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Le bornage : régime juridique

==> Notion

Dans son acception courante le bornage se définit comme l’action de planter des bornes pour délimiter des propriétés foncières.

Sous le prisme de droit, c’est, selon le projet de réforme du droit des biens proposé par l’Association Henri Capitant, l’opération « qui a pour effet de reconnaître et fixer, de façon contradictoire et définitive, les limites séparatives des propriétés privées appartenant ou destinées à appartenir à des propriétaires différents ».

La jurisprudence s’est également livrée à l’exercice de définition en jugeant que le bornage « a pour objet de fixer définitivement les limites séparatives de deux propriétés contigües et d’assurer, par la plantation de pierres bornes, le maintien des limites ainsi déterminées » (Cass. 3e civ., 11 déc. 1901).

En somme l’opération de bornage consister à déterminer les limites d’un fonds au moyen de bornes qui permettront de matérialiser ces limites.

Son objet est donc de délimiter, diviser et plus précisément de tracer une frontière entre deux propriétés. L’histoire nous a montré qu’il s’agissait là d’une entreprise pour le moins périlleuse, car susceptible de rapidement dégénérer en conflit.

Assez curieusement pourtant, le Code civil est relativement silencieux sur le bornage. Il n’y consacre qu’un seul article, l’article 646, qui prévoit que « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës. Le bornage se fait à frais communs. »

À cet égard, cette disposition n’envisage le bornage que sous l’aspect contentieux, alors même qu’il peut être réalisé par voie conventionnelle, ce qui sera le plus souvent le cas.

Le besoin de procéder au bornage d’un fonds peut résulter de plusieurs situations différentes :

==> Bornage et clôture

Bien que les deux opérations soient proches et entretiennent des liens étroits, le bornage et la clôture se distinguent fondamentalement.

Tandis que le bornage vise à déterminer la ligne divisoire, séparative entre deux fonds contigus, la clôture est ce qui sert à enclore un espace et à empêcher la communication avec les héritages voisins.

En toute logique, l’opération de bornage précède toujours la clôture, celle-ci prenant assiste sur la ligne séparative des fonds contigus.

Surtout les deux opérations se distinguent en ce que le bornage est toujours réalisé contradictoirement, alors que la clôture d’un fonds peut s’opérer unilatéralement.

En effet, régulièrement la jurisprudence rappelle que le bornage doit nécessairement être réalisé au contradictoire des propriétaires de tous les fonds concernés par l’opération.

Tel n’est pas le cas de la clôture qui peut être posée sur l’initiative d’un seul propriétaire, charge à lui de s’assurer de ne pas empiéter sur le fonds voisin. Le code civil envisage d’ailleurs la clôture comme une action unilatérale en prévoyant à l’article 647 que « tout propriétaire peut clore son héritage ».

À l’inverse, le bornage ne peut jamais se déduire de l’existence d’une clôture dont la mise ne résulterait pas d’un commun accord entre les propriétaires.

Il en résulte que la présence, d’un mur, d’une haie ou de toute autre forme de clôture est sans incidence sur le droit du propriétaire du fonds voisin à exiger la réalisation ultérieure d’une opération de bornage (V. en ce sens Cass. civ. 4 mars 1879)

Aussi, pour que le bornage produise ses pleins effets, plusieurs conditions doivent être réunies, après quoi seulement l’opération qui consiste à borner peut être mise en œuvre.

==> Nature

La nature du bornage a fait l’objet de controverses :

À l’examen, l’opération de bornage revêt une nature mixte. Il s’agit d’une servitude, car elle peut donner lieu à une action judiciaire qui vise à contraindre le propriétaire du fonds voisin à borner sa propriété avec un partage des frais.

Mais il s’agit également d’un acte de pure faculté puisque relève des attributs du droit de propriété, ce qui confère au propriétaire le droit de se borner discrétionnairement, sous réserve que l’exercice de cette prérogative ne dégénère pas en abus de droit.

Ainsi le bornage consiste tout à la fois en un droit, mais peut également se transformer en obligation lorsque le propriétaire du fonds voisin en fait la demande.

Sous certains aspects, le droit au bornage se rapproche du droit de propriété dans la mesure où il est imprescriptible. Il ne s’en éloigne néanmoins, en ce qu’il vise, non pas à exercer un pouvoir sur une chose, mais à déterminer l’assiette de droits réels.

==> Caractères

I) Les conditions du bornage

L’exercice du droit au bornage est subordonné à la réunion de conditions qui tiennent :

A) Les conditions relatives à la configuration des fonds

  1. Existence de fonds appartenant à des propriétaires différents

Le droit au bornage suppose l’existence de fonds appartenant à des propriétaires différents.

L’essence même du bornage, c’est de délimiter des fonds distincts. L’opération ne présenterait donc aucun intérêt en présence d’une seule propriété, sauf à vouloir la diviser en parcelles dans la perspective de les céder.

Si cette exigence ne soulève aucune difficulté lorsque le fonds appartient à un seul propriétaire, plus délicate est sa mise en œuvre lorsque la propriété est exercée collectivement.

La question s’est notamment posée en jurisprudence de savoir si la règle exigeant la présence de deux propriétés distinctes avait vocation à s’appliquer lorsque les deux fonds concernés par le bornage relèvent d’une copropriété ou d’une indivision.

