La survenance d’un sinistre ne suffit pas, à elle seule, à mettre en jeu la garantie de l’assureur. Encore faut-il que celui-ci en soit informé. C’est l’objet de la déclaration de sinistre, prévue par l’article L. 113-2, 4° du Code des assurances, qui impose à l’assuré d’aviser son assureur « dès qu’il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat ».
Cette obligation poursuit une finalité simple mais essentielle : permettre à l’assureur d’intervenir rapidement, d’évaluer la réalité et l’ampleur du dommage, de prendre les mesures de sauvegarde nécessaires et, le cas échéant, d’organiser sa défense face aux réclamations de tiers. La déclaration du sinistre est ainsi le point de départ effectif du processus d’indemnisation.
Elle n’est pas un formalisme secondaire : elle traduit l’idée que le contrat d’assurance repose sur la coopération et la loyauté des parties. L’assuré doit informer, l’assureur doit instruire et régler. Sans déclaration, la garantie reste inerte.
Nous nous focaliserons ici sur les sanctions de la déclaration de sinistre.
Cette dernière permet donc à l’assureur d’instruire correctement le dossier, de vérifier les circonstances et d’exercer ses recours contre les tiers responsables. Lorsqu’elle est irrégulière — parce qu’elle est faite en retard, incomplète ou inexacte — elle met en danger ce fonctionnement : l’instruction est retardée, les preuves peuvent disparaître et les recours devenir impossibles.
Pour cette raison, le droit a prévu des sanctions. Mais celles-ci ne sont pas automatiques : depuis la loi du 31 décembre 1989, l’assureur ne peut opposer une sanction que si le contrat le prévoit, que si la clause est rédigée dans les formes imposées par le Code des assurances, et surtout si l’irrégularité lui a causé un véritable préjudice. Certaines irrégularités mineures ne peuvent d’ailleurs donner lieu qu’à une indemnité proportionnelle, et non à une perte totale de la garantie.
L’étude de ce régime montre donc un équilibre : protéger l’efficacité de la gestion des sinistres, sans faire peser sur l’assuré des sanctions excessives ou automatiques.
A. Sanction de la déclaration irrégulière
La déclaration irrégulière du sinistre — qu’elle soit tardive, lacunaire ou inexacte — perturbe la bonne administration du risque : elle retarde l’instruction, altère la conservation des preuves, compromet les recours (notamment la subrogation : C. assur., art. L. 121-12) et ouvre la voie aux fraudes. Le droit positif la sanctionne donc pour protéger l’efficacité de la gestion des sinistres, mais sans rompre l’équilibre contractuel : la sanction n’est pas une peine, elle préserve un intérêt légitime de l’assureur et encourage la coopération loyale de l’assuré.
Depuis la loi du 31 décembre 1989 (entrée en vigueur le 1er mai 1990), la sanction n’est plus automatique : l’irrégularité n’emporte sanction que si le contrat l’a prévue et si l’assureur justifie d’un préjudice, la force majeure faisant écran (C. assur., art. L. 113-2, 4°). Le formalisme protège l’assuré (caractères très apparents : art. L. 112-4) et toutes les irrégularités ne se valent pas : le simple retard dans des démarches aux autorités ou dans la production de pièces n’ouvre droit qu’à une indemnité proportionnée, non à une sanction radicale (art. L. 113-11, 1° et 2°).
1. La déchéance des garanties
1.1. Principe de la déchéance
Après un sinistre, l’irrégularité la plus fréquente est la déclaration tardive. Sa sanction de principe est la déchéance de garantie : l’assuré perd son droit à indemnité parce qu’il n’a pas déclaré le sinistre dans le délai convenu ou n’a pas fourni des informations exactes et utiles à l’instruction. La doctrine décrit cette déchéance comme la perte d’un droit né du sinistre en raison d’un défaut de diligence ou de loyauté.
Avant la loi du 31 décembre 1989 (applicable au 1er mai 1990), la déclaration tardive, dès qu’elle était prévue par la police, emportait automatiquement la déchéance (anc. art. L. 113-2). Depuis cette réforme, la déchéance pour retard n’est opposable que si le contrat la stipule et si l’assureur prouve un préjudice causé par le retard ; elle est écartée en cas de force majeure (C. assur., L. 113-2, 4°). Ce régime n’est pas rétroactif : il ne s’applique pas aux sinistres antérieurs au 1er mai 1990 (Cass. 1re civ., 10 déc. 1996, n° 94-19.764).
