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Contrat d’assurance : la sanction de la déclaration de sinistre frauduleuse

La déclaration du sinistre est une étape essentielle du contrat d’assurance. Elle permet à l’assureur d’instruire correctement le dossier, de vérifier les circonstances et d’exercer ses recours contre les tiers responsables. Lorsqu’elle est irrégulière — parce qu’elle est faite en retard, incomplète ou inexacte — elle met en danger ce fonctionnement : l’instruction est retardée, les preuves peuvent disparaître et les recours devenir impossibles.

Pour cette raison, le droit a prévu des sanctions. Mais celles-ci ne sont pas automatiques : depuis la loi du 31 décembre 1989, l’assureur ne peut opposer une sanction que si le contrat le prévoit, que si la clause est rédigée dans les formes imposées par le Code des assurances, et surtout si l’irrégularité lui a causé un véritable préjudice. Certaines irrégularités mineures ne peuvent d’ailleurs donner lieu qu’à une indemnité proportionnelle, et non à une perte totale de la garantie.

L’étude de ce régime montre donc un équilibre : protéger l’efficacité de la gestion des sinistres, sans faire peser sur l’assuré des sanctions excessives ou automatiques.

Nous nous focaliserons ici sur la sanction de la déclaration de sinistre frauduleuse.

La déclaration de sinistre est d’abord un exercice de vérité : l’assuré doit exposer fidèlement les faits et transmettre les pièces utiles, car l’assureur instruit le dossier sur la seule base de ces éléments. Dès qu’apparaît une altération volontaire de la réalité — sinistre fictif, circonstances arrangées, surévaluation délibérée — on n’est plus dans l’approximation ou le simple retard, mais dans la fraude.

Cette qualification emporte des réponses plus fermes. Au civil, la déchéance ne peut jouer qu’en vertu d’une clause valable et opposable et suppose la preuve de la mauvaise foi ; si l’assuré a provoqué le dommage, la garantie est exclue pour faute intentionnelle. Au pénal, les mêmes faits sont susceptibles de constituer des manœuvres frauduleuses (escroquerie) ou des faux. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’examen des sanctions de la déclaration frauduleuse.

1. La réponse civile : déchéance (par clause) et défaut de garantie

==>Principe

La déchéance pour déclaration frauduleuse n’opère jamais de plein droit : c’est une sanction contractuelle. Elle ne peut jouer que si la police contient une clause de déchéance, présentée en caractères très apparents (C. assur., art. L. 112-4), et si l’assureur prouve la mauvaise foi de l’assuré. La Cour de cassation est constante : une simple inexactitude, un oubli ou une approximation ne suffisent pas ; il faut une intention de tromper (Cass. 2e civ., 5 juill. 2018, n° 17-20.491). À l’inverse, lorsque l’assuré provoque lui-même le dommage, on quitte le terrain de la déchéance post-sinistre : la garantie est exclue pour faute intentionnelle (C. assur., art. L. 113-1).

==>Preuve

La mise en œuvre suit un enchaînement simple. D’abord, l’assureur doit produire la clause et établir la fraude : altération volontaire des faits, mise en scène, surévaluation sciemment exagérée, etc. Ensuite, une fois la mauvaise foi caractérisée, la déchéance n’est pas subordonnée à la preuve d’un préjudice de l’assureur : cette exigence ne vaut que pour la tardiveté visée par l’article L. 113-2, 4° (v. Cass. 1re civ., 28 nov. 2001).

==>Absence de contrôle de proportionnalité

La Cour de cassation fixe nettement la règle : la déchéance de garantie pour fausse déclaration post-sinistre, dès lors qu’elle est librement stipulée en caractères très apparents et subordonnée à la preuve de la mauvaise foi de l’assuré, « ne saurait constituer une sanction disproportionnée » (Cass. 2e civ., 15 déc. 2022, n°20-22.836). Il n’y a donc pas lieu de conduire un contrôle de proportionnalité. En pratique : à partir du moment où l’assureur prouve la mauvaise foi, le juge n’a pas à “moduler” l’effet de la clause ; l’assureur peut s’en prévaloir. Dans l’affaire jugée, la Cour d’appel avait constaté la mauvaise foi de l’assurée et appliqué la déchéance ; la Cour de cassation approuve cette démarche, relevant qu’à bon droit la cour d’appel n’a pas examiné la proportionnalité et a rejeté le pourvoi fondé sur l’art. 1er du Protocole n° 1 CEDH.