==> S’agissant de la copropriété 

Lorsqu’un immeuble est soumis au régime de la copropriété, sa propriété est répartie, entre plusieurs personnes, par lots, étant précisé que chaque lot comporte obligatoirement une partie privative et une quote-part de parties communes, lesquelles sont indissociables.

Aussi, le titulaire d’un lot de copropriété dispose d’une propriété exclusive sur la partie privative de son lot et d’une propriété indivise sur la quote-part de partie commune attachée à ce lot.

Cette situation permet-elle d’envisager que le droit au bornage puisse opérer dans le cadre d’une propriété, en particulier, s’agissant de la délimitation entre, d’une part, les parties privatives de lots différents et, d’autre part, la partie privative d’un lot et les parties communes de la copropriété ?

Dans un arrêt du 27 avril 2000, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question au motif que l’article 646 du Code civil exige que les fonds à délimiter appartiennent à des propriétaires différents.

Or la propriété de l’entier immeuble demeure commune à tous les copropriétaires, raison pour laquelle l’action en bornage est irrecevable en matière de copropriété (Cass. 3e civ. 27 avr. 2000, n° 98-17693).

Dans un arrêt du 19 juillet 1995, la troisième chambre civile avait jugé en ce sens que « le régime de la copropriété des immeubles bâtis, les lots ne sont séparés par aucune ligne divisoire et que la totalité du sol est partie commune (Cass. 3e civ. 19 juill. 1995, n° 93-12325).

Il convient néanmoins de relever le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 2004 qui a admis, pour la première fois, qu’une servitude puisse être établie dans le cadre d’une copropriété au motif que « le titulaire d’un lot de copropriété disposant d’une propriété exclusive sur la partie privative de son lot et d’une propriété indivise sur la quote-part de partie commune attachée à ce lot, la division d’un immeuble en lots de copropriété n’est pas incompatible avec l’établissement de servitudes entre les parties privatives de deux lots, ces héritages appartenant à des propriétaires distincts »

Est-ce à dire que lorsque l’opération de bornage intéresserait les parties privatives d’une copropriété, elle serait admise ?

La Cour de cassation s’y est une nouvelle fois opposée dans un arrêt du 19 novembre 2015, en jugeant que l’action en bornage est irrecevable quand bien même il s’agirait de délimiter les parties privatives appartenant à deux copropriétaires distincts (Cass. 3e civ. 19 nov. 2015, n°14-25403).

==> S’agissant de l’indivision

L’indivision consiste à conférer aux coindivisaires des droits concurrents sur un même bien.

Aussi, les droits exercés concurremment par chaque coindivisaire ont exactement la même assiette : le bien qui est détenu collectivement.

Aussi, dans cette configuration, la propriété n’a aucun seul objet, raison pour laquelle la jurisprudence n’admet pas qu’un fonds soumis au régime de l’indivision puisse donner lieu à un bornage entre coindivisaires (CA Chambéry, ch. civ., 24 janv. 2001, RG n°1998/00084)

Tout au plus, la Cour de cassation a jugé « qu’est recevable l’action en bornage de deux fonds contigus dont l’un appartient privativement au demandeur et l’autre est indivis entre lui et d’autres personnes » (Cass. 3e civ. 19 déc. 1978, n°77-13211).

2. Existence de fonds contigus

2.1. Principe

==> Notion

L’opération de bornage consiste, par nature, à déterminer une ligne séparative entre deux fonds. Pour ce faire, cela suppose que les fonds soient contigus. Par contigus, il faut entendre que les deux fonds se touchent.

Cette exigence est expressément posée par l’article 646 du Code civil qui prévoit que « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës ».

En application de cette disposition la Cour de cassation ainsi rejeté une demande de bornage, dans un arrêt du 5 mars 1974 au motif que les pièces produites par le demandeur « n’établissaient pas sa qualité de propriétaire de la parcelle à borner ainsi que la contiguïté exigée par la délimitation des héritages » (Cass. 3e civ. 5 mars 1974, n°72-14289).

Dans un arrêt du 8 décembre 2010 la troisième chambre civile a précisé que la contiguïté constitue « la condition nécessaire et suffisante à l’accueil d’une demande en bornage » (Cass. 3e civ. 8 déc. 2010, n°09-17.005).

==> Séparation des fonds par un chemin

La question s’est posée en jurisprudence de savoir si une action en bornage pouvait être accueillie lorsque deux fonds sont séparés par un chemin, d’une route ou encore d’un sentier ? La présence d’une telle voie de passage opère-t-elle une rupture de la contiguïté ou est-elle sans incidence sur la situation des fonds ?

Pour le déterminer, il convient de distinguer plusieurs types de voies :

2.2. Tempéraments

Le principe d’exigence de contiguïté des fonds à borner est assorti de plusieurs tempéraments :