La logique est simple : une déclaration tardive peut désorganiser l’instruction, affaiblir la preuve et faire perdre des recours, notamment la subrogation contre les tiers responsables (C. assur., L. 121-12). À l’inverse, lorsque plusieurs réclamations se rattachent à un même fait dommageable, la réglementation globalise le sinistre : considéré comme unique, il ne peut y avoir de « seconde » tardiveté (C. assur., A. 112, annexe II, 4°).
Deux conséquences immédiates découlent de ce principe. D’une part, la déchéance est une sanction conventionnelle : sans clause, elle est inopposable (Cass. 2e civ., 6 févr. 2014, n°13-11.767) ; la clause doit, en outre, respecter le délai légal minimal de cinq jours ouvrés (Cass. 2e civ., 21 janv. 2021, n° 19-13.347) et figurer en caractères très apparents (C. assur., L. 112-4). D’autre part, en assurance de responsabilité, la déchéance reste interne au couple assureur/assuré : elle est inopposable à la victime, titulaire d’un droit propre (C. assur., R. 124-1).
1.2. Conditions de la déchéances
i. Conditions de forme
La déchéance pour déclaration tardive n’est opposable que si un formalisme protecteur est respecté.
D’abord, elle doit être expressément stipulée : pas de clause, pas de déchéance. La Cour de cassation censure ainsi l’arrêt d’appel qui prononce la déchéance en se bornant à constater un préjudice sans vérifier l’existence d’une clause applicable (Cass. 2e civ., 6 févr. 2014, n° 13-11.767).
À l’inverse, si la police ne prévoit qu’une indemnisation par dommages-intérêts en cas de manquement, la déchéance est exclue (Cass. 1re civ., 3 nov. 1982, n° 81-15.552). Quant au support, la règle de principe veut que la clause figure dans la police elle-même : une clause cantonnée à un document annexe (statuts, règlement) non intégré est invalide (Cass. 1re civ., 30 oct. 1967). La jurisprudence admet toutefois que la clause soit contenue dans d’autres documents remis à l’assuré avant le sinistre, pourvu qu’ils fassent corps avec le contrat (Cass. 2e civ., 11 juin 2009, n° 08-18.778). Encore faut-il que les conditions générales comportant la clause aient été signées : à défaut, la déchéance n’est pas opposable, même en présence d’une mauvaise foi alléguée (Cass. 2e civ., 15 sept. 2022, n° 21-12.278).
Ensuite, la clause doit attirer spécialement l’attention du souscripteur : l’article L. 112-4 exige des caractères très apparents. La Cour de cassation l’a rappelé de longue date (Cass. civ., 14 mai 1946) et de manière constante (Cass. 2e civ., 27 mars 2014, n° 13-15.835). Concrètement, une simple couleur qui n’isole pas typographiquement la clause est insuffisante : la mention doit « sauter aux yeux ». À ce formalisme s’ajoute une exigence de connaissance préalable : une clause portée à la connaissance postérieurement au sinistre est inopposable (Cass. 1re civ., 21 juin 1989).
Le contenu de la stipulation doit, en outre, être conforme aux exigences légales. D’une part, la police ne peut imposer un délai de déclaration inférieur au plancher légal de cinq jours ouvrés (Cass. 2e civ., 21 janv. 2021, n° 19-13.347). D’autre part, la clause doit respecter l’économie de l’article L. 113-2, 4° : elle est inopérante si elle méconnaît la condition de connaissance et de déclenchement du délai (par ex. exigence d’une déclaration « dans les 24 mois » indépendamment de la connaissance des conséquences dommageables : Cass. 2e civ., 7 nov. 2024, n° 23-10.992). Enfin, il ne suffit pas d’exiger une déclaration dans un certain délai : la police doit préciser la sanction du non-respect ; à défaut, la déchéance ne peut être retenue (Cass. 1re civ., 9 mai 1994, n° 92-12.990).
Certaines situations sont hors champ de la déchéance par interdiction légale : l’article L. 113-11, 2° écarte toute déchéance en cas de simple retard dans la déclaration aux autorités (vol, sanitaire, etc.) ou dans la production de pièces ; seule est permise une indemnité proportionnée au préjudice de l’assureur. La Cour de cassation casse ainsi les décisions qui transforment un retard de transmission de pièces en exclusion de garantie (Cass. 1re civ., 20 mars 1984, n° 82-16.653).
