Le sinistre constitue le cœur battant du droit des assurances, car il est à la fois l’événement redouté par l’assuré et l’horizon d’attente qui justifie l’existence même du contrat. Son étymologie, issue du latin sinister – ce qui est défavorable – révèle déjà sa nature : il désigne la réalisation d’un aléa envisagé au moment de la souscription mais dont l’occurrence demeure incertaine. Autrement dit, le sinistre n’est pas une simple circonstance de fait ; il est l’événement juridique déclencheur de l’ensemble des mécanismes assurantiels, conditionnant la mise en œuvre de la garantie, les obligations des parties et, in fine, l’indemnisation.
Pourtant, il n’existe pas de définition unitaire du sinistre. Le Code des assurances, fidèle à une approche casuistique, préfère multiplier les définitions particulières selon la branche concernée. En matière de responsabilité civile, l’article L. 124-1-1 le définit comme « tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l’assuré, résultant d’un fait dommageable et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations ». L’assurance de responsabilité médicale (art. L. 251-2 C. assur.) ou la protection juridique (art. L. 127-2-1 C. assur.) en offrent encore d’autres déclinaisons, tandis que la jurisprudence a précisé, par exemple, qu’en matière d’accidents corporels, le sinistre réside dans la survenance de l’état d’incapacité ou d’invalidité, au jour de sa consolidation (Cass. 2e civ., 2 avr. 2009, n° 08-11.685). À côté de ces définitions légales, le juge et, plus souvent encore, le contrat d’assurance, jouent un rôle essentiel pour déterminer les contours concrets du sinistre.
Cette pluralité de définitions traduit une réalité fondamentale : il n’y a pas un sinistre, mais des sinistres. Dans les assurances de choses, le sinistre correspond à la réalisation matérielle du risque couvert — incendie, vol, explosion, dégât des eaux — pour autant que ce risque entre bien dans le champ de la garantie (v. Cass. 2e civ., 17 sept. 2009, n°08-17.726). Dans les assurances de responsabilité, le sinistre suppose l’articulation de trois éléments : un fait dommageable, un dommage causé à un tiers, et une réclamation, amiable ou judiciaire, émanant de la victime. A cet égard, l’exigence d’une réclamation, en matière de responsabilité, illustre que le sinistre ne se confond pas avec le seul fait dommageable : il suppose une construction juridique, qui combine la circonstance de fait et les conditions posées par le droit ou le contrat pour déclencher l’obligation de l’assureur.
La notion se complexifie encore lorsqu’apparaissent les sinistres sériels qui soulèvent une difficulté particulière : doit-on compter un sinistre par victime, par fait dommageable, ou regrouper l’ensemble sous une qualification unique ? Cette détermination est loin d’être théorique, car elle commande directement l’application des plafonds de garantie. Pour prévenir les litiges, le législateur a tranché en disposant, à l’article L. 124-1-, II du Code des assurances, qu’un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique doit être considéré comme un sinistre unique. Cette globalisation, d’abord prévue dans les contrats puis consacrée par la loi, vise à assurer la prévisibilité des engagements de l’assureur tout en simplifiant la gestion des sinistres.
Ainsi, la problématique du sinistre dépasse la simple détermination d’un fait déclencheur. Elle engage des enjeux systémiques : équilibre des prestations, protection de l’assuré et des victimes, maîtrise des engagements de l’assureur. Définir et qualifier le sinistre, c’est en réalité déterminer le moment à partir duquel le contrat d’assurance déploie sa pleine efficacité, en activant la chaîne des obligations corrélatives. Dès lors, trois questions essentielles structurent le régime juridique du sinistre : celle de sa déclaration, qui conditionne la mise en mouvement de l’assureur ; celle de sa preuve, indispensable pour établir la réalité et l’étendue du risque réalisé; et celle de son indemnisation, finalité ultime de la relation assurantielle.
Nous nous focaliserons ici sur la déclaration du sinistre.
La survenance d’un sinistre ne suffit pas, à elle seule, à mettre en jeu la garantie de l’assureur. Encore faut-il que celui-ci en soit informé. C’est l’objet de la déclaration de sinistre, prévue par l’article L. 113-2, 4° du Code des assurances, qui impose à l’assuré d’aviser son assureur « dès qu’il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat ».
Cette obligation poursuit une finalité simple mais essentielle : permettre à l’assureur d’intervenir rapidement, d’évaluer la réalité et l’ampleur du dommage, de prendre les mesures de sauvegarde nécessaires et, le cas échéant, d’organiser sa défense face aux réclamations de tiers. La déclaration du sinistre est ainsi le point de départ effectif du processus d’indemnisation.
Elle n’est pas un formalisme secondaire : elle traduit l’idée que le contrat d’assurance repose sur la coopération et la loyauté des parties. L’assuré doit informer, l’assureur doit instruire et régler. Sans déclaration, la garantie reste inerte.
D’où l’importance d’en analyser successivement l’objet — c’est-à-dire ce qui doit être déclaré (I), les modalités — qui précise comment, à qui et dans quels délais la déclaration doit être faite (II), et enfin les sanctions — qui découlent des manquements de l’assuré, qu’il s’agisse d’un retard, d’une omission ou d’une fraude (III).
I. L’objet de la déclaration
A. Principe
L’article L. 113-2, 4° C. assur. impose à l’assuré « d’aviser l’assureur, dès qu’il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat, de tout sinistre de nature à entraîner la garantie de l’assureur ». L’objet de la déclaration n’est donc pas l’achèvement complet du dommage, mais l’événement dont les conséquences connues sont de nature à mobiliser la garantie. La Cour de cassation l’a fixé de longue date : la connaissance du sinistre s’entend à la fois de l’événement et de ses conséquences éventuellement dommageables ( Cass. 1re civ., 13 oct. 1987).
Il s’ensuit que la déclaration porte sur la réalisation d’un risque couvert tel que défini au contrat (Cass. 2e civ., 28 févr. 2013, n° 12-12.813), et qu’elle doit être intelligible pour l’assureur : une simple allusion, sans date ni lieu, ne suffit pas (Cass. 1re civ., 25 mai 1976, n°75-10.186).
Corollaire : si le risque garanti est contractuellement circonscrit, l’objet de la déclaration s’y ajuste ; mais le régime légal de la déclaration, d’ordre public, n’est pas aménageable quant à ce qui doit être déclaré (Cass. 1re civ., 20 oct. 1992, n°90-18.997 ; v. égal. art. L. 111-2 C. assur.). L’exclusion des assurances sur la vie, pour lesquelles il n’y a pas urgence, demeure (art. L. 113-2, al. fin).
B. Spécificités par branche
1. Assurance de responsabilité
En responsabilité, la loi définit le sinistre par le triptyque fait dommageable – dommage à des tiers – réclamation (art. L. 124-1-1 C. assur.). Pour la déclaration, le repère pratique est clair : au plus tard, l’obligation naît lorsque le tiers adresse une réclamation, amiable ou judiciaire (art. L. 124-1 C. assur. ; Cass. 1ère civ., 9 janv. 1973, n° 71-12.931).
Mais il ne faut pas attendre cette réclamation si des indices sérieux la rendent prévisible. Tel est le cas lorsque des conclusions d’expertise établissent la réalité du dommage (Cass. 1ère civ., 6 janv. 1993, n° 89-20.730) ou dès une assignation en référé-expertise (Cass. 1ère civ., 13 juin 1995, n° 92-13.942). Une menace crédible de mise en cause suffit également (Cass. 1ère civ., 13 oct. 1987, n° 86-10.513).
