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La délimitation de la propriété : la propriété horizontale (eaux courantes et non-courantes)

Pour mémoire, l’article 546 du Code civil prévoit que « la propriété d’une chose soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement. »

Ainsi, l’assiette du droit de propriété immobilière s’étend à tout ce qui s’unit et s’incorpore à un immeuble.

À cet égard, l’article 552 du Code civil précise que « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous ».

Il résulte de cette disposition que la propriété immobilière doit être envisagée tout autant verticalement qu’horizontalement.

Nous nous focaliserons ici sur la propriété horizontale.

==> Absence de délimitation générale de la propriété verticale

La délimitation horizontale de la propriété procède d’une opération que l’on appelle le bornage. À la différence toutefois de la délimitation verticale opérée par l’article 552 du Code civil, le bornage d’un fonds n’a pas pour effet de faire présumer la propriété.

En effet, le bornage a seulement « pour objet de fixer définitivement les limites séparatives de deux propriétés contigües et d’assurer, par la plantation de pierres bornes, le maintien des limites ainsi déterminées » (Cass. 3e civ., 11 déc. 1901).

C’est là une grande différence avec l’article 552 du Code civil qui, tout en délimitant la propriété verticale d’un immeuble, présume le propriétaire du sol, propriétaire du dessus et du dessous.

Aussi, le Code civil ne comporte aucune règle qui définit de façon générale, l’objet de la propriété horizontale.

S’il est des règles qui intéressent cette dimension de la propriété immobilière, elles se focalisent sur l’appropriation d’un objet pour le moins spécifique : l’eau.

==> Régimes des eaux

Une application stricte de l’article 544 du Code civil devrait conduire à considérer que le propriétaire du sol est investi du droit de jouir de toutes les utilités de sa chose au nombre desquelles figure l’exploitation de l’eau présente sur son fonds ou en bordure qui finalement s’analyse en l’accessoire de celui-ci.

Néanmoins, l’eau n’est pas n’importe quelle chose. Ainsi que le rappelle l’adage « et quidem naturali iure communia sunt omnium haec : aer et aqua profluens et mare et per hoc litora maris », ce qui signifie « et par droit naturel sont le bien commun de tous : l’air, l’eau s’écoulant, la mer et, pour cela, les rivages de la mer »

L’eau est a priori une chose commune de sorte que, en application de l’article 714 du Code civil, elle n’appartient à personne et son usage est commun à tous.

À cet égard, l’article L. 210-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi n°2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques prévoit que « l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général. ».

L’eau, dont l’une des caractéristiques physiques réside dans l’extrême mobilité à l’état liquide, est un objet ou un milieu difficilement cernable par le droit.

Au fil de son cycle immuable et sans cesse recommencé, elle tombe en pluie, ruisselle, rejoint les nappes souterraines ou les cours d’eau, bref emprunte ou traverse successivement différents lieux eux-mêmes soumis à un droit de propriété.

Par commodité, car le législateur n’a pas su s’y prendre autrement, c’est par le prisme des droits de propriété attachés aux divers lieux empruntés qu’a été défini le régime juridique des différentes catégories d’eaux : les eaux ne sont pas traitées par le Code civil comme une ressource en tant que telle ou comme un milieu mais plutôt comme l’accessoire du fonds que leur cours borde ou traverse.

La question qui immédiatement se pose est de savoir si, lorsqu’elle transite par un fonds privé, elle peut faire l’objet d’une appropriation, à tout le moins concourt-elle à la délimitation de la propriété immobilière ?

À l’examen, selon qu’elle est au repos ou en mouvement, l’eau entretient un rapport différent avec le droit de propriété.

Lorsque l’eau est immobile, son régime juridique est attrait par le régime de propriété du lieu qui l’accueille.

Lorsque, en revanche, elle ruisselle d’une propriété à une autre, le droit de propriété ne peut plus appréhender un fluide qui ne fait que passer et prend, en étroite relation avec la propriété des lieux traversés, la forme atténuée d’un droit d’usage – relatif – ou d’une servitude de « passage ».

En simplifiant à l’extrême, le régime juridique de l’eau s’articule donc autour de la distinction entre les eaux courantes (qui forment un cours d’eau) et les eaux non-courantes (dont l’écoulement n’est pas suffisamment important pour former un cours d’eau).