Reste le cas de la déclaration frauduleuse. Historiquement, la Cour de cassation avait admis un allègement des exigences de forme (déchéance possible sans mention expresse) en présence d’une fraude caractérisée (Cass. civ., 23 déc. 1936). La ligne contemporaine en resserre toutefois l’usage : l’assureur doit prouver strictement la mauvaise foi ; l’inexactitude, à elle seule, ne suffit pas (Cass. 2e civ., 16 sept. 2021, n° 19-25.278). Cet encadrement probatoire ne dispense pas, pour le reste, du respect du formalisme lorsque l’assureur entend se prévaloir d’une déchéance fondée sur la tardiveté.
ii. Conditions de fond
Une fois la clause de déchéance valable et opposable, la sanction ne peut être appliquée que si l’assureur prouve le manquement invoqué et, s’agissant d’un retard de déclaration, un préjudice causé par ce retard ; la force majeure écarte la sanction, tandis que la fraude post-sinistre obéit à un régime distinct.
==>La preuve de la tardiveté de la déclaration
La déchéance pour déclaration irrégulière ne peut être envisagée qu’à une condition première : qu’il y ait déclaration tardive. Est tardive la déclaration faite au-delà du délai contractuel (souvent cinq jours ouvrés) qui court à compter du moment où l’assuré a connaissance d’un événement susceptible de mobiliser la garantie. L’absence totale d’avis dans ce délai équivaut à un retard. À ne pas confondre, toutefois, avec les obligations distinctes de déclaration aux autorités ou de production de pièces : leur simple retard ne peut, en principe, fonder une déchéance (C. assur., art. L. 113-11, 2°).
Une fois ce cadre posé, la preuve se joue en deux temps :
- Premier temps (assuré) – Il appartient à l’assuré de prouver qu’il a déclaré le sinistre et à quelle date : accusé de réception, courriel horodaté, mention d’un appel consigné, transmission d’une assignation, etc. Cette chronologie factuelle est déterminante, car elle fixe le point de comparaison avec le délai contractuel (v. Cass. 1re civ., 27 avr. 1994, n° 92-10.484). La déclaration peut, le cas échéant, émaner d’un mandataire (par ex. gestionnaire, agent immobilier) ; ses actes ou carences pèseront alors dans l’administration de la preuve.
- Second temps (assureur) – À l’assureur, ensuite, de démontrer la tardiveté, c’est-à-dire que la déclaration est intervenue au-delà du délai prévu par la clause qu’il invoque, et d’établir les termes et le déclenchement de cette clause (point de départ lié à la connaissance du sinistre). Concrètement, il doit rapporter le double ancrage de la sanction : le fait générateur (le dépassement du délai) et son fondement contractuel (clause applicable et régulière). À défaut – si, par exemple, la clause méconnaît l’art. L. 113-2, 4° en fixant un délai détaché de la connaissance, ou si elle est inopposable – la déchéance ne peut prospérer.
En somme, la tardiveté n’est ni présumée ni proclamée : l’assuré fixe la date, l’assureur prouve le dépassement au regard d’une clause valable. Ce n’est qu’une fois ce retard caractérisé que peuvent être discutés, au fond, le préjudice de l’assureur (en matière de retard) et les éventuelles causes d’inefficacité (force majeure, champs légalement exclus).
==>La preuve du préjudice de l’assureur
Depuis la loi du 31 décembre 1989, la déchéance fondée sur la tardiveté n’est opposable que si l’assureur prouve un préjudice causé par ce retard (C. assur., art. L. 113-2, 4°). À défaut, la déchéance échoue, quelle que soit l’ampleur du dépassement de délai (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-21.869). La logique est simple : seul un retard dommageable peut priver l’assuré de sa garantie ; un retard inoffensif n’appelle pas une peine privée.
Concrètement, le préjudice exigé n’est ni théorique ni présumé. Il doit ressortir d’un lien de causalité entre la tardiveté et une atteinte objective aux intérêts de l’assureur : impossibilité de diriger utilement la procédure (contester le principe ou le quantum), de préserver des preuves, d’engager des mesures d’enquête ou de sauvegarder un recours (subrogatoire, contractuel, délictuel). La jurisprudence l’admet, par exemple, quand le retard a empêché l’assureur d’orienter la défense « au mieux de ses intérêts » (CA Paris, 22 mai 2001) ; elle l’écarte lorsque rien n’a été entravé – ainsi, lorsque l’expertise et l’instance ont laissé tout loisir d’intervention (Cass. 2e civ., 22 nov. 2012). L’appréciation appartient aux juges du fond, qui statuent souverainement.
En pratique, la démonstration efficace suit un triptyque probatoire:
- Préciser quelles mesures l’assureur aurait prises en temps utile (constatations/expertise contradictoire, réserves et actes de procédure, mise en demeure, action/subrogation) ;
- Établir qu’en raison du retard ces mesures n’étaient plus possibles (prescription d’un recours, altération/dispersion des preuves, cristallisation procédurale) ;
- Montrer que leur accomplissement aurait eu une incidence sur la prise en charge (principe de garantie, montant de l’indemnité, chances de recours).