2. Assurances de choses et de personnes
Hors responsabilité, ce qui doit être déclaré, c’est la découverte fiable du dommage garanti. L’alerte est due dès que l’assuré sait, de façon suffisamment certaine, que le dommage est réalisé : en matière d’accidents corporels, la constatation médicale (radiographie, échec de la rééducation) suffit et il n’y a pas lieu d’attendre la consolidation (Cass. 1re civ., 25 mai 1976, n° 75-10.186). En pertes d’exploitation, le point de départ est le retrait de l’autorisation de mise sur le marché dès qu’il est connu de l’assuré, sans attendre la notification officielle de l’arrêté (Cass. 1re civ., 8 oct. 1996, n° 94-19.436). En un mot : on déclare quand le dommage est établi comme tel, non lorsque toutes ses suites sont fixées.
C. Degrés de « sinistralité » : avéré, éventuel, hypothétique
L’article L. 113-2, 4° C. assur. vise « tout sinistre de nature à entraîner la garantie ». Cette formule conduit, selon l’information dont dispose l’assuré, à distinguer trois situations:
- Le sinistre avéré
- Le dommage couvert est déjà caractérisé au regard du contrat : l’obligation d’aviser naît immédiatement, sans attendre ni la consolidation ni la liquidation du préjudice.
- Le sinistre éventuel
- L’événement est survenu et l’assuré en connaît des conséquences probables susceptibles de mobiliser la garantie. Dans ce cas, la déclaration est déjà due : la connaissance du sinistre s’entend de l’événement et de ses suites éventuellement dommageables.
- Le sinistre hypothétique
- Il ne s’agit encore que d’éventualités, dépourvues de consistance au regard de la garantie : aucune déclaration n’est exigée à ce stade par la loi.
La méthode est donc la suivante : apprécier ce que l’assuré sait réellement de l’événement et de ses conséquences au regard de la police ; déclarer dès que ces conséquences deviennent raisonnablement prévisibles ; s’abstenir lorsque l’on demeure au seul registre des conjectures. Cette distinction évite, d’un côté, la déclaration tardive qui priverait l’assureur d’agir utilement, et, de l’autre, une inflation de notifications sur des risques encore hypothétiques.
D. La « déclaration pour ordre »
La déclaration pour ordre est une clause aux termes de laquelle il est demandé à l’assuré de signaler en amont certains faits précurseurs (incident, anomalie, menace de réclamation), avant que le sinistre, au sens de la loi, ne soit constitué. Il s’agit d’une alerte préventive : l’assureur souhaite être informé tôt pour pouvoir observer, conserver des preuves, conseiller des mesures de sauvegarde. Cette alerte n’est pas la déclaration légale de sinistre ; elle s’y ajoute.
Sur le plan juridique, cette stipulation est purement conventionnelle. Elle n’a pas pour effet de modifier l’objet légal de la déclaration fixé par l’article L. 113-2, 4° C. assur., d’ordre public. Ce que la loi impose de déclarer, c’est l’événement dont l’assuré connaît déjà des conséquences de nature à mobiliser la garantie. Une clause contractuelle ne peut ni rétrécir ni déplacer ce périmètre : elle peut organiser une information plus précoce, mais elle ne transforme pas un fait encore incertain en « sinistre » au sens de la loi.
De cette distinction découle une chronologie claire.
- Temps de l’alerte : dès l’apparition d’indices sérieux (ex. incident technique, courrier annonçant une possible mise en cause), l’assuré peut être tenu, par la clause, d’informer pour ordre.
- Temps de la déclaration légale : dès que l’assuré connaît des conséquences de l’événement susceptibles d’entraîner la garantie, il doit déclarer le sinistre au sens de l’article L. 113-2, 4°. L’alerte pour ordre ne dispense jamais de cette déclaration dès que le seuil légal de connaissance est atteint. La pratique et la doctrine insistent sur cette nécessité de réitérer l’information lorsque l’événement franchit ce seuil.
Il en découle aussi un effet de droit : le manquement à l’alerte pour ordre n’ouvre pas la déchéance prévue par l’article L. 113-2 (qui vise la déclaration légale du sinistre). À ce stade, seules des conséquences de droit commun peuvent être discutées (éventuelle responsabilité contractuelle avec preuve d’un préjudice) ; la Cour de cassation veille à cette frontière (Cass. 1re civ., 5 oct. 1994, n° 92-17.487).
Exemple: Une entreprise reçoit des réclamations verbales de clients à la suite d’un lot défectueux : la clause peut imposer une information pour ordre. Si, ensuite, une lettre de mise en cause chiffrée parvient ou si un constat technique met en évidence des dommages probables couverts, l’entreprise doit déclarer le sinistre au sens légal. La première alerte prépare la gestion du dossier ; la seconde déclenche le régime du sinistre et ouvre la voie à l’instruction de la garantie.
E. Contenu minimal de la déclaration
Aucune forme n’est imposée par la loi ; en revanche, le contenu doit permettre d’identifier sans équivoque le fait déclaré. À tout le moins, la déclaration doit indiquer la date, le lieu et les circonstances essentielles de l’événement, ainsi que le contrat concerné. Une mention vague ou une simple allusion à un accident, dépourvue de ces indications, ne vaut pas déclaration (Cass. 1re civ., 25 mai 1976, n° 75-10.186).
Cette exigence de clarté n’implique pas que l’assuré chiffre immédiatement son préjudice ni qu’il produise toutes les pièces justificatives. Il lui appartient, en revanche, de fournir les repères factuels indispensables pour que l’assureur puisse ouvrir le dossier et diligenter les premières mesures utiles (constatations, expertise).
Enfin, une erreur de référence au numéro de police n’emporte pas, à elle seule, perte de garantie : si un autre contrat régulièrement souscrit couvre le risque, l’assureur doit instruire au bon titre (Cass. 2e civ., 20 déc. 2007, n° 07-10.060).
II. Les modalités de la déclaration
A. Le débiteur de la déclaration
Le débiteur de l’obligation est l’assuré au sens de l’article L. 113-2, 4° du Code des assurances. Lorsque le souscripteur n’est pas l’assuré, la charge d’exécuter l’obligation pèse, en pratique, sur la partie au contrat ; la jurisprudence admet ainsi que le souscripteur déclare au nom et pour le compte des assurés (not. en assurance pour compte) (Cass. 3e civ., 6 juin 2012, n° 11-15.567).
La déclaration peut être effectuée par mandataire : courtier, agent général ou tout représentant investi de pouvoirs suffisants (ex. l’architecte signataire de la police pour la société assurée) (Cass. 1re civ., 6 janv. 1983, n° 81-11.187). Elle peut aussi être valablement réalisée par un tiers pour le compte de l’assuré, tel l’assureur de protection juridique (Cass. 2e civ., 8 mars 2012, n° 11-15.472).
En cas de procédure collective ouverte à la faveur de l’assuré, c’est le représentant de la procédure qui agit (administrateur, puis le cas échéant mandataire-liquidateur), l’obligation s’attachant à la gestion du patrimoine assuré.
Lorsque le contrat est souscrit « pour compte », la déclaration incombe au souscripteur (ex. une association pour ses adhérents) ; le défaut de déclaration commis par le souscripteur est opposable au bénéficiaire pour compte, dès lors qu’il subit les exceptions attachées au contrat (Cass. 1re civ., 10 juin 1997, n° 95-15.813).
En cas d’aliénation de la chose assurée ou de décès de l’assuré, l’assurance continue de plein droit au profit de l’acquéreur ou de l’héritier, à charge pour eux d’exécuter toutes les obligations du contrat, dont celle de déclarer le sinistre (C. assur., art. L. 121-10).
