Gdroit

L’obligation de contribution aux pertes et la prohibition des clauses léonines

Aux termes de l’article 1832, al. 3 du Code civil, dans le cadre de la constitution d’une société « les associés s’engagent à contribuer aux pertes ».

Aussi, cela signifie-t-il que, en contrepartie de leur participation aux bénéfices et de l’économie réalisée, les associés sont tenus de contribuer aux pertes susceptibles d’être réalisées par la société.

Le respect de cette exigence est une condition de validité de la société.

L’obligation de contribution aux pertes pèse sur tous les associés quelle que soit la forme de la société.

==> Contribution aux pertes / Obligation à la dette

Contrairement à l’obligation à la dette dont la mise en œuvre s’effectue au cours de la vie sociale, la contribution aux pertes n’apparaît, sauf stipulation contraire, qu’au moment de la liquidation de la société.

En effet, pendant l’exercice social, les associés ne sont jamais tenus de contribuer aux pertes de la société. Ces pertes sont compensées par les revenus de la société.

Ce n’est que lorsque l’actif disponible de la société ne sera plus en mesure de couvrir son actif disponible (cession des paiements) que l’obligation de contribution aux pertes sera mise en œuvre.

Tant que la société n’est pas en liquidation, seule la société est tenue de supporter la charge de ces pertes.

==> Principe de contribution aux pertes

Quelle est l’étendue de l’obligation de contribution aux pertes ?

En toute hypothèse, chaque associé est tenu de contribuer aux pertes proportionnellement à la part du capital qu’il détient dans la société.

Toutefois, une répartition inégalitaire est admise à certaines conditions.

==> Répartition inégalitaire autorisée

L’article 1844-1, al. 1er du Code civil dispose que « la part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social et la part de l’associé qui n’a apporté que son industrie est égale à celle de l’associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire. »

Plusieurs enseignements ressortent de cette disposition :

==> Prohibition des clauses léonines

Aux termes de l’article 1844-1, al. 2 du Code civil « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ».

Trois interdictions ressortent de cette disposition qui prohibe ce que l’on appelle les clauses léonines, soit les stipulations qui attribueraient à un associé « la part du lion ».

En vertu de cette disposition sont ainsi prohibées les clauses qui :

La présence d’une clause léonine dans les statuts n’est pas une cause de nullité de la société. La stipulation est seulement réputée non-écrite, de sorte que le partage des bénéfices et des pertes devra s’opérer proportionnellement aux apports des associés.

==> Les opérations sur titre

Depuis le début des années 1980, la problématique des clauses léonines a surtout été alimentée par le contentieux relatif aux opérations sur titres, notamment les opérations dans lesquelles des promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher interviennent.

La question s’est, en effet, posée de savoir devant les tribunaux si ces opérations de cession de titres à prix plancher n’étaient pas de nature à exonérer un associé de tout ou partie de son obligation de contribuer aux pertes.

En cas de dépréciation des titres, le cédant est assuré, en levant l’option de la promesse d’achat dont il est bénéficiaire, de céder ses droits sociaux à un prix minimum. Aussi, est-il garanti contre toute perte de valeur des titres cédés.

Dès lors, ces opérations qui ont toutes en commun de reposer sur la technique de la promesse unilatérale d’achat de droits sociaux à prix garanti, ne tomberaient-elles pas sous le coup de la prohibition des clauses léonines ?

Des réponses différentes ont été apportées par la jurisprudence à cette problématique selon l’opération en jeu.

Aussi convient-il de distinguer :

I) Les cessions massives de droits sociaux

A) Description de l’opération

  1. La finalité de l’opération

La cession massive de droits sociaux vise, le plus souvent, à réaliser le transfert de contrôle d’une société.

2. Les parties à l’opération

3. Le déroulement de l’opération

Afin de permettre au cessionnaire de réunir les fonds nécessaires, l’opération va se dérouler en deux temps :

schema-1

B) L’appréhension de l’opération par la Jurisprudence

==> Première étape : la prohibition des promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher

Pendant près d’un siècle la jurisprudence a interprété l’article 1844-1, al. 2 du Code civil de façon extrêmement restrictive.

Aussi, a-t-elle estimé que les promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher tombaient sous le coup de la prohibition des clauses léonine.

