Site icon Gdroit

Gestion de l’indivision: la délivrance d’habilitations ou d’autorisations judiciaires aux fins d’accomplissement d’un acte

L’indivision, régie par les articles 815 et suivants du Code civil, repose sur un principe fondamental : l’unanimité des indivisaires. Cependant, cette règle, garante de l’équilibre entre les droits de chacun, peut devenir source d’inertie, voire d’impasse, en présence de désaccords, d’incapacités ou de comportements dilatoires.

Pour prévenir de tels blocages et préserver l’intérêt commun, le législateur a prévu des mécanismes d’intervention judiciaire qui se déploient sous deux formes distinctes.

D’une part, le juge peut lever les obstacles liés à l’unanimité en délivrant des habilitations ou autorisations judiciaires. Ces dernières, encadrées par les articles 815-4 et 815-5 du Code civil, permettent de suppléer l’absence ou l’incapacité d’un indivisaire ou de surmonter un refus compromettant l’intérêt collectif des indivisaires.

D’autre part, le juge peut intervenir directement dans la gestion des biens indivis en adoptant des mesures de sauvegarde, prévues aux articles 815-6 et 815-7. Ces mesures, empreintes d’un caractère impératif, visent à préserver l’intégrité du patrimoine indivis face à des situations d’urgence ou à des menaces pesant sur sa pérennité.

Nous nous focaliserons ici sur la délivrance d’habilitations ou d’autorisations judiciaires aux fins d’accomplissement d’un acte.

La loi prévoit que le juge peut intervenir, par la délivrance d’habilitations ou d’autorisations, dans trois situations bien distinctes, chacune répondant à des nécessités spécifiques et visant à garantir la sauvegarde des intérêts indivis.

D’une part, il peut habiliter un indivisaire à représenter un coindivisaire lorsqu’il est hors d’état de manifester sa volonté, qu’il s’agisse d’une incapacité juridique, physique ou d’une absence matérielle, entravant ainsi la prise de décisions collectives.

D’autre part, le juge peut autoriser un indivisaire à accomplir seul un acte nécessitant, en principe, l’unanimité, lorsque le refus d’un ou plusieurs coindivisaires met en péril l’intérêt commun, et compromet ainsi la gestion harmonieuse de l’indivision.

Enfin, il peut autoriser la vente d’un bien indivis, sous réserve que les conditions légales soient réunies, notamment lorsque cette cession apparaît nécessaire à la valorisation ou à la préservation du patrimoine commun.

Ces mécanismes, loin d’être anodins, permettent de surmonter les blocages potentiels et de préserver l’intégrité des biens et des droits en indivision.

A) La délivrance d’une habilitation judiciaire en présence d’un indivisaire se trouvant hors d’état de manifester sa volonté

L’article 815-4 du Code civil confère au juge la prérogative d’habiliter un indivisaire à représenter un coindivisaire lorsque ce dernier est dans l’impossibilité de manifester sa volonté.

Ce dispositif, issu d’une transposition des mécanismes prévus aux articles 217 et 219 du Code civil, vise à surmonter les blocages liés à l’incapacité, à l’éloignement ou à l’absence d’un indivisaire, tout en respectant les intérêts de l’indivision et des coindivisaires. Il s’agit d’une mesure d’exception, conçue pour garantir la continuité de la gestion des biens indivis tout en encadrant strictement les conditions et effets de l’habilitation.

1. Le principe

L’article 815-4 du Code civil dispose que « si l’un des indivisaires se trouve hors d’état de manifester sa volonté, un autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale ou pour certains actes particuliers, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge ».

Ce texte offre une solution pragmatique pour faire face aux situations d’incapacité affectant un indivisaire, en habilitant un coindivisaire à le représenter. Ce dispositif s’inscrit dans une logique de sauvegarde des intérêts collectifs et individuels, tout en préservant l’équilibre entre les droits de chacun.

L’habilitation judiciaire vise avant tout à garantir la continuité dans la gestion des biens indivis. En effet, l’incapacité d’un indivisaire, qu’elle résulte d’une situation matérielle (éloignement, inaccessibilité) ou juridique (incapacité légale, altération des facultés), pourrait provoquer une paralysie décisionnelle.

Or, une gestion efficace et rationnelle des biens indivis exige de surmonter de telles impasses pour préserver les intérêts de l’ensemble des indivisaires. En conférant au juge le pouvoir de désigner un représentant, ce dispositif assure une gestion fluide tout en respectant les principes fondamentaux qui régissent l’indivision.