Cass. 3e civ. 13 déc. 2018
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 17 juillet 2017), que Mmes Jeannine et Anne-Marie Z... et MM. B..., C... et D... Z..., propriétaires indivis des parcelles cadastrées section [...] et [...], ainsi que Mmes Claudine et Catherine E... et M. X..., propriétaires indivis de la parcelle cadastrée même section n° [...], ont assigné en bornage M. Y..., propriétaire de la parcelle cadastrée section [...] ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter la demande alors, selon le moyen, que la contiguïté constitue la condition nécessaire et suffisante à l'accueil d'une demande en bornage ; qu'en relevant que l'« action en bornage ne pourrait être exercée lorsque les fonds sont séparés par une limite naturelle » et qu'il n'y avait pas lieu à bornage aux motifs qu'une falaise, « limite naturelle mais encore infranchissable sans moyen technique approprié » se « dessinerait» entre les parcelles en cause, quand cette circonstance n'était pas de nature à faire obstacle au bornage de fonds contigus, la cour d'appel a violé l'article 646 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu à bon droit que l'action en bornage ne peut être exercée lorsque des fonds sont séparés par une limite naturelle et constaté que la parcelle n° [...] était séparée des parcelles n° [...] et [...] par une falaise dessinant une limite non seulement naturelle mais encore infranchissable sans moyens techniques appropriés, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action n'était pas fondée ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les autres branches du moyen qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

3. Existence de fonds relevant de la propriété privée

Pour que l’action en bornage soit admise il ne faut pas seulement que les fonds appartiennent à des propriétaires différents, il faut encore qu’ils relèvent de propriétés privées.

Lorsque, dès lors, l’un des fonds relève du domaine public, l’action en bornage est irrecevable, à tout le moins sur le fondement du droit privé (CE, 20 juin 1975, n° 89785, Leverrier).

Aussi, la délimitation d’un fonds privé avec le domaine public relève de la compétence de la seule administration qui procédera unilatéralement à l’opération de bornage selon les règles du droit public, et plus précisément celles qui gouvernent la procédure d’alignement.

Lorsque, néanmoins, le fonds voisin relève du domaine privé d’une personne public, l’action en bornage fondée sur l’article 646 du Code civil reste applicable.

Dans un arrêt du 10 juillet 1973 la Cour de cassation a jugé en ce sens, s’agissant d’une propriété privée jouxtant le fonds appartenant à une commune que « l’action en bornage ne peut viser que le domaine prive de celle-ci » (Cass. 3e civ. 10 juill. 1973, n°72-12056).

B) Les conditions relatives à l’action en bornage

  1. La recevabilité de l’action

==> L’absence de bornage antérieur

Bien que la règle relève du bon sens, l’exercice du droit au bornage est d’abord subordonné à l’absence de bornage antérieure. Cette règle est formulée dans l’adage « bornage sur bornage ne vaut ».

Ainsi, dès lors qu’une délimitation des fonds est déjà intervenue, soit dans le cadre d’un accord amiable entre les propriétaires, soit dans le cadre d’une procédure judiciaire, l’action en bornage ne peut plus être exercée.

La ligne divisoire qui procède d’une opération de bornage est donc intangible, ce qui est régulièrement rappelé par la jurisprudence qui considère que cette intangibilité tient :

Il est indifférent que le bornage contesté procède d’une convention ou d’une décision de justice : dans les deux cas, la ligne séparative ne peut pas être remise en cause.

Ainsi, l’existence d’un bornage amiable fait obstacle à une action en bornage judiciaire tout autant que l’établissement d’un bornage judiciaire fait échec à l’exercice du droit au bornage.

La Cour de cassation exige néanmoins que ce bornage existant ait été réalisé conformément aux exigences légales (V. en ce sens Cass. 3e civ., 13 nov. 2007, n° 06-18.580).

==> La preuve de l’absence de bornage antérieur

Pour établir l’existence d’un bornage antérieure, il doit être démontré que, d’une part, un accord amiable ou une décision de justice ont constaté la délimitation des fonds et, d’autre part, que cette constatation s’est traduite par l’implantation de bornes signalant la ligne séparative.

Lorsque la preuve de ces deux éléments (titre + implantation de bornes) est rapportée, l’action en bornage ne pourra jamais être menée à bien. Elle se heurte à une présomption irréfragable de bornage. Un auteur a pu parler, en pareille hypothèse, d’une « fin de non-recevoir invincible »[1].

Quid néanmoins, lorsque la preuve d’un seul de ces deux éléments est rapportée ?

2. Le titulaire de l’action

2.1. La qualité à agir

L’article 646 du Code civil prévoit que « tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës ».

Il ressort de cette disposition que l’action en bornage est a priori, réservée au propriétaire, de sorte qu’il appartient aux juges du fonds de toujours vérifier, avant d’accueillir une telle action, que le demandeur justifie de cette qualité (V. en ce sens Cass. 3e civ. 17 juin 2014, n°12-35078).

On peut en déduire que l’action en bornage est une action attitrée, en ce sens que, conformément à l’article 31 in fine du Code de procédure civile, c’est la loi qui « attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »

Autrement dit, il ne suffit pas pour le demandeur d’avoir un « intérêt légitime au succès ou au rejet de sa prétention tendant au bornage », il faut encore justifier d’un titre et plus précisément d’un droit de propriété sur le fonds.

==> Les personnes qui disposent de la qualité à agir

==> Les personnes qui ne disposent pas de la qualité à agir

2.2. La capacité à agir

Si l’opération de bornage se limite en général à déterminer la ligne divisoire qui sépare deux fonds contigus, il est des cas où elle peut avoir pour effet de remettre en cause l’assiette du droit de propriété, en ce que la ligne séparative est incertaine ou contestée.

C’est la raison pour laquelle la doctrine considère que le bornage présente une double nature :

Aussi, parce que, l’opération de bornage est tantôt un acte d’administration, tantôt un acte de disposition, la capacité à agir requise pour réaliser cette opération varie, selon qu’il endosse l’une ou l’autre qualification.