Si le débiteur légal de l’obligation de déclaration demeure l’assuré (ou, selon les cas, le souscripteur) au sens de l’article L. 113-2, 4°, cela n’empêche pas un tiers intéressé d’informer l’assureur. En responsabilité civile, la victime peut ainsi avertir l’assureur du responsable — ne serait-ce que pour accélérer l’instruction — et elle dispose, en outre, de l’action directe contre cet assureur (C. assur., art. L. 124-3).
Cette information par un tiers n’a toutefois qu’une portée pratique : elle permet d’ouvrir le dossier et de conserver la preuve ; elle ne transfère pas au tiers l’obligation de déclarer et ne dispense pas l’assuré/souscripteur d’accomplir sa déclaration, sauf mandat exprès donné à ce tiers.
Cas particulier : assurance-vie. L’article L. 113-2, 4° n’est pas applicable aux assurances sur la vie. En pratique, le bénéficiaire informe l’assureur du décès ; parallèlement, la loi impose à l’assureur des diligences propres pour identifier les contrats en déshérence (C. assur., art. L. 132-9-3).
B. Le créancier de la déclaration
Principe. Le destinataire naturel de la déclaration est l’assureur. La déclaration lui est adressée directement, ou à son mandataire régulièrement habilité à la recevoir (agent général, mandataire ad hoc) ; dans ce cas, la déclaration est valable même si l’agent tarde ensuite à la transmettre à la compagnie, ce retard n’étant pas opposable à l’assuré (Cass. 1re civ., 7 déc. 1976).
Courtiers : vigilance. Le courtier est, en principe, le mandataire de l’assuré, non celui de l’assureur ; une déclaration remise au courtier ne vaut donc pas, à elle seule, déclaration à l’assureur, surtout si elle est transmise hors délai (Cass. 1re civ., 10 mai 1984). Deux tempéraments existent :
- Si le courtier dispose d’un mandat exprès de l’assureur pour recevoir les déclarations, la notification faite au courtier équivaut à une notification à l’assureur (Cass. 1re civ., 23 juin 1993, n° 90-22.011) ;
- S’il existe un mandat apparent (ex. le courtier est désigné comme « correspondant » de l’assureur et encaisse les primes), la déclaration faite au courtier est réputée faite à l’assureur, sans sanction pour l’assuré en cas de transmission tardive (Cass. 1re civ., 4 juin 1991, n° 89-20.590).
À défaut de mandat (exprès ou apparent), la déchéance éventuellement opposée à l’assuré en raison d’une transmission tardive ouvre la responsabilité du courtier envers son mandant, si la déclaration lui avait été remise dans les délais (Cass. 1re civ., 3 mars 1993, n°91-16.423).
Transfert de portefeuille. En cas de transfert de portefeuille, une clause d’élection de domicile pour la déclaration chez « l’assureur » vise, pour l’exécution du contrat, l’assureur cédant : l’arrêté ministériel approuvant l’opération ne modifie pas, par lui-même, le contenu des contrats transférés (Cass. 1re civ., 12 oct. 2004, n° 02-17.130).
Pluralité d’assureurs. Lorsqu’un même risque est couvert par plusieurs assureurs (cumul sans fraude), l’assuré — ou la victime exerçant son action directe — peut s’adresser à l’assureur de son choix, chacun n’étant tenu que dans les limites de sa garantie ; la contribution entre assureurs s’opère ensuite entre eux (C. assur., art. L. 121-4).
C. Forme de la déclaration
L’article L. 113-2, 4° C. assur. n’impose aucune forme particulière : il exige une déclaration à l’assureur, sans en figer le support. Cette liberté est d’ordre public : une police ne peut pas, à peine de déchéance, imposer un canal déterminé (télégramme, LRAR, etc.). Les clauses de ce type sont inopérantes (Cass. 1re civ., 5 oct. 1994, n° 92-17.487).
Aussi, la déclaration peut être faite par tout moyen : écrit (lettre simple ou recommandée, remise contre récépissé), télécopie, courriel, voire appel téléphonique – ce dernier étant valable s’il est établi par des attestations ou équivalent. La question est alors celle de la preuve, qui demeure libre et dont l’initiative revient en pratique à l’assuré ; il est donc opportun d’utiliser un mode laissant trace certaine (accusé de réception, récépissé, attestation) (v. not. Cass. 1re civ., 22 déc. 1964).
Par dérogation au principe de liberté de forme, la déclaration de sinistre en assurance dommages-ouvrage doit être faite par écrit, en application de l’article A. 243-1, annexe II du Code des assurances. Un envoi par télécopie n’y satisfait pas : il ne constitue pas l’écrit requis (Cass. 3e civ., 6 juin 2012, n° 11-15.567). Dans le même sens, la Cour de cassation rappelle que l’exigence d’un écrit ne peut être suppléée par un mode de transmission dématérialisé (Cass. com., 20 oct. 2010, n° 09-69.665).
Quelle que soit la forme retenue, la déclaration doit identifier l’événement : à défaut d’indications essentielles (au moins date, lieu, circonstances), elle ne vaut pas déclaration (Cass. 1re civ., 25 mai 1976, n°75-10.186). À l’inverse, une référence erronée au numéro de police n’anéantit pas l’alerte : si un autre contrat régulièrement souscrit couvre le risque, l’assureur doit instruire au bon titre (Cass. 2e civ., 20 déc. 2007, n° 07-10.060).
D. Délai de déclaration
1. Durée minimale
Le délai est fixé par la police, mais il ne peut jamais être inférieur à cinq jours ouvrés (art. L. 113-2, 4° C. assur.). Cette règle est d’ordre public (art. L. 111-2 C. assur.) : on peut prolonger conventionnellement le délai, non le réduire (Cass. 1re civ., 20 oct. 1992, n° 90-18.997).
En conséquence, une clause prévoyant un délai inférieur au minimum légal est inopposable à l’assuré (Cass. 2e civ., 21 janv. 2021, n° 19-13.347).
Des délais spéciaux subsistent :
- Vol : 2 jours ouvrés (art. L. 113-2, 4° C. assur.).
- Mortalité du bétail : 24 heures (art. L. 113-2, 4° C. assur.).
- Grêle : 4 jours (art. L. 123-1 C. assur.).
- Catastrophes naturelles : 10 jours à compter de la publication de l’arrêté interministériel (art. A. 125-1 C. assur.).
En assurance sur la vie, aucun délai légal de déclaration n’est imposé (art. L. 113-2, al. fin ; v. aussi art. L. 132-27, al. 1er C. assur.).
2. Point de départ
Le délai ne part pas du jour de la survenance matérielle, mais du jour où l’assuré a connaissance du sinistre. La Cour de cassation fixe depuis longtemps le critère : la connaissance s’entend à la fois de l’événement et de ses conséquences éventuellement dommageables de nature à entraîner la garantie (Cass. 1re civ., 13 oct. 1987).
Applications:
- Accidents corporels : le délai commence quand l’assuré acquiert la certitude de conséquences permanentes (Cass. 1re civ., 25 mai 1976, n° 75-10.186).
- Pertes d’exploitation : en cas de retrait d’autorisation de mise sur le marché, le point de départ est la connaissance du retrait, et non la notification officielle de l’arrêté (Cass. 1re civ., 8 oct. 1996, n° 94-19.436).
- Responsabilité civile : en pratique, le repère ultime est la réclamation (amiable ou judiciaire) du tiers (art. L. 124-1 C. assur.), mais l’assuré doit déclarer dès qu’il connaît des éléments rendant prévisible la mise en jeu de la garantie (v. not. Cass. 1re civ., 6 janv. 1993, n° 89-20.730).