Deux précisions utiles :
- Le préjudice est une condition propre à la déchéance pour tardiveté ; elle ne s’applique pas aux hypothèses de fraude post-sinistre (surévaluation mensongère), où l’assureur doit, en revanche, prouver la mauvaise foi ;
- Si la déchéance tombe faute de préjudice, l’assureur peut encore, le cas échéant, solliciter des dommages-intérêts sur le terrain de la responsabilité contractuelle (C. civ., art. 1231-1), à condition de caractériser un dommage distinct et son lien avec le retard.
==>Force majeure et cas fortuit
Le régime est clair : la déchéance pour déclaration tardive ne peut être opposée lorsque le retard est dû à un cas fortuit ou de force majeure (C. assur., art. L. 113-2, 4°). Autrement dit, si un événement extérieur à la volonté de l’assuré, imprévisible lors de la souscription et irrésistible dans ses effets, l’a objectivement empêché d’aviser l’assureur dans le délai (hospitalisation lourde, catastrophe paralysant les communications, etc.), la sanction tombe.
Deux conséquences pratiques en découlent :
- Charge de la preuve : c’est à l’assuré qui invoque le fortuit/force majeure d’en établir la réalité (nature de l’événement, période d’empêchement, lien causal avec l’impossibilité de déclarer).
- Effet sur le délai : l’empêchement suspend en pratique l’exigence de déclaration ; dès qu’il cesse, l’assuré doit déclarer sans délai. À défaut, la tardiveté redevient appréciable.
À l’inverse, les difficultés ordinaires d’organisation (absence du gestionnaire, indisponibilité ponctuelle, négligence) ne caractérisent pas la force majeure : elles relèvent de la sphère de maîtrise de l’assuré et n’exonèrent pas de la clause de déchéance lorsque, par ailleurs, ses conditions sont réunies.
==>Cas particulier de la fraude
Lorsque l’irrégularité ne tient plus au retard mais à une manœuvre frauduleuse après sinistre (surévaluation volontaire des pertes, falsification de justificatifs, dissimulation consciente d’éléments aggravant la charge de l’assureur), la déchéance obéit à un schéma distinct : aucun préjudice n’a à être démontré, mais l’assureur doit établir la mauvaise foi de l’assuré. Autrement dit, la simple inexactitude, l’erreur d’estimation ou une approximation de bonne foi ne suffisent pas ; il faut une intention de tromper (Cass. 1re civ., 28 nov. 2001, n° 00-15.444).
Par ailleur, il appartient à l’assureur de rapporter la preuve d’indices graves, précis et concordants caractérisant l’intention frauduleuse : factures ou devis falsifiés, incohérences répétées entre déclarations et constatations d’expertise, reconstitution matériellement impossible des circonstances, etc. La jurisprudence rejette les déchéances fondées sur de simples divergences chiffrées ou sur une déclaration inexacte mais plausible (Cass. 2e civ., 16 sept. 2021, n° 19-25.278).
En cas de fraude avérée, la déchéance peut frapper l’ensemble du droit à garantie relatif au sinistre (et pas seulement la fraction indûment majorée) : c’est la logique traditionnelle de la « peine privée » attachée à la déloyauté post-sinistre (Cass. 1re civ., 28 nov. 2001, n° 00-15.444).
En cas de fausse déclaration post-sinistre, la Cour de cassation écarte tout examen de proportionnalité : dès lors qu’une clause prévoit la déchéance pour fausse déclaration et que la mauvaise foi de l’assuré est établie, la sanction s’applique sans qu’il y ait lieu de “moduler” au regard d’un juste équilibre. La déchéance découle de la convention (Cass. 2e civ., 15 déc. 2022, n° 20-22.836).
Un arrêt ancien (Civ., 23 déc. 1936) admettait, en présence d’une fraude, un allègement des exigences de forme. L’approche actuelle est plus stricte : le juge vérifie d’abord l’existence et l’opposabilité de la clause de déchéance, puis il exige une preuve rigoureuse de la mauvaise foi – la simple inexactitude ne suffisant pas (Cass. 2e civ., 3 nov. 2011, n° 10-30.876). Aucun préjudice n’a à être démontré dans l’hypothèse de fraude, à la différence de la tardiveté visée par l’article L. 113-2, 4°.
