L’indivision, régie par les articles 815 et suivants du Code civil, repose sur un principe fondamental : l’unanimité des indivisaires. Cependant, cette règle, garante de l’équilibre entre les droits de chacun, peut devenir source d’inertie, voire d’impasse, en présence de désaccords, d’incapacités ou de comportements dilatoires.
Pour prévenir de tels blocages et préserver l’intérêt commun, le législateur a prévu des mécanismes d’intervention judiciaire qui se déploient sous deux formes distinctes.
D’une part, le juge peut lever les obstacles liés à l’unanimité en délivrant des habilitations ou autorisations judiciaires. Ces dernières, encadrées par les articles 815-4 et 815-5 du Code civil, permettent de suppléer l’absence ou l’incapacité d’un indivisaire ou de surmonter un refus compromettant l’intérêt collectif des indivisaires.
D’autre part, le juge peut intervenir directement dans la gestion des biens indivis en adoptant des mesures de sauvegarde, prévues aux articles 815-6 et 815-7. Ces mesures, empreintes d’un caractère impératif, visent à préserver l’intégrité du patrimoine indivis face à des situations d’urgence ou à des menaces pesant sur sa pérennité.
Nous nous focaliserons ici sur la délivrance d’habilitations ou d’autorisations judiciaires aux fins d’accomplissement d’un acte.
L’article 815-6 du Code civil constitue une pierre angulaire du régime de l’indivision en instaurant un mécanisme permettant au Président du tribunal judiciaire, saisi en référé, de prescrire ou d’autoriser des mesures d’urgence nécessaires à la sauvegarde de l’intérêt commun.
Ce texte répond à la difficulté de réunir l’unanimité des indivisaires lorsque des circonstances impérieuses exigent une intervention rapide pour éviter une atteinte aux biens indivis ou pour préserver leur valeur.
Par cette disposition, le législateur a entendu pallier les risques inhérents à la paralysie décisionnelle qui peut découler des désaccords entre indivisaires, tout en conférant au juge un rôle subsidiaire et exceptionnel.
Toutefois, cette faculté suscite plusieurs interrogations quant à son champ d’application. En effet, les mesures d’urgence, bien que dictées par une nécessité objective, doivent respecter l’équilibre délicat entre la préservation de l’intérêt commun et les droits individuels des coïndivisaires.
La portée des mesures susceptibles d’être autorisées par le juge reste à interpréter à la lumière de la jurisprudence.
Ces mesures, qui peuvent inclure des actes conservatoires ou des décisions de gestion, doivent s’inscrire dans la stricte nécessité, sans excéder ce qui est indispensable pour préserver l’intégrité ou la valeur du patrimoine indivis.
Une lecture stricte de cette disposition est ainsi indispensable pour éviter qu’elle ne se transforme en une voie détournée permettant de contourner les règles de majorité requises pour les actes de gestion ou de disposition prévues aux articles 815-3 et suivants du Code civil.
Cette intervention juridictionnelle d’exception, bien que prévue par la loi, appelle donc une mise en œuvre prudente afin de respecter l’esprit même du régime de l’indivision, qui repose sur un équilibre entre le principe d’unanimité et les mécanismes correcteurs nécessaires pour garantir l’efficacité et la protection des biens indivis.
A) Les conditions de l’intervention du juge
Il ressort de l’article 815-6 du Code civil que deux conditions doivent être réunies pour que le juge puisse être saisi aux fins d’adoption de mesures de sauvegarde : l’urgence de la mesure sollicitée et l’intérêt commun.
1. L’urgence
La notion d’urgence, au cœur de l’application de l’article 815-6 du Code civil, désigne une situation caractérisée par une nécessité d’agir sans délai afin de prévenir un dommage imminent ou irréversible, mettant en péril les intérêts de l’indivision.
L’urgence constitue donc une condition sine qua non de l’intervention du juge en matière d’indivision, et son appréciation relève d’une analyse circonstancielle et souveraine par les juridictions compétentes.
==>Définition
L’urgence s’entend d’une situation où l’inaction pourrait entraîner des conséquences dommageables pour les biens indivis ou pour les indivisaires eux-mêmes.
Il peut s’agir, par exemple :
- D’une dégradation physique ou matérielle d’un bien indivis (ex. : immeuble menaçant ruine)?;
- D’une échéance imminente menaçant l’équilibre économique de l’indivision (ex. : créances échues, pénalités financières)?;
- D’une obligation légale ou administrative dont le non-respect entraînerait des sanctions ou des pertes irrémédiables (ex. : paiement de droits fiscaux).
Cette urgence doit être objectivement démontrée et ne saurait résulter de la seule volonté d’un indivisaire d’accélérer une prise de décision.
==>Appréciation de l’urgence
La jurisprudence a joué un rôle prépondérant dans la délimitation de la notion d’urgence, les juges évaluant au cas par cas la réalité et l’intensité du danger invoqué.
À titre d’illustration, dans un arrêt du 16 février 1988, la Cour de cassation a validé l’autorisation donnée par un juge à un indivisaire de vendre des titres indivis pour régler des droits de succession.
Dans cette affaire, les délais fiscaux impartis pour le paiement de ces droits rendaient toute autre solution impraticable, constituant ainsi une situation d’urgence justifiant une intervention judiciaire (Cass. 1ère civ., 16 févr. 1988, n°86-16.489)
De manière générale, la jurisprudence met l’accent sur deux éléments fondamentaux :
- L’imminence du préjudice? : il doit exister une menace actuelle et sérieuse, sans laquelle l’intérêt commun de l’indivision serait compromis.
