La prime constitue l’élément cardinal du contrat d’assurance : elle est la contrepartie directe de la garantie consentie par l’assureur, et conditionne l’équilibre économique du mécanisme assurantiel. Derrière son apparente simplicité — un prix payé en échange d’une couverture — se cache en réalité un édifice complexe, où se mêlent logique économique, exigence actuarielle et contraintes juridiques.
Longtemps encadrée par un système de tarifs administrés, la tarification est désormais dominée par le principe de liberté des prix, proclamé par l’ordonnance du 1er décembre 1986 et consolidé par la loi du 31 décembre 1989. Cette liberté n’est cependant ni absolue ni inconditionnelle : elle se trouve tempérée par des règles de concurrence, par les impératifs de solvabilité propres au secteur, mais aussi par des principes de proportionnalité et de transparence qui protègent l’assuré. La prime n’est donc pas un simple prix de marché, mais l’expression d’une équation équilibrée entre risque, mutualisation et équité contractuelle.
L’étude des critères d’établissement de la prime met ainsi en lumière une dialectique constante : d’un côté, la rationalité actuarielle, qui commande une tarification fondée sur des données statistiques objectives ; de l’autre, l’intervention du droit, qui introduit des correctifs pour prévenir les discriminations, garantir l’accès à certaines assurances obligatoires et affirmer des exigences de solidarité, notamment dans le système mutualiste.
C’est dans ce cadre que s’inscrivent les principes généraux qui gouvernent la fixation des primes, avant d’examiner les régimes particuliers où le législateur ou les autorités de régulation imposent des modalités spécifiques de tarification.
Nous nous focaliserons ici sur les tarifications particulières.
1. Primes fixées par la loi
Le principe demeure celui de la liberté tarifaire de l’assureur, reflet de l’autonomie de la volonté et de la logique actuarielle. Toutefois, dans certains secteurs jugés sensibles, le législateur est intervenu pour encadrer, voire imposer, des modalités de tarification dérogatoires. L’objectif est double : garantir l’effectivité de l’assurance obligatoire et assurer une certaine solidarité face à des risques d’intérêt général. Trois mécanismes principaux peuvent être relevés.
a. Automobile : le système du bonus-malus
En matière d’assurance automobile, rendue obligatoire par l’article L. 211-1 du Code des assurances, la tarification n’est pas laissée à la seule discrétion des assureurs. La clause-type dite « bonus-malus » – codifiée aux articles A. 121-1 et suivants du Code des assurances – institue un mécanisme de réduction ou de majoration des primes en fonction de la sinistralité du conducteur.
Ce système, véritable traduction réglementaire de l’équité actuarielle, repose sur un principe de responsabilisation de l’assuré : chaque sinistre entraîne une majoration, tandis qu’une conduite sans accident est récompensée par une réduction progressive de la prime. Ainsi, la régulation ne vise pas seulement la solvabilité de l’assureur, mais également la prévention du risque routier. La doctrine souligne toutefois que ce mécanisme, rigide dans sa formule, laisse peu de marge d’adaptation aux réalités économiques des marchés assurantiels.
b. Catastrophes naturelles : la surprime « CatNat »
Le régime des catastrophes naturelles, instauré par la loi du 13 juillet 1982 et codifié à l’article L. 125-1 du Code des assurances, illustre l’irruption d’une logique de solidarité nationale dans le calcul des primes. Tous les contrats de dommages aux biens et d’automobile doivent comporter une cotisation additionnelle spécifique, affectée à la couverture du risque de catastrophe naturelle.
Cette surprime est fixée par voie réglementaire : depuis l’arrêté du 27 décembre 2024, les taux sont uniformisés à 20 % pour les contrats multirisques habitation et professionnels, 12% pour les garanties dommages automobiles, 6 % pour les pertes d’exploitation sans dommages et 20 % pour celles consécutives à des dommages. L’assureur ne dispose donc d’aucune marge de négociation.
