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Opérations de partage: le recensement des dettes et charges pesant sur l’indivision

Le recensement des dettes et charges pesant sur l’indivision constitue une étape indispensable avant toute opération de partage. Il s’agit d’identifier précisément les obligations financières qui grèvent la masse indivise afin de garantir une liquidation équitable et d’éviter toute contestation ultérieure. Ce recensement, souvent effectué par le notaire commis à la liquidation, doit être exhaustif et précis. Il concerne aussi bien les dettes externes, dues à des créanciers tiers, que les dettes internes, résultant des relations financières entre les indivisaires.

Le Code civil, à travers l’article 815-8, impose une obligation de transparence dans la gestion de l’indivision. Toute personne percevant des revenus ou engageant des dépenses pour le compte de l’indivision est tenue d’en tenir un état détaillé, comprenant les dettes contractées et les charges nécessaires à la conservation des biens indivis.

A) Les créances des tiers sur l’indivision

Les dettes externes concernent les obligations financières que l’indivision doit à des tiers, notamment les créanciers fiscaux, les établissements de crédit ou les copropriétés. Ces créances doivent être réglées en priorité, sous peine de poursuites contre la masse indivise.

1. Les dettes fiscales

Les biens indivis sont naturellement grevés d’obligations fiscales, dont le paiement incombe directement aux indivisaires. Ces dettes doivent impérativement être apurées avant toute opération de partage, sous peine de voir les créanciers fiscaux exercer des poursuites sur la masse indivise.

En effet, l’administration fiscale dispose de prérogatives spécifiques lui permettant de garantir le recouvrement de ses créances, notamment par le biais d’une hypothèque légale inscrite sur les biens indivis en application de l’article 1929-1 du Code général des impôts.

==>La taxe foncière

La taxe foncière est une imposition annuelle qui frappe la propriété immobilière, indépendamment de son usage ou de sa jouissance. En matière d’indivision, la jurisprudence a confirmé que cette taxe doit être répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs droits, en tant que dépense nécessaire à la conservation des biens indivis.

Ainsi, même si un indivisaire occupe seul le bien indivis, cela ne le dispense pas de partager la charge de la taxe foncière avec les autres indivisaires. Cette imposition est directement liée à la propriété du bien, et non à son occupation.

Exemple pratique :

Dans un arrêt du 16 avril 2008, la Cour de cassation a jugé que la taxe foncière devait être supportée par tous les indivisaires, y compris lorsque le bien est occupé à titre privatif par l’un d’entre eux (Cass. 1re civ., 16 avr. 2008, n° 07-12.224).

==>La taxe d’habitation

Avant sa suppression progressive depuis 2021 pour les résidences principales, la taxe d’habitation était due par le résident occupant le bien au 1er janvier de l’année d’imposition. Contrairement à la taxe foncière, cette taxe repose sur la jouissance effective du bien et pèse exclusivement sur celui qui l’occupe à titre privatif.

Dans un arrêt du 5 décembre 2018, la Cour de cassation a précisé que la taxe d’habitation devait être supportée par l’indivisaire occupant le bien, à moins qu’un accord entre les indivisaires n’en dispose autrement (Cass. 3e civ., 5 déc. 2018, n° 17-31.189).

Exemple pratique :

Si un indivisaire occupe seul un appartement indivis à titre de résidence principale, la taxe d’habitation due au 1er janvier de l’année sera entièrement à sa charge. Toutefois, un accord entre les indivisaires peut prévoir une répartition différente.

==>Les droits de succession

Dans le cadre d’une indivision successorale, les droits de succession constituent une dette prioritaire que les héritiers doivent régler avant toute opération de partage ou d’aliénation des biens indivis.

L’article 1929-1 du Code général des impôts confère à l’administration fiscale le droit d’inscrire une hypothèque légale sur les biens indivis en garantie du paiement des droits de succession. Cette hypothèque peut bloquer toute vente ou partage du bien jusqu’au règlement intégral de la créance fiscale.

Exemple pratique :

Un immeuble indivis, évalué à 500 000 €, est grevé de droits de succession s’élevant à 50 000 €. Si les héritiers n’acquittent pas ces droits, l’administration fiscale peut inscrire une hypothèque légale sur l’immeuble. Cette hypothèque rend impossible toute cession du bien sans que le fisc soit préalablement désintéressé.

Dans un arrêt du 10 mai 2011, la Cour de cassation a rappelé que les créances fiscales disposent d’un rang prioritaire, et que leur non-paiement peut justifier une vente judiciaire des biens indivis pour apurer le passif (Cass. com., 10 mai 2011, n°10-14.101).

2. Les emprunts contractés au bénéfice de l’indivision

Les biens indivis peuvent nécessiter des financements spécifiques, notamment pour leur acquisition ou leur conservation. À cette fin, les indivisaires peuvent être amenés à souscrire des emprunts collectifs, qui constituent des dettes communes devant être apurées avant tout partage. Bien que l’indivision elle-même ne puisse contracter un emprunt, en l’absence de personnalité morale, les indivisaires peuvent s’engager conjointement auprès d’un créancier pour les besoins de la masse indivise.