Fort de ce constat, plusieurs situations interrogent sur la capacité de certaines personnes à agir en bornage, car ne disposant que d’une capacité juridique limitée.

a) Les majeurs protégés

Les majeurs protégés se caractérisent par leur capacité juridique qui est limitée. Son étendue varie selon le régime de protection dont la personne bénéficie.

Car un majeur peut faire l’objet de plusieurs mesures de protection : la sauvegarde de justice, la curatelle, la tutelle et le mandat de protection future.

==> La personne sous sauvegarde de justice

==> La personne sous curatelle

Les personnes sous curatelles ne peuvent, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille.

Afin de déterminer quels sont les actes que le majeur sous curatelle peut accomplir seul et ceux qui requièrent la présence de son protecteur, il y a lieu de se reporter à l’article 505 du Code civil qui prévoit que « le tuteur ne peut, sans y être autorisé par le conseil de famille ou, à défaut, le juge, faire des actes de disposition au nom de la personne protégée. »

Il s’infère de cette disposition que la personne sous curatelle peut accomplir seule tous les actes d’administration et doit être assistée par son curateur pour les actes de disposition.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par acte de disposition et par acte d’administration.

Pour le déterminer, il convient de se reporter au décret n°2008-1484 du 22 décembre 2008 qui définit :

Ces deux types d’actes sont énumérés en annexe 1 et 2 du décret du 22 décembre 2008.

Lorsque l’on se reporte à ces annexes, il apparaît que l’action de bornage amiable relève de la catégorie des actes d’administration.

Qu’en est-il de l’action judiciaire en bornage ? Le décret ne le dit pas. Il précise néanmoins que, de manière générale, constitue un acte d’administration toute action relative à « un droit patrimonial de la personne ».

On en déduit que l’action en bornage relève également de cette catégorie, à l’instar donc de l’opération de bornage amiable.

La conséquence en est que pour être mise en œuvre, l’opération de bornage ne requiert pas l’assistance du curateur

==> La personne sous tutelle

Une personne sous tutelle est, à l’instar du mineur, frappée d’une incapacité d’exercice générale. Aussi, le tuteur la représente dans tous les actes de la vie civile (art. 473 C. civ.)

Plus précisément, en application des articles 504 et 505 du Code civil, le tuteur peut accomplir pour le compte du majeur sous tutelle tous les actes d’administration, alors qu’il doit obtenir l’autorisation du juge des tutelles pour les actes de disposition.

S’agissant de l’opération de bornage, elle consiste en un acte d’administration, raison pour laquelle le tuteur peut agir seul dans l’intérêt du majeur protégé.

==> La personne sous mandat de protection future

Toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle ou d’une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter lorsqu’elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté (art. 477 C. civ.)

Il appartient donc au mandant de déterminer les actes pour lesquelles elle entend se faire représenter lorsqu’elle la mesure de protection sera activée.

L’opération de bornage peut parfaitement figurer au nombre de ces actes, à la condition néanmoins que cette opération soit expressément visée dans le mandat, lequel doit nécessairement être établi par écrit (par acte notarié ou par acte sous seing privé).

==> La personne sous habilitation familiale

La personne sous habilitation familiale est celle qui se trouve dans l’incapacité d’exprimer sa volonté en raison d’une altération, médicalement constatée soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles (art. 494-1 C. civ.).

Un proche de sa famille (ascendant, descendant, frère ou sœur, conjoint, partenaire ou concubin) est alors désigné par le juge afin d’assurer la sauvegarde de ses intérêts.

L’habilitation peut être générale ou ne porter que sur certains actes visés spécifiquement par le juge des tutelles dans sa décision (art. 494-6 C. civ.).

S’agissant de l’opération de bornage, si l’habilitation familiale est générale, la personne protégée devra nécessairement se faire représenter.

Si l’habilitation familiale est seulement spéciale, le majeur protégé ne pourra agir en bornage qu’à la condition que cet acte ne relève pas du pouvoir de son protecteur.

b) Les coindivisaires

Lorsque le fonds appartient à plusieurs personnes en indivision, la question se pose de savoir si l’action en bornage peut être exercée par un seul coindivisaire ou si elle doit nécessairement recueillir l’accord de tous.

Cette interrogation conduit à se demander si le bornage d’un bien indivis consiste en un acte conservatoire ou s’il relève plutôt de la catégorie des actes de gestion.

En effet, selon qu’il s’agit d’une mesure conservatoire ou d’un acte de gestion, le régime juridique de la prise de décision diffère :

Afin de mieux appréhender la position de la jurisprudence sur cette question, il convient s’arrêter sur son évolution.