Précisions utiles :
- Pour les personnes physiques
- Le délai ne commence à courir que si l’assuré est effectivement en état de déclarer.
- S’il est empêché (hospitalisation lourde, incapacité temporaire, coma, etc.), on ne peut faire partir le délai qu’à compter du moment où son état physique et mental lui permet réellement d’accomplir la démarche (Cass. 1re civ., 1er déc. 1969).
- Pour les personnes morales
- La connaissance s’apprécie au niveau de l’entreprise : dès qu’un organe ou service normalement compétent (ex. exploitation, sinistres, juridique) est informé de l’événement et de ses conséquences possibles, la connaissance est acquise pour la société.
- Les parties peuvent, sans contredire l’ordre public, convenir dans la police que le point de départ sera rattaché à l’information d’un service déterminé (souvent le « service assurances »).
- Une telle stipulation ne diminue pas l’obligation légale de déclarer ; elle fixe seulement qui, en interne, fait foi pour déclencher le calcul du délai.
3. Mode de calcul
Le délai de déclaration ne part pas le jour de l’événement, mais du jour où l’assuré en a connaissance au sens juridique du terme (événement et conséquences éventuellement dommageables de nature à mobiliser la garantie). Le calcul commence le lendemain à 0 h : le dies a quo n’est pas compté (Cass. 1re civ., 21 févr. 1989, n° 87-13.223).
Il se compte en jours ouvrés lorsque la loi ou la police mentionne des « jours » au sens de l’article L. 113-2, 4° : sont exclus les samedis, dimanches et jours fériés/chômés depuis la réforme du 31 décembre 1989 (v. encore Cass. 1re civ., 21 févr. 1989, préc.). Le délai expire à minuit du dernier jour ouvré ainsi décompté. Enfin, c’est l’expédition dans le délai qui importe : la déclaration postée, télécopiée ou envoyée dans le temps utile est régulière même si l’assureur la reçoit après l’échéance (Cass. 1re civ., 21 févr. 1989, préc.).
Pour illustrer ces règles :
- Délai de droit commun (cinq jours ouvrés)
- Connaissance un lundi à 10 h.
- Le délai commence mardi 0 h.
- On compte alors mardi (1), mercredi (2), jeudi (3), vendredi (4), lundi suivant (5).
- La déclaration doit être expédiée au plus tard lundi à 24 h.
- Si un jour férié survient dans l’intervalle (par ex. le jeudi), il ne compte pas et l’échéance est repoussée d’un jour ouvré supplémentaire.
- Connaissance un vendredi à 16 h
- Le délai commence samedi 0 h, mais les samedi/dimanche sont exclus ; le premier jour ouvré est lundi (1), puis mardi (2), mercredi (3), jeudi (4), vendredi (5).
- L’échéance tombe vendredi à minuit ; si le mardi est férié, elle glisse au lundi suivant.
- Délai spécial « vol » (deux jours ouvrés, art. L. 113-2, 4°).
- Connaissance un mercredi à 18 h.
- Départ jeudi 0 h ; on compte jeudi (1) et vendredi (2).
- L’envoi doit intervenir avant vendredi minuit.
- Si le vendredi est férié, l’échéance est lundi.
- Délai spécial « mortalité du bétail » (24 heures, art. L. 113-2, 4°).
- Connaissance un lundi à 15 h.
- Le délai n’est pas en « jours ouvrés » mais en heures pleines : il expire le mardi à 15 h, sans suspension le week-end ni les jours fériés.
- Grêle (quatre jours, art. L. 123-1 C. assur.)
- Sauf indication contraire, on applique le même mécanisme que pour les jours ouvrés : on exclut les samedis, dimanches et jours fériés pour compter les quatre jours.
- Catastrophes naturelles (art. A. 125-1 C. assur.).
- Le délai est de dix jours à compter de la publication de l’arrêté interministériel; on compte à partir de cette date, selon le texte spécial.
III. Les sanctions de la déclaration
A. Sanction de la déclaration irrégulière
La déclaration irrégulière du sinistre — qu’elle soit tardive, lacunaire ou inexacte — perturbe la bonne administration du risque : elle retarde l’instruction, altère la conservation des preuves, compromet les recours (notamment la subrogation : C. assur., art. L. 121-12) et ouvre la voie aux fraudes. Le droit positif la sanctionne donc pour protéger l’efficacité de la gestion des sinistres, mais sans rompre l’équilibre contractuel : la sanction n’est pas une peine, elle préserve un intérêt légitime de l’assureur et encourage la coopération loyale de l’assuré.
Depuis la loi du 31 décembre 1989 (entrée en vigueur le 1er mai 1990), la sanction n’est plus automatique : l’irrégularité n’emporte sanction que si le contrat l’a prévue et si l’assureur justifie d’un préjudice, la force majeure faisant écran (C. assur., art. L. 113-2, 4°). Le formalisme protège l’assuré (caractères très apparents : art. L. 112-4) et toutes les irrégularités ne se valent pas : le simple retard dans des démarches aux autorités ou dans la production de pièces n’ouvre droit qu’à une indemnité proportionnée, non à une sanction radicale (art. L. 113-11, 1° et 2°).
1. La déchéance des garanties
1.1. Principe de la déchéance
Après un sinistre, l’irrégularité la plus fréquente est la déclaration tardive. Sa sanction de principe est la déchéance de garantie : l’assuré perd son droit à indemnité parce qu’il n’a pas déclaré le sinistre dans le délai convenu ou n’a pas fourni des informations exactes et utiles à l’instruction. La doctrine décrit cette déchéance comme la perte d’un droit né du sinistre en raison d’un défaut de diligence ou de loyauté.
Avant la loi du 31 décembre 1989 (applicable au 1er mai 1990), la déclaration tardive, dès qu’elle était prévue par la police, emportait automatiquement la déchéance (anc. art. L. 113-2). Depuis cette réforme, la déchéance pour retard n’est opposable que si le contrat la stipule et si l’assureur prouve un préjudice causé par le retard ; elle est écartée en cas de force majeure (C. assur., L. 113-2, 4°). Ce régime n’est pas rétroactif : il ne s’applique pas aux sinistres antérieurs au 1er mai 1990 (Cass. 1re civ., 10 déc. 1996, n° 94-19.764).
La logique est simple : une déclaration tardive peut désorganiser l’instruction, affaiblir la preuve et faire perdre des recours, notamment la subrogation contre les tiers responsables (C. assur., L. 121-12). À l’inverse, lorsque plusieurs réclamations se rattachent à un même fait dommageable, la réglementation globalise le sinistre : considéré comme unique, il ne peut y avoir de « seconde » tardiveté (C. assur., A. 112, annexe II, 4°).
Deux conséquences immédiates découlent de ce principe. D’une part, la déchéance est une sanction conventionnelle : sans clause, elle est inopposable (Cass. 2e civ., 6 févr. 2014, n°13-11.767) ; la clause doit, en outre, respecter le délai légal minimal de cinq jours ouvrés (Cass. 2e civ., 21 janv. 2021, n° 19-13.347) et figurer en caractères très apparents (C. assur., L. 112-4). D’autre part, en assurance de responsabilité, la déchéance reste interne au couple assureur/assuré : elle est inopposable à la victime, titulaire d’un droit propre (C. assur., R. 124-1).
1.2. Conditions de la déchéances
i. Conditions de forme
La déchéance pour déclaration tardive n’est opposable que si un formalisme protecteur est respecté.
D’abord, elle doit être expressément stipulée : pas de clause, pas de déchéance. La Cour de cassation censure ainsi l’arrêt d’appel qui prononce la déchéance en se bornant à constater un préjudice sans vérifier l’existence d’une clause applicable (Cass. 2e civ., 6 févr. 2014, n° 13-11.767).
