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Les parties intéressées au paiement de la prime : le créancier

En principe, le créancier de la prime est exclusivement l’assureur. C’est lui seul qui, en vertu du contrat, a droit au versement de la cotisation destinée à financer la couverture du risque. Le Code des assurances ne laisse aucune ambiguïté sur ce point : la prime est due à l’entreprise d’assurance, laquelle en est seule propriétaire. Toutefois, dans la pratique, l’encaissement est assuré par des intermédiaires, ce qui impose de préciser dans quelle mesure le paiement effectué entre leurs mains libère valablement le souscripteur.

==>Paiement portable

Depuis la loi du 30 novembre 1966, et plus encore depuis l’abrogation de l’article R. 113-5 du Code des assurances par le décret du 22 décembre 1992, la prime est réputée « portable » et non plus « quérable ». Autrement dit, c’est au débiteur d’accomplir les diligences nécessaires pour porter son paiement au créancier, en se présentant au siège social de l’entreprise d’assurance, dans ses directions ou délégations, mais aussi, le cas échéant, chez ses mandataires régulièrement habilités, tels les agents généraux. Cette évolution rompt avec la règle de droit commun selon laquelle toute dette est quérable (C. civ., art. 1342, anc. art. 1247), pour tenir compte de la spécificité d’une entreprise ayant à percevoir des milliers de primes auprès d’autant de clients.

==>Situation des agents généraux

L’agent général est, par nature, mandataire de la société d’assurance qu’il représente. Le paiement effectué entre ses mains est donc pleinement libératoire, le mandat d’encaissement découlant de sa qualité même de représentant légalement reconnu de l’entreprise. Ainsi, tout versement réalisé auprès de l’agent engage directement l’assureur et décharge le souscripteur de son obligation, même si, en pratique, les fonds ne sont pas encore remontés au siège de la compagnie.

==>Situation du courtier

Le courtier se distingue fondamentalement de l’agent général : il est traditionnellement considéré comme le mandataire de l’assuré, et non de l’assureur. Par conséquent, le paiement effectué entre ses mains n’est pas, en principe, libératoire pour le souscripteur. Il ne le devient que si le courtier dispose d’un mandat exprès d’encaissement donné par l’assureur, ou si le souscripteur peut invoquer la théorie du mandat apparent.

La jurisprudence affirme avec constance que le paiement effectué entre les mains d’un intermédiaire n’est libératoire que si celui-ci a reçu un mandat exprès de l’assureur ou qu’il existe un mandat apparent. À défaut, l’assureur ne peut être contraint à restituer les fonds que le courtier aurait détournés, dès lors qu’ils n’ont jamais été effectivement perçus par lui.

C’est précisément ce qu’a jugé la première chambre civile dans un arrêt de principe (Cass. 1re civ., 9 mai 1996, n° 93-21.642). En l’espèce, une assurée avait remis un chèque de 400 000 francs à un agent général qui représentait une compagnie, mais qui avait agi, pour la souscription litigieuse, comme courtier auprès d’une autre société d’assurance, sans mandat de celle-ci. La Cour a approuvé la cour d’appel d’avoir retenu que :

En conséquence, la Cour de cassation a jugé que l’assureur ne pouvait être tenu de rembourser le montant de la prime détournée par l’intermédiaire, la somme n’ayant jamais été encaissée par lui.

A cet égard, l’assuré ne peut être libéré qu’en démontrant l’existence d’un mandat apparent, c’est-à-dire en prouvant qu’il avait légitimement cru à l’existence d’un pouvoir d’encaissement, sur le fondement d’indices objectifs. La Cour de cassation admet ainsi la libération lorsqu’un avis d’échéance portait la raison sociale du courtier, donnant ainsi l’apparence d’un pouvoir d’encaissement (Cass. 1re civ., 7 juin 1995, n° 93-14.515). Mais inversement, elle exclut toute apparence lorsque le bulletin d’adhésion, signé par le souscripteur, stipulait expressément que les règlements devaient être libellés à l’ordre de la compagnie (Cass. 1re civ., 9 mai 1996, n° 93-21.642).

Enfin, lorsqu’il est effectivement chargé du paiement, le courtier doit transmettre les primes à l’assureur dans un délai déterminé. Il s’agit d’une obligation de résultat, dont la violation engage sa responsabilité civile. La deuxième chambre civile l’a rappelé à propos d’un courtier qui avait imputé par erreur un règlement sur un autre compte, laissant l’assuré sans couverture effective et l’exposant à des sanctions pour défaut d’assurance (Cass. 2e civ., 11 juin 2015, n° 14-21.412). Le manquement du courtier ne transfère pas la dette, mais ouvre droit à réparation en raison de la perte de garantie subie par l’assuré.

==>Conséquences pratiques

Cette rigueur jurisprudentielle s’explique par la volonté de protéger l’assureur contre des paiements indus, mais elle place l’assuré dans une position délicate, en l’obligeant à distinguer précisément les qualités d’intermédiaires dont il n’a pas toujours la maîtrise technique. Afin de limiter ces risques, le législateur a renforcé, depuis la loi du 15 décembre 2005, les obligations de transparence pesant sur les intermédiaires : information préalable sur leur statut, leur immatriculation et leurs liens capitalistiques avec les assureurs. Ce dispositif, désormais intégré aux articles L. 521-2 et suivants du Code des assurances, vise à éclairer le souscripteur sur l’identité réelle du destinataire légitime de son paiement.

==>Hypothèses de fraude

La Cour de cassation a eu à connaître de situations dans lesquelles d’anciens préposés de compagnies d’assurance avaient détourné des fonds versés par des particuliers pour la souscription de contrats inexistants. Dans l’affaire jugée le 12 février 2009, un ancien salarié avait encaissé des primes relatives à de « faux contrats » d’assurance vie. Les victimes entendaient agir contre l’assureur sur le fondement de la répétition de l’indu (C. civ., anc. art. 1376).

La deuxième chambre civile a rejeté cette demande. Elle a jugé qu’« encore fallait-il que la personne morale contre laquelle l’action en répétition était dirigée eût effectivement reçu les sommes litigieuses ; que tel n’était pas le cas en l’espèce puisque c’était précisément parce que M. Y… détournait à son profit les versements opérés par les souscripteurs, comme l’avait montré l’instance pénale, que les contrats d’assurance vie souscrits pouvaient être qualifiés de faux contrats » (Cass. 2e civ., 12 févr. 2009, n° 08-12.916).

Autrement dit, l’assureur ne saurait être tenu de restituer des fonds qu’il n’a jamais reçus. La compagnie n’étant pas créancière effective des primes détournées, aucune obligation de remboursement ne peut peser sur elle. La responsabilité repose alors exclusivement sur l’auteur du détournement, contre lequel les victimes doivent exercer leurs recours.

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