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Objet du contrat d’assurance : l’obligation de garantir dans les assurances obligatoires

En droit commun des contrats, la liberté contractuelle constitue le principe cardinal : chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, et de déterminer le contenu de ses engagements (art. 1102 C. civ.). En matière d’assurance, ce principe demeure, mais il est régulièrement relégué au rang d’exception.

L’assurance est, en effet, un instrument d’organisation collective de la prise en charge des risques : elle ne se borne pas à protéger les seuls intérêts privés des parties ; elle participe à une politique publique de sécurisation des rapports sociaux et économiques. À ce titre, il n’est pas rare que le législateur impose non seulement la souscription d’un contrat (obligation d’assurance), mais encore son contenu minimal (obligation de garantir).

L’obligation d’assurance désigne l’exigence, pour une personne ou une catégorie déterminée, de conclure un contrat couvrant un risque donné. Elle est tournée vers l’existence du lien contractuel.

L’obligation de garantir se situe sur un autre plan : elle concerne le contenu de ce contrat, c’est-à-dire l’étendue effective de la couverture. Une assurance obligatoire dépourvue d’obligation de garantir adéquate ne serait qu’un formalisme vide, ne répondant pas à la finalité protectrice qui la justifie.

==>La finalité collective : protéger les victimes et solvabiliser le risque

Si la liberté contractuelle est parfois limitée, c’est au profit d’une finalité plus large : assurer l’indemnisation effective des victimes en identifiant un débiteur de substitution solvable.

L’assurance devient alors l’outil d’une politique de socialisation des risques, là où, sans elle, la réparation dépendrait des seules ressources – parfois inexistantes – du responsable.

Comme l’a écrit Hubert Groutel, l’assurance obligatoire « ne cherche pas tant à protéger l’assuré contre lui-même qu’à protéger autrui contre l’insolvabilité ». Cette logique explique le développement d’assurances imposées dans des secteurs à fort potentiel de dommage (circulation automobile, construction, professions réglementées), où l’aléa menace directement des tiers.

==>De la philosophie du risque : mutualisation ou individualisme ?

En filigrane, une question plus vaste affleure : quelle société souhaite-t-on ?

L’assurance – et a fortiori l’assurance obligatoire – se situe clairement du côté de la mutualisation. Elle traduit ce que certains auteurs analysent comme un contrat de solidarité différée : chacun participe aujourd’hui au financement des sinistres qui toucheront demain d’autres que lui, avec la certitude d’être, le moment venu, bénéficiaire de la même solidarité.

Cette socialisation n’exclut pas la liberté contractuelle ; elle la canalise.

En assurance facultative, les parties disposent d’une marge importante pour déterminer l’objet et l’étendue de la garantie, sous réserve de quelques limitations d’ordre public (par ex. art. L. 121-2 C. assur.).

En assurance obligatoire, cette marge est plus étroite : la loi fixe un noyau dur (personnes couvertes, événements garantis, montants minimaux, inopposabilité de certaines exceptions aux victimes) et ne laisse à la liberté contractuelle que la faculté d’étendre ou d’améliorer la couverture.

Cette distinction entre obligation d’assurance et obligation de garantir permet de structurer l’analyse :

Nous nous focaliserons ici sur la première situation.

L’assurance obligatoire est bien plus qu’une contrainte de souscription : elle est un instrument d’organisation collective de la solvabilisation des risques.

Lorsque la loi impose un contrat d’assurance, elle ne se limite pas à ordonner la conclusion d’une police : elle cadre l’objet assuré en amont (en définissant les événements garantis, les personnes protégées, les montants de couverture) et neutralise en aval toute stipulation qui viendrait en réduire la portée.

La liberté contractuelle cède ici le pas devant une finalité supérieure : assurer l’effectivité de la protection d’un risque identifié dans l’intérêt général et garantir l’égalité de traitement entre tous les assujettis.

Ce « forçage » légal du contenu de la garantie répond à une logique claire : rendre la réparation prévisible et uniforme, de manière à protéger la victime contre l’insolvabilité du responsable.

1. Une délimitation légale (impérative) du risque et des bénéficiaires

a. Définition des personnes couvertes

Dans les assurances obligatoires, le législateur ne se limite pas à imposer la conclusion d’un contrat : il en encadre aussi le périmètre subjectif, c’est-à-dire la détermination des personnes bénéficiant de la garantie. L’objectif est double : d’une part, garantir que la finalité de protection assignée par la loi soit pleinement atteinte ; d’autre part, éviter que des stipulations contractuelles restrictives ne viennent priver d’effet la norme impérative.