- L’absence d’alternative viable : l’intervention judiciaire n’est justifiée que si aucun autre mécanisme ou accord entre indivisaires ne permet de surmonter la difficulté.
Toutefois, l’appréciation de l’urgence ne doit pas conduire à une instrumentalisation de cette notion pour contourner les règles normales de gestion de l’indivision, notamment celles requérant l’unanimité ou la majorité qualifiée selon la nature des actes.
Les mesures autorisées par le juge en urgence doivent ainsi rester proportionnées et strictement nécessaires pour prévenir le dommage imminent.
De plus, les décisions prises dans le cadre de l’urgence sont généralement à caractère provisoire?: elles n’ont pas vocation à régir durablement la gestion de l’indivision, qui doit revenir dans le cadre normal des délibérations entre indivisaires dès que les conditions le permettent.
2. L’intérêt commun
L’intérêt commun se distingue des intérêts individuels des indivisaires : il vise la protection et la pérennité de l’indivision elle-même en tant que cadre juridique et économique.
Il peut inclure, à titre d’exemples :
- La préservation de la valeur des biens indivis (ex. : entretien, réparations nécessaires, prévention de leur dégradation)?;
- La sauvegarde des droits collectifs des indivisaires (ex. : protection contre des actes ou des omissions susceptibles de nuire à l’indivision)?;
- La gestion efficace des obligations liées à l’indivision (ex. : règlement des dettes ou des charges communes).
L’intérêt commun ne suppose pas nécessairement l’unanimité ou l’accord des indivisaires. Il peut exister même en cas de désaccord, dès lors que l’action envisagée bénéficie à l’indivision dans son ensemble.
Ainsi, dans un arrêt du 13 novembre 1984, la Cour de cassation a affirmé « que l’existence, en la personne de certains indivisaires, d’intérêts divergents nés d’une circonstance étrangère a l’indivision n’implique pas l’absence d’intérêt commun » (Cass. 1re civ., 13 nov. 1984, n°83-13.999).
Cette décision souligne que l’intérêt commun transcende les conflits individuels et justifie l’intervention judiciaire pour prévenir des actions ou des abstentions préjudiciables à l’indivision.
Ainsi, même lorsque certains indivisaires expriment des oppositions ou refusent de participer à des décisions collectives, l’intérêt commun peut prévaloir pour protéger les biens indivis.
Le juge est alors habilité à prescrire des mesures nécessaires, dès lors qu’elles répondent à une logique de préservation ou de valorisation de l’ensemble des actifs indivis.
L’invocation de l’intérêt commun doit toutefois être justifiée par des éléments objectifs, démontrant que l’action ou la mesure envisagée est indispensable pour éviter un préjudice à l’indivision.
Le juge exerce un contrôle rigoureux sur la réalité de cet intérêt commun, notamment pour éviter que cette notion ne soit utilisée abusivement pour favoriser des intérêts individuels ou masquer des conflits personnels.
De plus, les mesures prises au nom de l’intérêt commun doivent respecter le principe de proportionnalité : elles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour atteindre leur objectif. Ainsi, l’intervention judiciaire, bien que légitime, doit rester mesurée et encadrée par le respect des droits des indivisaires.
B) Les mesures susceptibles d’être prises par le juge
L’article 815-6 du Code civil investit le juge de larges prérogatives pour intervenir dans les situations d’indivision, en vue de préserver l’intérêt commun des indivisaires.
L’emploi de l’adverbe « notamment » dans le texte de loi illustre le caractère non limitatif des mesures que le juge peut prescrire. Cependant, ces mesures doivent impérativement répondre à deux exigences fondamentales : l’urgence et l’intérêt commun.
Ces deux critères conditionnent l’intervention judiciaire et encadrent l’étendue des pouvoirs conférés au magistrat.
A cet égard, l’article 815-6 énumère certaines mesures spécifiques que le juge peut prendre, sans toutefois épuiser les possibilités d’intervention judiciaire.
Ces mesures s’avèrent particulièrement adaptées à des situations fréquentes dans le cadre des indivisions successorales ou familiales.
1. Perception de fonds indivis
==>Principe
L’article 815-6, alinéa 2 du Code civil confère au juge la faculté d’« autoriser un indivisaire à percevoir des débiteurs de l’indivision ou des dépositaires de fonds indivis une provision destinée à faire face aux besoins urgents, en prescrivant, au besoin, les conditions de l’emploi. »
Ce dispositif vise à prévenir les préjudices pouvant résulter de l’absence de consensus entre indivisaires ou de l’inertie collective dans la gestion des biens indivis.
==>Conditions
Pour que le juge puisse accorder une telle autorisation, deux conditions doivent être remplies :
- L’urgence des besoins
- Le caractère urgent des besoins à satisfaire constitue la condition essentielle de l’intervention judiciaire.
- L’urgence se définit comme la nécessité d’agir sans délai pour prévenir un dommage imminent ou irrémédiable, tel que le paiement de frais d’obsèques, de dettes fiscales, ou d’autres dépenses immédiates indispensables à la préservation des intérêts de l’indivision.
- Pour exemple, dans un arrêt du 16 février 1988, la Cour de cassation a validé la perception de fonds indivis pour régler des droits de succession lorsque les délais fiscaux imposent une solution rapide (Cass. 1ère civ. 16 févr. 1988, n°86-16.489).