Dans un arrêt de principe du 16 janvier 1867, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la nullité frappe toute stipulation exonérant un associé de toute contribution aux pertes, sans distinguer selon qu’elle est contenue dans l’acte de société ou dans un acte séparé, selon qu’elle oblige la société entière ou seulement quelques-uns de ses membres, selon qu’elle est temporaire ou faite pour un temps déterminé » (Cass. req., 16 janv. 1867)

Manifestement, dans cette décision la haute juridiction prohibe indifféremment les stipulations :

Dans un arrêt du 10 février 1981, la chambre commerciale martelé sa position en censurant une décision de Cour d’appel par laquelle les juges du fond avait estimé que l’opération consistant à assortir une première cession de droits sociaux d’une promesse unilatérale d’achat à prix plancher en vue de réaliser à une date déterminée une seconde cession « était destinée à permettre [au cédant] de quitter la société et non de l’affranchir de toute contribution aux pertes ».

Pour la Cour de cassation, la Cour d’appel aurait, en effet, dû « rechercher si les engagements litigieux qui prévoyaient un certain nombre d’avantages, et pour plusieurs années éventuellement, au profit [du cédant], tant que celui-ci, du moins, resterait actionnaire de la société, n’avaient pas pour effet de le garantir, en tant que tel, contre tout risque de perte éventuelle » (Cass. com., 10 févr. 1981).

L’arrêt d’appel est cassé pour défaut de base légal.

==> Critiques

À la suite de cette décision, de nombreux auteurs se sont élevés contre la position de la Cour de cassation.

Pour la doctrine majoritaire, l’interprétation restrictive de l’article 1844-1 al. 2 du Code était de nature à faire obstacle à la fluidification des échanges économiques.

En estimant que les promesses unilatérales d’achat à prix plancher s’apparentaient à des clauses léonines, la Cour de cassation restreignait, en effet, considérablement le champ des possibilités quant à réaliser le transfert de contrôle d’une société. Or il s’agit là d’un rouage essentiel à la bonne marche d’une économie.

==> Deuxième étape : la limitation de la prohibition des clauses léonines aux stipulations statutaires

Sous la pression des critiques, la Cour de cassation n’a, manifestement, eu d’autre choix que d’assouplir sa position.

Aussi, dans un arrêt du 15 juin 1982, la chambre commerciale a-t-elle jugé que la promesse unilatérale d’achat dont était assortie une cession de droits sociaux étalée dans le temps était valide alors même qu’elle prévoyait une clause fixant un prix plancher de rachat des titres.

La Cour de cassation semble néanmoins considérée que la stipulation litigieuse ne constitue pas une clause léonine en raison de sa localisation extrastatutaire.

Dans cet arrêt, elle prend, en effet, la précaution de préciser que « la clause dont les promettants contestaient la validité se trouvait contenue dans une convention portant sur les conditions dans lesquelles devaient leur être cédées les actions de la société et non dans les statuts de celle-ci ; que l’article 1855 du code civil ne visant que le contrat de société, la nullité édictée par ce texte ne peut être étendue à une telle convention »

Autrement dit, pour la Cour de cassation la prohibition des clauses léonines n’a vocation à s’appliquer qu’aux seules stipulations statutaires, soit celles qui intéressent les rapports entre la société et les associés.

Ainsi, au regard de cette décision, toutes les stipulations extrastatutaires fixant un prix plancher devraient échapper à la prohibition des clauses léonines.

==> Critiques

Bien que cette décision ait été saluée par une partie de la doctrine, elle n’en a pas moins fait l’objet de critiques.

À la vérité, en validant la stipulation litigieuse en raison de sa localisation extrastatutaire, la Cour de cassation opère, dans l’arrêt du 15 juin 1982, une distinction, là où l’article 1844-1, al. 2 du Code civil ne distingue pas.

Comme le souligne un auteur, « l’ordre public du droit des sociétés ne s’applique pas seulement aux stipulations des statuts mais doit étendre ses prescriptions à tous les rapports sociaux et à toutes les conventions entre associés, qu’elles soient exprimées dans ou hors des statuts, sous peine d’inciter les associés à prévoir hors les statuts ce qu’ils ne peuvent prévoir à l’intérieur »[1].