I) Les eaux courantes

Les eaux courantes sont celles dont le ruissellement forme un cours d’eau. À cet égard, l’article L. 215-7-1, al. 1er du Code de l’environnement prévoit que « constitue un cours d’eau un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année. »

L’alinéa 2 précise que l’écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales.

Classiquement, on distingue les cours d’eau domaniaux des cours d’eau non domaniaux. Jusqu’en 2006, le critère de distinction tenait au caractère navigable et flottable du cours.

L’ordonnance n°2006-460 du 21 avril 2006 qui a réformé, en profondeur, le droit domanial a modifié le critère de la domanialité des cours d’eau.

Désormais, ce critère tient, non plus à leur caractère navigable et flottable, mais à leur classement dans le domaine public d’une personne publique.

A) Les cours d’eau domaniaux

==> La propriété du lit

Lorsqu’un cours d’eau est qualifié de domanial il relève du domaine public ce qui implique que son lit, ses rives est insusceptible d’appropriation.

En substance, le domaine public correspond au lit mineur du cours d’eau. Le lit mineur s’arrête au niveau le plus haut que peut atteindre l’eau avant débordement. C’est donc la rive la plus basse qui fixe la limite de propriété.

Lorsqu’un cours d’eau domaniale traverse ou borde un fonds privé, celui-ci est assujetti à un certain nombre de servitudes.

Au compte parmi elles, les servitudes de passage qui correspondent à des bandes de terrain le long de la rivière qui appartiennent au propriétaire riverain mais que le riverain doit laisser libre d’accès pour le passage, des services de police de l’eau et de sécurité, du personnel gestionnaire du cours d’eau chargé de l’entretien, des pêcheurs et des piétons.

Par ailleurs, il existe des servitudes de halage et de marchepied où l’on ne peut planter d’arbres à moins de 9,75 m de la berge côté chemin de halage (s’il existe), et 3,25 m de l’autre côté.

Sur les voies non navigables, il n’existe que la servitude de marchepied.

Quant à l’occupation à titre privé du domaine public, elle nécessite une autorisation de la personne publique propriétaire, laquelle sera délivrée par l’adoption d’un arrêté d’occupation temporaire. Cet arrêté est à demander aux services gestionnaires du domaine.

De même, les droits de pêche et de chasse sont délivrés par les services gestionnaires du domaine.

==> L’usage des eaux

Les personnes publiques propriétaires des cours d’eau domaniaux ne sont pas soumises aux mêmes restrictions d’usage que les riverains, en particulier celles posées à l’alinéa 2e de l’article 644 qui prévoit que « celui dont cette eau traverse l’héritage peut même en user dans l’intervalle qu’elle y parcourt, mais à la charge de la rendre, à la sortie de ses fonds, à son cours ordinaire ».

L’État y échappe dans la mesure où il agit dans l’intérêt général. La loi des 12-20 août 1790 a ainsi chargé l’administration de « diriger, autant qu’il serait possible, les eaux vers un but d’utilité générale d’après les principes de l’irrigation ».

Cet intérêt général est également sauvegardé par la protection accordée au domaine : dès l’ordonnance sur les eaux et forêts d’août 1669 (Titre XXVII, articles 42 et 43), le roi a interdit de faire aucune construction dans les fleuves et rivières navigables.

Cette disposition a été reprise par un arrêté du Directoire exécutif du 19 ventôse an VI, puis l’article 40 de la loi de 1898 a figé cette règle en prévoyant que : « aucun travail ne peut être exécuté et aucune prise d’eau ne peut être pratiquée dans les fleuves et rivières navigables ou flottables sans autorisation de l’administration ».

Cette disposition figure aujourd’hui à l’article L. 2124-8 du code général de la propriété des personnes publiques.

Autrement dit, le droit d’usage de l’eau appartient, sur les cours d’eau domaniaux, aux personnes publiques propriétaires, et les personnes intéressées, n’y ayant aucun droit, qui souhaitent en prélever ne peuvent le faire qu’en vertu d’une autorisation précaire et révocable, assortie du paiement d’une redevance.

Et si l’article 10 de la loi sur l’eau du 3 janvier 1992 (articles L. 214-1 et s. du code de l’environnement) a ultérieurement institué un régime général d’autorisation et de déclaration des prélèvements en eau, également applicable à l’ensemble des cours d’eau, cette police de l’eau ne préjuge en rien du droit d’accès à l’eau de ces cours d’eau qui demeure réglé par les droits de propriété sous-jacents.