==>Incidence de l’irrégularité de la clause sur les conditions de fond
La déchéance pour déclaration tardive ne peut jouer que si la clause elle-même est conforme au texte légal qui gouverne le point de départ et la logique du délai. Concrètement, la clause doit rattacher le délai déclaratif à la connaissance, par l’assuré, des conséquences dommageables de nature à mobiliser la garantie. Une stipulation qui déclenche un délai abstrait, sans lien avec cette connaissance (par exemple : « toute déclaration doit intervenir dans les 24 mois » quelles que soient les circonstances), est inopposable : elle méconnaît la mécanique de l’article L. 113-2, 4° (Cass. 2e civ., 7 nov. 2024, n° 23-10.992).
Surtout, le préjudice ne “répare” pas l’irrégularité de la clause : même si l’assureur établit un dommage causé par la tardiveté, l’absence de stipulation valable interdit de prononcer la déchéance. Le préjudice prouvé et l’existence d’une clause régulière sont deux conditions cumulatives, non interchangeables (Cass. 2e civ., 4 juill. 2019, n° 18-18.444).
==>Déclarations aux autorités et production de pièces
Le législateur a fermé la porte à toute déchéance fondée sur de simples retards qui ne concernent pas la déclaration à l’assureur mais :
- La déclaration du sinistre à des autorités (plainte en cas de vol, notification sanitaire, etc.) ;
- La transmission de pièces à l’assureur (assignation reçue, justificatifs, factures…).
Dans ces hypothèses, l’article L. 113-11, 2° prévoit exclusivement une indemnité proportionnée au dommage prouvé par l’assureur. Toute clause transformant ce retard en perte de garantie est nulle, et la Cour de cassation casse les décisions qui assimilent ces manquements à une déchéance (Cass. 1re civ., 20 mars 1984, n° 82-16.653).
1.3. Effets de la déchéance
a. Dans les rapports entre les parties
La déchéance n’emporte pas disparition du contrat : elle prive l’assuré de la garantie pour le seul sinistre concerné, sans remettre en cause les indemnités versées antérieurement ni la couverture des sinistres à venir, sous réserve de la faculté de résiliation après sinistre selon le droit commun. En d’autres termes, l’effet est circonscrit à l’événement déclaré, non à la relation d’assurance.
Le régime probatoire reflète cette logique. À l’assuré, d’abord, de démontrer qu’il entrait dans la garantie et qu’il a effectué une déclaration (art. 1353, al. 1 C. civ.). À l’assureur, ensuite, qui se prétend libéré, de prouver l’existence et la teneur de la clause de déchéance, la tardiveté au regard du délai stipulé, et – en matière de retard – le préjudice exigé par l’article L. 113-2, 4° (art. 1353, al. 2 C. civ.). À défaut de préjudice caractérisé, la sanction ne peut prospérer (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997).
Plusieurs garde-fous tempèrent encore la rigueur du mécanisme. La force majeure ou le cas fortuit neutralisent la déchéance lorsque l’assuré a été objectivement empêché d’agir (L. 113-2, 4°). La renonciation de l’assureur, pourvu qu’elle soit non équivoque et faite en connaissance de cause – par exemple au travers d’actes incompatibles avec la volonté de déchoir (désignation d’un expert, conduite de la défense, offres fermes) – fait échec à la sanction ; en responsabilité civile, la prise de direction du procès fait naître une présomption de renonciation aux exceptions déjà connues (L. 113-17, al. 1 ; v. Cass. 1re civ., 27 févr. 1990). Enfin, en droit local d’Alsace-Moselle, la déchéance pour manquement post-sinistre n’est recevable qu’en cas de faute lourde ou d’inexécution intentionnelle (L. 191-5).
b. Dans les rapports avec les tiers
Le principe est celui d’une opposabilité limitée aux bénéficiaires du contrat, mais d’une inopposabilité aux titulaires d’un droit propre.
D’un côté, la déchéance est opposable au bénéficiaire d’une assurance de personnes ou d’une assurance pour compte, par le jeu des exceptions (L. 112-1, al. 2 et L. 112-6) : les décisions l’ont confirmé tant pour l’assurance-vie que pour les assurances de choses souscrites « pour compte » (Cass. 1re civ., 2 nov. 1966). Nuance importante : en assurance collective, la clause de déchéance non portée à la connaissance de l’adhérent est inopposable (Cass. 2e civ., 5 mars 2020).