Cass. 3e civ. 9 oct. 1996
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 3 décembre 1993), que Mme Y..., propriétaire indivis d'un fonds, a assigné en bornage M. X..., propriétaire d'une parcelle voisine ;

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable, alors, selon le moyen, que tout indivisaire peut prendre des mesures nécessaires à la conservation des biens indivis ; qu'en se bornant, pour déclarer irrecevable l'action en bornage exercée par Mme Y... seule, à énoncer que le péril imminent menaçant la conservation matérielle ou juridique du bien indivis n'était pas établi, sans se prononcer sur le procès-verbal de constat du 22 septembre 1987 établissant des actes d'empiétement de la part de M. X..., occupant du fonds contigu, ni sur la plainte adressée par Mme Y..., le 12 novembre 1988, au procureur de la République, dénonçant la persistance des actes d'empiétement, pièces produites devant la cour d'appel et de nature à établir la nécessité et l'urgence de l'action en bornage exercée par Mme Y..., la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 815-2 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé qu'une mesure doit, pour présenter un caractère conservatoire, être nécessaire et urgente afin de soustraire le bien indivis à un péril imminent menaçant la conservation matérielle ou juridique de ce bien et ayant constaté que le caractère d'urgence n'était pas établi, en l'espèce, la cour d'appel, qui a retenu, à bon droit, que l'action exercée par la seule indivisaire, Mme Y..., était irrecevable, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Cass. civ. 3 e, 12 avr. 2018
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Fort-de-France, 26 avril 2016), que Mme D... X..., Mme F... X... épouse D..., Mme G... X..., épouse Z... et Mme H... X..., épouse A... (les consorts X...), propriétaires d’une parcelle cadastrée [...], ont assigné en bornage M. E... Y..., Mme I... B... et Mme J... B... épouse C..., propriétaires de la parcelle voisine cadastrée [...] ;

Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt de déclarer irrecevable leur action en bornage, alors, selon le moyen, que l’action en bornage, dont l’objet est de fixer l’assiette de l’héritage, tend à assurer la préservation des limites du fonds et constitue une mesure nécessaire à la conservation du bien indivis ; qu’en retenant pourtant, en l’espèce, pour juger irrecevable l’action en bornage diligentée par les consorts X..., que l’action en bornage constituerait un acte « d’administration et de disposition requérant le consentement de tous les indivisaires », la cour d’appel a violé l’article 815-2 du code civil par refus d’application et l’article 815-3 de ce code par fausse application ;

Mais attendu qu’ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que les consorts X... n’étaient pas les seuls propriétaires indivis de la parcelle [...] et ne justifiaient pas du consentement d’indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis, la cour d’appel a retenu à bon droit que leur action entrait dans la catégorie des actes prévus à l’article 815-3 du code civil et en a exactement déduit qu’elle était irrecevable ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

c) Le couple marié

Lorsque des époux sont mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, l’article 1421 du Code civil prévoit que « chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer, sauf à répondre des fautes qu’il aurait commises dans sa gestion. Les actes accomplis sans fraude par un conjoint sont opposables à l’autre. »

Il ressort de cette disposition que les époux communs en biens ont a priori capacité à agir seuls en bornage, cette opération consistant en un acte de pure administration.

Reste qu’il convient de compter avec l’article 1424 du Code civil restreint cette capacité des époux à agir pour les actes qui visent à « aliéner ou grever de droits réels les immeubles ».

La conséquence en est que lorsque l’opération de bornage a pour effet d’affecter l’assiette de la propriété d’un bien commun, ils sont privés de la capacité à agir seul : l’accomplissement de l’acte requiert le consentement des deux époux.

La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 4 mars 2009 où il était question d’une action engagée par un époux visant à obtenir la nullité du procès-verbal de bornage qui avait été signé, sans son consentement, par son seul conjoint (Cass. 3e civ. 4 mars 2009, n°07-17991).

Cass. 3e civ. 4 mars 2009
Sur le premier moyen :

Vu le principe selon lequel l'exception de nullité est perpétuelle, ensemble l'article 1427, alinéa 2, du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes 23 janvier 2007), que les consorts X..., aux droits desquels intervient la société Poiel, propriétaires indivis de parcelles ont assigné les époux Y..., propriétaires de parcelles contiguës, pour obtenir la cessation d'un empiétement sur leur propriété et la mise en place de bornes en exécution d'un procès-verbal de bornage du 6 mars 1973, signé par les parties à l'exception de Mme Y... ;

Attendu que pour déclarer ce procès-verbal opposable à cette dernière, l'arrêt retient que la nullité de cet acte n'a pas été demandée par Mme Y... qui était commune en biens pour être mariée sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, dans les deux ans de sa connaissance ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le délai imparti par l'article 1427, alinéa 2, du code civil pour l'exercice de l'action en nullité contre le procès-verbal de bornage qu'elle n'avait pas signé ne pouvait empêcher Mme Y... d'opposer à la demande principale un moyen de défense tiré de la nullité de cet acte irrégulièrement passé par son époux, la cour d'appel a violé le principe et l'article susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 janvier 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes, autrement composée ;

II) La mise en œuvre du bornage

A) La détermination de la ligne séparative

L’opération de bornage peut être conduite amiablement par les propriétaires des fonds concernés ou donner lieu à une action judiciaire en cas de mésentente.

  1. Le bornage conventionnel

Lorsque l’opération de bornage procède d’un accord entre propriétaires, elle se traduit par l’établissement d’un procès-verbal de bornage qui est dressé par un géomètre-expert et qui aura pour effet de fixer définitivement la ligne divisoire qui sépare les deux fonds contigus.

a) L’établissement du procès-verbal de bornage

Plusieurs conditions doivent être réunies pour établir le procès-verbal de bornage :

==> L’intervention d’un géomètre-expert

==> L’observation du principe du contradictoire

L’opération de bornage amiable ne peut procéder que d’une démarche contradictoire. C’est au géomètre-expert qu’il appartient de veiller au principe du contradictoire.

Le respect de ce principe implique que tous les propriétaires concernés signent le procès-verbal de bornage.