Le choix de ce mode de financement, supervisé par la Caisse centrale de réassurance (CCR), répond à un impératif d’égalité et de mutualisation : chacun contribue à la prise en charge de risques d’ampleur exceptionnelle, dont la probabilité est incertaine mais les conséquences potentiellement catastrophiques. Cette logique s’écarte de la pure rationalité actuarielle, puisqu’elle repose sur un principe de socialisation des pertes.
c. Contribution « attentats »
Un mécanisme analogue existe pour la couverture du risque terroriste. Depuis 1986, tous les contrats de dommages aux biens comportent une contribution obligatoire au profit du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme (FGTI). Son montant est fixé par décret et s’élève, depuis le 1?? juillet 2024, à 6,50 € par contrat. Ce niveau a été reconduit en 2025.
Là encore, la tarification est entièrement déterminée par la puissance publique, ce qui traduit une logique d’intervention étatique face à un risque qui échappe par nature aux modèles de prévision classiques. La justification est ici éthique et politique autant qu’économique : il s’agit d’assurer une solidarité nationale face à la violence terroriste, en garantissant une indemnisation rapide et homogène des victimes.
2. Primes fixées par le bureau central de tarification
Le Bureau central de tarification (BCT) constitue une institution originale du droit des assurances, créée pour garantir l’effectivité des obligations d’assurance dans les hypothèses où le libre jeu du marché se révèle défaillant.
En effet, si la liberté contractuelle fonde le principe de la tarification assurantielle, elle ne saurait priver d’effet les obligations légales de couverture imposées dans certains secteurs. Le BCT apparaît ainsi comme un régulateur de dernier recours, destiné à concilier la solvabilité des assureurs et le droit fondamental des assurés à accéder à une couverture obligatoire.
a. Finalité et champ d’application
Le rôle du BCT est de pallier les refus de garantie, explicites ou déguisés (par la fixation de primes exorbitantes équivalant à un refus). Lorsqu’un assuré ne parvient pas à trouver une couverture sur le marché, il peut saisir le BCT, lequel fixe alors la prime et oblige un assureur désigné à garantir le risque.
Le dispositif s’applique à plusieurs domaines où l’assurance est rendue obligatoire par la loi :
- Responsabilité civile automobile (C. assur., art. L. 212-1), qui demeure l’application la plus fréquente et emblématique ;
- Assurance construction (C. assur., art. L. 243-4), afin de garantir la mise en œuvre du régime de responsabilité décennale ;
- Responsabilité civile médicale (C. assur., art. L. 252-4), secteur particulièrement sensible en raison des risques lourds supportés par certaines spécialités ;
- Exploitation des remontées mécaniques (C. assur., art. L. 220-5), où les enjeux de sécurité publique justifient une couverture obligatoire ;
- Garantie catastrophes naturelles (C. assur., art. L. 125-6), qui complète le régime légal de solidarité nationale.
b. Procédure
La procédure, organisée par les articles R. 250-1 à R. 250-6 du Code des assurances, repose sur un mécanisme de saisine individuelle. L’assuré qui se voit refuser la garantie ou qui estime la prime proposée manifestement disproportionnée dispose d’un délai de 15 jours pour saisir le BCT. Celui-ci instruit le dossier, entend les parties et fixe la prime applicable. La décision du Bureau s’impose à l’assureur, qui ne peut refuser de contracter aux conditions ainsi arrêtées.
Ce dispositif instaure un véritable droit à l’assurance obligatoire, en transformant une obligation de souscrire (pesant sur l’assuré) en une obligation de garantir (pesant sur l’assureur).
c. Portée et limites
Le BCT ne procède pas lui-même à l’évaluation actuarielle du risque : il fixe une prime «raisonnable » en s’appuyant sur les données économiques disponibles et sur les pratiques de marché. Il ne s’agit pas de créer un tarif uniforme, mais de prévenir les abus manifestes. Ce rôle de régulation vise donc davantage à assurer l’équilibre entre solvabilité des assureurs et protection des assurés qu’à instaurer une mutualisation radicale.
La jurisprudence a confirmé la portée contraignante des décisions du BCT. La Cour de cassation a jugé que l’assureur ne pouvait se soustraire à l’obligation de couvrir dès lors qu’il était désigné par le Bureau, sous peine de sanctions.