De l’autre côté, la déchéance est inopposable aux victimes en responsabilité civile : leur action directe repose sur un droit propre que les manquements postérieurs de l’assuré ne sauraient entamer (construction jurisprudentielle ancienne, consacrée par R. 124-1 ; v. Cass. 1re civ., 2 avr. 1974). Il en va de même, en assurances de choses, des créanciers hypothécaires ou privilégiés qui disposent d’une action directe sur l’indemnité : la déchéance encourue par l’assuré ne leur est pas opposable. En pratique, l’assureur indemnise le tiers protégé, puis exerce son recours contre l’assuré déchu – au besoin à ses risques si l’assuré est insolvable.
Ainsi pensée, la déchéance éteint la garantie pour un sinistre déterminé dans la relation interne, tout en préservant la créance des tiers protégés ; elle opère donc comme un instrument de discipline contractuelle entre parties, mais cède devant les droits autonomes que le droit des assurances reconnaît aux victimes et aux créanciers sur l’indemnité.
2. Les mesures complémentaires
==>Mesures de sauvetage
Dès qu’un sinistre survient, deux impératifs se télescopent : endiguer l’événement (pour éviter qu’il ne s’aggrave) et instruire correctement le dossier (pour préserver les preuves et les recours). C’est dans ce contexte qu’apparaissent les mesures de sauvetage : sécuriser les lieux, alerter les secours, poser des protections provisoires, pomper, confiner, décontaminer… Elles prolongent la bonne foi et le devoir de collaboration dans l’exécution du contrat : l’assuré n’est pas seulement créancier d’une indemnité, il est aussi acteur de la maîtrise du sinistre. L’enjeu est double : limiter le coût final et éviter la perte de preuves ou de recours subrogatoires.
Il peut être observé que les mesures de sauvegarde ne doivent pas être confondues avec les mesures préventives (avant sinistre). Les prescriptions avant sinistre (alarme, entretien, règles de sécurité) relèvent d’un tout autre registre : selon la police, leur inobservation joue comme condition de garantie ou exclusion, et peut justifier un refus d’indemnisation si les conditions légales sont réunies (Cass. 2e civ., 9 juill. 2009). Elles ne doivent pas être mêlées aux mesures de sauvetage, qui interviennent après la survenance et, sauf texte ou clause, ne sont pas imposées par la loi.
==>Fondements
Contrairement à d’autres droits qui imposent un devoir général de « minimisation du dommage », le droit français ne connaît pas d’obligation générale de réduire le dommage sans texte spécial ou clause (Cass. 1re civ., 7 nov. 2000). Deux régimes particuliers nuancent toutefois ce principe :
- Assurance incendie (art. L. 122-3 C. assur.)
- Le législateur assimile aux dommages matériels directs ceux causés par les secours et par les mesures de sauvetage.
- Cela signifie que les dégradations provoquées par l’extinction et la sécurisation (portes fracturées, eaux d’extinction, etc.) sont couvertes comme le sinistre lui-même.
- En revanche, les frais de sauvetage en tant que tels (prestations, prestations d’urgence, entreprises mandatées) ne sont pas automatiquement remboursés: ils ne le sont que si le contrat les vise ou si un fondement subsidiaire peut être mobilisé (Cass. 1re civ., 30 mai 1995).
- La jurisprudence se montre toutefois favorable aux démarches utiles : ont ainsi été tenus pour indemnisables, au titre des suites de l’incendie, des frais de décontamination justifiés par l’événement (CA Versailles, 29 avr. 2001).
- À l’inverse, pas de remboursement sans sinistre garanti : en cas de danger non réalisé (ex. fuite de gaz sans explosion), l’assureur n’est pas tenu.
- Enfin, demeure un contrôle de proportion : des mesures manifestement excessives peuvent voir leur prise en charge réduite.
- Assurance maritime (art. L. 172-23 C. assur.)
- Le régime est plus exigeant : l’assuré doit contribuer au sauvetage et prendre toutes mesures conservatoires de ses droits contre les tiers ; il répond envers l’assureur du dommage causé par sa faute ou sa négligence.
- Mais la charge de la preuve pèse sur l’assureur : c’est à lui d’établir le manque de soins raisonnables imputable à l’assuré (Cass. com., 10 mars 2009 ; v. aussi L. 172-13 et Com., 3 nov. 2010).
Hors ces textes, le fondement des mesures de sauvetage est contractuel : beaucoup de polices imposent d’« agir immédiatement » pour limiter le sinistre et organisent la prise en charge (ou non) des dépenses engagées. À défaut de stipulation, l’assuré ne peut revendiquer le remboursement de ces frais que par des voies subsidiaires (gestion d’affaires, enrichissement injustifié).
==>Régime
Les mesures de sauvetage (sécuriser les lieux, alerter, poser des protections, pomper, décontaminer…) et la déclaration du sinistre servent le même objectif : permettre une gestion efficace et préserver les droits (et recours) de l’assureur. Mais leur sanction n’obéit pas au même régime.