À l’inverse, si la police ne prévoit qu’une indemnisation par dommages-intérêts en cas de manquement, la déchéance est exclue (Cass. 1re civ., 3 nov. 1982, n° 81-15.552). Quant au support, la règle de principe veut que la clause figure dans la police elle-même : une clause cantonnée à un document annexe (statuts, règlement) non intégré est invalide (Cass. 1re civ., 30 oct. 1967). La jurisprudence admet toutefois que la clause soit contenue dans d’autres documents remis à l’assuré avant le sinistre, pourvu qu’ils fassent corps avec le contrat (Cass. 2e civ., 11 juin 2009, n° 08-18.778). Encore faut-il que les conditions générales comportant la clause aient été signées : à défaut, la déchéance n’est pas opposable, même en présence d’une mauvaise foi alléguée (Cass. 2e civ., 15 sept. 2022, n° 21-12.278).
Ensuite, la clause doit attirer spécialement l’attention du souscripteur : l’article L. 112-4 exige des caractères très apparents. La Cour de cassation l’a rappelé de longue date (Cass. civ., 14 mai 1946) et de manière constante (Cass. 2e civ., 27 mars 2014, n° 13-15.835). Concrètement, une simple couleur qui n’isole pas typographiquement la clause est insuffisante : la mention doit « sauter aux yeux ». À ce formalisme s’ajoute une exigence de connaissance préalable : une clause portée à la connaissance postérieurement au sinistre est inopposable (Cass. 1re civ., 21 juin 1989).
Le contenu de la stipulation doit, en outre, être conforme aux exigences légales. D’une part, la police ne peut imposer un délai de déclaration inférieur au plancher légal de cinq jours ouvrés (Cass. 2e civ., 21 janv. 2021, n° 19-13.347). D’autre part, la clause doit respecter l’économie de l’article L. 113-2, 4° : elle est inopérante si elle méconnaît la condition de connaissance et de déclenchement du délai (par ex. exigence d’une déclaration « dans les 24 mois » indépendamment de la connaissance des conséquences dommageables : Cass. 2e civ., 7 nov. 2024, n° 23-10.992). Enfin, il ne suffit pas d’exiger une déclaration dans un certain délai : la police doit préciser la sanction du non-respect ; à défaut, la déchéance ne peut être retenue (Cass. 1re civ., 9 mai 1994, n° 92-12.990).
Certaines situations sont hors champ de la déchéance par interdiction légale : l’article L. 113-11, 2° écarte toute déchéance en cas de simple retard dans la déclaration aux autorités (vol, sanitaire, etc.) ou dans la production de pièces ; seule est permise une indemnité proportionnée au préjudice de l’assureur. La Cour de cassation casse ainsi les décisions qui transforment un retard de transmission de pièces en exclusion de garantie (Cass. 1re civ., 20 mars 1984, n° 82-16.653).
Reste le cas de la déclaration frauduleuse. Historiquement, la Cour de cassation avait admis un allègement des exigences de forme (déchéance possible sans mention expresse) en présence d’une fraude caractérisée (Cass. civ., 23 déc. 1936). La ligne contemporaine en resserre toutefois l’usage : l’assureur doit prouver strictement la mauvaise foi ; l’inexactitude, à elle seule, ne suffit pas (Cass. 2e civ., 16 sept. 2021, n° 19-25.278). Cet encadrement probatoire ne dispense pas, pour le reste, du respect du formalisme lorsque l’assureur entend se prévaloir d’une déchéance fondée sur la tardiveté.
ii. Conditions de fond
Une fois la clause de déchéance valable et opposable, la sanction ne peut être appliquée que si l’assureur prouve le manquement invoqué et, s’agissant d’un retard de déclaration, un préjudice causé par ce retard ; la force majeure écarte la sanction, tandis que la fraude post-sinistre obéit à un régime distinct.
==>La preuve de la tardiveté de la déclaration
La déchéance pour déclaration irrégulière ne peut être envisagée qu’à une condition première : qu’il y ait déclaration tardive. Est tardive la déclaration faite au-delà du délai contractuel (souvent cinq jours ouvrés) qui court à compter du moment où l’assuré a connaissance d’un événement susceptible de mobiliser la garantie. L’absence totale d’avis dans ce délai équivaut à un retard. À ne pas confondre, toutefois, avec les obligations distinctes de déclaration aux autorités ou de production de pièces : leur simple retard ne peut, en principe, fonder une déchéance (C. assur., art. L. 113-11, 2°).
Une fois ce cadre posé, la preuve se joue en deux temps :
- Premier temps (assuré) – Il appartient à l’assuré de prouver qu’il a déclaré le sinistre et à quelle date : accusé de réception, courriel horodaté, mention d’un appel consigné, transmission d’une assignation, etc. Cette chronologie factuelle est déterminante, car elle fixe le point de comparaison avec le délai contractuel (v. Cass. 1re civ., 27 avr. 1994, n° 92-10.484). La déclaration peut, le cas échéant, émaner d’un mandataire (par ex. gestionnaire, agent immobilier) ; ses actes ou carences pèseront alors dans l’administration de la preuve.
- Second temps (assureur) – À l’assureur, ensuite, de démontrer la tardiveté, c’est-à-dire que la déclaration est intervenue au-delà du délai prévu par la clause qu’il invoque, et d’établir les termes et le déclenchement de cette clause (point de départ lié à la connaissance du sinistre). Concrètement, il doit rapporter le double ancrage de la sanction : le fait générateur (le dépassement du délai) et son fondement contractuel (clause applicable et régulière). À défaut – si, par exemple, la clause méconnaît l’art. L. 113-2, 4° en fixant un délai détaché de la connaissance, ou si elle est inopposable – la déchéance ne peut prospérer.
En somme, la tardiveté n’est ni présumée ni proclamée : l’assuré fixe la date, l’assureur prouve le dépassement au regard d’une clause valable. Ce n’est qu’une fois ce retard caractérisé que peuvent être discutés, au fond, le préjudice de l’assureur (en matière de retard) et les éventuelles causes d’inefficacité (force majeure, champs légalement exclus).
==>La preuve du préjudice de l’assureur
Depuis la loi du 31 décembre 1989, la déchéance fondée sur la tardiveté n’est opposable que si l’assureur prouve un préjudice causé par ce retard (C. assur., art. L. 113-2, 4°). À défaut, la déchéance échoue, quelle que soit l’ampleur du dépassement de délai (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-21.869). La logique est simple : seul un retard dommageable peut priver l’assuré de sa garantie ; un retard inoffensif n’appelle pas une peine privée.
Concrètement, le préjudice exigé n’est ni théorique ni présumé. Il doit ressortir d’un lien de causalité entre la tardiveté et une atteinte objective aux intérêts de l’assureur : impossibilité de diriger utilement la procédure (contester le principe ou le quantum), de préserver des preuves, d’engager des mesures d’enquête ou de sauvegarder un recours (subrogatoire, contractuel, délictuel). La jurisprudence l’admet, par exemple, quand le retard a empêché l’assureur d’orienter la défense « au mieux de ses intérêts » (CA Paris, 22 mai 2001) ; elle l’écarte lorsque rien n’a été entravé – ainsi, lorsque l’expertise et l’instance ont laissé tout loisir d’intervention (Cass. 2e civ., 22 nov. 2012). L’appréciation appartient aux juges du fond, qui statuent souverainement.
