Site icon Gdroit

Opérations de partage: le moment du partage

L’indivision, bien que souvent perçue comme une solution transitoire permettant à plusieurs personnes d’exercer des droits concurrents sur un même bien, repose sur un principe fondamental du droit civil : nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision. Érigé par l’article 815 du Code civil, ce principe confère à tout indivisaire le droit de provoquer le partage à tout moment, affirmant ainsi la nature précaire et provisoire de l’indivision. Toutefois, si cette prérogative vise à garantir la liberté patrimoniale de chacun, elle se heurte parfois à des nécessités économiques ou  familiales, justifiant des tempéraments encadrés par la loi. C’est dans cette tension entre liberté individuelle et préservation des intérêts collectifs que se déploient les règles régissant la fin de l’indivision.

I) Principe

L’un des principes cardinaux du droit de l’indivision réside dans le droit, pour tout indivisaire, de provoquer la fin de cette situation à tout moment, autrement dit, de solliciter le partage. Cette règle s’infère de l’article 815 du Code civil, lequel dispose, pour rappel, que « nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision ». Ce droit, marqué par son caractère discrétionnaire et inconditionnel, incarne la nature transitoire et précaire de l’indivision, qui n’a jamais vocation à se maintenir indéfiniment.

Historiquement, les codificateurs de 1804 ont établi ce principe pour répondre à leur défiance envers l’indivision. Ils considéraient celle-ci comme un état économiquement néfaste, entravant la gestion dynamique des biens et créant des tensions entre indivisaires. L’exercice de droits concurrents sur un même bien, selon eux, ne pouvait qu’entraver son exploitation optimale. Ce postulat a conduit à l’inscription du droit au partage dans le Code civil comme un moyen de faciliter la transition vers une gestion individuelle et efficiente des patrimoines.

En effet, l’idée fondamentale sous-jacente au droit au partage est que l’indivision constitue une situation provisoire, destinée à évoluer vers une appropriation individuelle. Comme a pu le souligner Jean Carbonnier, « l’indivision n’est jamais une situation de stabilité, mais un passage temporaire vers la division et la propriété individuelle ».

L’indivision, bien qu’elle permette temporairement de partager la propriété d’un bien, reste donc un état transitoire. Les biens indivis sont appelés, tôt ou tard, à être divisés, attribués ou vendus pour permettre à chaque indivisaire d’exercer pleinement son droit de propriété. Comme l’a exprimé Christophe Albiges, cette précarité intrinsèque « confère à l’indivision un caractère fragile et sans pérennité ».

Ce caractère éphémère s’enracine dans la philosophie du droit de propriété, conçu comme un état pleinement exclusif. À ce titre, chaque indivisaire dispose d’un droit discrétionnaire au partage, qu’il peut exercer sans justification ni préavis, quel que soit le contexte.

Ce droit est une prérogative d’ordre public, étroitement liée au caractère imprescriptible du droit de propriété. Selon la doctrine le droit au partage procède du pouvoir d’exclusivité inhérent à la propriété, conférant ainsi à chaque indivisaire une liberté totale d’agir pour mettre fin à l’indivision. Ce principe universel s’applique indépendamment de l’origine ou de la durée de l’indivision.

C’est la raison pour laquelle l’article 815 du Code civil pose une règle claire et sans ambiguïté : le partage peut être demandé à tout moment. Cette disposition reflète l’idée que l’indivision ne doit pas entraver la pleine jouissance des droits de propriété de chaque indivisaire. Peu importe la nature des biens indivis ou les circonstances, le droit au partage s’exerce dans toutes les configurations.

Dans un arrêt de principe, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que les époux séparés de biens, tout comme d’autres indivisaires, peuvent solliciter le partage des biens indivis sans attendre une circonstance particulière, telle que la dissolution du mariage (Cass. 1ère civ., 14 nov. 2000, n°98-22.936).

Cette décision réaffirme ainsi que, même dans le cadre matrimonial, la précarité de l’indivision prime, en ce sens que la sortie de cette situation est toujours possible, indépendamment de la nature des biens indivis ou du contexte familial.

La vocation du régime de l’indivision est donc de conduire, tôt ou tard, à une appropriation individuelle des biens indivis.

II) Tempéraments

Si le droit au partage, consacré par l’article 815 du Code civil, confère à tout indivisaire une faculté absolue de mettre fin à l’indivision à tout moment, cette prérogative doit parfois céder face à des considérations pratiques ou patrimoniales. En effet, certaines situations rendent le partage inopportun, voire préjudiciable, tant pour l’ensemble des indivisaires que pour certains d’entre eux.

Il peut en être ainsi lorsque le partage conduirait à la vente de biens indivis dans des conditions défavorables, qu’il s’agisse d’une conjoncture économique défavorable ou d’une urgence qui empêcherait une gestion optimale de ces biens. Par exemple, un indivisaire pourrait être contraint de quitter un logement familial ou une exploitation professionnelle essentielle, ou encore de renoncer à un projet d’attribution future d’un bien qu’il espère exploiter ultérieurement. Ces circonstances montrent que le moment du partage peut être mal choisi, imposant une réflexion sur l’opportunité de prolonger l’indivision.

Par ailleurs, l’histoire a montré que, loin des prévisions initiales des codificateurs de 1804, l’indivision peut parfois perdurer par choix des indivisaires eux-mêmes. Il n’est pas rare, notamment, que les héritiers diffèrent le partage d’une succession afin de conserver un bien au sein de la famille, bien que personne ne soit en mesure d’en assumer la charge ou de le racheter. Ces exemples illustrent que la volonté collective peut primer sur la règle générale, rendant le maintien temporaire de l’indivision préférable à un partage immédiat.

C’est dans ce contexte qu’ont été introduits des tempéraments au droit au partage, permettant de maintenir l’indivision dans des conditions bien définies. Ces mécanismes se déclinent en deux formes principales : le maintien conventionnel, reposant sur l’accord des indivisaires, et le maintien judiciaire, imposé par le juge lorsque des circonstances particulières le justifient. Ces solutions, tout en respectant la vocation transitoire de l’indivision, offrent une réponse pragmatique aux situations où un partage précipité pourrait s’avérer nuisible.

A) Le maintien conventionnel dans l’indivision

Le maintien conventionnel dans l’indivision repose sur la faculté reconnue aux indivisaires de prolonger, par un accord unanime, cette situation juridique. Ce dispositif, consacré par les articles 1873-1 à 1873-18 du Code civil, reflète l’intention du législateur de concilier la précarité inhérente à l’indivision avec les exigences d’une gestion harmonieuse et durable des biens indivis.

Sans remettre en question le principe fondamental selon lequel « nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision », ce mécanisme en aménage temporairement l’exercice, par le biais de conventions adaptées aux besoins des parties.

L’idée d’un maintien conventionnel trouve ses racines dans les réflexions de Domat, qui soulignait déjà que « les indivisaires peuvent bien convenir de remettre le partage à un certain temps ». Cette approche fut consacrée dès 1804, lorsque l’article 815, alinéa 2 du Code Napoléon permit la suspension du partage pour une durée limitée et renouvelable. La loi du 31 décembre 1976 modernisa ce principe en instaurant un véritable régime conventionnel de l’indivision, offrant ainsi aux indivisaires un cadre juridique clair et structuré pour organiser l’exercice de leurs droits dans le respect de l’intérêt commun.

A cet égard, le Code civil distingue deux types de conventions d’indivision selon leur durée : les conventions d’indivision à durée déterminée et les conventions d’indivision à durée indéterminée.

1. Les conventions à durée déterminée

La convention d’indivision à durée déterminée, régie par l’article 1873-3, alinéa 1er du Code civil, permet aux indivisaires de convenir d’une période pendant laquelle le partage est suspendu. Cette durée ne peut excéder cinq ans, une limite qui garantit une certaine stabilité tout en respectant le caractère temporaire de l’indivision. Les indivisaires peuvent néanmoins renouveler cette convention, soit expressément, soit par tacite reconduction, conformément à l’alinéa 3 du même article.

a. Durée

i. Durée initiale

L’article 1873-3, alinéa 1er du Code civil impose une limite impérative à la durée des conventions d’indivision à durée déterminée, laquelle ne peut excéder cinq ans. Ce plafond, bien qu’il puisse paraître restrictif, reflète la volonté du législateur d’assurer un équilibre entre la stabilité temporaire offerte par la convention et la nécessité de préserver le droit au partage.