- Déclaration tardive : la loi retient une sanction spécifique, la déchéance, opposable que si elle est stipulée et si l’assureur prouve un préjudice (C. assur., L. 113-2, 4°).
- Sauvetage : il n’existe pas de déchéance légale automatique ; toute sanction ne peut résulter que du contrat et doit respecter les garde-fous du Code.
En pratique, les polices imposent d’« agir immédiatement » pour éviter l’aggravation du sinistre et organisent la prise en charge (ou non) des frais engagés. À défaut de clause prévoyant expressément le remboursement de ces frais, ils n’entrent pas, par principe, dans la garantie d’assurance ; l’assuré ne peut alors invoquer que des fondements de droit commun (Cass. 1re civ., 30 mai 1995). Lorsque la police prévoit une sanction (par exemple l’exclusion du remboursement de certains frais si les diligences utiles n’ont pas été accomplies), cette clause doit, comme toute clause privative de droits, être mise en évidence pour être opposable (L. 112-4).
Par ailleurs, le contrat ne peut transformer un simple retard documentaire en perte de garantie : sont nulles les clauses frappant de déchéance le retard dans les déclarations aux autorités ou dans la production de pièces ; seule peut être réclamée, le cas échéant, une indemnité proportionnée au préjudice subi par l’assureur (C. assur., L. 113-11, 2° ; v. Cass. 2e civ., 30 juin 2004). Autrement dit, pour le sauvetage, le levier habituel n’est pas la déchéance de la garantie, mais la gestion contractuelle des frais (prise en charge, exclusions ciblées, réductions), sous réserve des protections posées par le Code.
B. Sanction de la déclaration frauduleuse
La déclaration de sinistre est d’abord un exercice de vérité : l’assuré doit exposer fidèlement les faits et transmettre les pièces utiles, car l’assureur instruit le dossier sur la seule base de ces éléments. Dès qu’apparaît une altération volontaire de la réalité — sinistre fictif, circonstances arrangées, surévaluation délibérée — on n’est plus dans l’approximation ou le simple retard, mais dans la fraude.
Cette qualification emporte des réponses plus fermes. Au civil, la déchéance ne peut jouer qu’en vertu d’une clause valable et opposable et suppose la preuve de la mauvaise foi ; si l’assuré a provoqué le dommage, la garantie est exclue pour faute intentionnelle. Au pénal, les mêmes faits sont susceptibles de constituer des manœuvres frauduleuses (escroquerie) ou des faux. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’examen des sanctions de la déclaration frauduleuse.
1. La réponse civile : déchéance (par clause) et défaut de garantie
==>Principe
La déchéance pour déclaration frauduleuse n’opère jamais de plein droit : c’est une sanction contractuelle. Elle ne peut jouer que si la police contient une clause de déchéance, présentée en caractères très apparents (C. assur., art. L. 112-4), et si l’assureur prouve la mauvaise foi de l’assuré. La Cour de cassation est constante : une simple inexactitude, un oubli ou une approximation ne suffisent pas ; il faut une intention de tromper (Cass. 2e civ., 5 juill. 2018, n° 17-20.491). À l’inverse, lorsque l’assuré provoque lui-même le dommage, on quitte le terrain de la déchéance post-sinistre : la garantie est exclue pour faute intentionnelle (C. assur., art. L. 113-1).
==>Preuve
La mise en œuvre suit un enchaînement simple. D’abord, l’assureur doit produire la clause et établir la fraude : altération volontaire des faits, mise en scène, surévaluation sciemment exagérée, etc. Ensuite, une fois la mauvaise foi caractérisée, la déchéance n’est pas subordonnée à la preuve d’un préjudice de l’assureur : cette exigence ne vaut que pour la tardiveté visée par l’article L. 113-2, 4° (v. Cass. 1re civ., 28 nov. 2001).
==>Absence de contrôle de proportionnalité
La Cour de cassation fixe nettement la règle : la déchéance de garantie pour fausse déclaration post-sinistre, dès lors qu’elle est librement stipulée en caractères très apparents et subordonnée à la preuve de la mauvaise foi de l’assuré, « ne saurait constituer une sanction disproportionnée » (Cass. 2e civ., 15 déc. 2022, n°20-22.836). Il n’y a donc pas lieu de conduire un contrôle de proportionnalité. En pratique : à partir du moment où l’assureur prouve la mauvaise foi, le juge n’a pas à “moduler” l’effet de la clause ; l’assureur peut s’en prévaloir. Dans l’affaire jugée, la Cour d’appel avait constaté la mauvaise foi de l’assurée et appliqué la déchéance ; la Cour de cassation approuve cette démarche, relevant qu’à bon droit la cour d’appel n’a pas examiné la proportionnalité et a rejeté le pourvoi fondé sur l’art. 1er du Protocole n° 1 CEDH.