En pratique, la démonstration efficace suit un triptyque probatoire:
- Préciser quelles mesures l’assureur aurait prises en temps utile (constatations/expertise contradictoire, réserves et actes de procédure, mise en demeure, action/subrogation) ;
- Établir qu’en raison du retard ces mesures n’étaient plus possibles (prescription d’un recours, altération/dispersion des preuves, cristallisation procédurale) ;
- Montrer que leur accomplissement aurait eu une incidence sur la prise en charge (principe de garantie, montant de l’indemnité, chances de recours).
Deux précisions utiles :
- Le préjudice est une condition propre à la déchéance pour tardiveté ; elle ne s’applique pas aux hypothèses de fraude post-sinistre (surévaluation mensongère), où l’assureur doit, en revanche, prouver la mauvaise foi ;
- Si la déchéance tombe faute de préjudice, l’assureur peut encore, le cas échéant, solliciter des dommages-intérêts sur le terrain de la responsabilité contractuelle (C. civ., art. 1231-1), à condition de caractériser un dommage distinct et son lien avec le retard.
==>Force majeure et cas fortuit
Le régime est clair : la déchéance pour déclaration tardive ne peut être opposée lorsque le retard est dû à un cas fortuit ou de force majeure (C. assur., art. L. 113-2, 4°). Autrement dit, si un événement extérieur à la volonté de l’assuré, imprévisible lors de la souscription et irrésistible dans ses effets, l’a objectivement empêché d’aviser l’assureur dans le délai (hospitalisation lourde, catastrophe paralysant les communications, etc.), la sanction tombe.
Deux conséquences pratiques en découlent :
- Charge de la preuve : c’est à l’assuré qui invoque le fortuit/force majeure d’en établir la réalité (nature de l’événement, période d’empêchement, lien causal avec l’impossibilité de déclarer).
- Effet sur le délai : l’empêchement suspend en pratique l’exigence de déclaration ; dès qu’il cesse, l’assuré doit déclarer sans délai. À défaut, la tardiveté redevient appréciable.
À l’inverse, les difficultés ordinaires d’organisation (absence du gestionnaire, indisponibilité ponctuelle, négligence) ne caractérisent pas la force majeure : elles relèvent de la sphère de maîtrise de l’assuré et n’exonèrent pas de la clause de déchéance lorsque, par ailleurs, ses conditions sont réunies.
==>Cas particulier de la fraude
Lorsque l’irrégularité ne tient plus au retard mais à une manœuvre frauduleuse après sinistre (surévaluation volontaire des pertes, falsification de justificatifs, dissimulation consciente d’éléments aggravant la charge de l’assureur), la déchéance obéit à un schéma distinct : aucun préjudice n’a à être démontré, mais l’assureur doit établir la mauvaise foi de l’assuré. Autrement dit, la simple inexactitude, l’erreur d’estimation ou une approximation de bonne foi ne suffisent pas ; il faut une intention de tromper (Cass. 1re civ., 28 nov. 2001, n° 00-15.444).
Par ailleur, il appartient à l’assureur de rapporter la preuve d’indices graves, précis et concordants caractérisant l’intention frauduleuse : factures ou devis falsifiés, incohérences répétées entre déclarations et constatations d’expertise, reconstitution matériellement impossible des circonstances, etc. La jurisprudence rejette les déchéances fondées sur de simples divergences chiffrées ou sur une déclaration inexacte mais plausible (Cass. 2e civ., 16 sept. 2021, n° 19-25.278).
En cas de fraude avérée, la déchéance peut frapper l’ensemble du droit à garantie relatif au sinistre (et pas seulement la fraction indûment majorée) : c’est la logique traditionnelle de la « peine privée » attachée à la déloyauté post-sinistre (Cass. 1re civ., 28 nov. 2001, n° 00-15.444).
En cas de fausse déclaration post-sinistre, la Cour de cassation écarte tout examen de proportionnalité : dès lors qu’une clause prévoit la déchéance pour fausse déclaration et que la mauvaise foi de l’assuré est établie, la sanction s’applique sans qu’il y ait lieu de “moduler” au regard d’un juste équilibre. La déchéance découle de la convention (Cass. 2e civ., 15 déc. 2022, n° 20-22.836).
Un arrêt ancien (Civ., 23 déc. 1936) admettait, en présence d’une fraude, un allègement des exigences de forme. L’approche actuelle est plus stricte : le juge vérifie d’abord l’existence et l’opposabilité de la clause de déchéance, puis il exige une preuve rigoureuse de la mauvaise foi – la simple inexactitude ne suffisant pas (Cass. 2e civ., 3 nov. 2011, n° 10-30.876). Aucun préjudice n’a à être démontré dans l’hypothèse de fraude, à la différence de la tardiveté visée par l’article L. 113-2, 4°.
==>Incidence de l’irrégularité de la clause sur les conditions de fond
La déchéance pour déclaration tardive ne peut jouer que si la clause elle-même est conforme au texte légal qui gouverne le point de départ et la logique du délai. Concrètement, la clause doit rattacher le délai déclaratif à la connaissance, par l’assuré, des conséquences dommageables de nature à mobiliser la garantie. Une stipulation qui déclenche un délai abstrait, sans lien avec cette connaissance (par exemple : « toute déclaration doit intervenir dans les 24 mois » quelles que soient les circonstances), est inopposable : elle méconnaît la mécanique de l’article L. 113-2, 4° (Cass. 2e civ., 7 nov. 2024, n° 23-10.992).
Surtout, le préjudice ne “répare” pas l’irrégularité de la clause : même si l’assureur établit un dommage causé par la tardiveté, l’absence de stipulation valable interdit de prononcer la déchéance. Le préjudice prouvé et l’existence d’une clause régulière sont deux conditions cumulatives, non interchangeables (Cass. 2e civ., 4 juill. 2019, n° 18-18.444).
==>Déclarations aux autorités et production de pièces
Le législateur a fermé la porte à toute déchéance fondée sur de simples retards qui ne concernent pas la déclaration à l’assureur mais :
- La déclaration du sinistre à des autorités (plainte en cas de vol, notification sanitaire, etc.) ;
- La transmission de pièces à l’assureur (assignation reçue, justificatifs, factures…).
Dans ces hypothèses, l’article L. 113-11, 2° prévoit exclusivement une indemnité proportionnée au dommage prouvé par l’assureur. Toute clause transformant ce retard en perte de garantie est nulle, et la Cour de cassation casse les décisions qui assimilent ces manquements à une déchéance (Cass. 1re civ., 20 mars 1984, n° 82-16.653).
1.3. Effets de la déchéance
a. Dans les rapports entre les parties
La déchéance n’emporte pas disparition du contrat : elle prive l’assuré de la garantie pour le seul sinistre concerné, sans remettre en cause les indemnités versées antérieurement ni la couverture des sinistres à venir, sous réserve de la faculté de résiliation après sinistre selon le droit commun. En d’autres termes, l’effet est circonscrit à l’événement déclaré, non à la relation d’assurance.
Le régime probatoire reflète cette logique. À l’assuré, d’abord, de démontrer qu’il entrait dans la garantie et qu’il a effectué une déclaration (art. 1353, al. 1 C. civ.). À l’assureur, ensuite, qui se prétend libéré, de prouver l’existence et la teneur de la clause de déchéance, la tardiveté au regard du délai stipulé, et – en matière de retard – le préjudice exigé par l’article L. 113-2, 4° (art. 1353, al. 2 C. civ.). À défaut de préjudice caractérisé, la sanction ne peut prospérer (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997).
