La règle de l’unanimité dans l’indivision protège les coïndivisaires contre les décisions unilatérales pouvant affecter leurs droits indivis.
A l’analyse, cette règle s’applique à une grande variété d’actes au nombre desquels figurent notamment, les actes de disposition, certains actes de gestion locative, les actes constitutifs de sûreté, les actes d’affectation d’un bien indivis à une activité professionnelle ou encore les actions en justice.
Nous nous focaliserons ici sur l’affectation d’un bien indivis à une activité professionnelle.
==>Principe général : l’accord unanime des coïndivisaires
L’affectation d’un bien indivis à une activité professionnelle constitue un acte dépassant le cadre d’un acte de gestion courante.
En vertu de l’article 815-3 du Code civil, de tels actes relèvent de la catégorie des actes de disposition et nécessitent l’accord unanime de tous les indivisaires. À défaut, une telle affectation est inopposable aux coïndivisaires non consentants.
L’application de la règle de l’unanimité trouve sa justification dans la transformation significative de la destination initiale du bien indivis qu’implique son affectation à une activité professionnelle.
Ce changement peut exposer l’ensemble des indivisaires aux risques inhérents à l’activité, y compris les poursuites des créanciers professionnels de l’indivisaire entrepreneur.
==>Le cadre spécifique de l’EIRL (avant sa suppression en 2022)
La loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 avait introduit le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), permettant à un entrepreneur d’affecter certains biens à son patrimoine professionnel tout en protégeant ses biens personnels.
Pour les biens indivis, l’article L. 526-11 du Code de commerce exigeait expressément l’accord unanime des coïndivisaires pour une telle affectation.
Toutefois, l’EIRL souffrait de plusieurs limites :
- Formalités contraignantes : la déclaration d’affectation devait être réalisée auprès d’un registre professionnel, avec un modèle type d’accord des coïndivisaires.
- Risques pour les coïndivisaires : bien que le bien indivis restât juridiquement partagé, l’affectation conférait aux créanciers professionnels de l’EIRL un droit de poursuite exclusif sur le bien affecté.
En cas d’absence d’accord des coïndivisaires ou de non-respect des formalités, l’affectation était sanctionnée par une inopposabilité, rendant l’acte inefficace à l’égard des autres indivisaires.
==>La réforme de 2022 : suppression de l’EIRL et instauration d’un nouveau cadre pour l’entrepreneur individuel
La loi n° 2022-172 du 14 février 2022, entrée en vigueur le 15 mai 2022, a supprimé le régime de l’EIRL.
Désormais, le régime unifié de l’entrepreneur individuel, prévu à l’article L. 526-22 du Code de commerce, consacre une séparation automatique entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur, sans nécessiter les formalités auparavant imposées.
Points notables de la réforme :
- Séparation patrimoniale automatique : les créanciers professionnels ne peuvent agir que sur le patrimoine professionnel, tandis que les créanciers personnels sont limités au patrimoine personnel.
- Absence de dispositions spécifiques sur les biens indivis : contrairement au régime de l’EIRL, le nouveau cadre ne prévoit pas expressément les modalités d’affectation des biens indivis. Dès lors, le droit commun de l’indivision retrouve son application, impliquant l’exigence d’un accord unanime pour affecter un bien indivis à une activité professionnelle.
Sans l’accord unanime des coïndivisaires, l’affectation d’un bien indivis est inopposable. Cela protège les droits des indivisaires non consentants et empêche les créanciers professionnels d’exercer des poursuites sur ce bien.
Par ailleurs, l’affectation ne modifie pas le statut indivis du bien. En cas de partage ultérieur, le bien reste soumis aux règles de l’indivision, à moins que l’entrepreneur n’en devienne le propriétaire exclusif par effet déclaratif du partage.
Si l’affectation est déclarée inopposable, les créanciers professionnels de l’entrepreneur ne peuvent exercer leur droit de poursuite sur le bien indivis. Ils devront alors se limiter au patrimoine personnel de l’entrepreneur ou au reste de son patrimoine professionnel.