Site icon Gdroit

Exception au droit d’exercer le droit au partage à tout moment: le maintien conventionnel dans l’indivision

Si le droit au partage, consacré par l’article 815 du Code civil, confère à tout indivisaire une faculté absolue de mettre fin à l’indivision à tout moment, cette prérogative doit parfois céder face à des considérations pratiques ou patrimoniales. En effet, certaines situations rendent le partage inopportun, voire préjudiciable, tant pour l’ensemble des indivisaires que pour certains d’entre eux.

Il peut en être ainsi lorsque le partage conduirait à la vente de biens indivis dans des conditions défavorables, qu’il s’agisse d’une conjoncture économique défavorable ou d’une urgence qui empêcherait une gestion optimale de ces biens. Par exemple, un indivisaire pourrait être contraint de quitter un logement familial ou une exploitation professionnelle essentielle, ou encore de renoncer à un projet d’attribution future d’un bien qu’il espère exploiter ultérieurement. Ces circonstances montrent que le moment du partage peut être mal choisi, imposant une réflexion sur l’opportunité de prolonger l’indivision.

Par ailleurs, l’histoire a montré que, loin des prévisions initiales des codificateurs de 1804, l’indivision peut parfois perdurer par choix des indivisaires eux-mêmes. Il n’est pas rare, notamment, que les héritiers diffèrent le partage d’une succession afin de conserver un bien au sein de la famille, bien que personne ne soit en mesure d’en assumer la charge ou de le racheter. Ces exemples illustrent que la volonté collective peut primer sur la règle générale, rendant le maintien temporaire de l’indivision préférable à un partage immédiat.

C’est dans ce contexte qu’ont été introduits des tempéraments au droit au partage, permettant de maintenir l’indivision dans des conditions bien définies. Ces mécanismes se déclinent en deux formes principales : le maintien conventionnel, reposant sur l’accord des indivisaires, et le maintien judiciaire, imposé par le juge lorsque des circonstances particulières le justifient. Ces solutions, tout en respectant la vocation transitoire de l’indivision, offrent une réponse pragmatique aux situations où un partage précipité pourrait s’avérer nuisible.

Nous nous focaliserons ici sur le maintien conventionnel dans l’indivision.

Le maintien conventionnel dans l’indivision repose sur la faculté reconnue aux indivisaires de prolonger, par un accord unanime, cette situation juridique. Ce dispositif, consacré par les articles 1873-1 à 1873-18 du Code civil, reflète l’intention du législateur de concilier la précarité inhérente à l’indivision avec les exigences d’une gestion harmonieuse et durable des biens indivis.

Sans remettre en question le principe fondamental selon lequel « nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision », ce mécanisme en aménage temporairement l’exercice, par le biais de conventions adaptées aux besoins des parties.

L’idée d’un maintien conventionnel trouve ses racines dans les réflexions de Domat, qui soulignait déjà que « les indivisaires peuvent bien convenir de remettre le partage à un certain temps ». Cette approche fut consacrée dès 1804, lorsque l’article 815, alinéa 2 du Code Napoléon permit la suspension du partage pour une durée limitée et renouvelable. La loi du 31 décembre 1976 modernisa ce principe en instaurant un véritable régime conventionnel de l’indivision, offrant ainsi aux indivisaires un cadre juridique clair et structuré pour organiser l’exercice de leurs droits dans le respect de l’intérêt commun.

A cet égard, le Code civil distingue deux types de conventions d’indivision selon leur durée : les conventions d’indivision à durée déterminée et les conventions d’indivision à durée indéterminée.

1. Les conventions à durée déterminée

La convention d’indivision à durée déterminée, régie par l’article 1873-3, alinéa 1er du Code civil, permet aux indivisaires de convenir d’une période pendant laquelle le partage est suspendu. Cette durée ne peut excéder cinq ans, une limite qui garantit une certaine stabilité tout en respectant le caractère temporaire de l’indivision. Les indivisaires peuvent néanmoins renouveler cette convention, soit expressément, soit par tacite reconduction, conformément à l’alinéa 3 du même article.

a. Durée

i. Durée initiale

L’article 1873-3, alinéa 1er du Code civil impose une limite impérative à la durée des conventions d’indivision à durée déterminée, laquelle ne peut excéder cinq ans. Ce plafond, bien qu’il puisse paraître restrictif, reflète la volonté du législateur d’assurer un équilibre entre la stabilité temporaire offerte par la convention et la nécessité de préserver le droit au partage.