Parallèlement, ce mécanisme garantit la protection des droits de l’indivisaire empêché. L’intervention du juge perme de garantir que les décisions prises dans le cadre de l’indivision respectent l’intérêt de la personne empêchée, tout en limitant la portée de l’habilitation à ce qui est strictement nécessaire pour préserver l’intégrité du patrimoine indivis. Loin d’altérer les prérogatives de l’indivisaire hors d’état de manifester sa volonté, cette mesure vise à sauvegarder son patrimoine dans une logique d’équité et de justice.

Il peut être observé que ce dispositif emprunte directement aux mécanismes déjà éprouvés en matière matrimoniale, tels que ceux prévus par les articles 217 et 219 du Code civil. Ces dispositifs, conçus pour résoudre les crises de gestion patrimoniale au sein des couples mariés, partagent avec l’habilitation judiciaire en matière d’indivision un objectif commun : permettre à un tiers d’agir pour une personne empêchée, dans un cadre strictement encadré par le juge.

Cependant, l’habilitation prévue à l’article 815-4 présente une particularité notable : elle repose sur un mandat judiciaire de représentation, et non sur une autorisation d’agir en son propre nom.

Ainsi, l’indivisaire habilité agit exclusivement au nom et pour le compte de l’indivisaire incapable, engageant ce dernier comme s’il avait personnellement accompli l’acte.

Cette spécificité confère à l’habilitation un caractère temporaire et supplétif, destiné à pallier l’absence de volonté exprimée par l’indivisaire empêché.

A cet égard, l’article 815-4 confère au juge un rôle central dans la mise en œuvre de cette mesure. C’est lui qui définit, au cas par cas, les conditions et l’étendue de l’habilitation, qu’elle soit générale ou limitée à certains actes spécifiques.

Ce pouvoir discrétionnaire conféré au juge vise à prévenir tout abus et à garantir que les intérêts de l’indivision et de l’indivisaire empêché restent protégés.

2. Les conditions

La délivrance d’une habilitation judiciaire repose sur des conditions strictes, tant quant aux circonstances justifiant la représentation que quant aux actes pouvant être accomplis.

==>Conditions relatives aux circonstances

L’article 815-4 du Code civil prévoit que l’habilitation judiciaire peut être accordée lorsqu’un indivisaire est « hors d’état de manifester sa volonté ».

Cette notion recouvre des hypothèses variées, allant de l’incapacité juridique à l’impossibilité matérielle, en passant par l’absence au sens juridique du terme.

==>Conditions relatives aux actes

Lorsqu’une habilitation judiciaire est accordée en vertu de l’article 815-4 du Code civil, elle peut porter soit sur des actes d’administration, nécessaires à la gestion courante des biens indivis, soit sur des actes de disposition, qui touchent plus profondément à l’intégrité du patrimoine commun.

Ces deux catégories d’actes répondent à des besoins distincts mais complémentaires, chacun étant soumis à un encadrement rigoureux pour préserver l’équilibre des droits des indivisaires.

3. Etendue de l’habilitation

L’habilitation judiciaire délivrée en application de l’article 815-4 du Code civil peut revêtir deux formes distinctes, selon son étendue et les besoins spécifiques de l’indivision : l’habilitation générale, qui confère des pouvoirs étendus, et l’habilitation spéciale, strictement limitée à un ou plusieurs actes déterminés.

Cette distinction reflète la volonté du législateur de concilier souplesse et contrôle, en adaptant l’intervention judiciaire aux circonstances particulières de chaque affaire.

La distinction entre habilitation générale et habilitation spéciale repose avant tout sur une analyse de l’intérêt de l’indivision.

Tandis que l’habilitation générale est privilégiée lorsque l’indivisaire empêché est durablement indisponible, l’habilitation spéciale répond à des besoins ponctuels et spécifiques.

Dans les deux cas, le juge exerce un contrôle pour s’assurer que les actes réalisés dans le cadre de l’habilitation respectent les droits et intérêts de l’ensemble des indivisaires.

4. La procédure

L’article 815-4 du Code civil est silencieux quant à la procédure applicable pour obtenir une habilitation judiciaire.

Ce silence législatif a conduit la doctrine à suggérer un raisonnement par analogie avec le dispositif prévu à l’article 219 du Code civil, lequel régit la représentation judiciaire dans le cadre des régimes matrimoniaux.

==>La saisine du juge des tutelles

En l’absence de dispositions spécifiques prévues à l’article 815-4, les demandes d’habilitation judiciaire doivent être présentées devant le juge des tutelles près le Tribunal judiciaire compétent.

La procédure, de nature gracieuse, est introduite par une requête écrite, que le requérant doit appuyer par des éléments probants démontrant l’incapacité de l’indivisaire concerné et la nécessité de l’habilitation pour le bon fonctionnement de l’indivision.