Lorsque les parties stipulent une durée supérieure à cette limite légale, leur engagement n’est contraignant que pour les cinq premières années. Cette solution, largement admise par la doctrine et la jurisprudence, a été consacrée dans une affaire emblématique jugée par la cour d’appel de Paris. Dans cet arrêt, deux indivisaires avaient conclu une convention prévoyant une indivision pour une durée de vingt-cinq ans. La cour a annulé la clause excédant la durée légale, mais a précisé que la nullité partielle ne s’étendait pas aux autres stipulations de l’accord, notamment celles relatives à la gestion des biens indivis (CA Paris, 24 juin 2009, n° 08/15638).

Cette approche, qui favorise la préservation des clauses compatibles avec la loi, illustre le souci de la juridiction de maintenir l’efficacité des conventions d’indivision tout en respectant les règles impératives.

ii. Renouvellement

Au terme de la durée initiale de cinq ans, les indivisaires disposent de deux options pour prolonger leur convention : le renouvellement exprès ou la reconduction tacite.

==>Le renouvellement exprès

Le renouvellement exprès constitue l’une des modalités offertes aux indivisaires pour prolonger une convention d’indivision à durée déterminée arrivée à son terme. Il repose sur un nouvel accord explicite entre les parties, affirmant leur volonté commune de maintenir l’indivision. Si le Code civil, en son article 1873-3, alinéa 1er, n’impose pas de formalisme particulier pour cette décision, la pratique révèle l’importance cruciale de recourir à un écrit.

En effet, l’établissement d’un écrit est vivement conseillé pour plusieurs raisons :

Lorsque les biens indivis incluent des immeubles, cet écrit peut nécessiter une publication aux fins de publicité foncière. Une telle mesure garantit la sécurité juridique des tiers et renforce la transparence des droits portant sur les biens indivis. La publication au fichier immobilier est ainsi un moyen efficace de prévenir toute contestation émanant de tiers ou d’indivisaires futurs.

En tout état de cause, en cas de renouvellement exprès, les parties disposent de deux options quant à la durée de la nouvelle convention d’indivision :

Pour garantir l’efficacité d’un renouvellement exprès, il est recommandé de formaliser l’accord des parties par un acte écrit détaillé précisant :

L’absence de formalisation écrite est sans incidence sur l’accord de renouvellement, mais elle complique la preuve de son existence et de ses conditions, augmentant ainsi le risque de contentieux.

==>La reconduction tacite

La reconduction tacite d’une convention d’indivision, prévue par l’article 1873-3, alinéa 3, offre aux indivisaires une option pratique pour prolonger l’indivision sans nécessité de conclure un nouvel accord formel.

Toutefois, elle ne peut jouer que si elle a été expressément prévue dans la convention initiale ou résulte d’un accord postérieur des indivisaires. Cette exigence reflète le principe selon lequel toute prolongation automatique de l’indivision doit être le fruit d’une volonté clairement manifestée par les parties. À défaut d’une clause spécifique ou d’un nouvel accord, la reconduction tacite ne peut s’appliquer, et la convention initiale prend fin à son terme.

Lorsque la reconduction est prévue, elle doit répondre aux modalités stipulées dans la convention initiale, notamment en ce qui concerne sa durée. Si aucun délai n’a été précisé, la loi établit une présomption selon laquelle la reconduction intervient pour une durée identique à celle initialement convenue. Cette présomption, bien que souvent appliquée, n’est pas irréfragable. Si des indices concordants révèlent une intention différente des parties, cette volonté prévaudra. Par exemple, des échanges entre indivisaires ou des modifications dans les conditions de gestion des biens indivis pourraient démontrer une volonté commune de reconduire la convention pour une durée différente.

En outre, la reconduction tacite repose sur l’accord unanime des indivisaires. Cette exigence découle du caractère collectif de l’indivision, où chaque indivisaire dispose d’un droit égal dans les décisions affectant les biens indivis. En conséquence, tout indivisaire peut s’opposer à la reconduction tacite en exprimant son refus.

Aucune forme particulière n’est imposée pour manifester un refus de reconduction tacite. Une simple déclaration explicite suffit, que ce soit par une lettre recommandée avec accusé de réception, une notification adressée aux autres indivisaires, ou encore une assignation en partage. L’essentiel réside dans la clarté de la volonté exprimée. Une telle opposition produit effet à la date d’expiration de la convention initiale, empêchant ainsi son renouvellement.

Cependant, il est conseillé, pour des raisons de sécurité juridique, d’opter pour des moyens de communication traçables, tels que le courrier recommandé ou l’acte de commissaire de justice. Ces méthodes permettent de prouver la date et le contenu de la déclaration, minimisant ainsi les risques de contestation ultérieure.

Si l’unanimité des indivisaires fait défaut ou si aucun acte ne vient concrétiser la reconduction tacite, la convention initiale cesse de produire ses effets à son terme. Les biens indivis retrouvent alors le régime légal de l’indivision, tel que prévu aux articles 815 et suivants du Code civil. Ce retour au régime légal implique notamment que toutes les décisions concernant les biens indivis nécessitent désormais l’accord unanime des indivisaires, à défaut de dispositions particulières.

À l’inverse, si la reconduction remplie toutes les conditions, elle prolonge la convention selon les conditions initialement prévues ou celles expressément modifiées par les parties. Cette continuité peut s’avérer avantageuse pour les indivisaires souhaitant stabiliser la gestion des biens indivis, notamment dans des contextes impliquant des investissements à long terme ou des projets de valorisation.

b. Extinction anticipée

Bien que la convention à durée déterminée limite temporairement l’exercice du droit au partage, ce dernier demeure ouvert pour « justes motifs », comme le prévoit l’article 1873-3, alinéa 1er du Code civil. Cette notion, non définie par la loi, couvre des situations où le maintien de l’indivision devient incompatible avec les intérêts des indivisaires ou la bonne gestion des biens indivis.

Parmi les exemples couramment cités figurent :

En tout état de cause, c’est au juge qu’il revient d’apprécier la gravité des circonstances invoquées et de décider si elles justifient une extinction anticipée de la convention.

2. Les conventions à durée indéterminée

Les conventions d’indivision à durée indéterminée, régies par l’article 1873-3, alinéa 2 du Code civil, confèrent aux indivisaires une grande liberté dans la gestion des biens indivis.

Le partage peut y être demandé « à tout moment », conformément au principe général institué à l’article 815 du Code civil. Toutefois, pour prévenir les abus et protéger les intérêts communs, ce droit s’exerce sous la réserve que la demande ne soit pas formulée « de mauvaise foi ou à contretemps ».

La question qui alors se pose est de savoir ce quelles sont les situations qui relèvent de la mauvaise foi ou du contretemps.

Ce régime illustre parfaitement l’équilibre recherché par le législateur entre deux impératifs fondamentaux : la liberté individuelle des indivisaires, qui doivent pouvoir solliciter la fin de l’indivision, et la préservation de l’intérêt collectif, qui peut justifier un encadrement strict de ce droit.

Cependant, contrairement aux conventions à durée déterminée, l’indivisaire souhaitant provoquer le partage dans le cadre d’une convention à durée indéterminée n’a pas besoin de justifier de « justes motifs ». Cette absence de contrainte renforce la souplesse du régime, tout en maintenant les garde-fous nécessaires grâce à la référence explicite aux notions de « mauvaise foi » et de « contretemps ».

En cas de litige, il revient au juge de trancher en appréciant les circonstances de la demande. Si les intentions malveillantes ou les effets préjudiciables d’un partage immédiat sont avérés, le juge pourra rejeter la demande et ainsi préserver l’intégrité de l’indivision.