Cette signature interviendra dans le cadre d’une réunion à laquelle seront convoquées les parties par le géomètre-expert, réunion qui se tiendra généralement sur les lieux où se sont déroulées les opérations de bornage.

Cette réunion n’est pas obligatoirement effectuée en présence simultanément de toutes les parties, il est possible d’organiser plusieurs rendez-vous en fonction des disponibilités des propriétaires sans remettre en cause le principe du contradictoire.

Cela permet d’expliquer et de clarifier l’objet et les effets du bornage à des parties parfois méfiantes, de se montrer plus à l’écoute de leurs interrogations et ainsi recueillir plus sereinement leur accord et signature.

Surtout, le procès-verbal devra précise que les parties ont été régulièrement convoquées et mentionner les éventuelles observations qui ont pu être formulées par les parties, étant précisé que sans l’accord de tous les propriétaires aucun bornage amiable ne peut être établi.

==> Le procès-verbal de bornage

b) Les effets du procès-verbal de bornage

Le procès-verbal de bornage a ainsi pour effet de fixer définitivement la ligne divisoire qui sépare les fonds.

Dans un arrêt du 3 octobre 1972 la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « le procès-verbal de bornage dressé par un géomètre et signé par toutes les parties, vaudra titre définitif tant pour les contenances des parcelles, que pour les limites qu’il leur assigne » (Cass. 3e civ. 3 oct. 1972, n°71-11705).

Elle a encore jugé que le procès-verbal de bornage constitue « un titre définitif de l’étendue des immeubles respectifs qui s’imposait au juge et n’autorisait plus le recours à un bornage par voie de justice » (Cass. 3e civ., 26 nov. 1997, n° 95-17.644).

Il en résulte que, une fois établi et signé par les parties, il ne peut plus être contesté et s’impose au juge dont les pouvoirs se limitent à vérifier la régularité des opérations de bornage (Cass. 3e, 17 janv. 2012, n°10-28.046).

Aussi, le procès-verbal de bornage ne saurait, en aucune manière, constituer un acte translatif de propriété ainsi que le rappelle régulièrement la jurisprudence (V. en ce sens Cass. 3e civ., 27 avr. 2011, n°10-16.420).

Dès lors, la signature du procès-verbal de bornage par une partie ne fait pas obstacle à ce qu’elle exerce ultérieurement une action en revendication, considérant que l’assiette de son droit de propriété s’étendait au-delà des bornes qui avaient été mises en place (Cass.3e civ. 8 déc. 2004, n°03-17241)

À cet égard, dans un arrêt du 23 mai 2013, la Cour de cassation a précisé que « l’accord des parties sur la délimitation des fonds n’implique pas, à lui seul, leur accord sur la propriété des parcelles litigieuses » (Cass. 3e civ. 23 mai 2013, n°12-13898).

Il ressort de cette décision que l’acceptation par un propriétaire de l’implantation des bornes et marques sur son fonds, ne signifie pas nécessairement qu’il a accepté la rectification des limites cadastrales et reconnu les limites ainsi déterminées.

Cass. 3e civ. 23 mai 2013
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 15 novembre 2011), que M. et Mme X..., propriétaires d'un ensemble immobilier sur lequel est exploitée une centrale hydraulique, ont assigné M. et Mme Y... , propriétaires de parcelles contiguës, puis la société Countryside, venant aux droits de ces derniers, ainsi que la société SMBTPS et son assureur, la SMABTP, qui avait réalisé des travaux sur la berge du canal de fuite ayant entraîné son affaissement, en revendication de la propriété de cette berge et paiement du coût des travaux de reprise ;

Sur le premier moyen :

Vu l'article 544, ensemble l'article 646 du code civil ;

Attendu que pour débouter M. et Mme X...de leur revendication, l'arrêt retient qu'un procès-verbal de bornage amiable, signé le 23 août 1996 par les propriétaires précédents, a fixé la limite séparative à la berge du canal côté Y..., qu'aux termes de cet acte, les parties « reconnaissent l'exactitude de cette limite et s'engagent à s'en tenir dans l'avenir à cette délimitation, quelles que puissent être les données des cadastres anciens ou nouveaux, ou de tout autre document qui pourrait être retrouvé » et que les parties ont ainsi tranché une question de propriété en fixant définitivement les limites et donc la contenance des propriétés et en excluant toute remise en cause de cette délimitation par une revendication fondée sur des actes antérieurs ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'accord des parties sur la délimitation des fonds n'implique pas, à lui seul, leur accord sur la propriété des parcelles litigieuses, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 novembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

2. Le bornage judiciaire

a) Nature

L’action en bornage est une action réelle immobilière en ce qu’elle ne peut avoir pour objet qu’un bien immobilier, et plus précisément un fonds de terre.

Plus précisément c’est action vise à fixer les limites de la propriété, quels que soient les faits de possession, ce qui la distingue, d’une part, des anciennes actions possessoires et, d’autre part, de l’action en revendication.

==> Sur la distinction entre l’action en bornage et l’ancienne action possessoire

Sous l’empire du droit antérieur, la protection de la possession était assurée par les actions possessoires dont était titulaire, en application de l’ancien article 2279 du Code civil, celui qui possédait utilement et le détendeur précaire de la chose.

Cette disposition prévoyait en ce sens que « les actions possessoires sont ouvertes dans les conditions prévues par le code de procédure civile à ceux qui possèdent ou détiennent paisiblement. »

Au nombre des actions possessoires figuraient :

Tout d’abord, il peut être observé que la protection possessoire ne concernait que les immeubles, ce qui n’était pas sans restreindre son champ d’application.

