L’assurance ne prend tout son sens qu’au stade de son exécution. La promesse de garantie donnée lors de la conclusion du contrat doit, au moment du sinistre, se traduire par le versement effectif de la prestation due. C’est à ce stade que se mesure l’utilité économique du mécanisme assurantiel : assurer la réparation rapide et certaine des conséquences du risque garanti.
Le Code des assurances fixe un cadre général. L’article L.113-5 impose à l’assureur d’exécuter son obligation « dans le délai convenu ». À défaut de précision contractuelle, la jurisprudence et certaines dispositions spéciales (incendie, catastrophes naturelles, dommages-ouvrage, etc.) viennent encadrer la date d’exigibilité.
L’exécution soulève plusieurs questions pratiques : qui est débiteur et qui est créancier de la prestation ? À quel moment l’indemnité devient-elle exigible ? Peut-on en obtenir une partie par provision, avant la liquidation définitive du sinistre ? Quelles sont les conséquences d’un retard de paiement, en termes d’intérêts moratoires ou de dommages-intérêts ? Enfin, quels événements peuvent retarder ou empêcher le règlement ?
C’est autour de ces interrogations que s’organise l’analyse de l’exécution de la prestation d’assurance.
Nous nous focaliserons ici sur les parties intéressées au paiement de l’indemnité.
1. Le débiteur de la prestation
Le débiteur naturel de l’indemnité d’assurance est l’assureur. La loi lui impose d’exécuter sa prestation « dans le délai convenu » (C. assur., art. L.113-5), délai qui doit être expressément prévu par la police (art. R.*112-1). Cette obligation se déclenche lors de la réalisation du risque ou à l’échéance prévue du contrat. Elle est toutefois strictement bornée: l’assureur n’est jamais tenu au-delà des limites fixées par la convention, notamment les plafonds de garantie stipulés.
La situation se complexifie lorsque plusieurs assureurs sont engagés sur un même risque. En cas de coassurance, chacun d’eux n’est tenu que pour la part qu’il a acceptée, sans solidarité entre eux (Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-18.399). L’assureur dit « apériteur » cumule deux fonctions : il reste engagé comme assureur pour sa propre ligne et agit, en outre, comme mandataire des coassureurs afin de centraliser et répartir les règlements. Il ne peut en principe être condamné à payer au-delà de sa quote-part (Cass. com., 4 juill. 1995, n° 93-11.963). Une limite importante existe néanmoins : si l’assureur ne démontre pas que l’assuré a été informé, lors de la souscription, de la répartition des engagements entre coassureurs, il peut être tenu d’indemniser le sinistre dans son intégralité (Cass. 2e civ., 8 févr. 2006, n° 04-20.420).
La preuve du paiement est traditionnellement apportée par la signature d’une quittance. Celle-ci fait présumer que l’indemnité a bien été réglée, mais la présomption n’est pas irréfragable : elle peut être renversée par tout moyen, en particulier lorsque l’assureur a la qualité de commerçant. Pour éviter les confusions nées des « quittances » signées par anticipation, la pratique conseille de recourir à un document intitulé « accord de règlement » (Cass. 1re civ., 21 févr. 1984).
2. Le créancier de la prestation
Le créancier naturel de l’indemnité est celui qui, au terme du contrat ou de la loi, justifie d’un droit à percevoir la prestation d’assurance. Mais cette qualité, apparemment simple, se révèle multiple et parfois conflictuelle : elle peut concerner l’assuré lui-même, ses ayants-cause, la victime d’un dommage, ou encore les créanciers privilégiés du bien sinistré.
a. Le bénéficiaire désigné ou ses ayants-cause
En principe, l’indemnité est versée directement au bénéficiaire de la garantie, à charge pour lui d’établir ses droits. Pour un immeuble, la production d’un titre de propriété suffit, le droit commun de la preuve immobilière étant applicable (Cass. 3e civ., 20 juill. 1988, n°87-10.998). Pour un meuble, c’est la règle « en fait de meubles, possession vaut titre » qui s’applique : l’assureur peut se libérer entre les mains du propriétaire apparent. En cas de vente d’un immeuble assuré, l’acquéreur recueille l’intégralité des droits nés du contrat et peut obtenir l’indemnité même pour un sinistre survenu avant le transfert (Cass. 3e civ., 7 mars 2019, n° 18-10.973). Dans l’hypothèse d’un risque locatif, l’indemnité doit revenir au propriétaire, sauf convention permettant un paiement direct au locataire pour exécuter les réparations ; mais si ce dernier ne procède pas aux travaux, l’assureur est fondé à exiger la restitution des sommes versées (Cass. 1re civ., 11 oct. 1994, n° 92-13.043).
L’assuré peut aussi céder sa créance d’indemnité à un tiers, par exemple au garagiste chargé de réparer le véhicule sinistré. Cette cession n’est toutefois opposable à l’assureur qu’à condition de respecter les formalités requises : à défaut, le paiement opéré à l’assuré reste valable, et le cessionnaire ne peut rien exiger de l’assureur (Cass. 1re civ., 19 févr. 2013, n° 11-24.373).
Il existe encore des contrats souscrits « pour compte de qui il appartiendra » (C. assur., art. L.112-1). Une telle clause permet au souscripteur d’assurer non seulement son propre intérêt, mais aussi celui d’autrui, le contrat valant alors stipulation pour autrui. La jurisprudence a même admis que, selon l’intention commune des parties, une assurance de choses souscrite pour compte pouvait se transformer en assurance de responsabilité (Cass. 1re civ., 5 févr. 1974, n° 72-12.980). Mais ce mécanisme ne joue jamais de plein droit : il suppose une volonté claire, faute de quoi le bénéficiaire ne peut se prévaloir d’un droit propre (Cass. 2e civ., 5 mars 2020, n° 19-10.201).