B) Le maintien judiciaire dans l’indivision

Contrairement au maintien conventionnel, où la suspension du droit au partage repose sur un consentement unanime des indivisaires, le maintien judiciaire procède d’une toute autre logique. Ici, la suspension est imposée par le juge, souvent à la demande d’un ou plusieurs indivisaires, et ce, même contre la volonté de la majorité.

Cette approche tranche radicalement avec la conception originelle du Code Napoléon de 1804, qui ne reconnaissait pas de maintien judiciaire de l’indivision. À cette époque, l’indivision était perçue comme une situation transitoire, et le droit au partage comme un corollaire absolu de la propriété. Le juge, cantonné dans son rôle d’arbitre, n’avait pas vocation à organiser les rapports entre indivisaires ou à s’immiscer dans la gestion de leurs biens.

Toutefois, au fil du temps, et notamment à partir du début du XXe siècle, une évolution notable s’est dessinée. Face aux nécessités pratiques et aux intérêts divergents des indivisaires, le législateur a progressivement reconnu des cas où le maintien de l’indivision pouvait être imposé par décision judiciaire. Aujourd’hui, ce mécanisme est consacré par deux séries de dispositions distinctes, mais complémentaires :

1. Le maintien forcé dans l’indivision

Le maintien forcé dans l’indivision par décision judiciaire constitue une mesure exceptionnelle permettant de retarder le partage des biens indivis lorsqu’il existe un risque que ce partage porte atteinte aux intérêts des indivisaires.

L’objectif de cette mesure, encadrée par les articles 820 et suivants du Code civil, est d’éviter une dissolution précipitée de l’indivision lorsque celle-ci pourrait compromettre la valeur des biens indivis ou nuire à la continuité d’une entreprise ou d’un patrimoine familial.

Introduite initialement par la loi du 31 décembre 1976, cette faculté a été réaffirmée et précisée par la réforme des successions et libéralités du 23 juin 2006, qui a intégré cette possibilité dans le chapitre VIII du Code civil, relatif au partage.

Dans certaines situations, notamment lorsque des biens indivis sont liés à une entreprise agricole ou à un projet d’exploitation, ou encore lorsqu’un partage immédiat pourrait entraîner une dévalorisation significative des biens, le juge peut être saisi pour maintenir l’indivision.

Le juge, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation souveraine, évalue les intérêts en présence et les circonstances spécifiques de chaque affaire avant de décider du maintien temporaire de l’indivision.

Cette mesure s’applique en principe aux indivisions successorales, mais elle peut également être invoquée dans le cadre d’indivisions post-communautaires ou d’indivisions résultant de la séparation de biens entre époux, conformément aux articles 1476 et 1542 du Code civil.

L’idée centrale est de protéger des intérêts économiques ou familiaux en maintenant temporairement l’indivision, tout en respectant les exigences légales et procédurales fixées par la loi, telles que la limitation de la durée de ce maintien, qui ne peut excéder cinq ans, sauf exceptions prévues par le texte.

a. Domaine du maintien forcé dans l’indivision

Le maintien forcé dans l’indivision par décision judiciaire concerne certains biens indivis dont le partage immédiat pourrait porter préjudice aux indivisaires.

Ce mécanisme est destiné à protéger des intérêts spécifiques en permettant la prolongation de l’indivision dans des cas particuliers, notamment lorsqu’il est important de maintenir la valeur ou la continuité d’exploitation de certains biens. Ce maintien se décline principalement autour des biens concernés et des personnes qui peuvent demander cette mesure.

a.1. Les biens concernés

Le champ d’application du maintien judiciaire dans l’indivision, tel que défini par les articles 821 et suivants du Code civil, concerne un ensemble varié de biens.

Le maintien dans l’indivision peut être ordonné pour des exploitations agricoles, des locaux à usage d’habitation ou professionnel, ainsi que des objets mobiliers nécessaires à l’exercice d’une profession ou à la gestion d’une entreprise.

i. Les exploitations agricoles et entreprises

==>Principe

Le maintien judiciaire dans l’indivision, initialement prévu pour les exploitations agricoles, a été élargi par la loi du 23 juin 2006 pour s’adapter aux réalités économiques modernes.

Désormais, il s’applique également aux entreprises commerciales, artisanales, industrielles et libérales. L’objectif principal de cette extension est de préserver la continuité des activités économiques familiales, même au-delà du domaine agricole.

Le législateur a reconnu que, de nos jours, de nombreuses familles détiennent des parts dans des entreprises non agricoles, et qu’un partage immédiat pourrait compromettre la viabilité de ces entreprises.

Avant cette réforme, la loi se concentrait principalement sur les exploitations agricoles, permettant de maintenir en indivision les biens nécessaires à l’exploitation agricole mise en valeur par le défunt ou son conjoint.

Cette protection était justifiée par le fait que ces exploitations représentaient souvent la principale source de revenus des indivisaires. La réforme de 2006 a étendu cette protection à d’autres types d’entreprises, tenant compte de la diversité des biens dans les patrimoines familiaux.

==>Conditions

Pour bénéficier du maintien judiciaire dans l’indivision, plusieurs conditions doivent être remplies, que le juge évalue au cas par cas, conformément à l’article 821, alinéa 1er, du Code civil.

L’une des conditions essentielles est que l’entreprise ait été effectivement exploitée par le défunt ou son conjoint avant le décès.

Cette exploitation directe doit être prouvée, et il ne suffit pas que l’entreprise ait simplement procuré des revenus au défunt ou à son conjoint.

La doctrine souligne l’importance de l’implication personnelle du défunt ou de son conjoint dans l’exploitation de l’entreprise.

Cela inclut non seulement les activités matérielles, mais aussi les tâches de gestion, d’administration ou de direction de l’entreprise.

En revanche, si l’entreprise était louée à un tiers ou donnée en location-gérance, le maintien en indivision ne pourrait être accordé, faute d’exploitation directe.

Le juge doit également évaluer les risques économiques liés à un partage immédiat, notamment le risque de dévalorisation des biens indivis.

Si, par exemple, un bien immobilier affecté à une entreprise est en cours de rénovation ou fait l’objet de projets d’urbanisme susceptibles d’augmenter sa valeur, un partage précipité pourrait le dévaloriser.

L’article 821, alinéa 3, du Code civil invite ainsi le juge à considérer les moyens d’existence que les indivisaires peuvent tirer de ces biens, renforçant l’idée de préserver temporairement l’indivision pour protéger la valeur économique du patrimoine.

Par ailleurs, la sauvegarde d’une entreprise familiale est un autre motif fréquent justifiant le maintien. Un commerce, une entreprise artisanale ou industrielle en indivision pourrait voir sa viabilité compromise par un partage immédiat. Le maintien temporaire de l’indivision permet de laisser le temps aux héritiers de s’organiser, soit pour reprendre l’exploitation, soit pour trouver une solution de transmission ou de cession dans de meilleures conditions.

==>Tempérament

L’article 821, alinéa 4, du Code civil apporte une nuance au principe du maintien judiciaire, en permettant ce maintien même lorsque certains éléments de l’exploitation appartenaient déjà, avant l’ouverture de la succession, à un héritier ou au conjoint survivant. Cette disposition permet ainsi de maintenir l’unité de l’exploitation familiale, même si certains des biens qui la composent ne sont pas formellement indivis.

Concrètement, cela signifie que le fait qu’un héritier ou un conjoint détenait déjà des droits de propriété sur certains biens de l’exploitation ne fait pas obstacle au maintien de l’indivision pour l’ensemble de l’exploitation.

Par exemple, un immeuble faisant partie de l’exploitation, mais appartenant en propre à un héritier ou au conjoint, ne sera pas exclu du régime de l’indivision si cela permet de préserver l’unité de l’entreprise familiale.

Ce mécanisme favorise ainsi la protection globale du patrimoine familial, en permettant de maintenir en indivision l’exploitation dans son intégralité, même en présence de biens déjà en propriété individuelle.

ii. Les droits sociaux

Un autre aspect de la réforme entreprise en 2006 est l’inclusion des droits sociaux dans le champ du dispositif de maintien judiciaire de l’indivision.

L’article 821, al. 2e du Code civil permet désormais aux indivisaires de demander le maintien de l’indivision sur des actions ou des parts sociales, quelle que soit la nature de la société.