Les emprunts contractés par les indivisaires peuvent être regroupés en deux grandes catégories selon leur moment de souscription :

Lorsqu’un emprunt est contracté au bénéfice de l’indivision, le créancier conserve la possibilité de poursuivre chacun des indivisaires pour l’intégralité de la dette, sauf stipulation contraire dans le contrat. Cette solidarité emporte des conséquences importantes :

Dans un arrêt du 23 janvier 2001, la Cour de cassation a rappelé que l’indivisaire qui prend en charge les dépenses nécessaires à la conservation du bien indivis dispose d’une créance sur la masse indivise (Cass. 1ère civ. 23 janv. 2001, n° 98-22.937). Ce principe peut être appliqué aux emprunts souscrits pour financer de tels travaux, permettant à l’indivisaire ayant réglé les échéances de demander une compensation lors du partage.

Si un indivisaire ne s’acquitte pas de sa part des échéances d’un emprunt collectif, le créancier peut poursuivre l’ensemble des co-emprunteurs. Cette situation peut créer un déséquilibre financier au sein de l’indivision, notamment si les indivisaires solvables doivent couvrir les impayés de l’indivisaire défaillant.

Cependant, ces indivisaires peuvent ensuite se retourner contre l’indivisaire défaillant, notamment en demandant l’imputation de la dette sur sa part lors du partage final. Ce mécanisme permet de préserver l’équité entre les indivisaires.

Exemple pratique :

Un héritier refuse de contribuer au remboursement d’un prêt souscrit pour rénover un immeuble indivis. Les autres indivisaires prennent en charge les échéances pour éviter un défaut de paiement auprès de la banque. Lors du partage, ils demanderont que le montant de la dette soit imputé sur la part de l’indivisaire défaillant.

3. Les charges d’entretien et de copropriété

La gestion des biens indivis implique nécessairement l’acquittement de charges d’entretien et de gestion courante. Ces dépenses, indispensables à la préservation du patrimoine commun, constituent des obligations incontournables pour les indivisaires. Toutefois, elles peuvent rapidement devenir une source de discordes, notamment en cas de défaut de contribution de certains indivisaires ou lorsqu’un indivisaire occupe privativement le bien sans assumer les frais afférents.

Ces charges, qui grèvent directement la masse indivise, se répartissent en plusieurs catégories distinctes, chacune répondant à des besoins spécifiques en matière de conservation et de gestion des biens.

Les frais d’entretien, les charges de copropriété ou les primes d’assurance afférentes aux biens indivis constituent des dépenses récurrentes, indispensables à la préservation du patrimoine commun. Ces obligations financières, essentielles au bon fonctionnement de l’indivision, exposent néanmoins les indivisaires à au mécanisme de la solidarité passive, permettant aux créanciers d’exiger le paiement intégral de la dette auprès de l’un quelconque d’entre eux.

Ces dépenses, indispensables à la préservation et à la valorisation des biens indivis, pèsent sur l’ensemble des indivisaires, proportionnellement à leurs droits dans l’indivision. Toutefois, leur prise en charge peut susciter des difficultés pratiques, notamment en cas de défaillance d’un ou plusieurs indivisaires. Pour garantir le règlement des sommes dues, les créanciers bénéficient d’un régime de solidarité passive, qui leur permet de poursuivre l’un quelconque des indivisaires pour le paiement intégral de la dette.

Cette règle, avantageuse pour les créanciers, peut toutefois engendrer des tensions au sein de l’indivision. En effet, les indivisaires solvables peuvent être contraints de supporter les impayés des indivisaires défaillants, créant ainsi un déséquilibre financier. Afin de rétablir l’équité, ceux qui ont payé au-delà de leur quote-part peuvent exercer un recours contre les indivisaires défaillants, en demandant l’imputation des sommes avancées lors de la liquidation finale.

Pour les charges de copropriété, la solidarité passive a été instituée par la jurisprudence. Dans un arrêt du 9 février 1970, la Cour de cassation a rappelé que le syndic de copropriété peut poursuivre l’ensemble des indivisaires pour le paiement des charges impayées, et ce, indépendamment de leur participation réelle aux décisions prises en assemblée générale (Cass. 3e civ. 9 févr. 1970, n° 68-13.306).

Ce principe permet au créancier d’exiger le paiement intégral de la créance auprès de l’un quelconque des co-indivisaires, lequel devra ensuite se retourner contre les débiteurs défaillants pour obtenir le remboursement des sommes avancées.

Exemple pratique :

Un appartement indivis, situé dans une copropriété, fait l’objet de travaux de rénovation votés en assemblée générale. Si certains indivisaires refusent de régler leur part des appels de fonds, le syndic peut assigner l’indivision dans son ensemble et demander la saisie des biens indivis pour garantir le recouvrement des sommes dues. L’indivisaire poursuivi pourra ensuite, au moment du partage, demander que les sommes qu’il a avancées soient imputées sur la part des indivisaires défaillants.