À travers toutes ces hypothèses, un principe demeure : avant de régler son assuré, l’assureur doit vérifier, autant que possible, que les véritables lésés ont été indemnisés. Ainsi, une juridiction ne peut condamner un assureur à payer un locataire responsable d’un incendie sans s’assurer que le propriétaire avait été désintéressé (Cass. 1re civ., 7 janv. 1982, n° 80-14.793).
Enfin, la réception de l’indemnité par le bénéficiaire peut passer par un intermédiaire. Lorsque l’assureur verse les fonds à un courtier, le paiement n’est libératoire que si ce dernier dispose d’un mandat d’encaissement régulier ; à défaut, l’assuré ou le bénéficiaire reste en droit d’exiger un second paiement (Cass. 1re civ., 13 oct. 1999, n° 97-17.684). À l’inverse, si le courtier mandaté a reçu un chèque et l’a expédié par courrier simple, la perte du titre de paiement engage sa responsabilité personnelle, et non celle de l’assureur, qui demeure réputé libéré (Cass. 1re civ., 9 mai 1994, n° 91-21.876).
L’hypothèse du paiement indu doit également être évoquée. Lorsqu’il verse une indemnité qui n’était pas due, l’assureur peut en demander la restitution sur le fondement du droit commun (C. civ., art. 1302 et 1302-1). Cette action échappe au délai biennal de l’article L.114-1 du Code des assurances, car elle ne dérive pas du contrat (Cass. 1re civ., 27 févr. 1996, n° 94-12.645). Elle demeure ouverte même si le paiement indu procède d’une fraude, comme dans le cas d’un incendie volontaire. Les négligences éventuelles de l’assureur ne font que fonder une demande de dommages-intérêts venant s’imputer sur la créance de restitution (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-12.239).
b. Le bénéficiaire titulaire d’un droit propre
En matière de responsabilité civile, la victime dispose d’un droit propre et exclusif à l’encontre de l’assureur du responsable (C. assur., art. L.124-3). Tant qu’elle n’a pas été désintéressée, l’assureur ne peut valablement régler une autre personne. Cette action directe peut être exercée indépendamment de toute mise en cause de l’assuré (Cass. 3e civ., 1er déc. 2004, n°03-14.309), et la victime peut même rechercher la responsabilité délictuelle de l’assureur en cas de manœuvres dilatoires lui causant un préjudice (Cass. 2e civ., 10 mai 2007, n°06-13.269).
Les créanciers privilégiés et hypothécaires bénéficient eux aussi d’un droit propre. L’article L.121-13 du Code des assurances attribue de plein droit l’indemnité d’assurance au profit de ces créanciers, dans la limite de leur créance certaine, liquide et exigible (Cass. 1re civ., 7 avr. 1992, n° 89-12.247). Ce droit est opposable dès la demande de paiement adressée à l’assureur (Cass. 1re civ., 29 févr. 2000, n° 97-21.099). L’assureur n’a certes pas à rechercher spontanément l’existence d’hypothèques, mais il engage sa responsabilité s’il règle son assuré malgré une opposition formée ou en connaissance de cause (Cass. 2e civ., 22 nov. 2018, n° 17-20.926). L’attribution légale investit ces créanciers d’un droit propre et d’une action directe. Ainsi, un créancier gagiste est recevable à agir contre l’assureur (Cass. 1re civ., 30 mars 1978, n° 76-14.784), et l’assureur qui règle son assuré malgré opposition du gagiste peut voir sa responsabilité engagée (Cass. 1re civ., 10 juin 1997, n° 94-20.773). Le créancier dont l’indemnité n’entre pas dans le patrimoine du débiteur peut même former tierce opposition contre un jugement (Cass. 1re civ., 21 janv. 1997, n° 94-16.157). Enfin, en cas de procédure collective, la victime n’est pas soumise à la vérification des créances pour agir contre l’assureur du responsable (Cass. com., 25 mars 1997, n° 95-10.062).
Le droit local d’Alsace-Moselle renforce encore la position des créanciers hypothécaires et privilégiés (C. assur., art. L.192-3 à L.192-7). Leur protection se manifeste par le maintien de la garantie malgré certaines causes d’extinction, l’information obligatoire de l’assureur, la faculté de payer la prime à la place de l’assuré, ou encore le droit de s’opposer au paiement de l’indemnité lorsque le contrat impose la reconstruction. À cela s’ajoute un avantage financier : l’indemnité porte intérêt de plein droit au taux légal un mois après la déclaration du sinistre, et une provision peut être demandée si le dommage n’est pas intégralement chiffré, sauf retard imputable à l’assuré (art. L.191-7).
Dans tous les cas, l’assureur doit se montrer attentif aux droits concurrents. Il ne peut régler son assuré sans avoir vérifié la situation des victimes ou des créanciers privilégiés. De même, il ne peut opposer à la victime l’exception de compensation entre l’indemnité due et la prime impayée par l’assuré : cette compensation est inopposable aux tiers titulaires d’un droit propre (C. civ., art. 1347 ; C. assur., art. L.112-6 ; Cass. 1re civ., 31 mars 1993, n° 91-13.637).