Cette extension vise à éviter la vente précipitée des parts ou actions d’une société, ce qui pourrait compromettre le contrôle de l’entreprise par les héritiers ou affecter la gestion de la société.

Dans le cas où le défunt détenait des parts dans une société commerciale, artisanale ou libérale, par exemple une entreprise de taille familiale, le partage des droits sociaux pourrait fragmenter la détention des actions, entraîner la dilution du contrôle familial sur l’entreprise, voire conduire à la vente des parts à des tiers, compromettant ainsi la gestion et la survie de l’entreprise.

Le maintien de l’indivision permet de temporiser ces effets et de préserver l’intégrité de la participation des héritiers dans l’entreprise. Cette protection est particulièrement nécessaire lorsque la société joue un rôle important dans le revenu des indivisaires ou constitue une activité économique clé.

Le maintien des droits sociaux dans l’indivision s’applique non seulement aux parts d’entreprises familiales, mais également aux actions de sociétés plus complexes.

Ce mécanisme est donc destiné à protéger non seulement les petites entreprises mais également les participations dans des sociétés plus importantes, où le contrôle familial est un enjeu stratégique.

iii. Les locaux à usage d’habitation ou professionnel

L’article 821-1 du Code civil permet de maintenir en indivision des locaux à usage d’habitation ou professionnel sous certaines conditions, afin de préserver la stabilité familiale ou la continuité d’une activité économique.

?: La préservation du logement familial et des meubles le garnissant

==>Le logement familial

Le logement à usage d’habitation peut faire l’objet d’un maintien forcé en indivision de aux fins d’assurer la préservation du logement familial après le décès d’un indivisaire.

En effet, le maintien de l’indivision vise à protéger la résidence principale du défunt et de ses héritiers, permettant à ces derniers de continuer à occuper le domicile familial sans subir les conséquences immédiates d’un partage.

Selon le professeur Michel Grimaldi, cette mesure vise à protéger la résidence principale contre une dissolution précipitée de l’indivision, permettant aux héritiers de rester dans un cadre familier le temps que les conditions d’un partage plus équitable soient réunies.

Le législateur entend ainsi éviter que les héritiers soient contraints à un partage ou une vente anticipée du bien immobilier, ce qui pourrait non seulement les déloger mais également causer une perte de valeur dans le cadre d’une vente forcée.

Cette continuité est particulièrement importante lorsque les descendants mineurs sont impliqués, comme l’a relevé la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 12 juill. 2017, 16-20.915).

Le maintien en indivision repose sur plusieurs conditions strictement encadrées par la loi, que le tribunal doit vérifier avant d’accorder cette mesure.

Ces conditions varient selon la présence de descendants mineurs ou de conjoint survivant :

Il peut être observé que le tribunal, saisi d’une demande de maintien, doit examiner la situation pour s’assurer que les conditions d’utilisation du logement étaient remplies au moment du décès.

Le tribunal doit également apprécier si le maintien en indivision est justifié dans la situation concrète des indivisaires, notamment pour éviter que le partage immédiat ne déstabilise leur cadre de vie.

Plus précisément, le juge doit tenir compte de l’intérêt des parties en présence et des circonstances particulières, afin de garantir une application équitable de la mesure.

==>Les meubles garnissant le logement familial

Le maintien en indivision prévu par l’article 821-1 du Code civil ne concerne pas uniquement le logement familial, mais également les meubles garnissant le logement.

La loi prévoit ainsi que les objets mobiliers indispensables à la vie quotidienne ou au confort des héritiers peuvent également être protégés par le maintien en indivision.

Il s’agit plus précisément des meubles meublants servant à l’habitation quotidienne, tels que le mobilier, les équipements ménagers ou autres objets nécessaires à la vie dans la résidence principale. Cela permet de garantir que les héritiers peuvent continuer à utiliser le logement avec les équipements nécessaires à leur confort.

En revanche, les objets de valeur personnelle ou non indispensables à l’habitation peuvent être exclus du maintien en indivision et faire l’objet d’une demande de partage séparée.

La jurisprudence a précisé que les objets de collection, œuvres d’art ou autres biens non essentiels à la vie quotidienne peuvent être licités en dehors du maintien du logement.

?: La préservation des locaux professionnels

Les locaux à usage professionnel peuvent également faire l’objet d’un maintien forcé en indivision. Il s’agit là d’une mesure essentielle pour assurer la continuité de l’activité professionnelle exercée par le défunt au moment de son décès.

Ce mécanisme vise à éviter qu’un partage immédiat des biens nécessaires à l’exploitation ne perturbe ou n’interrompe l’activité économique, ce qui pourrait avoir des conséquences néfastes tant pour les héritiers que pour les employés ou clients de l’entreprise.

Selon le professeur Michel Grimaldi, cette disposition permet de préserver l’outil de travail du défunt, garantissant ainsi la pérennité de l’entreprise familiale ou de l’activité libérale, le temps que les héritiers puissent organiser la succession de manière optimale.

En protégeant les locaux professionnels et les biens qui y sont attachés, la loi entend éviter une déstabilisation économique qui pourrait résulter d’un partage précipité.

Le maintien en indivision des locaux professionnels repose sur plusieurs conditions strictes, que le tribunal doit vérifier avant d’accorder cette mesure, de manière similaire à celles applicables pour le logement familial.

En tout état de cause, il appartiendra au juge d’apprécier les circonstances économiques et les conséquences potentielles d’un partage immédiat avant d’ordonner un maintien temporaire.

Il doit tenir compte de l’intérêt commun des indivisaires et de la nécessité de préserver la viabilité de l’activité professionnelle.

a.2. Les personnes concernées

Le maintien forcé dans l’indivision n’est pas ouvert à tous les indivisaires de manière indifférenciée.

Les articles 822 et 823 du Code civil encadrent les bénéficiaires de cette mesure en limitant les personnes pouvant formuler une telle demande.

i. Le maintien de l’indivision en présence de descendants mineurs

L’article 822 du Code civil prévoit une mesure de protection particulière pour les héritiers mineurs, en permettant le maintien des biens indivis à leur bénéfice.

Le maintien de l’indivision pour les descendants mineurs a pour but de préserver le patrimoine indivis, en évitant un partage qui pourrait s’avérer prématuré ou défavorable aux intérêts des enfants.

Les biens indivis peuvent inclure des actifs de grande valeur, comme une entreprise, des droits sociaux ou des biens immobiliers. Or, le partage immédiat de ces biens risquerait de diluer leur valeur ou de les rendre inexploitables, notamment si aucun des héritiers majeurs ou le conjoint survivant n’est en mesure de les reprendre.

Ainsi, le maintien dans l’indivision permet de différer le partage jusqu’à ce que les descendants mineurs atteignent la majorité, leur laissant ainsi le temps de se préparer, d’acquérir les compétences ou les ressources nécessaires pour éventuellement reprendre une entreprise familiale ou exploiter des biens indivis dans des conditions plus favorables.

Cette solution temporaire permet d’éviter la vente forcée des biens indivis à un moment où les conditions économiques ne seraient pas optimales, ou alors que les héritiers ne sont pas en mesure d’assumer leur gestion.

Cette mesure trouve notamment une application dans le cadre d’entreprises agricoles ou artisanales, où les héritiers mineurs pourraient envisager de reprendre l’exploitation à leur majorité.

Par exemple, si un père exploitait une ferme ou un atelier artisanal et décède en laissant des enfants mineurs, le partage immédiat des biens indivis pourrait compromettre la continuité de l’activité, en conduisant à la vente de l’exploitation.

Le maintien de l’indivision permet de préserver l’entreprise le temps que les héritiers mineurs atteignent l’âge adulte et soient capables de décider s’ils souhaitent reprendre l’activité ou vendre les biens dans de meilleures conditions.

De même, pour les biens immobiliers indivis, tels qu’une résidence familiale ou des locaux professionnels, le maintien de l’indivision garantit aux descendants mineurs la possibilité de disposer de ces biens une fois leur majorité atteinte, en évitant que le patrimoine familial ne soit dilapidé avant qu’ils puissent en assumer la gestion ou en tirer un profit.