- La pertinence de la provision
- Le montant de la provision doit être strictement limité à ce qui est nécessaire pour couvrir les besoins identifiés.
- Le juge peut, à cet égard, prescrire des conditions d’emploi précises pour encadrer l’utilisation des fonds perçus.
==>Modalités pratiques de mise en œuvre
Lorsqu’il va rendre sa décision, le juge peut :
- Identifier les débiteurs ou dépositaires concernés : les fonds indivis peuvent être détenus par des institutions financières, des locataires ou tout autre débiteur de l’indivision. Le juge doit alors clairement désigner les personnes tenues de remettre les sommes à l’indivisaire autorisé.
- Préciser les conditions d’emploi : pour garantir la bonne utilisation de la provision, le juge peut imposer des modalités spécifiques, telles que l’affectation des fonds à des dépenses déterminées ou la nécessité d’en rendre compte ultérieurement.
- Protéger les droits des autres indivisaires : la décision judiciaire ne modifie pas les droits de chacun sur les fonds indivis et n’affecte pas la qualité d’indivisaire, notamment pour le conjoint survivant ou les héritiers.
==>Portée de l’autorisation
L’article 815-6, alinéa 2 du Code civil, tout en conférant au juge le pouvoir d’autoriser un indivisaire à percevoir des fonds pour répondre à des besoins urgents, prévoit explicitement une limitation importante quant à la portée de cette autorisation :
Le texte précise, en effet, que « cette autorisation n’entraîne pas prise de qualité pour le conjoint survivant ou pour l’héritier. »
Cette précision vise à encadrer rigoureusement les effets de l’autorisation délivrée par le juge, afin de préserver l’équilibre entre les droits des indivisaires et d’éviter toute dérive.
La règle s’applique notamment dans situations?distinctes :
- Première situation
- Lorsqu’un conjoint survivant est autorisé à percevoir des fonds indivis pour faire face à des dépenses urgentes, cette faculté n’implique pas reconnaissance implicite de droits préférentiels dans l’indivision, en particulier dans les successions complexes où les droits entre héritiers et conjoint doivent être strictement délimités.
- Seconde situation
- L’héritier autorisé à percevoir des fonds agit au titre d’une mission temporaire et encadrée, et ne peut en tirer aucun avantage dans la répartition future des biens.
- Cela garantit l’impartialité et l’équité dans l’administration et le partage de l’indivision.
Ainsi, la règle énoncée à l’article 815-6, al. 2 in fine vise à éviter toute confusion entre l’exercice d’une mission ponctuelle et les droits patrimoniaux ou personnels des indivisaires, ces derniers restant strictement définis par les dispositions légales applicables (articles 815 et suivants du Code civil).
2. Désignation d’un administrateur provisoire
==>Exposé du principe
L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil confère au président du tribunal judiciaire le pouvoir de désigner un administrateur provisoire ou un séquestre pour assurer la gestion des biens indivis dans l’intérêt commun.
Le texte prévoit en ce sen que le juge « peut également soit désigner un indivisaire comme administrateur en l’obligeant, s’il y a lieu, à donner caution, soit nommer un séquestre. Les articles 1873-5 à 1873-9 du présent code s’appliquent en tant que de raison aux pouvoirs et aux obligations de l’administrateur, s’ils ne sont autrement définis par le juge.?»
La désignation d’un administrateur provisoire ou d’un séquestre vise à répondre à des situations de crise, dans lesquelles l’unanimité ou la gestion collégiale des indivisaires devient impossible ou inefficace.
Ces situations peuvent procéder :
- De conflits internes?: désaccords persistants empêchant la prise d’actes nécessaires à la gestion des biens indivis.
- D’une urgence : nécessité d’accomplir rapidement des actes pour protéger les biens, comme la réalisation de travaux, la perception de revenus ou la vente de biens.
La finalité de la règle énoncée à l’article 815-6, al. 3e du Code civil est parfaitement bien illustrée dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 octobre 1993.
Dans cette affaire, la Première chambre civile a confirmé la désignation d’un indivisaire en qualité d’administrateur des biens indivis dans une situation marquée par un désaccord entre les coïndivisaires, l’absence de convention relative à la gestion de l’indivision, et des désordres de gestion nécessitant une intervention urgente.
En l’espèce, à la suite du décès d’un coïndivisaire, une seconde indivision successorale avait vu le jour entre le père survivant et ses deux enfants, légataires universels.
L’un des indivisaires, invoquant l’inertie dans la gestion des biens indivis et les difficultés qui en découlaient, avait obtenu du juge des référés sa désignation en qualité d’administrateur provisoire.
La Cour de cassation a approuvé cette décision en retenant que :
- D’une part, l’urgence et l’intérêt commun justifiaient l’intervention du juge, en raison de l’absence d’accord entre les indivisaires sur les modalités de gestion ;
- D’autre part, les dispositions de l’article 815-6 du Code civil s’appliquent à toutes les indivisions, qu’elles soient successorales ou d’une autre nature, permettant ainsi de remédier aux situations de blocage.
Cette décision met en lumière la vocation de l’administrateur provisoire à répondre efficacement aux crises de gestion dans l’indivision, en particulier lorsqu’aucune organisation conventionnelle n’a été prévue et que les dissensions entre indivisaires compromettent la préservation de leurs intérêts communs.
==>Les personnes pouvant être désignées comme administrateur
L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil prévoit expressément que le juge peut désigner un indivisaire comme administrateur, tout en lui imposant, si nécessaire, de fournir une caution.