==>Les éléments à fournir au soutien de la requête

==>L’instruction de la demande

Une fois la requête déposée, le juge des tutelles engage une instruction destinée à vérifier la légitimité et l’opportunité de l’habilitation demandée.

Cette phase de la procédure obéit aux principes d’équité et de respect des droits de toutes les parties concernées.

==>La décision du juge

Au terme de l’instruction, le juge rend une décision sous forme d’ordonnance, laquelle précise les contours de l’habilitation accordée.

Contenu de l’ordonnance :

5. Les effets

L’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4 du Code civil produit des effets, tant à l’égard de l’indivisaire représenté qu’à l’égard de l’ensemble des indivisaires.

L’acte accompli par le représentant habilité engage directement le patrimoine de l’indivisaire empêché, comme si ce dernier l’avait personnellement réalisé.

Toutefois, ce mécanisme reste encadré par des limites strictes, fixées par le juge, garantissant l’équilibre entre l’intérêt collectif de l’indivision et la protection des droits individuels.

==>Effets à l’égard de l’indivisaire représenté

L’indivisaire empêché, bien qu’incapable de manifester sa volonté, est pleinement engagé par les actes accomplis en son nom par le représentant habilité.

Ce mécanisme repose sur le principe selon lequel le représentant agit pour le compte et au nom de la personne représentée, conférant ainsi aux actes réalisés une opposabilité directe à cette dernière.

==>Effets à l’égard des autres indivisaires

L’acte accompli par le représentant habilité engage non seulement l’indivisaire empêché, mais également l’ensemble des indivisaires.

Ce mécanisme assure la cohérence et la stabilité juridique des décisions prises dans l’intérêt collectif de l’indivision.

==>Effets à l’égard des tiers

L’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4 du Code civil produit des effets qui s’étendent au-delà de la sphère des indivisaires et engagent également les tiers qui entrent en relation avec le représentant habilité.

Il peut être observé que les tiers qui contractent avec le représentant habilité sont présumés de bonne foi, sauf preuve contraire.

Par conséquent, un acte accompli par un représentant en dehors des limites fixées par le juge peut être opposable à l’indivisaire représenté si le tiers n’avait pas connaissance de l’excès de pouvoir.

En revanche, un tiers qui contracte en connaissance d’une fraude ou d’un excès de pouvoir s’expose à la nullité de l’acte.

Les tiers, bien que protégés, doivent s’assurer que l’acte qu’ils concluent est conforme aux dispositions de l’habilitation judiciaire.

Avant de conclure un acte de disposition, les tiers doivent vérifier les termes de l’ordonnance judiciaire d’habilitation. Cette diligence leur permet de s’assurer que le représentant agit dans les limites de ses pouvoirs et que l’acte est juridiquement valable.

Pour certains actes, notamment ceux portant sur des biens immobiliers, la publicité foncière permet de sécuriser les droits des tiers. L’inscription de l’ordonnance d’habilitation au fichier immobilier garantit la validité des actes de disposition à l’égard des tiers.

B) La délivrance d’une autorisation judiciaire à accomplir un acte en cas de refus d’un indivisaire mettant en péril l’intérêt commun

1. Indivision en pleine propriété

a. Principe

L’article 815-5, alinéa 1er, du Code civil prévoit que « un indivisaire peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le consentement d’un coïndivisaire serait nécessaire, si le refus de celui-ci met en péril l’intérêt commun ».

Le mécanisme d’autorisation judiciaire institué par cette disposition vise à résoudre les situations de blocage dans l’indivision, lorsque l’unanimité requise par l’article 815-3, alinéa 1er, du Code civil pour certains actes ne peut être obtenue en raison de l’opposition d’un ou plusieurs indivisaires.

Contrairement à l’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4, qui intervient pour suppléer l’absence ou l’incapacité d’un indivisaire, l’article 815-5 repose sur une logique différente.

Ici, il ne s’agit pas de représenter l’indivisaire opposant en agissant en son nom, mais de passer outre son refus au moyen d’une autorisation judiciaire.

L’objectif est de trancher un conflit né de divergences entre les indivisaires, en permettant la réalisation d’un acte nécessaire à la préservation ou à la valorisation du patrimoine indivis.

La spécificité de l’article 815-5 réside donc dans sa finalité?: il ne confère pas un mandat permettant à un indivisaire d’agir pour le compte d’un autre, mais autorise un indivisaire à agir malgré le refus d’un coïndivisaire.

Aussi, il ne s’agit pas ici de combler une incapacité mais à prévenir les effets d’un veto susceptible de compromettre l’intérêt commun.