Ce mécanisme, bien que protecteur pour les créanciers, peut s’avérer particulièrement contraignant pour les indivisaires qui se retrouvent tenus de payer des dettes dépassant leur propre quote-part. Cette situation peut notamment se produire dans les cas suivants :

Exemple pratique :

Si un immeuble indivis est détruit par un incendie, les indivisaires pourront prétendre à une indemnisation de la part de l’assureur, sous réserve que les primes aient été intégralement réglées. À défaut de paiement des primes, l’ensemble des indivisaires subira une perte définitive, sans possibilité de compensation. Celui qui aurait assumé seul le paiement des primes pourra demander à ce que les sommes avancées soient imputées sur les parts des autres indivisaires.

Pour éviter les déséquilibres financiers et les litiges liés à la solidarité passive, il est primordial de tenir un compte d’indivision précis, récapitulant les contributions de chaque indivisaire. Ce compte permettra de régulariser les avances de fonds et les impayés au moment de la liquidation, en imputant les créances sur les parts des indivisaires défaillants.

La Cour de cassation a rappelé, dans plusieurs décisions, que les comptes entre indivisaires doivent être établis avec une rigueur particulière, afin d’éviter que les charges pesant sur l’indivision ne soient supportées de manière disproportionnée par certains indivisaires (Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n° 98-13.006).

B) Les créances entre indivisaires

Outre les dettes externes contractées envers des créanciers tiers, l’indivision génère des dettes internes, résultant des relations financières entre les indivisaires eux-mêmes. Ces dettes trouvent leur origine dans les dépenses engagées par certains indivisaires pour la gestion ou la préservation du patrimoine indivis, ainsi que dans la jouissance privative de certains biens indivis par un ou plusieurs d’entre eux.

L’établissement de ces comptes internes, souvent confié au notaire lors des opérations de liquidation, vise à assurer une répartition équitable des charges et des bénéfices au sein de l’indivision.

==>Les avances de fonds pour la gestion et la conservation des biens indivis

Lorsqu’un indivisaire engage des dépenses nécessaires à la gestion, à la conservation ou à l’amélioration des biens indivis — telles que des travaux de réparation, le paiement des primes d’assurance, ou encore le règlement des charges de copropriété —, il est en droit de demander le remboursement de ces sommes par la masse indivise.

Ces avances de fonds constituent des créances inscrites à l’actif de l’indivisaire au moment de la reddition des comptes. Toutefois, pour être indemnisé, l’indivisaire devra démontrer que les dépenses engagées étaient nécessaires à la préservation du bien indivis.

Exemple pratique :

Si un indivisaire finance la réfection de la toiture d’un immeuble indivis pour éviter une dégradation du bien, il pourra demander à ce que les frais engagés soient inscrits comme créance à son bénéfice lors du partage.

Dans ce cas, les autres indivisaires devront contribuer au remboursement de cette créance, proportionnellement à leurs droits dans l’indivision.

==>Les indemnités d’occupation pour jouissance privative

Selon les termes de l’article 815-9 du Code civil, tout indivisaire qui occupe privativement un bien indivis doit une indemnité d’occupation à la masse indivise, dès lors que cette occupation empêche les autres indivisaires d’exercer leur droit à la jouissance commune.

Cette indemnité est destinée à compenser l’exclusion des autres indivisaires et est calculée sur la base de la valeur locative du bien. Elle constitue une dette inscrite au passif de l’indivisaire occupant lors de la liquidation.

Exemple pratique :

Si un indivisaire utilise seul un appartement indivis comme résidence principale, sans verser de compensation aux autres co-indivisaires, il sera tenu de régler une indemnité d’occupation au profit de la masse. Cette somme viendra réduire sa part dans le produit de la liquidation.

La jurisprudence a reconnu à plusieurs reprises le caractère automatique de cette indemnité d’occupation, dès lors que l’occupation privative est exercée sans accord des autres indivisaires (par ex. CA Lyon, 23 nov. 2017, n° 15/04545).

==>Les créances de gestion : rémunération d’un indivisaire désigné gérant

Lorsqu’un indivisaire est mandaté pour administrer les biens indivis, il peut prétendre à une rémunération pour sa gestion. Cette gestion peut inclure des missions telles que :

Si cette rémunération n’a pas été réglée au cours de l’indivision, elle constitue une créance inscrite à l’actif de l’indivisaire gérant lors du partage.

Exemple pratique :

Un indivisaire est chargé de gérer un immeuble locatif indivis, percevant les loyers et assurant le paiement des charges de copropriété. S’il n’a pas été rémunéré pour cette gestion, il pourra réclamer une indemnisation lors de la liquidation des comptes, correspondant aux services rendus.

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