Lorsque les parties stipulent une durée supérieure à cette limite légale, leur engagement n’est contraignant que pour les cinq premières années. Cette solution, largement admise par la doctrine et la jurisprudence, a été consacrée dans une affaire emblématique jugée par la cour d’appel de Paris. Dans cet arrêt, deux indivisaires avaient conclu une convention prévoyant une indivision pour une durée de vingt-cinq ans. La cour a annulé la clause excédant la durée légale, mais a précisé que la nullité partielle ne s’étendait pas aux autres stipulations de l’accord, notamment celles relatives à la gestion des biens indivis (CA Paris, 24 juin 2009, n° 08/15638).

Cette approche, qui favorise la préservation des clauses compatibles avec la loi, illustre le souci de la juridiction de maintenir l’efficacité des conventions d’indivision tout en respectant les règles impératives.

ii. Renouvellement

Au terme de la durée initiale de cinq ans, les indivisaires disposent de deux options pour prolonger leur convention : le renouvellement exprès ou la reconduction tacite.

==>Le renouvellement exprès

Le renouvellement exprès constitue l’une des modalités offertes aux indivisaires pour prolonger une convention d’indivision à durée déterminée arrivée à son terme. Il repose sur un nouvel accord explicite entre les parties, affirmant leur volonté commune de maintenir l’indivision. Si le Code civil, en son article 1873-3, alinéa 1er, n’impose pas de formalisme particulier pour cette décision, la pratique révèle l’importance cruciale de recourir à un écrit.

En effet, l’établissement d’un écrit est vivement conseillé pour plusieurs raisons :

Lorsque les biens indivis incluent des immeubles, cet écrit peut nécessiter une publication aux fins de publicité foncière. Une telle mesure garantit la sécurité juridique des tiers et renforce la transparence des droits portant sur les biens indivis. La publication au fichier immobilier est ainsi un moyen efficace de prévenir toute contestation émanant de tiers ou d’indivisaires futurs.

En tout état de cause, en cas de renouvellement exprès, les parties disposent de deux options quant à la durée de la nouvelle convention d’indivision :

Pour garantir l’efficacité d’un renouvellement exprès, il est recommandé de formaliser l’accord des parties par un acte écrit détaillé précisant :

L’absence de formalisation écrite est sans incidence sur l’accord de renouvellement, mais elle complique la preuve de son existence et de ses conditions, augmentant ainsi le risque de contentieux.

==>La reconduction tacite

La reconduction tacite d’une convention d’indivision, prévue par l’article 1873-3, alinéa 3, offre aux indivisaires une option pratique pour prolonger l’indivision sans nécessité de conclure un nouvel accord formel.

Toutefois, elle ne peut jouer que si elle a été expressément prévue dans la convention initiale ou résulte d’un accord postérieur des indivisaires. Cette exigence reflète le principe selon lequel toute prolongation automatique de l’indivision doit être le fruit d’une volonté clairement manifestée par les parties. À défaut d’une clause spécifique ou d’un nouvel accord, la reconduction tacite ne peut s’appliquer, et la convention initiale prend fin à son terme.

Lorsque la reconduction est prévue, elle doit répondre aux modalités stipulées dans la convention initiale, notamment en ce qui concerne sa durée. Si aucun délai n’a été précisé, la loi établit une présomption selon laquelle la reconduction intervient pour une durée identique à celle initialement convenue. Cette présomption, bien que souvent appliquée, n’est pas irréfragable. Si des indices concordants révèlent une intention différente des parties, cette volonté prévaudra. Par exemple, des échanges entre indivisaires ou des modifications dans les conditions de gestion des biens indivis pourraient démontrer une volonté commune de reconduire la convention pour une durée différente.