A l’analyse, le dispositif institué à l’article 815-5 du Code civil est directement inspiré de celui prévu à l’article 217, lequel permet à un époux d’être autorisé par le juge à accomplir seul un acte lorsque le refus de son conjoint met en péril l’intérêt familial.

Si les deux dispositifs partagent une structure commune, leurs finalités diffèrent : l’article 217 vise la protection de la cellule familiale, tandis que l’article 815-5 cible la préservation du patrimoine indivis et l’équilibre des droits des indivisaires.

En tout état de cause, pour délivrer une autorisation judiciaire une analyse approfondie des intérêts en présence devra être conduite par le juge.

Celui-ci, en tant qu’arbitre, n’intervient que lorsque le refus d’un indivisaire met en péril l’intérêt commun.

Cette mise en péril, qui constitue une condition essentielle, est appréciée au cas par cas, en fonction des circonstances. L’objectif est de prévenir les conséquences dommageables pour le patrimoine indivis tout en respectant, autant que possible, les droits du coïndivisaire opposant.

b. Conditions

==>Refus d’un ou plusieurs indivisaires

L’application de l’article 815-5 du Code civil s’étend aux actes qui, en vertu des règles de l’indivision, nécessitent soit l’unanimité des indivisaires, soit une majorité qualifiée des deux tiers des droits indivis.

Ces situations reflètent les différentes modalités de prise de décision au sein de l’indivision.

==>Mise en péril de l’intérêt commun

L’article 815-5, alinéa 1er, du Code civil subordonne la délivrance d’une autorisation judiciaire à la démonstration que le refus d’un ou plusieurs indivisaires met en péril l’intérêt commun.

Cette condition essentielle appelle une réflexion approfondie, car elle impose de cerner avec précision deux notions fondamentales : d’une part, celle de « mise en péril », qui implique l’identification d’un risque concret et sérieux pour le patrimoine indivis, et, d’autre part, celle d’« intérêt commun », qui exige une approche distincte des intérêts individuels des indivisaires et de l’intérêt général.

==>Appréciation du juge

Dans le cadre de l’article 815-5 du Code civil, le rôle du juge ne se limite pas à une constatation formelle de la mise en péril de l’intérêt commun. Il s’étend également à une évaluation minutieuse de la nécessité et de la proportionnalité de l’acte envisagé, afin de garantir un équilibre entre les droits des indivisaires et la préservation du patrimoine indivis.

Aussi, le juge doit-il s’assurer que l’autorisation demandée répond aux exigences posées par l’article 815-5, al. 1er du Code civil.

Cela implique deux appréciations distinctes mais complémentaires :

La jurisprudence a rappelé à plusieurs reprises que l’autorisation judiciaire ne peut être accordée que dans les limites prévues par le législateur.

En ce sens, la Cour de cassation a censuré une décision d’appel qui avait conditionné l’application de l’article 815-5 à une exigence d’urgence non mentionnée dans le texte légal (Cass. 1re civ., 12 juill. 2001, n°99-14.202).

En outre, le juge doit se garder d’ajouter des critères non prévus par le texte, sous peine de voir sa décision annulée pour excès de pouvoir.

c. Procédure

==>Compétence

L’article 815-5 ne désigne pas expressément la juridiction compétente. Cependant, conformément aux principes généraux de répartition des compétences, la Cour de cassation a jugé que le tribunal judiciaire, en tant que juridiction de droit commun en matière civile, est seul compétent pour statuer sur les demandes formées sur le fondement de cet article (V. en ce sens Cass. 1re civ., 15 févr. 2012, n°10-21.457).

La Cour de cassation a précisé dans cette décision que dans l’hypothèse où le Président du tribunal judiciaire était saisi en référé, alors l’ordonnance rendue serait dépourvue de l’autorité de la chose jugée au fond.

==>Une procédure contradictoire

Contrairement à d’autres mécanismes d’intervention judiciaire en matière d’indivision, la procédure sur requête ou devant le juge des référés est expressément écartée.

La Cour de cassation a précisé que cette autorisation relève du droit commun et exige une procédure contradictoire permettant aux indivisaires opposants de faire valoir leurs arguments (Cass. 3e civ., 28 nov. 2012, n°11-19.585).

Le caractère contradictoire de la procédure garantit que toutes les parties concernées soient entendues.

L’indivisaire à l’initiative de la demande doit démontrer que le refus des coïndivisaires met en péril l’intérêt commun, tandis que les indivisaires opposants disposent d’un droit de réponse pour exposer leurs motifs.

==>Moment de la demande

La demande d’autorisation doit impérativement être introduite avant la réalisation de l’acte projeté.

En effet, l’article 815-5 ne prévoit pas de mécanisme de régularisation a posteriori, mais une procédure préventive destinée à pallier l’absence de consentement préalable.

