la validité ou l’opposabilité du contrat. En outre, si le courtier encaisse les primes, il le fait en vertu d’un mandat exprès, et sa responsabilité est engagée en cas de défaut de reversement.
c. Le mandataire d’assurance
Le mandataire d’assurance est défini à l’article L. 511-1 du Code des assurances comme toute personne autre qu’un salarié de l’entreprise d’assurance, habilitée à exercer, contre rémunération, des activités d’intermédiation. Cette notion vise un éventail d’acteurs plus large, qui peuvent agir pour le compte d’un assureur sans en avoir le statut d’agent général.
Le mandataire est donc un intermédiaire occasionnel ou spécialisé, lié par un mandat ponctuel ou limité. Il peut s’agir, par exemple, d’un professionnel distribuant des produits d’assurance en complément d’une autre activité commerciale (vendeur automobile, banquier, etc.). Dans ce cas, sa mission est circonscrite, et sa responsabilité dépendra de l’étendue du mandat reçu et de la nature des informations fournies au souscripteur.
La loi exige que le mandataire soit immatriculé à l’ORIAS, comme tout intermédiaire, et qu’il respecte les obligations d’information et de transparence prévues aux articles L. 521-1 et suivants du Code des assurances.
d. Le mandataire d’intermédiaire
Enfin, le mandataire d’intermédiaire – souvent qualifié de « sous-mandataire » – agit pour le compte d’un intermédiaire principal, qu’il s’agisse d’un agent, d’un courtier ou d’un mandataire d’assurance. Il intervient dans un cadre subordonné, n’ayant pas de relation directe avec l’assureur ou le souscripteur final.
Cette catégorie, introduite par la réforme du droit des assurances issue de la directive Solvabilité II, est soumise à des obligations similaires à celles des autres intermédiaires, notamment en matière de transparence, d’information précontractuelle et d’immatriculation à l’ORIAS. Sa responsabilité est susceptible d’être engagée à la fois à l’égard du mandant et du cocontractant, en cas de manquement dans la phase précontractuelle.