B) Les cours d’eau non domaniaux

À la différence des cours d’eau domaniaux qui relèvent du domaine public, les cours d’eau non domaniaux sont susceptibles de faire l’objet d’un droit de propriété par une personne privée.

À cet égard, leur appropriation est régie par les articles 644 et 645 du Code civil et les articles L. 215-1 à L. 215-18 du Code de l’environnement

Le dispositif mis en place vise à encadrer, d’une part, l’appropriation du lit du cours d’eau et, d’autre part, l’usage de ses eaux.

==> La propriété du lit 

==> L’usage des eaux

À la différence du lit du cours d’eau qui, dès lors qu’il ne relève pas du domaine public, peut faire l’objet d’un droit de propriété, tel n’est pas le cas des eaux qui s’écoulent dans ce lit, lesquelles sont des res communes.

À ce titre, elles sont insusceptibles d’appropriation. En application de l’article 714 du Code civil leur usage est commun à tous.

Cela signifie, en théorie, que quiconque est titulaire d’un droit d’usage des eaux courantes y compris de celles qui s’écoulent dans un cours d’eau non domanial.

Reste que lorsque le lit de ce cours d’eau fait l’objet d’une réservation privative, se pose la question de l’exercice du droit d’usage par les tiers.

Par hypothèse, sauf à ce que ces derniers empruntent une voie publique pour accéder au cours d’eau, ils ne peuvent pas contraindre un propriétaire riverain de leur ouvrir un passage.

Aussi, dans l’hypothèse où le cours d’eau ne comporte aucun accès public, le droit d’usage dont sont titulaires les tiers ne sera que théorique.

Pour les propriétaires riverains en revanche, ce droit d’usage est bien effectif. La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quelle est l’étendue de ce droit d’usage sur les eaux courantes dont est titulaire le propriétaire riverain d’un cours d’eau non domanial.

II) Les eaux non-courantes

Les eaux non-courantes sont celles dont le ruissellement ne forme pas un cours d’eau. Pour mémoire, en application de l’article L. 215-7-1, al. 1er du Code de l’environnement prévoit que « constitue un cours d’eau un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année. »

Les eaux non-courantes sont donc celles qui ont vocation à demeurer au repos ou dont l’écoulement n’est pas suffisamment intense et ordonné pour former un cours d’eau.

Au nombre des eaux non-courantes on distingue classiquement les eaux pluviales des eaux de source.

A) Les eaux pluviales

Aucune disposition du code civil dans sa version de 1804 ne traitait de la question de la propriété de l’eau de pluie. L’importance pratique de cette question a cependant nourri une importante jurisprudence dictée par le principe simple selon lequel chacun a la pleine propriété des eaux de pluie qui tombent sur son fonds.

Les eaux pluviales ont, en effet, toujours été considérées comme des res nullius (choses sans maître), ce qui implique qu’elles peuvent faire l’objet d’appropriation privative.

Cette construction jurisprudentielle a été reprise par la loi du 8 avril 1898 sur le régime des eaux, qui est à l’origine de la rédaction précitée et toujours en vigueur de l’article 641 du Code civil.

Mais si cette loi consacre la jurisprudence attribuant la pleine propriété des eaux de pluie au propriétaire du fonds, elle précise immédiatement que cette eau retrouve le droit commun dès lors qu’elle sort du terrain et que, si elle bénéficie d’une servitude naturelle d’écoulement, l’usage qui en est fait ne doit pas l’aggraver.

==> Principe

L’article 641, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « tout propriétaire a le droit d’user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds. »

Il ressort de cette disposition que le propriétaire du sol peut se réserver l’usage des eaux pluviales qui tombent sur son fonds.

Cette réservation privative n’implique pas, à la lecture du texte, qu’il les rende à la sortie de son fonds à l’instar des eaux courantes.

Il est donc livre de les capter, d’en faire usage pour irriguer sa propriété sans jamais les restituer pour l’usage des fonds inférieurs.

Lorsque les eaux pluviales s’écoulent sur les fonds inférieurs, les propriétaires de ces fonds sont, à leur tour, en droit d’en faire usage, celles-ci demeurant des res nullius tant qu’elles n’ont pas été captées.

