La règle de l’unanimité jouant dans le cadre d’une indivision n’est pas de portée absolue, elle souffre de tempéraments au nombre desquels figurent :
- D’une part, la représentation
- D’autre part, la gestion d’affaires
Nous nous focaliserons ici sur la gestion d’affaires.
L’article 815-4, alinéa 2, du Code civil institue un mécanisme subsidiaire permettant de régir les actes accomplis par un indivisaire en l’absence de mandat ou d’habilitation judiciaire.
Ce mécanisme repose sur les règles générales de la gestion d’affaires énoncées aux articles 1301 et suivants du Code civil.
==>Le principe du recours à la gestion d’affaires
L’article 815-4, alinéa 2, du Code civil prévoit que « à défaut de pouvoir légal, de mandat ou d’habilitation par justice, les actes faits par un indivisaire en représentation d’un autre ont effet à l’égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d’affaires. »
Cette disposition, introduite par la loi du 31 décembre 1976, confère la faculté à un indivisaire d’agir pour le compte des autres sans autorisation préalable formalisée, en s’appuyant sur les règles générales de la gestion d’affaires, codifiées aux articles 1301 et suivants du Code civil.
Ce mécanisme trouve son fondement dans l’idée qu’il est parfois impératif d’agir rapidement pour préserver les intérêts communs, notamment face à des circonstances urgentes ou imprévues.
Pour mémoire, la gestion d’affaires, définie à l’article 1301 du Code civil, repose sur l’intervention spontanée d’une personne dans les affaires d’autrui, « sans y être tenue », mais en agissant « sciemment et utilement […] à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire ».
Elle se distingue ainsi par trois caractéristiques essentielles :
- Une initiative volontaire : le gérant agit sans y être contraint et sans avoir reçu un mandat.
- Un objectif d’utilité : les actes accomplis doivent répondre à l’intérêt du maître de l’affaire.
- L’absence d’opposition : le maître de l’affaire ne doit pas s’être opposé à l’intervention.
Le mécanisme de la gestion d’affaires combine une logique individualiste – interdisant toute immixtion injustifiée dans les affaires d’autrui – et une logique sociale, qui valorise les interventions désintéressées lorsqu’elles répondent à une nécessité impérieuse.
A cet égard, la gestion d’affaires ne peut intervenir qu’à titre subsidiaire, lorsqu’aucun autre mécanisme légal ou conventionnel n’est disponible.
L’emploi des termes « à défaut de pouvoir légal, de mandat ou d’habilitation par justice » souligne cette vocation d’ultime recours, destinée à pallier l’inertie ou la paralysie de l’indivision.
Ainsi, se distingue-t-elle du mandat, qui repose sur un accord de volontés, ou de l’habilitation judiciaire, qui nécessite l’intervention d’un juge.
Ce caractère subsidiaire justifie que la gestion d’affaires soit encadrée par des conditions strictes, visant à prévenir les abus tout en assurant la protection des intérêts collectifs des indivisaires.
==>Les conditions du recours à la gestion d’affaires
Pour que la gestion d’affaires puisse être mise en œuvre, plusieurs conditions doivent être réunies :
- Absence de pouvoir légal ou conventionnel
- La gestion d’affaires n’intervient qu’à défaut de solutions conventionnelles ou légales.
- L’article 815-4, alinéa 2, du Code civil précise que ce mécanisme n’est mobilisable qu’« à défaut de pouvoir légal, de mandat ou d’habilitation par justice ».
- Cette vocation résolument subsidiaire de la gestion d’affaires est destinée à éviter la paralysie de l’administration des biens indivis lorsque les moyens habituels de représentation font défaut.
- Par exemple, en l’absence d’un mandat conféré à l’un des indivisaires ou d’une décision judiciaire habilitant un gérant, un indivisaire peut agir spontanément pour pallier une situation critique.
- Ce caractère supplétif garantit que la gestion d’affaires reste une exception et non un substitut régulier aux dispositifs prévus par la loi ou les conventions.
- Intérêt collectif des indivisaires
- Le gérant d’affaires doit agir exclusivement dans l’intérêt commun de l’indivision et non pour des motifs personnels.