Toutefois, bien que cette disposition semble limiter la désignation à un indivisaire, la doctrine et la jurisprudence ont progressivement élargi cette faculté pour inclure également la possibilité de désigner un tiers lorsque les circonstances l’exigent.
- La désignation d’un indivisaire
- La désignation d’un indivisaire comme administrateur est généralement privilégiée, car elle présente plusieurs avantages pratiques :
- Connaissance des biens indivis : en tant que copropriétaire, l’indivisaire connaît généralement la nature et les caractéristiques des biens indivis, ce qui facilite leur gestion.
- Alignement d’intérêts : l’indivisaire désigné agit dans l’intérêt commun, ce qui réduit le risque de conflit entre les parties.
- Cependant, cette désignation peut être problématique lorsque les indivisaires sont en désaccord profond ou si l’indivisaire pressenti manque des compétences nécessaires pour gérer efficacement les biens indivis.
- La désignation d’un indivisaire comme administrateur est généralement privilégiée, car elle présente plusieurs avantages pratiques :
- La désignation d’un tiers
- Dans certains cas, la désignation d’un tiers comme administrateur est admise par la jurisprudence et peut s’avérer plus appropriée.
- Cette solution se justifie notamment dans les situations suivantes :
- Lorsque les relations entre les indivisaires sont marquées par une méfiance ou un conflit exacerbé, un tiers impartial est souvent préférable pour éviter que la gestion des biens ne devienne un enjeu de discorde supplémentaire.
- Si aucun indivisaire ne possède les compétences ou les qualités nécessaires pour assumer la fonction d’administrateur, le juge peut se tourner vers une personne extérieure qualifiée.
- La Cour de cassation a admis cette possibilité de désigner un tiers comme administrateur de l’indivision dans un arrêt du 6 février 2001 (Cass. 1ère civ., 6 févr. 2001, n°98-19.060).
- Dans cette affaire, il s’agissait de la désignation d’un indivisaire en usufruit comme administrateur dans le cadre d’une indivision portant sur des droits en usufruit et en nue-propriété.
- La Haute juridiction a jugé que l’administrateur doit appartenir à l’indivision concernée et que, en cas de superposition de plusieurs indivisions, une désignation parmi les indivisaires pourrait ne pas convenir si les intérêts divergent fortement.
- Cette solution ouvre implicitement la possibilité de désigner un tiers en tant qu’administrateur, à condition que le juge motive cette décision, notamment en mettant en avant :
- Soit l’inaptitude des indivisaires à gérer les biens dans l’intérêt commun ;
- Soit l’urgence et la nécessité d’une intervention extérieure pour préserver les biens indivis.
- La désignation d’un tiers n’étant pas expressément prévue par l’article 815-6, alinéa 3, elle repose sur une interprétation extensive du texte, guidée par l’objectif de préserver l’intérêt commun des indivisaires.
- Ainsi, le juge doit motiver sa décision en démontrant que :
- La désignation d’un indivisaire est impossible ou inopportune ;
- L’intervention d’un tiers est indispensable pour garantir une gestion neutre et efficace des biens indivis.
==>Missions et pouvoirs de l’administrateur
L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil confère à l’administrateur des pouvoirs définis par le juge, ou, à défaut, par les articles 1873-5 à 1873-9, applicables par analogie aux indivisions conventionnelles.
Ces dispositions permettent une gestion adaptée à chaque situation, garantissant l’administration efficace des biens indivis dans l’intérêt commun des indivisaires.
- Les missions générales de l’administrateur
- L’administrateur exerce un rôle pivot dans la gestion des biens indivis.
- Ses missions principales comprennent :
- La gestion courante
- L’administrateur veille à l’administration ordinaire des biens indivis, ce qui comprend notamment :
- L’entretien et la préservation des biens ;
- La perception des revenus générés, comme les loyers ou les dividendes ;
- La gestion locative, incluant la conclusion et le renouvellement de baux nécessaires à l’exploitation des biens indivis.
- L’administrateur veille à l’administration ordinaire des biens indivis, ce qui comprend notamment :
- La réalisation d’actes urgents
- L’administrateur est habilité à accomplir les actes indispensables pour éviter la dégradation des biens indivis ou répondre à des besoins pressants.
- Ces actes, souvent conservatoires, permettent de prévenir un préjudice imminent pour l’indivision.
- La représentation en justice
- L’administrateur représente les indivisaires dans les procédures judiciaires nécessaires à la défense ou à la préservation des intérêts de l’indivision.
- Aux termes de l’article 1873-6, alinéa 1er, il peut agir en justice tant en demande qu’en défense, dans la limite de ses pouvoirs.
- Il ne peut cependant intenter des actions personnelles propres aux indivisaires, comme les actions liées à la filiation ou au mariage (Cass. 1re civ., 11 mars 1980, n°78-13.927).
- L’administrateur représente les indivisaires dans les procédures judiciaires nécessaires à la défense ou à la préservation des intérêts de l’indivision.
- La gestion courante
- Les pouvoirs spécifiques conférés par le juge
- L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil prévoit que, en l’absence de définition expresse des pouvoirs conférés à l’administrateur par le juge, les dispositions des articles 1873-5 à 1873-9, relatives aux indivisions conventionnelles, s’appliquent « en tant que de raison ».
- Toutefois, ce renvoi à ces articles ne lie pas le juge, qui peut, selon les besoins de l’affaire et les circonstances particulières, accorder des pouvoirs allant bien au-delà de ceux prévus dans ces dispositions.