Il a été jugé qu’il en allait de même des eaux pluviales qui proviennent de la voie publique, elles peuvent être appropriées par voie d’occupation par les propriétaires des fonds privés inférieurs (V. en ce sens Cass. civ. 13 janv. 1891)

==> Limites

L’article 641, al. 2e du Code civil prévoit que « si l’usage de ces eaux ou la direction qui leur est donnée aggrave la servitude naturelle d’écoulement établie par l’article 640, une indemnité est due au propriétaire du fonds inférieur. »

Il s’infère de cette disposition que l’usage des eaux pluviales par un propriétaire privé ne peut jamais aggraver la servitude d’écoulement qui pèse sur les fonds inférieurs.

Cette règle est une application particulière de l’article 663, al. 3e qui dispose que « le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur. »

L’obligation mise à la charge du propriétaire du fonds dominant doit être comprise comme lui interdisant d’affecter l’écoulement naturel des eaux en déversant, par exemple, des eaux usées ou ménagères.

Dès lors que l’intervention du propriétaire du fonds dominant modifie l’écoulement des eaux, il y a aggravation de la charge qui pèse sur le fonds servant.

Or cette aggravation est constitutive d’une faute susceptible de donner lieu à une indemnisation du préjudice causé (V. en ce sens Cass. req. 7 janv. 1895).

Le propriétaire du fonds servant peut encore contraindre, sous astreinte, le propriétaire du fonds supérieur à réaliser des travaux afin que cesse l’écoulement anormal des eaux.

B) Les eaux de sources

Le droit de propriété sur les eaux de source figure à l’article 641 du code civil dès sa version de 1804 : « celui qui a une source dans son fonds, peut en user à sa volonté ». Ce texte conférait ainsi un droit de propriété absolu au propriétaire du sol sur les sources.

La loi du 8 avril 1898 a déplacé cette règle au premier alinéa 2 de l’article 642 en ajoutant la précision suivante : « dans les limites et pour les besoins de son héritage. »

L’appropriation privative d’une source par le propriétaire du sol n’est, de la sorte, pas sans limite. L’exploitation d’une source ne saurait préjudicier aux propriétaires des fonds inférieurs, ni porter atteinte à l’intérêt général.

==> Principe

L’article 642, al. 1er du Code civil dispose que « celui qui a une source dans son fonds peut toujours user des eaux à sa volonté dans les limites et pour les besoins de son héritage. »

Cette disposition confère ainsi un droit de propriété au propriétaire d’un fonds sur lequel une source jaillit.

Il peut être retiré de cet usage toutes les utilités que procure la source. Il est, à cet égard, indifférent qu’il s’agisse d’une source dont le jaillissement dans le fonds soit naturel ou procède de sondages et de travaux souterrains.

Respectant le caractère absolu du droit du propriétaire du sol sur les eaux de source, la jurisprudence a, en effet, étendu ce droit d’usage aux eaux souterraines, c’est-à-dire aux eaux n’ayant pas encore émergé à la surface selon un raisonnement parfaitement vertical : le propriétaire du fonds possède l’eau de source de ce fonds, une eau nécessairement issue du dessous.

Le droit de propriété de la source s’étend donc aux eaux souterraines, ce qui contraste singulièrement avec l’étendue limitée des droits sur l’eau courante.

Les rédacteurs du code, et leurs inspirateurs romains, n’avaient sans doute pas envisagé, à une époque où l’état des techniques ne permettait ni de forer profondément dans le sol ni d’en extraire de grands volumes, la postérité de cette question.

Si le caractère absolu de ce droit emporte le droit du propriétaire du sol d’intercepter les veines d’eaux souterraines, il ne s’exerce, néanmoins, qu’à hauteur de ce que ce propriétaire peut capter et ce dernier n’a droit à aucune indemnité si la source se tarit par suite de travaux effectués sur un fonds voisin.

Aussi, selon la jurisprudence, le propriétaire du fonds sur lequel elle jaillit peut aveugler la source, la détruire, la détourner, la vendre ou la donner.

Un maire ne peut pas, pour cette raison, ouvrir à certains habitants d’une commune l’usage d’un puits privé (CE, 8 juillet 1936, Millot)

==> Limites

Le droit de propriété conféré au propriétaire du sol sur les sources qui jaillissent dans son fonds est assorti de plusieurs restrictions.

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les biens, éd. Dalloz, 2007, n°233, p. 203.

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