L’article 822 du Code civil encadre les modalités de la demande de maintien de l’indivision au bénéfice des descendants mineurs. Cette demande peut être formée par plusieurs acteurs :

Cette diversité des requérants potentiels vise à offrir une protection maximale aux intérêts des enfants, en permettant à toute personne ayant un intérêt légitime dans la protection des biens indivis de solliciter le maintien de l’indivision.

Le rôle du représentant légal des mineurs est particulièrement important dans ce contexte, car c’est lui qui aura la charge de veiller à la bonne gestion des biens indivis en attendant que les héritiers mineurs atteignent la majorité.

Si le conjoint survivant, qui est souvent également le parent des enfants mineurs, décide de solliciter le maintien de l’indivision, il pourra ainsi s’assurer que les biens sont conservés dans de bonnes conditions jusqu’à ce que les enfants puissent exercer eux-mêmes leurs droits.

Le maintien de l’indivision au bénéfice des héritiers mineurs est limité dans le temps. Il ne peut, en principe, durer au-delà de la majorité du plus jeune des descendants concernés.

Cette durée maximale garantit que les enfants auront la possibilité, dès qu’ils atteindront l’âge adulte, de décider de la suite à donner aux biens indivis, que ce soit par la vente ou la poursuite de leur exploitation.

Pendant toute la durée du maintien de l’indivision, les règles habituelles de gestion de l’indivision continuent de s’appliquer. Cela signifie que les indivisaires doivent veiller à la bonne conservation des biens, et que les décisions relatives à leur administration doivent être prises de manière collégiale, conformément aux principes du Code civil.

Le maintien de l’indivision n’implique donc pas une gestion exclusive par l’un des héritiers ou par le conjoint survivant, mais repose sur une cogestion des biens, encadrée par le juge en cas de litige.

ii. Le maintien de l’indivision en présence d’un conjoint survivant

En l’absence de descendants mineurs, le conjoint survivant dispose d’une prérogative particulière lui permettant de demander le maintien de l’indivision.

Cette faculté, prévue par l’article 822, alinéa 2 du Code civil, vise à offrir une protection au conjoint survivant en lui permettant de préserver l’usage des biens indivis, qu’il s’agisse du logement familial ou de locaux professionnels, tout en évitant un partage précipité qui pourrait compromettre sa situation économique ou personnelle.

L’une des conditions pour que le conjoint survivant puisse bénéficier du maintien de l’indivision est qu’il soit copropriétaire des biens indivis.

Cette copropriété peut résulter d’une acquisition conjointe avant le décès, comme c’est souvent le cas dans les régimes matrimoniaux de séparation de biens, ou découler directement de la dévolution successorale.

Ainsi, si le conjoint survivant hérite d’une part des biens, il peut demander à en différer le partage, lui permettant de continuer à en jouir et à les gérer de manière provisoire.

Ce mécanisme a une portée particulièrement protectrice dans le cadre de l’habitation principale du couple.

Le maintien de l’indivision permet au conjoint de continuer à résider dans le logement familial sans craindre une vente forcée ou un partage immédiat, qui pourrait le priver de son cadre de vie.

Cette règle est d’autant plus importante lorsque le conjoint survivant ne dispose pas des moyens financiers pour racheter les parts des autres indivisaires ou pour se reloger dans des conditions similaires.

Il en va de même pour les locaux professionnels, notamment lorsque le conjoint survivant a été associé à l’exploitation d’une entreprise ou d’un commerce familial.

Le maintien de l’indivision permet de préserver l’activité économique, offrant au conjoint la possibilité de continuer l’exploitation sans interruption due à un partage qui pourrait désorganiser l’entreprise ou provoquer sa dissolution. Cette continuité est fondamentale pour éviter une dépréciation immédiate des biens ou une perte de rentabilité.

Cependant, une distinction importante est à faire entre la qualité de copropriétaire et celle d’usufruitier.

La jurisprudence a clairement établi que le conjoint survivant ne peut bénéficier du maintien de l’indivision s’il n’a que la qualité d’usufruitier, comme l’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 14 mars 1984 (Cass. 1ère civ. 14 mars 1984, n°83-10.196).

Dans ce cas, l’usufruit ne confère pas un droit de propriété, mais seulement un droit d’usage temporaire sur les biens, ce qui exclut la possibilité de maintenir l’indivision pour ces biens.

En d’autres termes, le conjoint qui ne détient que l’usufruit n’a pas la capacité juridique de demander le maintien de l’indivision, car cette mesure est réservée aux propriétaires indivis.

Cette distinction peut s’avérer particulièrement défavorable pour les conjoints survivants qui, bien que disposant de droits d’usufruit sur le logement ou les locaux professionnels, ne peuvent prétendre à un maintien de l’indivision et sont donc potentiellement confrontés à un partage immédiat.

iii. Le maintien de l’indivision en l’absence de conjoint survivant

Lorsque ni conjoint survivant ni descendants mineurs ne sont présents, le Code civil ne prévoit pas la possibilité pour d’autres héritiers de demander un maintien forcé de l’indivision.

Le principe général du droit des successions reste que tout indivisaire a le droit de demander le partage, sauf disposition contraire légale ou conventionnelle.

Le maintien forcé est une exception à ce principe, limitée aux cas spécifiques visés par les articles 821 à 822 du Code civil.

Dans les cas où ni le conjoint survivant, ni les descendants mineurs ne sont présents, le droit de demander le partage reprend sa force et les héritiers adultes peuvent exiger le partage immédiat.

Il n’existe donc pas de maintien forcé de l’indivision pour les autres indivisaires en l’absence de conjoint survivant ou de descendants mineurs, même si la liquidation pourrait entraîner la dépréciation des biens ou la dislocation d’une entreprise familiale.

b. Modalités du maintien judiciaire

==>Compétence juridictionnelle

La demande de maintien forcé en indivision, qu’il s’agisse de locaux à usage d’habitation, professionnels ou d’une entreprise, doit être introduite devant le Tribunal judiciaire, conformément à l’article 1381 du Code de procédure civile.

Cependant, la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 a introduit une exception importante.

Lorsque l’indivision intervient dans le cadre de la sphère familiale, par exemple entre époux, concubins ou partenaires, c’est le juge aux affaires familiales qui devient compétent pour statuer sur ces demandes.

L’article 213-3 du Code de l’organisation judiciaire prévoit en ce sens que le juge aux affaires familiales connaît notamment :

La compétence du Juge aux affaires familiales s’étend, en outre, aux situations de divorce et plus particulièrement à l’hypothèse visée par l’article 267 du Code civil qui prévoit que « à défaut d’un règlement conventionnel par les époux, le juge statue sur leurs demandes de maintien dans l’indivision ».

==>Limitation dans le temps

Il est cependant important de noter que la prolongation ne peut être ordonnée dès le départ pour une durée supérieure à cinq ans, ce qui permet d’évaluer périodiquement la situation et d’ajuster la mesure si nécessaire.

==>Pouvoirs du juge

Le juge dispose d’une grande latitude pour déterminer les modalités du maintien en indivision.

Il peut ordonner que l’indivision soit conservée sur l’ensemble des biens ou seulement sur certains d’entre eux, permettant ainsi un partage partiel pour les autres biens.

Cette flexibilité permet au juge de s’adapter aux circonstances particulières de chaque situation, en prenant en compte la nature des biens indivis et les besoins spécifiques des indivisaires.

Le tribunal peut ainsi fixer des conditions qui garantissent une exploitation optimale des biens tout en respectant les droits des coïndivisaires.

==>Éléments d’appréciation du juge

Le maintien judiciaire dans l’indivision, conformément à l’article 821 du Code civil, doit être fondé sur une évaluation approfondie des intérêts en présence.

Le juge dispose d’une grande latitude pour apprécier les demandes de maintien en indivision, mais il est tenu de motiver sa décision en tenant compte des critères légaux.

En particulier, l’article 821, alinéa 3, du Code civil prévoit que le tribunal doit statuer en fonction des « intérêts en présence et des moyens d’existence que la famille peut tirer des biens indivis ».