- En effet, bien que les articles 1873-5 à 1873-9 constituent un cadre supplétif de référence pour l’administration des biens indivis, ils ne limitent pas l’étendue des pouvoirs que le juge peut attribuer.
- La Cour de cassation a affirmé en ce sens dans un arrêt du 10 juin 2015 que ces dispositions devaient être appliquées uniquement dans la mesure où le juge n’a pas spécifiquement précisé les missions et prérogatives de l’administrateur dans son ordonnance de désignation (Cass. 1re civ., 10 juin 2015, n°14-18.944).
- Ainsi, le juge conserve une grande latitude pour adapter les pouvoirs de l’administrateur aux besoins propres à chaque indivision.
- A cet égard, le juge peut, lorsqu’il l’estime nécessaire pour protéger l’intérêt commun ou répondre à des situations d’urgence, conférer des pouvoirs qui dépassent les actes de gestion courante.
- Ces pouvoirs exceptionnels doivent être strictement justifiés par les circonstances, notamment lorsque les biens indivis nécessitent une administration active ou des décisions rapides pour éviter un préjudice.
- Aussi, par exemple, la Cour de cassation a admis que le juge pouvait autoriser un administrateur à procéder à la vente de biens indivis, même lorsqu’il s’agit d’un acte de disposition normalement soumis à l’unanimité des indivisaires (Cass. 1re civ., 10 juin 2015, n°14-18.944).
- Une telle mesure, bien que exceptionnelle, répondant à une situation d’urgence et était conforme à l’intérêt commun de l’indivision.
- De manière similaire, le juge pourrait autoriser un administrateur à conclure des baux nécessitant normalement le consentement unanime des indivisaires, dès lors que ces actes sont jugés nécessaires à la préservation ou à la valorisation des biens indivis.
- Limites aux pouvoirs de l’administrateur
- L’administrateur désigné en vertu de l’article 815-6, alinéa 3 du Code civil exerce des pouvoirs définis par le juge, mais ceux-ci ne sont pas illimités.
- Deux principales limites encadrent ses actions : l’interdiction d’intenter des actions personnelles attachées aux indivisaires et l’obligation de respecter leur volonté unanime.
- Interdiction d’exercer des actions personnelles
- L’administrateur provisoire ne peut agir sur des droits strictement attachés à la personne des indivisaires, même si ces droits ont des conséquences patrimoniales.
- Cette restriction repose sur le principe selon lequel les actions personnelles relèvent exclusivement de l’initiative des individus concernés.
- Aussi, par exemple, les actions portant sur l’état civil ou familial des indivisaires échappent au champ d’intervention de l’administrateur.
- Dans un arrêt du 11 mars 1980, la Cour de cassation a ainsi jugé qu’un administrateur d’indivision successorale ne pouvait se substituer aux indivisaires pour exercer une action en nullité de mariage, celle-ci étant éminemment personnelle malgré ses implications patrimoniales (Cass. 1ère civ., 11 mars 1980, n° 78-13.927).
- Même lorsque ces actions personnelles ont un impact direct sur les biens indivis, comme dans le cas de l’annulation d’un mariage pouvant affecter les droits successoraux, elles restent hors du périmètre d’intervention de l’administrateur. Cette interdiction vise à préserver le caractère personnel et privé de telles démarches.
- Respect de la volonté unanime des indivisaires
- L’administrateur provisoire ne peut agir contre l’unanimité des indivisaires, cette unanimité constituant une expression de leur accord collectif, essentielle dans le cadre de l’indivision.
- En effet, lorsque les indivisaires s’entendent pour accomplir un acte particulier, l’administrateur n’a plus vocation à intervenir.
- Par exemple si tous les indivisaires conviennent de vendre un bien indivis, l’administrateur ne peut contester cette décision ni agir en leur nom pour imposer un autre choix.
- De même, si une décision commune met fin à un litige, l’administrateur ne peut engager d’action judiciaire allant à l’encontre de cette volonté.
- La jurisprudence a précisé que la mission de l’administrateur devient caduque dès lors qu’une unanimité des indivisaires est constatée, l’article 815-3 du Code civil leur conférant le pouvoir de gérer et disposer des biens par un consentement unanime.
- A cet égard, la fonction de l’administrateur est avant tout de pallier les désaccords ou l’inertie des indivisaires.
- En cas d’accord unanime, son intervention devient superflue et sa mission limitée à d’autres actes non couverts par cet accord.
- Cela garantit que l’administrateur ne se substitue pas à la volonté collective des indivisaires lorsqu’elle peut s’exprimer.
- Interdiction d’exercer des actions personnelles
==>Cessation des fonctions de l’administrateur
La cessation des fonctions de l’administrateur désigné pour gérer une indivision peut intervenir de plein droit, par décision judiciaire, ou à l’initiative des indivisaires.
- Cessation de plein droit
- La mission de l’administrateur prend fin automatiquement lorsque l’échéance fixée par le juge dans l’ordonnance de désignation est atteinte.
- Conformément à l’article 815-6, alinéa 3 du Code civil, cette échéance est déterminée en fonction des besoins spécifiques de l’indivision.
- L’objectif est d’encadrer temporellement la gestion pour éviter toute prolongation indue de la mission, sauf si une reconduction est expressément décidée par le juge à la demande des parties.
- Cessation par décision judiciaire
- Le juge peut mettre un terme à la mission de l’administrateur avant l’échéance prévue dans deux situations principales :
- Fin de nécessité de la mission
- Lorsque les circonstances ayant justifié la désignation de l’administrateur disparaissent, notamment en cas de résolution des conflits entre indivisaires ou de disparition de l’urgence ayant motivé l’intervention, le juge peut révoquer l’administrateur.