Aussi, la solution nouvellement adoptée ne pouvait-elle pas rester en l’état. La chambre commerciale n’a, de la sorte, eu d’autre choix que de poursuivre le revirement amorcé.

==> Troisième étape : l’abandon par la chambre commerciale du critère de l’effet à la faveur du critère de l’objet

Dans un arrêt Bowater du 20 mai 1986 la Cour de cassation a opéré un important revirement de jurisprudence concernant les cessions de droits sociaux étalées dans le temps assorties d’une promesse d’achat à prix plancher (Cass. com., 20 mai 1986)

La chambre commerciale considère, en effet, dans cette décision que « la Cour d’appel n’avait pas à vérifier si la fixation, au jour de la promesse, d’un prix minimum, avait pour effet de libérer le cédant de toute contribution aux pertes sociales dès lors qu’elle constatait que la convention litigieuse constituait une cession ; qu’en effet est prohibée par l’article 1844-1 du Code civil la seule clause qui porte atteinte au pacte social dans les termes de cette disposition légale ; qu’il ne pouvait en être ainsi s’agissant d’une convention, même entre associés, dont l’objet n’était autre, sauf fraude, que d’assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, que dès lors, sans méconnaître le principe de la contradiction et sans avoir à entrer dans le détail de l’argumentation de la société Bowater, la Cour d’appel par motifs propres et adoptés, et abstraction faite de tous motifs surabondants, a décidé à bon droit que la convention litigieuse n’avait pas porté atteinte au pacte social ».

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette décision :

Sur le sens de l’arrêt

Dans l’arrêt Bowater, la Cour de cassation abandonne le critère de l’effet qu’elle remplace par le critère de l’objet. En d’autres termes, pour apprécier la validité de la promesse d’achat à prix plancher la Cour de cassation regarde, non plus l’effet de la convention, mais son objet :

La Cour de cassation considère que la prohibition des clauses léonines ne s’applique qu’aux relations entre la société et les associés, soit aux stipulations qui ont pour objet la répartition des résultats.

La Cour de cassation abandonne clairement dans l’arrêt Bowater le critère de la localisation de la clause, lequel lui avait valu de nombreuses critiques.

Sur la portée de l’arrêt

==> Quatrième étape : la résistance de la première chambre civile de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 22 juillet 1986 la première chambre civile a retenu une solution radicalement opposée à la position adoptée par la chambre commerciale dans l’arrêt Bowater (Cass. 1re civ., 22 juill. 1986).

Dans cette décision, la première chambre civile de la Cour de cassation a, en effet, estimé qu’une convention conclue entre le gérant d’une SCI qui garantissait à ce dernier un bénéfice forfaitaire, en contrepartie de quoi il devait se portait acquéreur d’un appartement détenu par la SCI devait être qualifiée de léonine.

La première chambre civile refuse, dans cette décision, d’apprécier la validité de la stipulation litigieuse en considération de son objet. Pour les magistrats, dès lors que la clause a pour effet d’exonérer un associé de sa contribution aux pertes, elle doit être annulée

La Première chambre civile a renouvelé son refus de se ranger derrière la position de la chambre commerciale, soit abandonner le critère de l’effet, dans un arrêt Levêque Houist du 7 avril 1987 (Cass. 1re civ., 7 avr. 1987).

Dans cette décision la première chambre civile reproche, en effet, à une Cour d’appel d’avoir validité une stipulation par laquelle un cessionnaire s’engageait dans le cadre d’une promesse unilatérale d’achat à racheter à prix plancher les droits sociaux du cédant, alors, selon la Cour de cassation que cet accord « avait pour effet d’affranchir [le cédant] de toute participation aux pertes de la société Ouest-Agrégats et leur assurant le remboursement intégral des sommes par elles versées pour l’achat des parts sociales et au titre des comptes courants, majorées d’un intérêt de 10 % par années écoulée – peu important que l’engagement de rachat ait été pris dans un acte distinct de la convention de cession et soit limité dans le temps ».

Depuis l’arrêt Levêque-Houist, la première chambre civile ne s’est pas prononcée sur la validité des promesses unilatérale d’achat à prix plancher, de sorte qu’il est difficile d’affirmer que la position affirmée dans ce dernier arrêt est conforme à la position qu’elle défendrait aujourd’hui.