Par ailleurs, les actions possessoires soulevaient des difficultés, notamment quant à leur distinction avec les actions pétitoires, soit les actions qui visent à établir, non pas la possession ou la détention d’un bien, mais le fond du droit de propriété.

En effet, il était toujours difficile d’exiger du juge qu’il ignore le fond du droit lorsqu’il est saisi au possessoire.

S’agissant de l’action en bornage, la jurisprudence a toujours affirmé avec constance qu’elle ne s’apparentait pas à une action possessoire, dans la mesure où elle visait, non pas à assurer la protection de la possession d’un fonds, mais à en fixer les limites.

Aussi, était-elle régulièrement qualifiée d’action pétitoire par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 5 nov. 1965, n° 62-11.805), raison pour laquelle cette action était imprescriptible.

Désormais, la distinction entre les actions en bornage et les actions possessoires n’a plus lieu d’être ces dernières ayant été abolies par la loi n°2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures qui a abrogé l’ancien article 2279 du Code civil.

==> Sur la distinction entre l’action en bornage et l’action en revendication

Parce que l’action en bornage se limite à la fixation des limites de la propriété, elle se distingue fondamentalement de l’action en revendication, qui porte sur la détermination de l’assiette du droit de propriété en lui-même.

Il en résulte que le juge du bornage ne peut connaître des contestations s’élevant entre les parties sur la propriété des parcelles dont la délimitation est demandée.

Ce principe a été rappelé par un arrêt du 16 janvier 2002 qui a approuvé une cour d’appel qui, ayant relevé qu’il existait une incertitude sur la qualité de propriétaire de la parcelle contiguë des deux personnes assignées en bornage, en avait déduit qu’il n’appartenait pas au tribunal d’instance, saisi d’une action en bornage, de trancher une question qui touche au fond du droit. (Cass. 3e civ., 16 janv. 2002, n° 00-12163)

La distinction entre l’action en bornage et l’action en revendication n’est pas dénuée d’enjeu, dans la mesure où les deux actions sont assujetties à des régimes juridiques différents.

Les différences entre les deux actions tiennent essentiellement à deux choses :

Au total, il apparaît que l’action en bornage se distingue en de nombreux points de l’action en revendication, à commencer par son objet qui se limite à fixer les limites de la propriété.

b) Compétence

==> Sur la compétence matérielle

Sous l’empire du droit antérieur, l’action en bornage relevait de la compétence exclusive du Tribunal d’instance.

Désormais, cette action relève de la compétence du Tribunal judiciaire. Plus précisément, c’est la chambre de proximité qui lui est rattachée qui a vocation à connaître des affaires relatives au bornage (art. L. 212-8 COJ).

Pour mémoire, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a opéré une réorganisation des juridictions relevant de l’ordre judiciaire, laquelle s’est notamment traduite par la fusion des Tribunaux de grande instance et des Tribunaux d’instance.

De cette fusion est né le Tribunal judiciaire, dont la création répond à la nécessité de simplifier l’organisation de la première instance pour le justiciable qui ne connaîtra désormais plus qu’une seule juridiction, avec une seule procédure de saisine.

La disparition des tribunaux d’instance, comme juridictions autonomes, ne s’est toutefois pas accompagnée d’une suppression des sites qui ne se situaient pas dans la même ville que le Tribunal de grande instance. Le maillage des lieux de justice est conservé.

En effet, les tribunaux d’instance deviennent des chambres détachées du Tribunal judiciaire, l’objectif recherché par le législateur étant d’assurer une justice de proximité pour les contentieux du quotidien.

À l’examen, la compétence matérielle des chambres de proximité a été fixée, en application de l’article L. 212-8 du Code de l’organisation judiciaire, par le décret n° 2019-914 du 30 août 2019 selon les tableaux IV-II et IV-III qui figurent en annexe du Code :

L’action en bornage est visée par le premier tableau, raison pour laquelle elle relève de la compétence des chambres de proximité.

==> Sur la compétence territoriale

L’article 44 du Code de procédure civile dispose que « en matière réelle immobilière, la juridiction du lieu où est situé l’immeuble est seule compétente. »

L’action en bornage étant une action immobilière cette disposition s’applique. À cet égard, l’article R. 211-15 du COJ précise que, spécifiquement pour l’action en bornage, « la demande est portée devant le tribunal dans le ressort duquel sont situés les biens. »

c) Procédure

La procédure applicable en matière de bornage est régie aux articles 817 et suivants du Code de procédure civile, soit la procédure orale.

Il en résulte que la représentation n’est pas obligatoire. Les parties peuvent se défendre elles-mêmes ou se faire représenter par l’une des personnes visées à l’article 762 du CPC.

Surtout, dans le cadre de la procédure orale devant le Tribunal judiciaire, le demandeur dispose d’une option procédurale :

À cet égard, il pourra être sollicité auprès du juge la désignation d’un expert aux fins de l’éclairer sur l’emplacement de la ligne divisoire.

Les parties sont également en droit de produire un rapport d’expertise établi en dehors du cadre judiciaire, dès lors qu’il est valablement communiqué à la partie adverse au cours de l’instance (Cass. 3e civ. 14 sept. 2006, n°05-14333).