- Par exemple, si un accord est trouvé pour gérer collectivement les biens indivis, la mission de l’administrateur devient superflue.
- Faute de gestion ou manquements
- En cas de carence, de mauvaise gestion, ou d’actes contraires à l’intérêt commun des indivisaires, le juge peut prononcer la révocation de l’administrateur.
- Cette décision doit reposer sur une analyse des faits, tels que des malversations, un conflit d’intérêts manifeste, ou l’inaptitude à exécuter les actes nécessaires à la préservation ou à la mise en valeur des biens indivis.
- Fin de nécessité de la mission
- Le juge peut mettre un terme à la mission de l’administrateur avant l’échéance prévue dans deux situations principales :
- Cessation par accord des indivisaires
- L’unanimité des indivisaires constitue une limite essentielle aux pouvoirs de l’administrateur.
- Si tous les indivisaires s’accordent pour demander la cessation de la mission de l’administrateur, cette demande doit être soumise au juge pour validation.
- Bien que l’accord unanime des indivisaires témoigne d’une volonté collective, le juge demeure compétent pour apprécier si cette cessation ne porte pas préjudice à l’intérêt commun, notamment dans les cas où des dettes restent à régler ou des actes urgents à accomplir.
==>Désignation d’un séquestre
La désignation d’un séquestre, prévue à l’article 815-6, alinéa 3 du Code civil, constitue une mesure exceptionnelle destinée à garantir la préservation des biens indivis dans les situations où l’intérêt commun des indivisaires est menacé.
À la différence de l’administrateur provisoire, le séquestre est souvent envisagé lorsque des fonds ou des biens nécessitent une gestion neutre et impartiale pour prévenir des conflits ou des abus.
- Fondement et finalité de la mesure
- L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil permet au Président du tribunal judiciaire de nommer un séquestre dans les cas où la préservation de l’intérêt commun des indivisaires l’exige.
- Cette mesure s’applique principalement lorsque l’urgence ou l’existence de différends entre indivisaires empêche une gestion efficace des biens ou des fonds indivis.
- La désignation d’un séquestre vise plusieurs objectifs :
- Prévenir les risques de dissipation des biens ou des fonds indivis?: lorsqu’un indivisaire est soupçonné de détourner ou de dilapider des biens communs, le séquestre assure leur conservation dans des conditions sécurisées.
- Gérer temporairement les biens indivis?: le séquestre peut percevoir les revenus générés par les biens ou assurer leur entretien, en attendant une résolution amiable ou judiciaire des différends entre les indivisaires.
- Garantir la neutralité de la gestion?: contrairement à l’administrateur provisoire, souvent désigné parmi les indivisaires, le séquestre est généralement un tiers impartial, ce qui réduit les risques de conflit d’intérêts.
- Conditions de désignation
- Pour qu’un séquestre puisse être désigné, deux conditions essentielles doivent être réunies :
- Existence d’un risque pour les biens indivis
- La mesure est ordonnée lorsque l’absence de gestion efficace ou des conflits entre indivisaires mettent en péril les biens indivis ou leur valeur.
- Cela peut concerner, par exemple, des revenus issus de la location d’un immeuble indivis ou des fonds résultant de la vente d’un bien.
- Intérêt commun des indivisaires
- La désignation d’un séquestre est justifiée lorsque l’intérêt collectif des indivisaires ne peut être préservé autrement.
- Le séquestre agit au nom de tous les indivisaires, indépendamment de leurs intérêts individuels divergents.
- Existence d’un risque pour les biens indivis
- Pour qu’un séquestre puisse être désigné, deux conditions essentielles doivent être réunies :
- Personnes pouvant être désignées comme séquestre
- Contrairement à l’administrateur provisoire, qui est souvent un indivisaire, le séquestre est généralement choisi parmi des tiers, en raison de la neutralité requise pour remplir cette fonction.
- Il peut s’agir :
- D’un notaire, souvent désigné pour gérer des fonds ou superviser des opérations complexes, telles que le partage successoral?;
- D’un avocat ou d’un administrateur judiciaire, dans les cas nécessitant des compétences spécifiques?;
- De toute personne qualifiée, dont l’impartialité et les compétences sont reconnues par le juge.
- La doctrine admet cependant la possibilité de désigner un indivisaire comme séquestre, sous réserve que cette désignation ne soulève pas de conflits d’intérêts.
- Pouvoirs du séquestre
- Les pouvoirs du séquestre ne sont pas expressément définis par l’article 815-6 du Code civil. Ils sont donc librement fixés par le juge en fonction des besoins de l’indivision.
- Ils peuvent comprendre :
- La conservation et la gestion des fonds indivis, comme leur placement en attente d’un partage?;
- La perception des revenus générés par les biens, tels que les loyers?;
- L’exécution d’actes urgents nécessaires à la préservation des biens ou de leur valeur.
- Le séquestre doit rendre compte de sa gestion aux indivisaires et au juge, selon les modalités définies par ce dernier.
==>Cessation de la mission
La mission du séquestre prend fin :
- De plein droit : à l’échéance fixée par le juge lors de sa désignation?;
- Par décision judiciaire : le juge peut révoquer le séquestre en cas de faute ou lorsque la mission devient inutile?;
À l’issue de l’objectif fixé?: Lorsque les biens ou fonds placés sous séquestre peuvent être répartis ou gérés directement par les indivisaires.