En outre, la reconduction tacite repose sur l’accord unanime des indivisaires. Cette exigence découle du caractère collectif de l’indivision, où chaque indivisaire dispose d’un droit égal dans les décisions affectant les biens indivis. En conséquence, tout indivisaire peut s’opposer à la reconduction tacite en exprimant son refus.

Aucune forme particulière n’est imposée pour manifester un refus de reconduction tacite. Une simple déclaration explicite suffit, que ce soit par une lettre recommandée avec accusé de réception, une notification adressée aux autres indivisaires, ou encore une assignation en partage. L’essentiel réside dans la clarté de la volonté exprimée. Une telle opposition produit effet à la date d’expiration de la convention initiale, empêchant ainsi son renouvellement.

Cependant, il est conseillé, pour des raisons de sécurité juridique, d’opter pour des moyens de communication traçables, tels que le courrier recommandé ou l’acte de commissaire de justice. Ces méthodes permettent de prouver la date et le contenu de la déclaration, minimisant ainsi les risques de contestation ultérieure.

Si l’unanimité des indivisaires fait défaut ou si aucun acte ne vient concrétiser la reconduction tacite, la convention initiale cesse de produire ses effets à son terme. Les biens indivis retrouvent alors le régime légal de l’indivision, tel que prévu aux articles 815 et suivants du Code civil. Ce retour au régime légal implique notamment que toutes les décisions concernant les biens indivis nécessitent désormais l’accord unanime des indivisaires, à défaut de dispositions particulières.

À l’inverse, si la reconduction remplie toutes les conditions, elle prolonge la convention selon les conditions initialement prévues ou celles expressément modifiées par les parties. Cette continuité peut s’avérer avantageuse pour les indivisaires souhaitant stabiliser la gestion des biens indivis, notamment dans des contextes impliquant des investissements à long terme ou des projets de valorisation.

b. Extinction anticipée

Bien que la convention à durée déterminée limite temporairement l’exercice du droit au partage, ce dernier demeure ouvert pour « justes motifs », comme le prévoit l’article 1873-3, alinéa 1er du Code civil. Cette notion, non définie par la loi, couvre des situations où le maintien de l’indivision devient incompatible avec les intérêts des indivisaires ou la bonne gestion des biens indivis.

Parmi les exemples couramment cités figurent :

En tout état de cause, c’est au juge qu’il revient d’apprécier la gravité des circonstances invoquées et de décider si elles justifient une extinction anticipée de la convention.

2. Les conventions à durée indéterminée

Les conventions d’indivision à durée indéterminée, régies par l’article 1873-3, alinéa 2 du Code civil, confèrent aux indivisaires une grande liberté dans la gestion des biens indivis.

Le partage peut y être demandé « à tout moment », conformément au principe général institué à l’article 815 du Code civil. Toutefois, pour prévenir les abus et protéger les intérêts communs, ce droit s’exerce sous la réserve que la demande ne soit pas formulée « de mauvaise foi ou à contretemps ».

La question qui alors se pose est de savoir ce quelles sont les situations qui relèvent de la mauvaise foi ou du contretemps.

Ce régime illustre parfaitement l’équilibre recherché par le législateur entre deux impératifs fondamentaux : la liberté individuelle des indivisaires, qui doivent pouvoir solliciter la fin de l’indivision, et la préservation de l’intérêt collectif, qui peut justifier un encadrement strict de ce droit.

Cependant, contrairement aux conventions à durée déterminée, l’indivisaire souhaitant provoquer le partage dans le cadre d’une convention à durée indéterminée n’a pas besoin de justifier de « justes motifs ». Cette absence de contrainte renforce la souplesse du régime, tout en maintenant les garde-fous nécessaires grâce à la référence explicite aux notions de « mauvaise foi » et de « contretemps ».

En cas de litige, il revient au juge de trancher en appréciant les circonstances de la demande. Si les intentions malveillantes ou les effets préjudiciables d’un partage immédiat sont avérés, le juge pourra rejeter la demande et ainsi préserver l’intégrité de l’indivision.

Quitter la version mobile