La Cour de cassation a clairement affirmé cette exigence, rejetant les demandes d’autorisation visant à valider des actes déjà réalisés (Cass. 1re civ., 29 nov. 1988, n°86-14.496?).

d. Effets

L’autorisation judiciaire rend l’acte opposable à tous les indivisaires, y compris à ceux ayant refusé de consentir.

Conformément à l’article 815-5, alinéa 3, du Code civil, l’acte autorisé est considéré comme valablement réalisé, comme si tous les indivisaires avaient donné leur accord.

Bien qu’ils soient tenus de respecter les effets de l’acte autorisé, les indivisaires opposants ne sont pas personnellement engagés par celui-ci.

Par exemple, en cas de vente d’un bien indivis, ils ne pourront être tenus responsables des garanties légales à l’égard des tiers, comme la garantie des vices cachés.

Par ailleurs, l’acte autorisé met fin au droit des indivisaires opposants sur le bien cédé. Ainsi, un indivisaire ne peut plus revendiquer l’usage ou la jouissance du bien vendu.

Enfin, il a été décidé par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 1992 que le prix de cession remplace dans l’indivision le bien aliéné, sans que cela entraîne un partage (Cass. 1re civ., 30 juin 1992, n°90-19.052). Il en résulte que les règles encadrant le partage ne sont pas applicables.

2. Indivision en nue-propriété

Le démembrement de propriété, par sa nature, ne se confond pas avec l’indivision. Tandis que l’indivision implique une pluralité de titulaires partageant un même droit sur un bien (propriété indivise), le démembrement attribue des droits distincts à différentes parties : l’usufruitier détient un droit d’usage et de jouissance, tandis que le nu-propriétaire conserve la propriété dépouillée de son utilité économique.

Cette situation créée par le démembrement de la propriété rend problématique la possibilité, pour des nus-propriétaires indivis, d’imposer à un usufruitier unique ou indivis la vente forcée de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit.

La question se pose alors : dans l’hypothèse d’un bien indivis grevé d’un usufruit, les nus-propriétaires peuvent-ils, par le jeu d’une autorisation judiciaire, forcer la vente de la pleine propriété contre la volonté de l’usufruitier??

Cette problématique a donné lieu à des évolutions législatives et jurisprudentielles notables que l’on peut retracer en plusieurs étapes.

a. Droit antérieur à 1976

Avant l’adoption de la loi du 31 décembre 1976, aucune disposition légale spécifique ne régissait la problématique du démembrement de propriété en cas d’indivision.

La résolution des conflits entre nus-propriétaires et usufruitiers relevait donc exclusivement de la jurisprudence, dont les solutions variaient selon que l’usufruit était indivis ou appartenait à un seul titulaire.

==>En présence d’un usufruit indivis

Lorsque l’usufruit était lui-même réparti entre plusieurs usufruitiers en indivision, la jurisprudence admettait la possibilité de procéder à la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit.

Cette solution reposait sur l’idée qu’une cession conjointe de l’usufruit et de la nue-propriété permettait de maximiser la valorisation économique du bien, au bénéfice de tous les titulaires de droits sur celui-ci.

Dans un arrêt de principe du 20 juillet 1932, la Cour de cassation a ainsi estimé que la vente de la pleine propriété était conforme à l’intérêt commun dès lors qu’elle permettait de dénouer des situations complexes (Cass. req., 20 juill. 1932).

Cette position, réaffirmée par la suite (Cass. civ., 20 juin 1954), traduisait une volonté de favoriser des solutions pragmatiques, notamment dans le cas de biens difficilement partageables ou de droits en concurrence susceptibles de paralyser leur utilisation ou leur cession.

==>En l’absence d’usufruit indivis

À l’inverse, lorsque l’usufruit appartenait à un seul titulaire, la jurisprudence adoptait une position protectrice, interdisant la vente forcée de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit sans le consentement de l’usufruitier.

Cette règle trouvait son fondement dans la distinction des droits en présence : l’usufruitier unique n’étant pas en indivision avec les nus-propriétaires, il jouissait d’une protection renforcée contre toute atteinte à son droit d’usage et de jouissance.

Dans un ancien arrêt, la Cour de cassation avait ainsi établi que la licitation de la pleine propriété ne pouvait être ordonnée que si l’usufruitier unique y consentait (Cass. req., 27 juill. 1869).

Cette solution s’inscrivait dans une logique de préservation des droits de l’usufruitier, particulièrement lorsque celui-ci était un conjoint survivant bénéficiant d’un droit d’usufruit sur le logement familial (Cass. civ., 20 déc. 1889).