- Les actes accomplis doivent être utiles à l’ensemble des indivisaires et répondre à une nécessité collective
- À titre d’exemple, des travaux de conservation ou d’entretien visant à éviter la dégradation d’un bien indivis sont typiquement couverts par ce mécanisme (V. en ce sens Cass. 1re civ., 15 mai 1974, n°72-11.417).
- Toutefois, si le gérant agit dans son seul intérêt ou détourne son intervention à des fins personnelles, les autres indivisaires peuvent contester la validité de ses actes.
- Nécessité et opportunité des actes
- La gestion d’affaires s’applique uniquement aux actes nécessaires ou opportuns.
- Ces derniers doivent viser à répondre à une urgence ou à préserver les intérêts patrimoniaux de l’indivision.
- Par exemple :
- Actes justifiés
- La réalisation de travaux urgents pour prévenir des dommages, tels que réparer une toiture endommagée, constitue un acte indispensable couvert par la gestion d’affaires.
- Ces actions visent à éviter une perte de valeur ou une détérioration irréversible du bien.
- Actes non justifiés
- En revanche, des actes tels que la conclusion d’un bail à un prix dérisoire avec un proche ou la vente d’un bien indivis sans l’accord des autres indivisaires excèdent le cadre de la gestion d’affaires.
- Ces actes, s’ils sont contraires à l’intérêt collectif ou réalisés dans des conditions préjudiciables à l’indivision, peuvent être contestés et annulés.
- Actes justifiés
- Cette exigence de nécessité et d’opportunité impose également au gérant d’agir avec diligence et prudence, en accomplissant ses actes dans le respect des circonstances et des besoins réels de l’indivision.
==>Les effets de la gestion d’affaires
Les actes réalisés par un indivisaire dans le cadre de la gestion d’affaires, lorsqu’ils respectent les conditions prévues par la loi, produisent des effets obligatoires à l’égard de tous les coïndivisaires.
Ces derniers se trouvent liés par ces actes, dans la mesure où ils ont été accomplis dans l’intérêt commun de l’indivision et en conformité avec les principes de nécessité et d’utilité.
- Obligation de remboursement des dépenses engagées
- Conformément à l’article 1301-2 du Code civil, les coïndivisaires sont tenus de rembourser au gérant d’affaires les dépenses qu’il a engagées pour la conservation ou la gestion des biens indivis, dès lors qu’elles s’avèrent nécessaires ou utiles.
- La jurisprudence a ainsi reconnu que des travaux urgents, tels que la réparation d’une toiture pour éviter des infiltrations ou des dépenses destinées à prévenir la détérioration d’un bien indivis, relèvent de cette catégorie.
- Ces actions, indispensables pour préserver la valeur des biens, imposent une obligation de remboursement aux coïndivisaires.
- Le remboursement couvre non seulement les frais engagés pour les travaux ou les réparations, mais aussi les dépenses accessoires nécessaires à leur réalisation, à condition qu’elles soient proportionnées à l’intérêt commun.
- Limites et possibilité de contestation
- Les coïndivisaires peuvent contester les actes du gérant d’affaires si ceux-ci ne respectent pas l’intérêt collectif ou causent un préjudice à l’indivision.
- La jurisprudence admet, par exemple, qu’un acte manifestement désavantageux pour l’indivision, comme la conclusion d’un bail à un prix inférieur au marché avec un proche du gérant, puisse être annulé.
- Une telle situation constitue un manquement à l’obligation de loyauté et au devoir de préserver l’intérêt commun.
- En cas de préjudice avéré, le gérant d’affaires fautif peut être tenu de réparer le dommage causé.
- Cette responsabilité repose sur le principe selon lequel la gestion doit être exercée de manière prudente et raisonnable.
- Exigence de diligence et responsabilité du gérant
- L’article 1301-1 du Code civil impose au gérant d’affaires d’accomplir sa mission « avec les soins d’une personne raisonnable ».
- Cette exigence implique notamment que les actes réalisés répondent aux nécessités de la situation et ne dépassent pas l’exploitation normale des biens indivis.
- Si le gérant agit de manière imprudente ou excessive, il peut être privé du droit au remboursement des dépenses engagées. De surcroît, sa responsabilité civile peut être engagée s’il a causé un préjudice aux autres indivisaires.