Site icon Gdroit

Indemnisation du sinistre : le paiement par provision

L’assurance ne prend tout son sens qu’au stade de son exécution. La promesse de garantie donnée lors de la conclusion du contrat doit, au moment du sinistre, se traduire par le versement effectif de la prestation due. C’est à ce stade que se mesure l’utilité économique du mécanisme assurantiel : assurer la réparation rapide et certaine des conséquences du risque garanti.

Le Code des assurances fixe un cadre général. L’article L.113-5 impose à l’assureur d’exécuter son obligation « dans le délai convenu ». À défaut de précision contractuelle, la jurisprudence et certaines dispositions spéciales (incendie, catastrophes naturelles, dommages-ouvrage, etc.) viennent encadrer la date d’exigibilité.

L’exécution soulève plusieurs questions pratiques : qui est débiteur et qui est créancier de la prestation ? À quel moment l’indemnité devient-elle exigible ? Peut-on en obtenir une partie par provision, avant la liquidation définitive du sinistre ? Quelles sont les conséquences d’un retard de paiement, en termes d’intérêts moratoires ou de dommages-intérêts ? Enfin, quels événements peuvent retarder ou empêcher le règlement ?

C’est autour de ces interrogations que s’organise l’analyse de l’exécution de la prestation d’assurance.

Nous nous focaliserons ici sur le paiement par provision.

Le temps de l’expertise ou des discussions sur la garantie ne doit pas condamner l’assuré ou la victime à l’attente. Pour éviter qu’un différé de règlement ne les prive des ressources indispensables, le droit a organisé un mécanisme d’anticipation : la provision. Elle permet le versement partiel d’une indemnité, lorsque le principe de l’obligation de l’assureur ne prête pas sérieusement à discussion.

1. Les conditions d’octroi de la provision

La possibilité d’obtenir une provision repose sur l’article 835, alinéa 2 du Code de procédure civile (ancien art. 809, al. 2), qui autorise le juge des référés à accorder une somme à valoir « lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ».

Le juge de la mise en état dispose d’une compétence parallèle (ancien art. 771, al. 2 CPC). La jurisprudence a toujours rappelé que cette notion est centrale : si le litige soulève une réelle difficulté, la provision doit être refusée. Ainsi, la Cour de cassation a jugé que la question d’une suspension de garantie en cas de vente de véhicule constituait une contestation sérieuse, excluant toute provision (Cass. 1re civ., 13 nov. 2002, n° 00-11.722). À l’inverse, elle a considéré que le refus de garantie fondé sur une exclusion figurant dans un document séparé et non signé ne pouvait être retenu comme contestation sérieuse (Cass. 1re civ., 15 juin 1982).

2. Régimes spéciaux

En matière d’assurance de choses, la provision est particulièrement utile lorsque le dommage est certain mais que le montant n’est pas encore arrêté. Le législateur a d’ailleurs renforcé cette exigence en assurance incendie : si l’expertise n’est pas achevée dans les trois mois de la déclaration des pertes, l’assuré peut faire courir les intérêts par simple sommation, et passé six mois, il est libre de saisir le juge (C. assur., art. L.122-2). La Cour de cassation a précisé que l’assureur est tenu de se prêter loyalement aux opérations d’expertise, et qu’à défaut, le juge peut ordonner lui-même les mesures nécessaires (Cass. 1re civ., 10 mai 1984, n° 83-10.259). Le caractère d’ordre public de ce régime interdit toute clause dérogatoire (Cass. civ., 24 oct. 1951).

L’assurance dommages-ouvrage va plus loin encore. L’assureur doit notifier sa position sur la garantie dans les soixante jours suivant la déclaration, puis présenter une offre dans les quatre-vingt-dix jours, laquelle peut être provisionnelle (C. assur., art. L.242-1). Le paiement doit intervenir dans les quinze jours de l’acceptation. S’il manque à ces délais, l’assuré peut engager les travaux et l’indemnité est majorée de plein droit d’intérêts au double du taux légal. La Cour de cassation a jugé que ce régime spécial est exclusif et limitatif : un assuré ne peut obtenir une réparation complémentaire, par exemple au titre d’une perte de loyers, en dehors du mécanisme prévu par la loi (Cass. 3e civ., 7 mars 2007, n° 05-20.485).

En responsabilité civile, la provision peut profiter non seulement à l’assuré mais aussi à la victime, grâce à l’action directe prévue à l’article L.124-3 du Code des assurances. La jurisprudence a admis que le juge des référés condamne l’assureur du responsable à verser une provision à la victime, sans que l’assuré ne soit nécessairement mis en cause, lorsque la responsabilité n’est pas sérieusement contestée (Cass. com., 30 janv. 1990, n°88-12.447). Déjà, un arrêt ancien avait reconnu que l’assuré pouvait être écarté si l’assureur reconnaissait la responsabilité ou si une condamnation était intervenue (Cass. civ., 13 déc. 1938).

Il appartient toutefois au juge des référés d’apprécier le sérieux des moyens d’exonération soulevés par l’assureur ; leur invocation peut suffire à bloquer l’allocation d’une provision (Cass. 2e civ., 4 juin 2015, n° 14-13.405). Lorsque la responsabilité dépend de la juridiction administrative, le juge judiciaire doit surseoir tant que celle-ci ne s’est pas prononcée, sauf reconnaissance expresse par l’assureur (Cass. 1re civ., 7 mars 1995, n° 92-21.988).

En assurance automobile, la loi a institué un véritable système de provision légale au profit des victimes de dommages corporels. L’assureur est tenu de présenter une offre dans les huit mois de l’accident, laquelle peut être provisionnelle si l’état de la victime n’est pas consolidé (C. assur., art. L.211-9). En cas de manquement, la sanction est automatique : l’indemnité allouée produit intérêts de plein droit au double du taux légal (C. assur., art. L.211-13 ; Cass. 2e civ., 20 avr. 2000, n° 98-11.540).

3. Effets procéduraux

La demande de provision produit des effets procéduraux importants. Elle interrompt la prescription biennale applicable aux actions dérivant du contrat d’assurance (C. civ., art. 2241). Si la décision de référé est ensuite infirmée au fond, l’assureur peut réclamer restitution des sommes versées. Mais les intérêts attachés à cette restitution ne courent qu’à compter de la notification de la décision ouvrant droit au remboursement, et non rétroactivement.

Quitter la version mobile