Plusieurs garde-fous tempèrent encore la rigueur du mécanisme. La force majeure ou le cas fortuit neutralisent la déchéance lorsque l’assuré a été objectivement empêché d’agir (L. 113-2, 4°). La renonciation de l’assureur, pourvu qu’elle soit non équivoque et faite en connaissance de cause – par exemple au travers d’actes incompatibles avec la volonté de déchoir (désignation d’un expert, conduite de la défense, offres fermes) – fait échec à la sanction ; en responsabilité civile, la prise de direction du procès fait naître une présomption de renonciation aux exceptions déjà connues (L. 113-17, al. 1 ; v. Cass. 1re civ., 27 févr. 1990). Enfin, en droit local d’Alsace-Moselle, la déchéance pour manquement post-sinistre n’est recevable qu’en cas de faute lourde ou d’inexécution intentionnelle (L. 191-5).
b. Dans les rapports avec les tiers
Le principe est celui d’une opposabilité limitée aux bénéficiaires du contrat, mais d’une inopposabilité aux titulaires d’un droit propre.
D’un côté, la déchéance est opposable au bénéficiaire d’une assurance de personnes ou d’une assurance pour compte, par le jeu des exceptions (L. 112-1, al. 2 et L. 112-6) : les décisions l’ont confirmé tant pour l’assurance-vie que pour les assurances de choses souscrites « pour compte » (Cass. 1re civ., 2 nov. 1966). Nuance importante : en assurance collective, la clause de déchéance non portée à la connaissance de l’adhérent est inopposable (Cass. 2e civ., 5 mars 2020).
De l’autre côté, la déchéance est inopposable aux victimes en responsabilité civile : leur action directe repose sur un droit propre que les manquements postérieurs de l’assuré ne sauraient entamer (construction jurisprudentielle ancienne, consacrée par R. 124-1 ; v. Cass. 1re civ., 2 avr. 1974). Il en va de même, en assurances de choses, des créanciers hypothécaires ou privilégiés qui disposent d’une action directe sur l’indemnité : la déchéance encourue par l’assuré ne leur est pas opposable. En pratique, l’assureur indemnise le tiers protégé, puis exerce son recours contre l’assuré déchu – au besoin à ses risques si l’assuré est insolvable.
Ainsi pensée, la déchéance éteint la garantie pour un sinistre déterminé dans la relation interne, tout en préservant la créance des tiers protégés ; elle opère donc comme un instrument de discipline contractuelle entre parties, mais cède devant les droits autonomes que le droit des assurances reconnaît aux victimes et aux créanciers sur l’indemnité.
2. Les mesures complémentaires
==>Mesures de sauvetage
Dès qu’un sinistre survient, deux impératifs se télescopent : endiguer l’événement (pour éviter qu’il ne s’aggrave) et instruire correctement le dossier (pour préserver les preuves et les recours). C’est dans ce contexte qu’apparaissent les mesures de sauvetage : sécuriser les lieux, alerter les secours, poser des protections provisoires, pomper, confiner, décontaminer… Elles prolongent la bonne foi et le devoir de collaboration dans l’exécution du contrat : l’assuré n’est pas seulement créancier d’une indemnité, il est aussi acteur de la maîtrise du sinistre. L’enjeu est double : limiter le coût final et éviter la perte de preuves ou de recours subrogatoires.
Il peut être observé que les mesures de sauvegarde ne doivent pas être confondues avec les mesures préventives (avant sinistre). Les prescriptions avant sinistre (alarme, entretien, règles de sécurité) relèvent d’un tout autre registre : selon la police, leur inobservation joue comme condition de garantie ou exclusion, et peut justifier un refus d’indemnisation si les conditions légales sont réunies (Cass. 2e civ., 9 juill. 2009). Elles ne doivent pas être mêlées aux mesures de sauvetage, qui interviennent après la survenance et, sauf texte ou clause, ne sont pas imposées par la loi.
==>Fondements
Contrairement à d’autres droits qui imposent un devoir général de « minimisation du dommage », le droit français ne connaît pas d’obligation générale de réduire le dommage sans texte spécial ou clause (Cass. 1re civ., 7 nov. 2000). Deux régimes particuliers nuancent toutefois ce principe :
- Assurance incendie (art. L. 122-3 C. assur.)
- Le législateur assimile aux dommages matériels directs ceux causés par les secours et par les mesures de sauvetage.
- Cela signifie que les dégradations provoquées par l’extinction et la sécurisation (portes fracturées, eaux d’extinction, etc.) sont couvertes comme le sinistre lui-même.
- En revanche, les frais de sauvetage en tant que tels (prestations, prestations d’urgence, entreprises mandatées) ne sont pas automatiquement remboursés: ils ne le sont que si le contrat les vise ou si un fondement subsidiaire peut être mobilisé (Cass. 1re civ., 30 mai 1995).
- La jurisprudence se montre toutefois favorable aux démarches utiles : ont ainsi été tenus pour indemnisables, au titre des suites de l’incendie, des frais de décontamination justifiés par l’événement (CA Versailles, 29 avr. 2001).
- À l’inverse, pas de remboursement sans sinistre garanti : en cas de danger non réalisé (ex. fuite de gaz sans explosion), l’assureur n’est pas tenu.
- Enfin, demeure un contrôle de proportion : des mesures manifestement excessives peuvent voir leur prise en charge réduite.
- Assurance maritime (art. L. 172-23 C. assur.)
- Le régime est plus exigeant : l’assuré doit contribuer au sauvetage et prendre toutes mesures conservatoires de ses droits contre les tiers ; il répond envers l’assureur du dommage causé par sa faute ou sa négligence.
- Mais la charge de la preuve pèse sur l’assureur : c’est à lui d’établir le manque de soins raisonnables imputable à l’assuré (Cass. com., 10 mars 2009 ; v. aussi L. 172-13 et Com., 3 nov. 2010).
Hors ces textes, le fondement des mesures de sauvetage est contractuel : beaucoup de polices imposent d’« agir immédiatement » pour limiter le sinistre et organisent la prise en charge (ou non) des dépenses engagées. À défaut de stipulation, l’assuré ne peut revendiquer le remboursement de ces frais que par des voies subsidiaires (gestion d’affaires, enrichissement injustifié).
==>Régime
Les mesures de sauvetage (sécuriser les lieux, alerter, poser des protections, pomper, décontaminer…) et la déclaration du sinistre servent le même objectif : permettre une gestion efficace et préserver les droits (et recours) de l’assureur. Mais leur sanction n’obéit pas au même régime.
- Déclaration tardive : la loi retient une sanction spécifique, la déchéance, opposable que si elle est stipulée et si l’assureur prouve un préjudice (C. assur., L. 113-2, 4°).
- Sauvetage : il n’existe pas de déchéance légale automatique ; toute sanction ne peut résulter que du contrat et doit respecter les garde-fous du Code.
En pratique, les polices imposent d’« agir immédiatement » pour éviter l’aggravation du sinistre et organisent la prise en charge (ou non) des frais engagés. À défaut de clause prévoyant expressément le remboursement de ces frais, ils n’entrent pas, par principe, dans la garantie d’assurance ; l’assuré ne peut alors invoquer que des fondements de droit commun (Cass. 1re civ., 30 mai 1995). Lorsque la police prévoit une sanction (par exemple l’exclusion du remboursement de certains frais si les diligences utiles n’ont pas été accomplies), cette clause doit, comme toute clause privative de droits, être mise en évidence pour être opposable (L. 112-4).
Par ailleurs, le contrat ne peut transformer un simple retard documentaire en perte de garantie : sont nulles les clauses frappant de déchéance le retard dans les déclarations aux autorités ou dans la production de pièces ; seule peut être réclamée, le cas échéant, une indemnité proportionnée au préjudice subi par l’assureur (C. assur., L. 113-11, 2° ; v. Cass. 2e civ., 30 juin 2004). Autrement dit, pour le sauvetage, le levier habituel n’est pas la déchéance de la garantie, mais la gestion contractuelle des frais (prise en charge, exclusions ciblées, réductions), sous réserve des protections posées par le Code.