Enfin, l’action en bornage est, conformément à l’article 646 du Code civil, imprescriptible

d) La preuve

==> Charge de la preuve

À la différence de l’action en revendication qui exige que la preuve soit rapportée par le demandeur, dans le cadre de l’action en bornage il appartient à chaque partie de rapporter la preuve de son droit.

==> Mode de preuve

En matière de bornage la preuve est libre, de sorte que les parties peuvent établir l’emplacement de la ligne divisoire par tout moyen.

Dans un ancien arrêt du 12 juin 1865, la Cour de cassation avait affirmé que la tâche qui échoit au juge est « de rechercher la limite devenue incertaine de deux propriétés à borner en interrogeant les titres des parties, en les interprétant pour en faire ou pour en refuser l’application aux lieux litigieux ; il doit également tenir compte de la possession actuelle et des traces des anciennes délimitations, consulter les papiers terriers, les livres d’arpentement, le cadastre et tous les documents anciens et nouveaux qui peuvent l’éclairer sur la décision qu’il est appelé à prendre » (Cass. civ., 12 juin 1865).

Afin d’emporter la conviction du juge quant à l’emplacement de la ligne divisoire, les parties pourront rapporter la preuve de leur droit en produisant les éléments suivants :

Au bilan, le juge dispose d’une grande liberté quant à l’appréciation des éléments de preuve produits par les parties.

Dans un arrêt du 28 novembre 1972, la Cour de cassation a résumé la teneur de ce pouvoir d’appréciation considérable reconnu au juge en validant la décision rendue par une Cour d’appel qui ne s’était appuyé, pour rendre sa décision, que sur un seul des éléments versés au débat.

Au soutien de sa décision elle a affirmé que « « en constatant que ni les titres des parties, ni les attestations produites, ni les indices invoques en faveur d’une trace abc n’étaient, pris en eux-mêmes, aucunement significatifs, les juges du second degré ont apprécié souverainement la portée des éléments de preuve qui leur étaient soumis ainsi que la valeur probante des faits allègués comme présomptions » (Cass. 3e civ. 28 nov. 1972, n°71-12044).

Le plus souvent néanmoins le juge fondera sa décision sur une expertise établie par un expert et plus précisément par un géomètre qui aura été désigné à la demande des parties et qui aura procédé à la détermination de la ligne séparative de manière indépendance et en observant le principe du contradictoire.

B) L’implantation des bornes

==> Opération d’implantation des bornes

L’opération de bornage consiste toujours en l’accomplissement de deux étapes :

Cette seconde étape vise à matérialiser la délimitation des propriétés bornées qu’il y ait ou non arpentage.

Ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 19 janvier 2011, la régularité de l’opération de bornage est subordonnée à l’implantation de borne (Cass. 3e civ. 19 janv. 2011, n°09-71.207)

À défaut, le bornage ne produira pas ses effets et pourra être remis en cause par le propriétaire d’un des fonds concernés.

Pour la troisième chambre civile « une demande en bornage judiciaire n’est irrecevable que si la limite divisoire fixée entre les fonds a été matérialisée par des bornes ».

S’agissant de l’implantation proprement dite de bornes, il n’est pas nécessaire de procéder, au préalable, à un arpentage, soit à réaliser une mesure de la contenance du fonds.

Cette implantation peut être réalisée sur la base d’éléments résultant d’un rapport d’expertise produit, par exemple, dans le cadre de l’instance (Cass. 3e civ. 5 oct. 1994, n°92-10.827).

Quant à la matérialité des bornes, elles peuvent être naturelles (cours d’eau, fossé, rocher, arbres etc.) ou artificielles (piquets, marques gravées sur un rocher, termes etc.)

Les bornes sont positionnées à chaque extrémité de la ligne séparative et peuvent être intercalées à intervalle régulier. Ces bornes intermédiaires sont dites courantes car elles suivent la ligne divisoire.

==> Frais de bornage

L’article 646 du Code civil dispose que « le bornage se fait à frais communs. » Cette règle a vocation à s’appliquer, tant en matière de bornage amiable, qu’en matière de bornage judiciaire.

Les frais de bornage comportent les frais de tracé de la ligne divisoire et les frais de mesurage et d’arpentage.

Lorsque le bornage est amiable, la question des frais sera réglée dans le procès-verbal de bornage. Rien n’interdit donc les parties de prévoir une répartition des frais proportionnels à la contenance de leurs fonds respectifs.

Faute de précision dans l’acte, c’est la règle du partage des frais qu’il y aura lieu d’appliquer (Cass. 3e civ., 16 juin 1976, n° 75-11167)

Lorsque le bornage est judiciaire, il convient de distinguer les frais de bornage des frais d’instance. Seuls les premiers ont vocation à être partagés, les seconds étant susceptibles d’être mis par le juge à la charge de la partie succombante.

Dans un arrêt du 16 juin 1976, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si, aux termes de l’article 646 du Code civil, le bornage se fait à frais communs lorsque les parties sont d’accord, il en est autrement en cas de contestation de l’une d’elles ; cette dernière, si elle échoue dans ses réclamations, doit supporter tout ou partie des dépens occasionnés par le débat ainsi provoqué » (Cass. 3e civ., 16 juin 1976, n° 75-11167).

[1] M. Millet, Traité théorique et pratique du bornage, Cosse et Marchal, 3e éd. 1862, p. 70

[2] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les biens, Dalloz, 2004, n°279, p. 230.

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