La jurisprudence visait ici à garantir la sécurité juridique et la stabilité patrimoniale des usufruitiers, tout en prenant en compte leur dépendance économique à l’égard du bien grevé d’usufruit, souvent essentiel à leur subsistance.

b. La réforme de 1976

La loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 a enrichi le cadre du démembrement de propriété en introduisant, au sein de l’article 815-5 du Code civil, la règle suivante :

« le juge ne peut toutefois, sinon aux fins de partage, autoriser la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier. »

Par cette intervention, le législateur entendait dissiper les incertitudes et harmoniser les divergences jurisprudentielles ayant marqué l’interprétation antérieure.

Cette règle, tout en consolidant les solutions dégagées par les tribunaux, venait préciser les contours de la licitation de la pleine propriété, réservant son autorisation à des hypothèses strictement définies.

Deux configurations distinctes étaient ainsi envisagées : celle d’un usufruitier unique, excluant toute licitation sans son consentement, et celle d’une indivision en usufruit, où la vente en pleine propriété pouvait être justifiée par l’intérêt commun poursuivi dans un cadre de partage.

==>Présence d’un usufruitier unique

Lorsque l’usufruit appartenait à un seul titulaire, la loi réaffirmait la solution jurisprudentielle antérieure : la vente forcée de la pleine propriété demeurait impossible sans le consentement de l’usufruitier unique.

Cette règle s’explique par la nature différente des droits entre usufruitier et nus-propriétaires, qui ne forment pas une indivision à proprement parler.

Le législateur entendait ainsi préserver les droits fondamentaux de l’usufruitier, particulièrement lorsqu’il s’agissait du conjoint survivant jouissant de son logement familial.

En consolidant la jurisprudence (V. notamment Cass. req., 27 juill. 1869 et Cass. civ., 20 déc. 1889), la loi garantissait la stabilité de la jouissance du bien grevé d’usufruit, évitant que celui-ci ne soit aliéné contre la volonté de son titulaire.

==>Présence de plusieurs usufruitiers indivis

En revanche, la loi ouvrait la possibilité d’ordonner une licitation de la pleine propriété dans l’hypothèse d’une double indivision : lorsque le bien était grevé à la fois d’une indivision en usufruit et en nue-propriété.

Dans ce cas particulier, le texte autorisait la vente forcée «?aux fins de partage?», dès lors qu’elle apparaissait conforme à l’intérêt commun des parties.

Cette disposition visait à faciliter le dénouement de situations complexes où l’indivision rendait l’administration et la valorisation du bien difficile, voire impossible.

En autorisant la réunion des droits d’usufruit et de nue-propriété dans le patrimoine d’un même propriétaire, la loi permettait de maximiser la valeur du bien et d’apporter une solution pragmatique à ces situations.

==>Une précision textuelle mais des limites évidentes

Si la loi de 1976 apportait une clarification bienvenue, elle restait néanmoins tributaire de la complexité des relations entre usufruitier(s) et nus-propriétaires.

La distinction entre la présence d’un usufruitier unique et celle d’une double indivision introduisait une hiérarchie des droits où les prérogatives de l’usufruitier unique étaient davantage protégées.

En revanche, dans les cas de pluralité d’usufruitiers, l’ouverture aux licitations pouvait générer des tensions, notamment si certains usufruitiers s’opposaient à la vente.

Ainsi, tout en consolidant la jurisprudence antérieure, la loi n° 76-1286 instaurait une nouvelle architecture juridique, dont l’application pratique serait sujette à interprétations et ajustements jurisprudentiels. Ces limites allaient rapidement apparaître dans la période postérieure à son entrée en vigueur.

c. La jurisprudence postérieure à 1976

Dans un arrêt controversé du 11 mai 1982, la Cour de cassation a adopté une interprétation particulièrement large de l’article 815-5, alinéa 2, dans sa version de 1976.

Elle a en effet jugé que « le partage peut toujours être ordonné et qu’à cette fin, selon l’article 815-5 du code civil qui est applicable en la cause, la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit peut être judiciairement ordonnée contre la volonté de l’usufruitier » (Cass. 1ère civ. 11 mai 1982, n°81-13.055).

Cette solution généralisait la possibilité de vente forcée, même en présence d’un usufruitier unique, au motif que le partage pouvait être sollicité par tout indivisaire.

Cette jurisprudence a été largement critiquée pour plusieurs raisons?:

d. La réforme de 1987

Face aux critiques doctrinales et pratiques, la loi n° 87-498 du 6 juillet 1987 est venue corriger l’interprétation jurisprudentielle de 1982 en modifiant l’article 815-5, alinéa 2.