B. Sanction de la déclaration frauduleuse
La déclaration de sinistre est d’abord un exercice de vérité : l’assuré doit exposer fidèlement les faits et transmettre les pièces utiles, car l’assureur instruit le dossier sur la seule base de ces éléments. Dès qu’apparaît une altération volontaire de la réalité — sinistre fictif, circonstances arrangées, surévaluation délibérée — on n’est plus dans l’approximation ou le simple retard, mais dans la fraude.
Cette qualification emporte des réponses plus fermes. Au civil, la déchéance ne peut jouer qu’en vertu d’une clause valable et opposable et suppose la preuve de la mauvaise foi ; si l’assuré a provoqué le dommage, la garantie est exclue pour faute intentionnelle. Au pénal, les mêmes faits sont susceptibles de constituer des manœuvres frauduleuses (escroquerie) ou des faux. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’examen des sanctions de la déclaration frauduleuse.
1. La réponse civile : déchéance (par clause) et défaut de garantie
==>Principe
La déchéance pour déclaration frauduleuse n’opère jamais de plein droit : c’est une sanction contractuelle. Elle ne peut jouer que si la police contient une clause de déchéance, présentée en caractères très apparents (C. assur., art. L. 112-4), et si l’assureur prouve la mauvaise foi de l’assuré. La Cour de cassation est constante : une simple inexactitude, un oubli ou une approximation ne suffisent pas ; il faut une intention de tromper (Cass. 2e civ., 5 juill. 2018, n° 17-20.491). À l’inverse, lorsque l’assuré provoque lui-même le dommage, on quitte le terrain de la déchéance post-sinistre : la garantie est exclue pour faute intentionnelle (C. assur., art. L. 113-1).
==>Preuve
La mise en œuvre suit un enchaînement simple. D’abord, l’assureur doit produire la clause et établir la fraude : altération volontaire des faits, mise en scène, surévaluation sciemment exagérée, etc. Ensuite, une fois la mauvaise foi caractérisée, la déchéance n’est pas subordonnée à la preuve d’un préjudice de l’assureur : cette exigence ne vaut que pour la tardiveté visée par l’article L. 113-2, 4° (v. Cass. 1re civ., 28 nov. 2001).
==>Absence de contrôle de proportionnalité
La Cour de cassation fixe nettement la règle : la déchéance de garantie pour fausse déclaration post-sinistre, dès lors qu’elle est librement stipulée en caractères très apparents et subordonnée à la preuve de la mauvaise foi de l’assuré, « ne saurait constituer une sanction disproportionnée » (Cass. 2e civ., 15 déc. 2022, n°20-22.836). Il n’y a donc pas lieu de conduire un contrôle de proportionnalité. En pratique : à partir du moment où l’assureur prouve la mauvaise foi, le juge n’a pas à “moduler” l’effet de la clause ; l’assureur peut s’en prévaloir. Dans l’affaire jugée, la Cour d’appel avait constaté la mauvaise foi de l’assurée et appliqué la déchéance ; la Cour de cassation approuve cette démarche, relevant qu’à bon droit la cour d’appel n’a pas examiné la proportionnalité et a rejeté le pourvoi fondé sur l’art. 1er du Protocole n° 1 CEDH.
==>Sanctions civiles complémentaires
Indépendamment — ou à défaut — de la déchéance, la fraude peut justifier la résiliation pour manquement à la bonne foi (C. civ., art. 1104 ; TGI Lyon, 11 mai 1984) et la restitution de toute somme indûment versée (responsabilité contractuelle / répétition de l’indu). L’éventuelle inscription d’incidents dans des fichiers professionnels (AGIRA) relève, pour sa part, du régime des données à caractère personnel sous le contrôle de la CNIL.
2. La réponse pénale : faux et (tentative d’)escroquerie
La réponse à une fraude commise à l’occasion d’un sinistre n’appelle pas seulement une réponse civile et plus particulièrement une sanction contractuelle, elle est également susceptible de tomber sous le coup de la loi pénale. Deux qualifications dominent. L’escroquerie (C. pén., art. 313-1) vise aussi bien la mise en scène ou la provocation délibérée du sinistre (incendie volontaire, sinistre inventé) que la tromperie sur ses circonstances ou son étendue (constat mensonger, fausses factures, surévaluation organisée) dès lors que ces manœuvres tendent à obtenir une indemnité indue. Les infractions de faux (C. pén., art. 441-1, 441-7) répriment, en parallèle ou en concours, l’altération frauduleuse de la vérité dans des écrits ou attestations utilisés pour étayer la demande d’indemnisation.
a. L’escroquerie à l’assurance
L’escroquerie suppose, d’une part, des manœuvres frauduleuses (usage d’un faux nom/qualité, abus d’une qualité vraie, mise en scène ou production de pièces falsifiées) et, d’autre part, la remise par la victime de fonds, d’un bien, d’un service ou la souscription d’un engagement (C. pén., art. 313-1).
Appliquée à l’assurance, l’infraction recouvre les situations classiques : sinistre inventé ou volontairement provoqué, constat ou attestation mensongers, factures truquées, fausse date ou majoration délibérée du dommage. Les juridictions exigent plus qu’un simple mensonge: une activité positive de tromperie (mise en scène, faux documents, déclarations coordonnées) propre à décider l’assureur à ouvrir la garantie.
Il peut être observé que la tentative d’escroquerie est punissable (C. pén., art. 313-3 et 121-5). Elle est retenue de façon pragmatique : déposer un constat amiable mensonger et solliciter l’indemnisation suffit à caractériser un commencement d’exécution, le préjudice de l’assureur résidant a minima dans les diligences engagées (ouverture de dossier, vérifications) (v. Cass. 1re civ., 30 janv. 1995, n° 93-85.513). À l’inverse, pas de tentative si l’assuré n’a accompli aucune démarche auprès de l’assureur : une plainte pour vol sans déclaration à l’assureur demeure au stade des actes préparatoires (Cass. crim., 17 déc. 2008, n°08-82.085).
L’infraction peut être commise par l’assuré seul ou avec des complices (intermédiaire, réparateur, « témoin » complaisant). Les peines de principe sont de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende (C. pén., art. 313-1), sans préjudice des peines complémentaires.
b. Les infractions de faux
Le recours à des documents falsifiés constitue à lui seul un faux et/ou un usage de faux. Est un faux, au sens de l’article 441-1 du code pénal, toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice, dans un écrit ou tout autre support (papier ou numérique). Sont typiquement en cause : devis ou factures fabriqués ou majorés, constats amiables mensongers, certificats de complaisance, rapports techniques retouchés, images ou fichiers modifiés. L’usage est consommé dès la présentation du document à l’assureur, à l’expert ou à l’intermédiaire : nul besoin d’un paiement effectif pour que l’infraction soit constituée.
Un régime spécial vise les attestations et certificats : l’article 441-7 incrimine à la fois leur établissement inexact et leur usage. Les peines encourues sont trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende (art. 441-1) et, pour les attestations/certificats inexacts, un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende (art. 441-7).
En pratique, ces infractions peuvent être poursuivies isolément (quand aucune somme n’a encore été versée) ou cumulées avec l’escroquerie (art. 313-1), les documents falsifiés constituant alors les manœuvres frauduleuses caractérisant l’escroquerie. Autrement dit, le simple dépôt d’un dossier « arrangé » suffit à faire basculer l’affaire sur le terrain pénal.