Cette évaluation implique que le juge prenne en considération non seulement l’intérêt des indivisaires demandant le maintien de l’indivision, mais également celui des autres co-indivisaires qui peuvent souhaiter sortir de cette situation.

La finalité de cette mesure est de garantir que l’indivision soit maintenue uniquement lorsque cela sert un objectif légitime, comme la préservation d’une activité économique ou la stabilité du logement familial.

Dans ce cadre, il est crucial que la décision du juge reflète un examen comparatif des intérêts en jeu.

Ainsi, par exemple, le maintien de l’indivision peut être refusé si le tribunal estime que les créanciers du défunt doivent pouvoir recouvrer leurs créances, comme cela a été jugé dans une affaire où l’endettement du défunt nécessitait la vente de l’immeuble indivis (CA Reims, ch. civ., 16 janv. 2003).

Le juge doit ainsi chercher à équilibrer les besoins de ceux qui souhaitent maintenir l’indivision, notamment pour des raisons économiques ou familiales, avec le droit des autres indivisaires de demander le partage immédiat.

La motivation du tribunal doit démontrer que tous les éléments pertinents ont été pris en compte, et que la décision vise à éviter une prolongation injustifiée de l’indivision ou une atteinte disproportionnée aux droits des co-indivisaires.

==>La formulation de demandes concurrentes

Certains textes encadrant l’attribution préférentielle prévoient des cas où il est admis qu’une demande de maintien en indivision puisse être formée. C’est notamment le cas pour les exploitations agricoles ne dépassant pas certaines limites de superficie, conformément à l’article 832 du Code civil.

Il en va de même pour l’attribution préférentielle demandée en vue de constituer un groupement foncier agricole (GFA), en vertu de l’article 832-1 du même code.

Par ailleurs, le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut, sous certaines conditions, demander à bénéficier d’un bail à long terme sur certains biens indivis.

La question qui alors se pose est de savoir l’ordre de priorité du traitement des demandes en cas de formulation de demandes concurrentes.

Faut-il d’abord statuer sur la demande d’attribution préférentielle, qui octroie la propriété exclusive d’un bien indivis à l’un des héritiers, ou sur le maintien en indivision, qui a pour but de retarder le partage des biens concernés ?

Certains auteurs estiment que le juge conserve une importante liberté d’appréciation pour trancher selon les circonstances propres à chaque affaire. Ils soutiennent qu’aucune cause de préférence légale ne devrait prévaloir entre ces deux demandes, le maintien en indivision et l’attribution préférentielle ayant des objectifs distincts. En ce sens, il appartiendrait au juge d’évaluer, au cas par cas, laquelle des demandes doit être priorisée.

Cependant, la Cour de cassation a tranché la question dans un arrêt du 22 mai 2007, en précisant que l’attribution préférentielle devait être examinée en priorité.

Dans cette décision, elle a jugé « qu’il résulte de l’article 815, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 qu’une demande d’attribution préférentielle doit être examinée préalablement à une demande de maintien dans l’indivision et indépendamment de celle-ci » (Cass. 1re civ., 22 mai 2007, n°04-20.205).

Cette priorité accordée à l’attribution préférentielle s’explique par la nature même de cette demande, qui tend à attribuer à un indivisaire un droit de propriété exclusif sur un bien indivis.

L’attribution préférentielle met donc fin à l’indivision sur ce bien, tandis que le maintien en indivision est une mesure temporaire visant à différer le partage des biens dans leur ensemble ou en partie.

Ainsi, le juge privilégie logiquement la solution plus définitive qu’offre l’attribution préférentielle avant de se prononcer sur la continuité de l’indivision. Cette approche permet de protéger plus efficacement les droits des indivisaires et d’éviter une gestion prolongée et incertaine des biens indivis.

c. Effets du maintien judiciaire

Le principal effet du maintien judiciaire est de suspendre la possibilité de demander le partage pendant la durée fixée par le juge.

Durant cette période, l’indivision est maintenue, et les indivisaires continuent de jouir et de gérer les biens indivis selon les règles habituelles de gestion. Ils conservent leurs droits de jouissance, de gestion et d’administration sur les biens, mais ils ne peuvent pas demander le partage avant l’expiration de la période fixée par le tribunal.

Pendant la durée du maintien, les indivisaires doivent continuer à gérer les biens indivis dans l’intérêt commun, conformément aux règles de la gestion de l’indivision prévues par le Code civil. Cela inclut notamment la réalisation des actes conservatoires et d’administration, dans le respect de l’accord des autres indivisaires ou, à défaut, des règles de majorité.

Si les circonstances qui justifiaient le maintien disparaissent avant l’expiration du délai fixé, un indivisaire peut demander au tribunal de mettre fin au maintien de l’indivision.

Par exemple, si les travaux qui devaient permettre une meilleure valorisation d’un bien indivis sont achevés plus rapidement que prévu, ou si l’indivisaire qui devait reprendre une entreprise décède, la mesure de maintien peut perdre sa raison d’être. Le tribunal dispose alors d’un pouvoir discrétionnaire pour statuer sur la demande de fin anticipée du maintien.

Il est important de noter que, sauf exception liée à la présence d’héritiers mineurs, le maintien judiciaire ne peut être renouvelé au-delà des cinq ans prévus par la loi.

Les indivisaires retrouvent leur droit de demander le partage à l’expiration de ce délai. Toutefois, si tous les indivisaires sont d’accord, ils peuvent prolonger l’indivision de manière conventionnelle après l’expiration du maintien forcé.

2. Le sursis au partage

Le sursis au partage constitue une exception au principe de libre sortie de l’indivision, et permet temporairement de suspendre le partage des biens indivis.

Il s’agit d’une mesure particulièrement encadrée, justifiée dans des circonstances où le partage immédiat risquerait de porter atteinte aux intérêts économiques des indivisaires ou à la gestion des biens indivis.

Le sursis au partage est régi par l’article 820 du Code civil, issu de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, qui a renforcé la possibilité de maintenir provisoirement l’indivision dans des cas spécifiques.

Le sursis au partage se distingue ainsi du maintien forcé dans l’indivision, dont l’objectif est d’assurer la protection d’intérêts légitimes sur une plus longue durée.

a. Le domaine du sursis au partage

Le sursis au partage, prévu par l’article 820 du Code civil, est donc une mesure exceptionnelle qui permet de suspendre temporairement le partage des biens indivis lorsqu’un partage immédiat serait inapproprié.

Cette mesure intervient dans deux hypothèses principales :

i. Le risque d’atteinte à la valeur des biens indivis

Le premier cas de sursis concerne le risque d’atteinte à la valeur des biens indivis si le partage intervient à un moment inopportun.

L’objectif est de protéger les intérêts communs des indivisaires en évitant de dévaloriser les biens concernés. Le sursis peut ainsi être demandé lorsque le partage immédiat risquerait de provoquer une vente judiciaire en période de crise immobilière, ou lorsque la valeur des biens est susceptible d’évoluer positivement dans un avenir proche.

Par exemple, si un bien indivis est situé dans une zone sujette à des projets d’urbanisme ou à des modifications du Plan Local d’Urbanisme (PLU), sa valeur pourrait fluctuer en fonction des décisions administratives à venir.

De même, le sursis peut être sollicité si l’un des biens indivis est en cours de rénovation, et que les travaux doivent être terminés pour maximiser la valeur du bien avant tout partage. Ce cas de sursis se fonde sur l’idée que le report du partage préserverait la valeur économique des biens indivis pour le bénéfice de tous les indivisaires.

Il est important de noter que ce sursis ne s’applique pas uniquement en cas de perte immédiate de valeur, mais peut également être invoqué lorsqu’une plus-value est attendue dans un avenir proche.

Par exemple, un indivisaire pourrait solliciter un sursis au partage dans l’attente d’une amélioration des conditions économiques, d’une décision administrative favorable, ou d’une situation plus avantageuse sur le marché immobilier.

ii. La reprise d’une entreprise par un indivisaire

Le second cas de sursis concerne spécifiquement les indivisions successorales.