Désormais, le texte dispose que « le juge ne peut, à la demande d’un nu-propriétaire, ordonner la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier. »

La nouvelle rédaction de l’article 815-5, alinéa 2, réintroduit ainsi la solution jurisprudentielle antérieure à 1976, en établissant des principes clairs :

La réforme entreprise par la loi du 6 juillet 1987 visait à renforcer la sécurité juridique en clarifiant les limites du pouvoir du juge face à des intérêts divergents entre nus-propriétaires et usufruitiers.

Elle consacre la protection des droits de l’usufruitier, que ce dernier soit unique ou qu’il existe une indivision en usufruit.

De plus, elle met fin aux interprétations larges de la jurisprudence qui avaient permis des ventes forcées préjudiciables à l’équilibre des droits en présence.

S’agissant de l’application de loi dans le temps, le législateur a expressément prévu une application immédiate des nouvelles dispositions aux usufruits en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi, sauf en cas de décision judiciaire passée en force de chose jugée ou d’accord amiable antérieur (article 2 de la loi du 6 juillet 1987).

La Cour de cassation a confirmé cette application rétroactive dans plusieurs décisions ultérieures, consolidant ainsi la portée de la réforme (Cass. 1re civ., 2 févr. 1999, n°96-22.563).

Au total, en supprimant toute ambiguïté textuelle, la loi de 1987 a permis de restaurer une cohérence dans le régime juridique du démembrement, en préservant les droits fondamentaux de l’usufruitier tout en encadrant strictement les possibilités de sortie de l’indivision.

e. Application jurisprudentielle postérieure à 1987

Dès 1989, la première chambre civile de la Cour de cassation a réaffirmé que l’article 815-5, alinéa 2, du Code civil interdisait au juge de substituer son autorisation au consentement de l’usufruitier pour ordonner une vente en pleine propriété.

Dans un arrêt rendu le 29 mars 1989, la Cour de cassation a précisé que même la satisfaction des créanciers des nus-propriétaires ne justifiait pas une telle vente forcée (Cass. 1ère civ., 29 mars 1989, n°87-12.187). Cette position, conforme à la lettre et à l’esprit de la réforme de 1987, a mis un terme aux interprétations antérieures trop larges de la notion de partage.

Dans une décision plus récente, la Cour a confirmé cette stricte application de la règle. Elle a jugé que, même en cas de pluralité de nus-propriétaires souhaitant sortir de l’indivision, la volonté de l’usufruitier prime sur celle des nus-propriétaires indivis (Cass. 1re civ., 13 juin 2019, n° 18-17.347).

f. Portée actuelle de la règle

La règle actuelle, telle qu’elle résulte de la réforme opérée par la loi du 6 juillet 1987, vise avant tout à garantir le respect du droit de jouissance de l’usufruitier, cœur de son droit réel sur le bien grevé d’usufruit.

En empêchant les nus-propriétaires de l’impliquer dans une vente qu’il n’aurait pas approuvée, l’article 815-5, alinéa 2, préserve l’autonomie et la stabilité juridique de l’usufruit.

Cette stabilité est particulièrement nécessaire dans des situations où l’usufruitier est un conjoint survivant, souvent légataire de l’usufruit du logement familial. Une vente forcée compromettrait directement son usage du bien et le mettrait en situation de précarité.

Au-delà de la jouissance, la règle protège également l’intégrité des droits patrimoniaux de l’usufruitier. Imposer une vente en pleine propriété contre son gré aurait pour effet de priver l’usufruitier de sa participation dans le démembrement, en substituant son droit réel sur le bien à une simple créance sur le prix de vente.

Une telle substitution, non consentie, pourrait porter atteinte à l’équilibre patrimonial entre les parties, en particulier si l’usufruitier estime que ses intérêts ne seraient pas suffisamment garantis par le produit de la vente.

L’interdiction s’applique aussi bien lorsqu’il existe un usufruitier unique que dans le cas d’une indivision en usufruit.

En effet, la règle ne distingue pas selon la pluralité des usufruitiers ou des nus-propriétaires : dans tous les cas, le consentement de l’usufruitier demeure une condition incontournable pour autoriser une vente en pleine propriété.

Au fond, l’article 815-5, alinéa 2, reflète une solution équilibrée entre le principe du droit au partage – dont disposent les indivisaires – et la protection du démembrement de propriété.

En maintenant cette interdiction, le législateur a reconnu que le droit de l’usufruitier ne saurait être réduit à une position subalterne face à la volonté collective des nus-propriétaires.

Cette disposition garantit que le démembrement, par nature transitoire, ne devient pas une source d’insécurité ou de déséquilibre pour l’usufruitier.