==>Sanctions civiles complémentaires

Indépendamment — ou à défaut — de la déchéance, la fraude peut justifier la résiliation pour manquement à la bonne foi (C. civ., art. 1104 ; TGI Lyon, 11 mai 1984) et la restitution de toute somme indûment versée (responsabilité contractuelle / répétition de l’indu). L’éventuelle inscription d’incidents dans des fichiers professionnels (AGIRA) relève, pour sa part, du régime des données à caractère personnel sous le contrôle de la CNIL.

2. La réponse pénale : faux et (tentative d’)escroquerie

La réponse à une fraude commise à l’occasion d’un sinistre n’appelle pas seulement une réponse civile et plus particulièrement une sanction contractuelle, elle est également susceptible de tomber sous le coup de la loi pénale. Deux qualifications dominent. L’escroquerie (C. pén., art. 313-1) vise aussi bien la mise en scène ou la provocation délibérée du sinistre (incendie volontaire, sinistre inventé) que la tromperie sur ses circonstances ou son étendue (constat mensonger, fausses factures, surévaluation organisée) dès lors que ces manœuvres tendent à obtenir une indemnité indue. Les infractions de faux (C. pén., art. 441-1, 441-7) répriment, en parallèle ou en concours, l’altération frauduleuse de la vérité dans des écrits ou attestations utilisés pour étayer la demande d’indemnisation.

a. L’escroquerie à l’assurance

L’escroquerie suppose, d’une part, des manœuvres frauduleuses (usage d’un faux nom/qualité, abus d’une qualité vraie, mise en scène ou production de pièces falsifiées) et, d’autre part, la remise par la victime de fonds, d’un bien, d’un service ou la souscription d’un engagement (C. pén., art. 313-1).

Appliquée à l’assurance, l’infraction recouvre les situations classiques : sinistre inventé ou volontairement provoqué, constat ou attestation mensongers, factures truquées, fausse date ou majoration délibérée du dommage. Les juridictions exigent plus qu’un simple mensonge: une activité positive de tromperie (mise en scène, faux documents, déclarations coordonnées) propre à décider l’assureur à ouvrir la garantie.

Il peut être observé que la tentative d’escroquerie est punissable (C. pén., art. 313-3 et 121-5). Elle est retenue de façon pragmatique : déposer un constat amiable mensonger et solliciter l’indemnisation suffit à caractériser un commencement d’exécution, le préjudice de l’assureur résidant a minima dans les diligences engagées (ouverture de dossier, vérifications) (v. Cass. 1re civ., 30 janv. 1995, n° 93-85.513). À l’inverse, pas de tentative si l’assuré n’a accompli aucune démarche auprès de l’assureur : une plainte pour vol sans déclaration à l’assureur demeure au stade des actes préparatoires (Cass. crim., 17 déc. 2008, n°08-82.085).

L’infraction peut être commise par l’assuré seul ou avec des complices (intermédiaire, réparateur, « témoin » complaisant). Les peines de principe sont de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende (C. pén., art. 313-1), sans préjudice des peines complémentaires.

b. Les infractions de faux

Le recours à des documents falsifiés constitue à lui seul un faux et/ou un usage de faux. Est un faux, au sens de l’article 441-1 du code pénal, toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice, dans un écrit ou tout autre support (papier ou numérique). Sont typiquement en cause : devis ou factures fabriqués ou majorés, constats amiables mensongers, certificats de complaisance, rapports techniques retouchés, images ou fichiers modifiés. L’usage est consommé dès la présentation du document à l’assureur, à l’expert ou à l’intermédiaire : nul besoin d’un paiement effectif pour que l’infraction soit constituée.

Un régime spécial vise les attestations et certificats : l’article 441-7 incrimine à la fois leur établissement inexact et leur usage. Les peines encourues sont trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende (art. 441-1) et, pour les attestations/certificats inexacts, un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende (art. 441-7).

En pratique, ces infractions peuvent être poursuivies isolément (quand aucune somme n’a encore été versée) ou cumulées avec l’escroquerie (art. 313-1), les documents falsifiés constituant alors les manœuvres frauduleuses caractérisant l’escroquerie. Autrement dit, le simple dépôt d’un dossier « arrangé » suffit à faire basculer l’affaire sur le terrain pénal.

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