Ici, le sursis au partage permet de différer le partage lorsqu’un des indivisaires souhaite reprendre une entreprise dépendant de la succession, qu’elle soit agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, mais qu’il nécessite un délai pour y parvenir. Ce cas est directement lié à la situation de l’entreprise et à la capacité de l’indivisaire de l’exploiter.

Cette hypothèse suppose que l’indivisaire demandeur du sursis puisse, dans un avenir proche, être en mesure de reprendre l’entreprise en répondant aux exigences professionnelles et financières nécessaires.

Le sursis permet donc de lui laisser le temps d’acquérir les qualifications ou financements requis pour exploiter l’entreprise de manière indépendante. Toutefois, si la reprise par l’indivisaire concerné est jugée improbable ou irréalisable, le sursis peut être refusé par le tribunal.

Cette faculté est ouverte pour protéger l’exploitation d’entreprises agricoles, mais s’est depuis étendue à toute entreprise commerciale ou libérale dépendant d’une indivision successorale.

b. Les conditions de la demande de sursis au partage

Pour que la demande de sursis au partage soit recevable, plusieurs conditions doivent être réunies.

Ces conditions permettent de garantir que le sursis ne soit accordé que dans des situations véritablement justifiées, où il est dans l’intérêt de préserver l’indivision pour éviter des conséquences défavorables pour les biens ou les indivisaires.

i. Le demandeur : seul un indivisaire peut solliciter le sursis

La demande de sursis au partage ne peut être formulée que par un indivisaire. Il incombe à cet indivisaire de démontrer que le report du partage est justifié par l’un des motifs prévus par l’article 820 du Code civil, à savoir :

Ce droit de solliciter le sursis est exclusivement réservé aux indivisaires. En principe, les créanciers des indivisaires ou des tiers ne peuvent pas formuler une telle demande, même s’ils ont un intérêt financier dans l’issue du partage. Par exemple, un créancier ne pourrait pas invoquer la nécessité de reporter le partage pour garantir le remboursement de ses créances.

Cependant, une nuance s’impose lorsqu’un créancier agit dans le cadre de l’action oblique, en se substituant à son débiteur indivisaire pour provoquer le partage.

Dans ce cas, la Cour de cassation a affirmé que la demande de sursis au partage reste recevable, même lorsque le partage est demandé par un créancier agissant sur le fondement de l’action oblique.

En effet, dans un arrêt du 6 février 1996, la Cour a jugé que les indivisaires peuvent, en réponse à une demande de partage formulée par un créancier de l’un d’eux, solliciter un sursis au partage (Cass. 1ère civ., 6 février 1996, n°93-21.320).

Le créancier, agissant par l’action oblique, exerce les droits de son débiteur et se voit opposer les mêmes exceptions que ce dernier, notamment celle du sursis.

Ainsi, même lorsque le partage est initié par un créancier dans le cadre de l’action oblique, le sursis au partage peut être demandé par les indivisaires concernés.

Dans ce contexte, ils doivent démontrer que l’une des conditions prévues par l’article 820 du Code civil est remplie, telles que la préservation de la valeur des biens ou la reprise d’une entreprise.

ii. Temporalité de la demande

La demande de sursis au partage est encadrée par un cadre temporel précis et doit être introduite en réponse à une demande de partage.

En pratique, cela signifie qu’elle intervient généralement sous la forme d’une demande reconventionnelle, c’est-à-dire qu’un indivisaire sollicite le sursis lorsque l’autre partie a initié une procédure de partage des biens indivis.

Cette demande de sursis peut être présentée à tout stade de la procédure de partage, tant que le partage n’a pas été définitivement prononcé par une décision irrévocable.

En effet, la jurisprudence a reconnu qu’il est possible de formuler une demande de sursis pour la première fois en cause d’appel.

Ainsi, même après une décision de première instance ordonnant le partage, un indivisaire peut introduire une demande de sursis en appel, tant que cette décision n’est pas devenue irrévocable. La Cour de cassation a réaffirmé ce principe dans un arrêt du 3 octobre 2019 (Cass. 1re civ., 3 oct. 2019, n° 18-21.200), validant ainsi la possibilité pour un indivisaire d’introduire une telle demande à n’importe quel moment de la procédure, dès lors que le partage n’a pas encore été ordonné de manière définitive.

Toutefois, une fois qu’un jugement de partage a été rendu et qu’il est devenu définitif, aucune demande de sursis ne sera recevable.

Cette interdiction découle du principe de l’autorité de la chose jugée.

En d’autres termes, lorsqu’une juridiction a définitivement statué sur le partage des biens indivis, la demande de sursis au partage serait en contradiction directe avec la décision rendue. Le maintien des biens dans l’indivision serait incompatible avec un partage déjà ordonné.

Par conséquent, toute demande de sursis introduite après qu’un jugement irrévocable a été rendu serait nécessairement rejetée, comme l’a rappelé la Cour dans plusieurs décisions antérieures (Cass. 1ère civ., 15 mai 1979, 78-10.266).

Ainsi, la temporalité de la demande est un élément crucial à prendre en compte quant à sa recevabilité : tant que le jugement de partage n’a pas acquis un caractère définitif, le sursis peut être demandé, y compris pour la première fois en cause d’appel. Mais une fois le partage devenu irrévocable, la demande de sursis est irrecevable et ne pourra plus être examinée.

c. Les modalités d’exercice de la demande de sursis

La demande de sursis au partage est soumise à un cadre procédural rigoureux, tant en ce qui concerne la juridiction compétente que les conditions de recevabilité.

==>Juridiction compétente

En vertu de l’article 1381 du Code de procédure civile, c’est le tribunal judiciaire qui est, en principe, compétent pour examiner les demandes de sursis au partage.

Cependant, lorsque la demande de partage concerne des biens indivis entre époux, concubins ou partenaires de PACS, la compétence est dévolue au juge aux affaires familiales.

Cette règle, énoncée à l’article L. 213-3 du Code de l’organisation judiciaire, vise à simplifier et centraliser les contentieux liés aux relations familiales, en attribuant cette matière à un juge spécialisé dans ce type de conflits.

==>La nature contentieuse de la demande de sursis

La demande de sursis au partage est une demande contentieuse qui intervient nécessairement dans le cadre d’une procédure en partage.

Elle n’existe pas de manière autonome, mais est toujours liée à une instance préalable introduite en vue d’obtenir un partage des biens indivis.

Généralement, cette demande est formulée par un indivisaire en réponse à une demande initiale de partage, souvent sous la forme d’une demande reconventionnelle.

L’objectif est de reporter le partage afin de préserver la valeur des biens indivis ou de permettre la reprise d’une entreprise par l’un des indivisaires.

Il est également important de noter que le sursis au partage doit être motivé par des raisons économiques légitimes ou par la nécessité de permettre à un indivisaire de reprendre une entreprise.

Le tribunal, qui est saisi de la demande, dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour évaluer la pertinence et la légitimité de la demande. Ce pouvoir est essentiel car il permet au juge de s’assurer que la suspension du partage répond à des critères objectifs et qu’elle est dans l’intérêt des indivisaires.

Cette règle a été rappelée par la Cour de cassation notamment dans un arrêt rendu le 8 janvier 1985 (Cass. 1re civ., 8 janv. 1985, n°83-13.659).

==>Pouvoirs du juge

Le tribunal, saisi de la demande de sursis, dispose d’une marge d’appréciation importante quant aux biens indivis concernés.

En effet, l’article 820 du Code civil précise que le sursis peut s’appliquer à l’ensemble des biens indivis ou uniquement à certains d’entre eux.

Le juge doit dès lors décider si le sursis doit être global, c’est-à-dire concerner tous les biens de l’indivision, ou limité à certains biens spécifiques, en fonction des circonstances de l’affaire.

Par exemple, si le partage d’un bien indivis risque de porter atteinte à la valeur globale de la masse successorale, le juge pourra ordonner un sursis pour ce bien précis, tout en permettant le partage des autres biens.

==>Durée du sursis

L’article 820 du Code civil prévoit que « le tribunal peut surseoir au partage pour deux années au plus ».