Les auteurs ont toutefois décelé, dans un arrêt rendu par la première chambre civile le 16 octobre 1990, un signe de ralliement de cette dernière à la position défendue par la chambre commerciale (Cass. 1re civ., 16 oct. 1990)

Dans cette décision, la première chambre civile valide, en effet, un protocole d’accord conclu entre deux sociétés qui prévoyait une répartition très inégale des pertes, le risque pesant, pour une large part, sur certains associés, tandis que les autres étaient, quant à eux, assurés de récupérer la quasi-totalité de leurs apports par un remboursement prioritaire de leur investissement.

Malgré cette exonération quasi-totale de contribution aux pertes bénéficiant à certains signataires du protocole, la Cour de cassation ne trouve rien à redire à la Cour d’appel, laquelle a « exactement énoncé que l’article 1844-1 du Code civil n’interdit pas aux associés de fixer un partage des bénéfices et des pertes dans une proportion différente des apports ».

==> Cinquième étape : l’affermissement de la position de la chambre commerciale

Malgré le différend qui oppose la première chambre civile à la chambre commerciale sur la validité des promesses d’achat de droits sociaux à prix plancher, cela n’empêche pas cette dernière de maintenir sa solution adoptée dans l’arrêt Bowater et d’en préciser les contours.

Ainsi, dans un arrêt Jallet du 10 janvier 1989, la chambre commerciale affirme que « selon l’article 1855 ancien du Code civil, seule est prohibée la clause qui porte atteinte au pacte social dans les termes de cette disposition légale ».

Elle en déduit que la promesse d’achat de droits sociaux à prix plancher dont il était question en l’espèce « était donc étrangère au pacte social et sans incidence sur l’attribution des bénéfices aux associés et sur leur contribution aux pertes » (Cass. com. 10 janv. 1989).

Il ressort de l’arrêt Jallet que si, la Cour de cassation ne se réfère pas explicitement au critère de l’objet pour apprécier la validité de la promesse d’achat de droits sociaux, elle précise néanmoins que l’important est qu’il ne soit pas porté atteinte au pacte sociale, en ce sens que la clause doit être sans incidence sur la répartition des bénéfices dans les rapports entre la société et les associés.

==> Sixième étape : la réapparition de la référence au critère de l’objet

Dans un arrêt Lyonnaise de Banque du 19 mai 1998, la chambre commerciale fait de nouveau référence au critère de l’objet pour valider une promesse d’achat de droits sociaux à prix plancher. Dans l’espèce qui lui était soumise, elle relève que « les conventions passées entre les parties avaient pour objet d’organiser la transmission des droits sociaux, moyennant un prix librement débattu, d’où il résultait que la convention litigieuse était sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux » (Cass. com., 19 mai 1998).

II) Les conventions de portage

A) Description de l’opération

 1. La définition de l’opération

La convention de portage se définit comme l’opération par laquelle une personne appelée porteur répond à la sollicitation d’un donneur d’ordre d’acquérir des droits sociaux, après quoi, il s’engage, passé un certain délai, à les rétrocéder à un bénéficiaire désigné qui peut être, soit un tiers, soit le donneur d’ordre lui-même.

La convention de portage consiste, autrement dit, pour le porteur à endosser temporairement la qualité d’associé sur demande du donneur d’ordre.

Pour le porteur, l’intérêt de l’opération réside dans la renumérotation qu’il perçoit en contrepartie du service qu’il rend au donneur d’ordre.

Ladite rémunération est calculée sur base d’un intérêt prorata temporis indépendamment des bénéfices réalisés par la société, dans la mesure où il est prévu que la rétrocession des titres s’effectuera à un prix plancher

2. La finalité de l’opération

La conclusion d’une convention de portage peut répondre à plusieurs objectifs :

3. Les parties à l’opération

4. Le déroulement de l’opération

4. Problématique de l’opération

Si la validité des cessions massives de droits sociaux à prix plancher a pu susciter un vif débat en jurisprudence, au regard de la prohibition des clauses léonines, l’interrogation est d’autant plus permise lorsque la cession intervient dans le cadre d’une opération de portage.