3. Interdiction de déplacer des meubles corporels
L’article 815-7 du Code civil prévoit une mesure particulière qui permet au Président du tribunal judiciaire d’interdire le déplacement des meubles corporels indivis.
Cette disposition, bien que distincte de l’article 815-6, alinéa 1er , en constitue une application concrète, s’inscrivant dans le cadre des mesures urgentes destinées à préserver l’intérêt commun des indivisaires.
==>Fondement et finalité
L’article 815-7 dispose?que « le président du tribunal peut aussi interdire le déplacement des meubles corporels sauf à spécifier ceux dont il attribue l’usage personnel à l’un ou à l’autre des ayants droit, à charge pour ceux-ci de donner caution s’il l’estime nécessaire. »
Ce texte, directement inspiré de l’article 220-1, alinéa 2 du Code civil, relatif aux régimes matrimoniaux, a pour objectif de préserver les biens corporels indivis en cas de risques de dissipation, de détournement ou de mésentente entre indivisaires.
Toutefois, il s’en distingue par plusieurs particularités propres au régime de l’indivision?:
- D’une part, le juge peut imposer une caution à l’indivisaire auquel l’usage personnel d’un bien est attribué, afin de protéger les intérêts des coïndivisaires.
- D’autre part, aucune limitation de durée n’est prévue pour la mesure, contrairement à ce qui est prévu dans le cadre des régimes matrimoniaux.
==>Conditions
La mise en œuvre de cette interdiction est subordonnée aux conditions générales prévues par l’article 815-6 :
- Urgence : la mesure doit être justifiée par la nécessité de préserver les biens indivis contre un risque imminent.
- Intérêt commun : l’interdiction doit viser à protéger l’ensemble des indivisaires, et non à privilégier les intérêts d’un seul.
L’interdiction de déplacer les meubles corporels est généralement appliquée dans des contextes où les conflits entre indivisaires entraînent une menace pour la conservation des biens indivis.
Elle peut concerner divers types de biens?: mobilier, bijoux, titres au porteur ou véhicules.
==>Etendue de l’interdiction
Le juge dispose d’une large latitude dans la mise en œuvre de l’interdiction :
- Interdiction générale : la mesure peut s’appliquer à l’ensemble des meubles corporels indivis, comme des meubles meublants ou des objets de valeur.
- Interdiction partielle : le juge peut limiter l’interdiction à certains biens spécifiques, en fonction des besoins et des circonstances.
- Attribution d’un bien à un indivisaire en particulier : dans certains cas, le juge peut attribuer l’usage exclusif de certains biens à un indivisaire, sous réserve de la constitution d’une caution ou de toute autre garantie destinée à préserver les droits des autres indivisaires.
==>Sanctions
Bien que l’article 815-7 ne prévoie pas de mesures de publicité ou de sanctions pénales spécifiques, plusieurs mécanismes peuvent renforcer son efficacité?:
En cas de non-respect de l’interdiction, l’indivisaire fautif peut être condamné à des dommages et intérêts, notamment en cas de détournement ou de vente des biens protégés.
Si l’indivisaire enfreint l’interdiction, une saisie conservatoire ou une mesure équivalente peut être mise en œuvre pour garantir la conservation des biens.
La doctrine recommande parfois d’associer cette interdiction à une mesure de séquestre, ce qui permettrait d’engager la responsabilité pénale de l’indivisaire en cas de détournement (art. 314-5 C. pen.).
4. Autorisation d’effectuer des travaux d’amélioration, de réhabilitation et de restauration des immeubles d’habitation situés dans les départements d’outre-mer
L’article 815-7-1 du Code civil, introduit par la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009, constitue un dispositif spécifique destiné à faciliter la remise sur le marché locatif des immeubles indivis vacants situés dans les départements d’outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion) et dans la collectivité de Saint-Martin.
Ce texte permet à un indivisaire, sous certaines conditions, de réaliser des travaux et actes administratifs sans l’accord des autres indivisaires.
==>Finalité du dispositif
La mesure vise à répondre à un enjeu spécifique : lutter contre la vacance prolongée des immeubles indivis dans ces territoires, souvent caractérisée par des mésententes entre coïndivisaires ou une gestion déficiente.
L’objectif est de permettre à un indivisaire d’engager des travaux d’amélioration, de réhabilitation ou de restauration, afin de rendre le bien éligible à la location à usage d’habitation principale.
La règle énoncée à l’article 815-7-1 du Code civil reflète une volonté législative de revitaliser le parc immobilier locatif dans les départements d’outre-mer.
Comme indiqué dans les travaux parlementaires, cette mesure permet à un indivisaire de passer outre l’absence d’accord des coïndivisaires, facilitant ainsi les démarches nécessaires à la mise en location de biens vacants.
==>Conditions d’application
La mise en œuvre de l’article 815-7-1 est soumise à la réunion de plusieurs conditions :
- Conditions relatives à l’immeuble
- L’immeuble doit être situé en Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion ou Saint-Martin.
- Il doit être à usage d’habitation ou à usage mixte (habitation et professionnel).
- L’immeuble doit être vacant ou inoccupé depuis plus de deux années civiles.
- Conditions relatives aux travaux et actes autorisés
- Les travaux doivent être de nature à améliorer, réhabiliter ou restaurer l’immeuble.
- Les actes juridiques, tels que les formalités d’administration et de publicité, doivent viser exclusivement à permettre la location du bien à titre d’habitation principale.