La Cour de cassation a largement confirmé cette interprétation stricte, réitérant l’impossibilité de contraindre l’usufruitier à céder ses droits sans son accord explicite.

Ces décisions, loin de constituer des restrictions arbitraires, renforcent un cadre juridique cohérent et protecteur, assurant que le droit de propriété démembré reste un mécanisme respectueux des intérêts mutuels des parties.

C) La délivrance d’une autorisation judiciaire à vendre un bien indivis

L’article 815-5-1 établit une faculté nouvelle pour les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis.

Ces derniers peuvent, en cas de blocage, solliciter une autorisation judiciaire pour aliéner un bien indivis, sans qu’il soit nécessaire de démontrer un péril menaçant l’intérêt commun, comme l’exige l’article 815-5.

L’objectif affiché de cette disposition est double : lever les blocages tout en respectant les droits des indivisaires minoritaires par l’intermédiaire d’un contrôle judiciaire rigoureux.

Ainsi, l’intervention du tribunal judiciaire n’a pas pour vocation de préserver l’intégrité du bien indivis dans l’intérêt de tous, mais de donner effet à la volonté de la majorité qualifiée, en permettant une gestion plus souple et rationnelle des situations conflictuelles.

1. Les conditions d’application

==>Conditions négatives

L’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil est strictement encadrée par deux conditions négatives, qui visent à protéger des situations spécifiques où les droits ou intérêts de certains indivisaires pourraient être compromis.

Ces restrictions traduisent une volonté d’équilibre entre l’efficacité de la gestion des biens indivis et la sauvegarde des droits des parties les plus vulnérables.

==>Conditions positives

Pour que l’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil puisse être délivrée, deux conditions positives doivent être simultanément réunies. Ces critères, à la fois pragmatiques et protecteurs, visent à concilier la volonté des indivisaires majoritaires avec le respect des droits des minoritaires.

2. La procédure d’autorisation

L’article 815-5-1 du Code civil, issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, instaure une procédure dérogatoire à la règle de l’unanimité en matière d’indivision.

Ce texte permet à un ou plusieurs indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis de demander l’autorisation judiciaire de vendre un bien indivis, même en cas d’opposition des indivisaires minoritaires.

Cette procédure se déploie en deux phases distinctes, chacune encadrée par des règles spécifiques.

==>La phase devant notaire

La procédure débute obligatoirement devant notaire, dont le rôle est central dans la mise en œuvre du mécanisme d’aliénation.

==>La phase devant le juge

Lorsque l’opposition persiste, la procédure se poursuit devant le tribunal judiciaire, conformément à l’alinéa 5 de l’article 815-5-1.

3. Les effets de l’autorisation judiciaire

==>À l’égard des indivisaires

L’autorisation délivrée par le tribunal s’impose à tous les indivisaires, qu’ils aient donné leur consentement ou exprimé leur opposition à la vente. En vertu de l’alinéa 7 de l’article 815-5-1, cette décision rend l’aliénation opposable à chacun d’eux, ce qui signifie que le transfert de propriété s’opère comme si tous avaient consenti à l’acte.

Cependant, cette opposabilité ne crée pas d’obligation personnelle pour les indivisaires minoritaires.

En d’autres termes, ces derniers ne sont pas considérés comme parties à l’acte de vente et ne peuvent être tenus responsables, par exemple, des garanties attachées à la chose vendue (telle que la garantie des vices cachés).

Ils demeurent juridiquement tiers à l’acte, même s’ils doivent en supporter les conséquences pratiques, notamment la perte de leurs droits sur le bien vendu.

==>À l’égard des tiers

Pour les tiers acquéreurs, l’autorisation judiciaire constitue une garantie essentielle de sécurité juridique.

Elle certifie que la vente est opposable à tous les indivisaires, qu’ils aient consenti ou non à l’aliénation. Cette opposabilité protège les tiers contre toute contestation ultérieure pouvant émaner des indivisaires minoritaires.

En pratique, cela signifie que le tiers acquéreur peut être certain de la validité de son titre de propriété et de l’impossibilité pour les indivisaires minoritaires de remettre en cause la vente.

Cette sécurité renforce l’attractivité économique du bien, en favorisant des ventes rapides et à des conditions avantageuses, tout en évitant les litiges postérieurs à l’aliénation.

==>Sur le produit de la vente

L’autorisation judiciaire ne met pas un terme à l’indivision, mais transforme le bien vendu en une somme d’argent répartie entre les indivisaires selon leurs droits respectifs, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.

Ce mécanisme de subrogation permet de maintenir l’équilibre des droits de chaque indivisaire, tout en facilitant la gestion du produit de la vente.

Quitter la version mobile