L’assurance ne prend tout son sens qu’au stade de son exécution. La promesse de garantie donnée lors de la conclusion du contrat doit, au moment du sinistre, se traduire par le versement effectif de la prestation due. C’est à ce stade que se mesure l’utilité économique du mécanisme assurantiel : assurer la réparation rapide et certaine des conséquences du risque garanti.
Le Code des assurances fixe un cadre général. L’article L.113-5 impose à l’assureur d’exécuter son obligation « dans le délai convenu ». À défaut de précision contractuelle, la jurisprudence et certaines dispositions spéciales (incendie, catastrophes naturelles, dommages-ouvrage, etc.) viennent encadrer la date d’exigibilité.
L’exécution soulève plusieurs questions pratiques : qui est débiteur et qui est créancier de la prestation ? À quel moment l’indemnité devient-elle exigible ? Peut-on en obtenir une partie par provision, avant la liquidation définitive du sinistre ? Quelles sont les conséquences d’un retard de paiement, en termes d’intérêts moratoires ou de dommages-intérêts ? Enfin, quels événements peuvent retarder ou empêcher le règlement ?
C’est autour de ces interrogations que s’organise l’analyse de l’exécution de la prestation d’assurance.
Nous nous focaliserons ici sur le retard de paiement.
Lorsque l’assureur tarde à s’exécuter, l’équilibre contractuel est rompu. La garantie promise au moment de la souscription n’a de valeur que si elle se concrétise rapidement en espèces. Le retard dans le règlement n’est donc pas neutre : il entraîne l’obligation de payer des intérêts, et, dans certaines circonstances, peut justifier l’allocation de dommages-intérêts complémentaires.
1. Les intérêts moratoires
En matière d’obligation pécuniaire, le droit commun est clair : « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal » (C. civ., art. 1231-6, anc. art. 1153). L’assureur qui ne règle pas dans le délai convenu se trouve donc redevable d’intérêts moratoires, indépendamment de toute démonstration de préjudice. Ceux-ci ne sont pas une indemnité nouvelle, mais la sanction du temps perdu.
La question la plus délicate concerne leur point de départ.
- En assurance de choses, la jurisprudence considère que, l’indemnité étant fixée en fonction de la valeur du bien au jour du sinistre, les intérêts courent en principe à compter de la mise en demeure adressée à l’assureur (Cass. 1re civ., 10 févr. 2004, n° 99-20.716). L’assignation, même imprécise dans son chiffrage, vaut mise en demeure et fait courir les intérêts (Cass. 2e civ., 20 oct. 2016, n° 15-25.324).
- En assurance de responsabilité, la solution a longtemps été incertaine : certains arrêts faisaient courir les intérêts à compter de la décision judiciaire fixant l’indemnité, d’autres à compter de la réclamation de la victime. L’hésitation a pris fin avec la jurisprudence des années 1990 : l’Assemblée plénière a jugé, en 1992, que le juge peut fixer le point de départ à une date antérieure à sa décision (Ass. plén., 3 juill. 1992, n° 90-83.430), et en 1998 la première chambre civile a qualifié de «moratoires» les intérêts dus dès la demande (Cass. 1re civ., 28 avr. 1998, n° 96-14.762). La solution est désormais bien assise : l’assureur de responsabilité doit intérêts à compter de la mise en demeure, même s’il ne doit verser que le plafond de garantie (Cass. 1re civ., 14 nov. 2001, n° 98-19.205).
Ces intérêts moratoires échappent à la logique contractuelle de la garantie. Ils constituent une dette autonome : la Cour de cassation l’a clairement affirmé en jugeant que ni le principe indemnitaire, ni le plafond de garantie stipulé au contrat ne peuvent limiter leur cours (Cass. 1re civ., 14 nov. 2001, préc.). En d’autres termes, le retard se paie en plus de l’indemnité, sans restriction.
Certaines particularités doivent être relevées. Lorsque la somme est consignée sur décision judiciaire en raison d’un doute sur l’identité du bénéficiaire, le cours des intérêts est suspendu jusqu’à ce que la somme consignée soit remise au véritable créancier (Cass. 1re civ., 25 nov. 2003, n° 98-12.734). La capitalisation des intérêts n’est possible qu’à compter d’une demande formelle (C. civ., art. 1343-2 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 2009, n° 08-12.954). Enfin, il faut distinguer les intérêts moratoires, dus pour le retard, de l’actualisation contractuelle du montant de l’indemnité, qui répare un autre aspect du préjudice : les deux peuvent donc se cumuler (Cass. 1re civ., 16 mai 1995, n° 92-15.376).
2. Les dommages-intérêts compensatoires
Les intérêts moratoires sont automatiques, mais ils n’épuisent pas la réparation possible. L’article 1231-6, alinéa 3 du Code civil prévoit que le créancier peut obtenir des dommages-intérêts complémentaires lorsqu’il démontre un préjudice distinct du simple retard et une mauvaise foi de son débiteur.
En assurance, cela vise l’hypothèse où l’assureur adopte une attitude dilatoire, refuse de coopérer aux opérations d’expertise ou conteste abusivement sa garantie. Les préjudices réparés sont variés : frais supplémentaires de relogement, pertes d’exploitation aggravées par l’absence de trésorerie, coûts de déplacement ou de location pour poursuivre l’activité. La jurisprudence en fournit des illustrations : elle a retenu la responsabilité de l’assureur qui, par sa résistance abusive, a causé un dommage autonome à son assuré (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997).
La victime d’un dommage peut elle-même se prévaloir de ce mécanisme lorsqu’elle agit par voie d’action directe. La Cour de cassation a admis qu’elle pouvait rechercher la responsabilité délictuelle de l’assureur pour avoir, par ses manœuvres, aggravé sa situation (Cass. 2e civ., 10 mai 2007, n° 06-13.269).
À l’inverse, aucun manquement n’est retenu lorsque l’assureur a formulé rapidement une offre sérieuse, mais que c’est l’assuré qui a choisi d’engager un contentieux long et coûteux (Cass. 2e civ., 5 mars 2020, n° 19-14.061).
3. Les régimes spéciaux
Plusieurs branches d’assurance connaissent des sanctions légales spécifiques, plus sévères que le droit commun.
En assurance dommages-ouvrage, le dépassement des délais légaux ou la présentation d’une offre manifestement insuffisante entraîne, de plein droit, le paiement d’intérêts au double du taux légal (C. assur., art. L.242-1). La Cour de cassation a précisé que ce régime est exclusif : l’assuré ne peut obtenir d’indemnité complémentaire, par exemple pour perte de loyers, en dehors du mécanisme légal (Cass. 3e civ., 7 mars 2007, n° 05-20.485).
En assurance automobile, l’article L.211-13 prévoit que le défaut d’offre dans le délai entraîne la même sanction : les intérêts au double du taux légal courent sur la totalité de l’indemnité, y compris sur les provisions déjà versées (Cass. 2e civ., 20 avr. 2000, n° 98-11.540).
En assurance incendie, le régime d’ordre public de l’article L.122-2 permet de faire courir les intérêts par sommation trois mois après l’état des pertes, et ouvre l’action judiciaire au bout de six mois.