Deux raisons peuvent être avancées au soutien de l’irrégularité d’une opération :

B) L’appréhension de l’opération par la jurisprudence

==> Première étape : l’admission de la validité des conventions de portage

Dans le droit fil de l’arrêt Bowater rendu six ans plus tôt, dans un arrêt Sté Go international du 19 mai 1992, la Chambre commerciale admet la validité d’une convention de portage

Elle affirme en ce sens que « la promesse d’achat n’avait pas d’autre objet, en l’absence de toute fraude, non alléguée par la société Go international, que de permettre, moyennant un prix librement débattu, la rétrocession d’actions de la société Go international SPA à des conditions visant à assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties le 16 juillet 1987, à la suite de diverses négociations aménageant les accords du mois de janvier précédent ».

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette décision :

==> Deuxième étape : l’affirmation de l’exigence de la conclusion de promesses croisées

Bien que, avec l’arrêt Go international, la Cour de cassation avait semblé aller un peu plus loin que le stade de l’admission de la validité des conventions de portage, notamment en se référant au critère de « l’équilibre des conventions », c’est véritablement à l’arrêt Chicot du 24 mai 1994 que l’on doit l’affirmation de leur condition de validité (Cass. com., 24 mai 1994).

Dans cette décision, la Cour de cassation reproche, en effet, à une Cour d’appel d’avoir « déclaré nulle et réputée non écrite la clause relative à la définition du prix de rachat en retenant que la clause litigieuse avait eu pour but de garantir la SDBO contre toute évolution défavorable des actions et de la soustraire à tout risque de contribution aux pertes sociales », alors que les juges du fond avaient « constaté que la cession initiale avait été complétée par des promesses croisées de rachat et de vente des mêmes actions libellées en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes, ce dont il résultait que celles-ci avaient organisé, moyennant un prix librement débattu, la rétrocession des actions litigieuses sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux ».

La solution retenue dans l’arrêt Chicot mérite plusieurs observations :

==> Troisième étape : incertitude quant au maintien de l’exigence de promesses croisées

Après que l’arrêt Chicot a été rendu, plusieurs décisions ont semé le doute quant au maintien de l’exigence de promesses croisées quant à la validité des conventions de portage.

Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation ne se réfère plus à l’exigence de promesse croisée, si bien que certains auteurs se sont demandé si elle ne l’avait pas abandonné.

Dans cette décision, la chambre commerciale estime, en effet, que « la convention litigieuse constituait une promesse d’achat d’actions et de parts sociales, et fait ressortir qu’elle avait pour objet d’assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties »

Elle en déduit alors que « c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que la fixation au jour de la promesse, d’un prix minimum pour la cession de ces actions et parts sociales ne contrevenait pas aux dispositions de l’article 1844-1 du Code civil, dès lors que n’ayant pour objet que d’assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, même entre associés, elle était sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes, dans les rapports sociaux et ne portait pas atteinte au pacte social ».

Manifestement, à aucun moment la Cour de cassation ne fait référence dans cet arrêt à l’exigence de promesse croisée.

Qui plus est, dans un arrêt rendu à la même époque, la chambre commerciale censure une Cour d’appel qui, pourtant, avait appliqué, à la lettre, la solution retenue dans l’arrêt Chicot (Cass. com., 16 nov. 1999). La cassation est prononcée en l’espèce, non pas sur le fondement de l’article 1844-1 du Code civil mais au visa de l’article 4 du Code de procédure civile, ce qui laisse à penser que l’existence de promesses croisées n’était pas en cause.

==> Quatrième étape : réapparition de l’exigence de promesses croisées

Il faut attendre un arrêt Laurent du 22 février 2005 pour voir réapparaître l’exigence de promesses croisées (Cass. com., 22 févr 2005).

Pour valider une convention de portage, la Cour de cassation relève ainsi que « c’est sans dénaturation des conventions litigieuses de promesses croisées de rachat et de vente des actions, dont elle constatait qu’elles étaient rédigées en termes identiques au profit de chacune des parties, notamment quant au prix et aux modalités de leur réalisation, que la cour d’appel qui, par motifs propres et adoptés, a relevé que ces conventions ne faisaient qu’organiser, moyennant un prix librement débattu et dans des conditions assurant l’équilibre des droits respectifs des parties, la rétrocession des actions litigieuses sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux ».