==>Sanctions civiles complémentaires
Indépendamment — ou à défaut — de la déchéance, la fraude peut justifier la résiliation pour manquement à la bonne foi (C. civ., art. 1104 ; TGI Lyon, 11 mai 1984) et la restitution de toute somme indûment versée (responsabilité contractuelle / répétition de l’indu). L’éventuelle inscription d’incidents dans des fichiers professionnels (AGIRA) relève, pour sa part, du régime des données à caractère personnel sous le contrôle de la CNIL.
2. La réponse pénale : faux et (tentative d’)escroquerie
La réponse à une fraude commise à l’occasion d’un sinistre n’appelle pas seulement une réponse civile et plus particulièrement une sanction contractuelle, elle est également susceptible de tomber sous le coup de la loi pénale. Deux qualifications dominent. L’escroquerie (C. pén., art. 313-1) vise aussi bien la mise en scène ou la provocation délibérée du sinistre (incendie volontaire, sinistre inventé) que la tromperie sur ses circonstances ou son étendue (constat mensonger, fausses factures, surévaluation organisée) dès lors que ces manœuvres tendent à obtenir une indemnité indue. Les infractions de faux (C. pén., art. 441-1, 441-7) répriment, en parallèle ou en concours, l’altération frauduleuse de la vérité dans des écrits ou attestations utilisés pour étayer la demande d’indemnisation.
a. L’escroquerie à l’assurance
L’escroquerie suppose, d’une part, des manœuvres frauduleuses (usage d’un faux nom/qualité, abus d’une qualité vraie, mise en scène ou production de pièces falsifiées) et, d’autre part, la remise par la victime de fonds, d’un bien, d’un service ou la souscription d’un engagement (C. pén., art. 313-1).
Appliquée à l’assurance, l’infraction recouvre les situations classiques : sinistre inventé ou volontairement provoqué, constat ou attestation mensongers, factures truquées, fausse date ou majoration délibérée du dommage. Les juridictions exigent plus qu’un simple mensonge: une activité positive de tromperie (mise en scène, faux documents, déclarations coordonnées) propre à décider l’assureur à ouvrir la garantie.
Il peut être observé que la tentative d’escroquerie est punissable (C. pén., art. 313-3 et 121-5). Elle est retenue de façon pragmatique : déposer un constat amiable mensonger et solliciter l’indemnisation suffit à caractériser un commencement d’exécution, le préjudice de l’assureur résidant a minima dans les diligences engagées (ouverture de dossier, vérifications) (v. Cass. 1re civ., 30 janv. 1995, n° 93-85.513). À l’inverse, pas de tentative si l’assuré n’a accompli aucune démarche auprès de l’assureur : une plainte pour vol sans déclaration à l’assureur demeure au stade des actes préparatoires (Cass. crim., 17 déc. 2008, n°08-82.085).
L’infraction peut être commise par l’assuré seul ou avec des complices (intermédiaire, réparateur, « témoin » complaisant). Les peines de principe sont de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende (C. pén., art. 313-1), sans préjudice des peines complémentaires.
b. Les infractions de faux
Le recours à des documents falsifiés constitue à lui seul un faux et/ou un usage de faux. Est un faux, au sens de l’article 441-1 du code pénal, toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice, dans un écrit ou tout autre support (papier ou numérique). Sont typiquement en cause : devis ou factures fabriqués ou majorés, constats amiables mensongers, certificats de complaisance, rapports techniques retouchés, images ou fichiers modifiés. L’usage est consommé dès la présentation du document à l’assureur, à l’expert ou à l’intermédiaire : nul besoin d’un paiement effectif pour que l’infraction soit constituée.
Un régime spécial vise les attestations et certificats : l’article 441-7 incrimine à la fois leur établissement inexact et leur usage. Les peines encourues sont trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende (art. 441-1) et, pour les attestations/certificats inexacts, un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende (art. 441-7).
En pratique, ces infractions peuvent être poursuivies isolément (quand aucune somme n’a encore été versée) ou cumulées avec l’escroquerie (art. 313-1), les documents falsifiés constituant alors les manœuvres frauduleuses caractérisant l’escroquerie. Autrement dit, le simple dépôt d’un dossier « arrangé » suffit à faire basculer l’affaire sur le terrain pénal.