Il s’agit là d’un délai maximal que peut accorder le juge lorsqu’il prononce un sursis au partage.

Ce délai a été fixé pour éviter que le maintien de l’indivision ne devienne une situation indéfinie, tout en garantissant une marge de manœuvre suffisante pour surmonter les obstacles économiques ou personnels justifiant la demande.

Le législateur a choisi cette durée pour permettre aux indivisaires de préparer sereinement un partage ou une reprise, sans pour autant immobiliser indéfiniment les biens de l’indivision, ce qui pourrait porter atteinte aux droits des autres coïndivisaires.

==>Appréciation de la durée du sursis

S’agissant de la fixation du délai, il peut être observé que le juge, lorsqu’il statue, dispose d’un pouvoir souverain pour ajuster la durée du sursis en fonction des circonstances propres à chaque affaire.

Il n’est pas obligé de toujours accorder la durée maximale de deux ans, mais peut, au contraire, fixer une durée inférieure si les éléments du dossier ne justifient pas une suspension aussi longue.

Par exemple, si les conditions économiques doivent s’améliorer dans un laps de temps plus court ou si les travaux sur un bien indivis sont sur le point d’être achevés, le juge pourra estimer qu’une période de sursis plus brève suffira pour atteindre l’objectif poursuivi.

A cet égard, dans un arrêt du 8 janvier 1985 la Cour de cassation a rappelé que les juges du fond disposaient d’une liberté totale pour fixer la durée du sursis en tenant compte des particularités de chaque situation, notamment des éléments économiques ou des projets de reprise d’entreprise (Cass. 1ère civ., 8 janv. 1985, n°83-13.659). Ce pouvoir discrétionnaire leur permet de s’adapter aux circonstances et de garantir que le sursis reste proportionné aux enjeux en cause.

De plus, si un indivisaire tente de prolonger de facto la durée du sursis en multipliant les recours ou en ralentissant la procédure, les juges peuvent tenir compte des délais procéduraux accumulés lors de l’examen de la demande initiale.

En effet, le temps passé en procédure peut déjà constituer une forme de sursis, comme l’a relevé la jurisprudence, et justifier un rejet de la demande si celle-ci apparaît abusive ou si elle prolonge indûment l’indivision.

==>Non-renouvellement du sursis

L’article 820 du Code civil dispose que la durée du sursis ne peut excéder deux ans, et ce délai est non renouvelable.

En conséquence, une fois le sursis octroyé pour une période de deux ans, aucun nouveau sursis ne pourra être sollicité pour les mêmes biens, contrairement à ce qui est permis dans le cadre du maintien conventionnel de l’indivision.

Toutefois, s’il a été initialement accordé pour une durée inférieure à deux ans, il est admis qu’une prorogation puisse être demandée, tant que la durée totale du sursis ne dépasse pas les deux ans. Cela permet une certaine flexibilité dans l’application de cette mesure, en fonction des circonstances spécifiques à chaque affaire.

En revanche, si les biens concernés par le sursis ont changé, il est possible de demander un nouveau sursis pour ces autres biens, sans que cela entre en conflit avec le principe de non-renouvellement. Cette faculté vise à protéger les intérêts des indivisaires tout en respectant le cadre temporel strict imposé par la loi.

==>Disparition du fondement du sursis

Le sursis au partage repose sur des motifs économiques ou des raisons liées à la reprise d’une entreprise indivise. Toutefois, il est possible que ces motifs disparaissent avant l’expiration du délai de sursis.

Par exemple, si un projet de rénovation d’un immeuble indivis est finalisé plus tôt que prévu, ou si des droits litigieux sur un bien indivis sont tranchés par une décision de justice avant l’expiration du sursis, les raisons initiales justifiant la suspension du partage disparaissent, permettant ainsi de relancer le processus de partage.

Dans ces cas, il est possible de revenir devant le tribunal judiciaire pour demander la levée anticipée du sursis, permettant ainsi de relancer la procédure de partage.

La jurisprudence et la doctrine sont favorables à une telle demande, car le sursis doit être justifié par une nécessité objective. Si cette nécessité disparaît, il est logique de permettre aux indivisaires de reprendre la procédure de partage sans attendre l’expiration du délai initialement fixé.

d. Les effets de la demande de sursis

==>Suspension du partage

L’effet principal du sursis est de reporter le partage des biens indivis pendant la durée fixée par le juge, qui ne peut excéder deux ans.

Durant cette période, l’indivision est maintenue dans sa forme actuelle, et aucun acte de partage ne peut être entrepris, même si l’une des parties en exprime la volonté.

Le sursis permet ainsi de geler la situation juridique des biens indivis afin d’éviter une vente ou un partage dans des conditions défavorables, notamment sur le plan économique ou organisationnel (par exemple, en cas de reprise différée d’une entreprise).

Cependant, le sursis n’a pas pour vocation de transformer l’indivision en situation définitive.

À l’expiration du délai fixé par le juge, le partage devra obligatoirement intervenir, à moins que les indivisaires ne décident de maintenir volontairement l’indivision par le biais d’une convention.

Dans ce cas, les parties peuvent se prévaloir des dispositions des articles 1873-1 et suivants du Code civil, qui permettent de conclure des conventions d’indivision afin de prolonger celle-ci au-delà du délai imposé par le juge. Ce maintien conventionnel est donc distinct du sursis judiciaire, qui, lui, reste strictement temporaire.

==>Absence d’incidence sur les droits des indivisaires

Bien que le partage soit suspendu pendant la durée du sursis, cette suspension n’a pas d’incidence sur les droits des indivisaires quant à la jouissance ou la gestion des biens indivis.

Les indivisaires continuent de disposer de leurs droits ordinaires, notamment en ce qui concerne l’utilisation des biens indivis. Par exemple, si un bien immobilier est loué, les revenus locatifs continueront d’être répartis entre les indivisaires, conformément aux règles normales de l’indivision.

En matière de gestion, les règles prévues par le Code civil pour l’indivision demeurent applicables.

Ainsi, toute décision relative à la gestion courante des biens indivis peut être prise à la majorité des deux tiers, comme le prévoit l’article 815-3 du Code civil.

Les actes de disposition (vente d’un bien, par exemple) nécessitent, quant à eux, l’unanimité des indivisaires. Le sursis n’a donc pas pour effet de restreindre les prérogatives de gestion des indivisaires, mais il interdit simplement de procéder au partage pendant la période concernée.

Il est important de souligner que le sursis, bien qu’il suspende le partage, n’est pas une période d’inertie. Les indivisaires peuvent continuer à valoriser et exploiter les biens indivis, à condition que ces actes soient conformes à l’intérêt commun et respectent les règles de gestion applicables.

==>Absence d’incidence sur les droits des créanciers

Le sursis au partage n’affecte pas directement les droits des créanciers des indivisaires.

En effet, les créanciers conservent la faculté de poursuivre leurs actions sur la part indivise de l’indivisaire débiteur, conformément aux dispositions de l’article 815-17 du Code civil, qui leur permet de saisir la part indivise d’un débiteur en difficulté.

Néanmoins, si un créancier engage une procédure pour obtenir la saisie de la part indivise d’un indivisaire, la suspension du partage peut être invoquée pour différer la liquidation de cette part dans l’intérêt de tous les indivisaires.

Dans cette hypothèse, le créancier n’est pas privé de son droit, mais la réalisation effective du partage pourrait être reportée jusqu’à l’expiration du délai du sursis. Cela permet d’éviter que le partage soit précipité à un moment défavorable pour l’ensemble des indivisaires, ce qui pourrait entraîner une vente forcée des biens à une valeur inférieure à leur potentiel économique.

La jurisprudence a souligné l’importance de cet équilibre entre les droits des créanciers et la préservation de l’intérêt collectif des indivisaires.

Ainsi, les juges peuvent, en fonction des circonstances, accepter ou refuser d’accélérer une liquidation si cela porte atteinte à la valeur des biens indivis ou compromet une reprise d’entreprise par un indivisaire.

 

 

  1. Ph. Malaurie et C. Brenner, Droit des successions, 9? éd., Defrénois, 2020, n° 708 ?

Quitter la version mobile