III) Les opérations de capital investissement

A) La description de l’opération

  1. La définition de l’opération

Le capital-investissement est l’opération par laquelle un investisseur participe à l’augmentation de capital d’une société en contrepartie de la garantie, après l’écoulement d’un certain délai, que les titres qu’il a acquis lui seront rachetés à un prix plancher, correspondant, a minima, au montant investi, augmenté des intérêts.

Ainsi, comme pour la cession massive de droits sociaux ou la convention de portage, l’opération de capital-investissement repose sur la conclusion d’une promesse unilatérale d’achat à prix plancher conclue à la faveur de l’investisseur.

2. La finalité de l’opération

Contrairement, à la convention de portage, l’opération de capital-investissement ne s’apparente nullement à un service qui serait rendu à un donneur d’ordre.

Les investisseurs ont, en effet, pour seul objectif de réaliser une plus-value en souscrivant à l’augmentation de capital réalisé par une société qui a besoin de capitaux propres.

Ainsi, l’investisseur n’est autre qu’un bailleur de fonds.

3. Le déroulement de l’opération

4. La problématique de l’opération

L’opération de capital investissement pose sensiblement les mêmes problèmes que la convention de portage :

Essentiellement, pour ces deux raisons, la question de la validité de l’opération de capital investissement se pose.

B) L’appréhension de l’opération par la jurisprudence

==> Première étape : admission de la validité de l’opération de capital-investissement

Dans un arrêt Belkhelfa du 16 novembre 2004, la Cour de cassation valide une opération de capital-investissement en approuvant une Cour d’appel d’avoir jugé que « la convention litigieuse constituait une promesse d’achat d’actions et relevé qu’elle avait pour objet, en fixant un prix minimum de cession, d’assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties en assurant à M. X…, lequel est avant tout un bailleur de fonds, le remboursement de l’investissement auquel il n’aurait pas consenti sans cette condition déterminante, c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que cette clause ne contrevenait pas aux dispositions de l’article 1844-1 du Code civil dès lors qu’elle n’avait pour objet que d’assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux entre associés et qu’elle était sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux, peu important à cet égard qu’il s’agisse d’un engagement unilatéral de rachat ».

Trois enseignements majeurs peuvent être tirés de cet arrêt :

==> Deuxième étape : confirmation de l’introduction de la distinction entre les véritables associés et les bailleurs de fonds

Dans un arrêt Bourgoin du 27 septembre 2005, la Cour de cassation fait de nouveau référence à la distinction entre les « véritables associés », soumis à l’article 1844-1 du Code civil et les bailleurs de fonds qui échapperait à l’application de la prohibition des clauses léonines (Cass. com., 27 sept 2005)

La Chambre commerciale affirme en ce sens que « en se référant à l’ensemble des conventions liant les parties, que la promesse litigieuse tendait à assurer à la société CDR Participations, qui est avant tout un bailleur de fonds, le remboursement de l’investissement auquel elle n’aurait pas consenti sans ce désengagement déterminant, et retenu que cette promesse avait ainsi pour objet d’assurer l’équilibre des conventions conclues entre les parties, c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que la fixation au jour de la promesse d’un prix minimum de cession ne contrevenait pas aux dispositions de l’article 1844-1 du Code civil, peu important à cet égard qu’il s’agisse d’un engagement unilatéral de rachat ».

==> Troisième étape : l’apparition du critère de la fenêtre de tir

Dans un arrêt du Textilinter rendu le 22 février 2005, la Cour de cassation semble mettre en œuvre un nouveau critère pour apprécier la validité d’une opération de capital-investissement : l’existence d’une fenêtre de tir (Cass. com., 22 févr. 2005).

Dans cette affaire, la chambre commerciale reproche, en effet, à une Cour d’appel d’avoir invalidé une promesse de rachat à prix plancher conclue dans le cadre d’une opération de capital-investissement « alors qu’elle constatait que M. Z… ne pouvait lever l’option qu’à l’expiration d’un certain délai et pendant un temps limité, ce dont il résulte qu’il restait, en dehors de cette période, soumis au risque de disparition ou de dépréciation des actions, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ».

Plusieurs observations peuvent être formulées au sujet de cet arrêt :

[1] F.-X. Lucas, Théorie des bénéfices et des pertes – Clauses léonines, JurisClasseur Sociétés TraitéJurisClasseur Sociétés Traité

Quitter la version mobile