==>Régime
L’article 815-7-1 prévoit que l’autorisation judiciaire est donnée «?dans les conditions prévues aux articles 813-1 à 813-9 du Code civil?», qui régissent la désignation d’un mandataire successoral.
Ce renvoi emporte plusieurs conséquences :
- Compétence juridictionnelle : le tribunal judiciaire est compétent pour statuer sur la demande.
- Mandat judiciaire : l’indivisaire autorisé agit comme un mandataire judiciaire, disposant des pouvoirs nécessaires pour accomplir les actes requis.
- Harmonisation avec les règles successorales : bien que le texte ne limite pas son champ d’application aux seules indivisions successorales, le renvoi aux règles du mandat successoral suscite certaines interrogations, notamment quant à l’applicabilité de ces dispositions dans d’autres contextes d’indivision.
C) La procédure
1. Compétence juridictionnelle
==>Compétence du Président du Tribunal judiciaire
L’article 815-6 du Code civil confie expressément la compétence au président du Tribunal judiciaire pour prescrire ou autoriser des mesures urgentes nécessaires à la préservation de l’intérêt commun des indivisaires.
Ce dernier a pour mission de trancher les situations de blocage dans la gestion des biens indivis, en répondant aux exigences de rapidité et d’efficacité.
La compétence est exclusivement civile. Ainsi, même si l’indivision porte sur des parts de société, il revient au tribunal judiciaire de statuer, et non au tribunal de commerce (CA Versailles, 11 mars 1987).
De même, le juge aux affaires familiales n’intervient pas, même lorsque l’indivision est issue d’une séparation ou d’un divorce (circulaire du 16 juin 2010).
==>Nature des pouvoirs du Président du Tribunal judiciaire
La question de la nature exacte des pouvoirs conférés au président du tribunal judiciaire en application de l’article 815-6 du Code civil a longtemps été débattue.
Deux approches peuvent être adoptées :
- Le Président du Tribunal judiciaire statue-t-il en référé??
- Certains auteurs et juridictions ont initialement considéré que le Président du Tribunal judiciaire, saisi sur le fondement de l’article 815-6, exerçait des pouvoirs de référé (articles 834 et 835 du Code de procédure civile).
- Cette position s’appuyait sur le critère d’urgence inhérent à cette procédure.
- Cependant, cette interprétation limite les prérogatives du juge, qui, en référé, ne peut toucher au fond du litige ni autoriser des actes de disposition comme la vente de biens indivis.
- Cette restriction rendait la procédure inadéquate pour répondre aux besoins complexes de l’indivision.
- Le Président du Tribunal judiciaire statue-t-il au fond??
- Une approche concurrente soutenait que le président, dans le cadre de l’article 815-6, statue “en la forme des référés” (ancienne procédure avant 2019 devenue la procédure accélérée au fond), lui permettant d’intervenir directement sur le fond des litiges liés à l’indivision.
- Cette interprétation élargit considérablement les pouvoirs du président, qui peut ainsi autoriser des actes dépassant la simple administration courante, comme la vente d’un bien indivis.
La Cour de cassation a tranché ce débat en faveur de la seconde interprétation. Dans plusieurs décisions, elle a affirmé que le Président du Tribunal judiciaire, lorsqu’il est saisi en application de l’article 815-6, le fait dans un cadre procédural lui permettant de statuer au fond (V. notamment en ce sens Cass. 1re civ., 16 févr. 1988, n°86-16.489)
Cette position a été confirmée avec l’introduction de la procédure accélérée au fond par le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019, désormais régie par l’article 481-1 du Code de procédure civile.
Cette procédure remplace l’ancienne “forme des référés” et autorise le président à trancher directement le fond des litiges. Elle est particulièrement adaptée aux situations où l’intérêt commun des indivisaires exige une intervention immédiate et décisive.
Statuer au fond permet au président d’autoriser des actes de disposition, comme la vente de biens indivis pour régler des dettes ou effectuer des travaux urgents, dans des délais rapides et sans nécessiter un recours ultérieur au tribunal.
Toutefois, les pouvoirs du président restent limités aux mesures urgentes nécessaires à la sauvegarde de l’intérêt commun des indivisaires.
Il ne saurait intervenir dans des domaines étrangers à cette finalité, tels que, par exemple, le droit viager au logement du conjoint survivant, qui relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire (Cass. 1ère civ., 24 oct. 2012, n° 11-17.094).
==>Saisine et instruction
La saisine du président du tribunal judiciaire ne peut être initiée que par un indivisaire ayant intérêt à agir, excluant toute intervention d’office du juge.
La demande peut également être formée par un créancier agissant par voie d’action oblique, lorsque les mesures requises visent à protéger indirectement ses intérêts (ex.?: vente d’un bien indivis pour régler des dettes).
A cet égard, la saisine se fait par assignation, et non par voie de requête, conformément à l’article 493 du Code de procédure civile.
Cette disposition prévoit, en effet, qu’il ne peut être opté pour la procédure sur requête que « dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse », ce qui ici n’est pas le cas.
En tout état de cause, le demandeur doit démontrer l’urgence de la mesure et son caractère nécessaire pour préserver l’intérêt commun. Ces deux conditions sont cumulatives et appréciées souverainement par le juge.
Enfin, une fois saisi, le Président du Tribunal examine si les mesures sollicitées sont conformes aux exigences légales. Les pièces justificatives doivent établir non seulement la réalité des biens indivis, mais aussi l’urgence et les risques encourus en cas d’inaction.