En matière d’assurance automobile, l’article L. 211-1 du Code des assurances énonce que la couverture obligatoire de responsabilité civile doit bénéficier non seulement au propriétaire du véhicule, mais également à « toute personne ayant la garde ou la conduite » de celui-ci. La loi ne subordonne pas cette protection à une autorisation préalable de conduite, ce qui signifie qu’une utilisation non autorisée n’exclut pas, en principe, la garantie légale.

Le texte organise toutefois des exclusions légales spécifiques : certaines catégories professionnelles, notamment celles intervenant dans le cadre d’une activité de réparation, de vente ou de contrôle technique, sont écartées du cercle des assurés obligatoires. Ces exclusions s’expliquent par la logique économique et assurantielle : ces professionnels disposent généralement de garanties propres adaptées à leur activité.

Cette extension légale de la qualité d’assuré emporte une conséquence pratique majeure : toute clause contractuelle limitant la garantie au seul titulaire désigné dans la police est réputée non écrite. La jurisprudence a constamment rappelé cette primauté de la norme impérative sur la stipulation contractuelle, au nom de la protection des victimes et de l’égalité des assurés soumis à l’obligation légale.

b. Définition des événements et de la nature des dommages

L’encadrement légal de l’assurance obligatoire ne se limite pas aux bénéficiaires : il porte également sur l’objet matériel de la garantie, c’est-à-dire les événements couverts et la nature des dommages indemnisables.

En assurance automobile, l’article R. 211-7 du Code des assurances impose que la couverture soit illimitée pour les dommages corporels. Cette exigence reflète la primauté donnée, en droit français, à la réparation intégrale du préjudice corporel, qui ne saurait être plafonnée par contrat.

S’agissant des dommages matériels, le même article renvoie à un arrêté ministériel pour fixer le montant minimal de garantie. Depuis l’arrêté du 16 mars 2022, ce montant est fixé à 1,3 million d’euros par sinistre et par véhicule. Cette indexation réglementaire permet d’ajuster périodiquement le niveau de protection à l’évolution économique, notamment à l’inflation et au coût moyen des sinistres.

L’assureur conserve bien entendu la possibilité de prévoir un plafond supérieur à ce minimum légal, mais toute stipulation visant à le réduire serait frappée de nullité relative, la clause étant réputée non écrite. La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises que de telles limitations, lorsqu’elles contreviennent aux seuils légaux, ne peuvent recevoir application.

c. Montants minimaux et plafonds de franchises dans certaines professions

Dans d’autres secteurs soumis à une assurance obligatoire, l’intervention du législateur ou du pouvoir réglementaire peut aller encore plus loin en fixant des paramètres quantitatifs précis, incluant non seulement le montant minimal de la garantie mais aussi le régime applicable aux franchises.

Ainsi, en matière de responsabilité civile professionnelle des avocats, le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, en son Titre VI, impose que la garantie ne soit pas inférieure à 1 500 000 € par année et par assuré. Il prévoit également que la franchise ne peut excéder 10 % de l’indemnité due, dans la limite de 3 050 €, et surtout que cette franchise est inopposable aux victimes. Ce dernier point illustre parfaitement la finalité protectrice du régime impératif : même si l’assuré reste débiteur de la franchise envers son assureur, la victime reçoit l’intégralité de l’indemnisation due.

La pratique professionnelle démontre d’ailleurs que ce socle légal est souvent dépassé par la volonté collective des instances représentatives. Le Barreau de Paris, par exemple, a mis en place une garantie portée à 4 000 000 € par sinistre, tout en conservant le régime de franchise précité. Cette surenchère protectrice traduit une prise en compte pragmatique de l’ampleur potentielle des sinistres dans une activité exposée à des enjeux financiers et humains considérables.

2. Le « forçage » légal du contenu des garanties

L’encadrement des assurances obligatoires ne se limite pas à la définition d’un périmètre général et de montants minimaux.

Le législateur, poursuivant un objectif de protection des victimes et de garantie d’égalité entre assurés, procède à un véritable “forçage” du contenu contractuel, en insérant d’office, dans toute police, un noyau dur de garanties impératives et en neutralisant toute stipulation qui en limiterait la portée.

Cette technique, qui relève du droit public de l’assurance obligatoire, illustre un renversement du principe de liberté contractuelle : l’assureur est tenu d’intégrer dans le contrat des dispositions qu’il n’a pas nécessairement voulues, et dont il ne peut se défaire.

a. Assurance construction : dommages-ouvrage et responsabilité décennale

En matière d’assurance construction, le législateur érige en norme d’ordre public un contenu minimal intangible des garanties. L’article L. 243-8 du Code des assurances prévoit que «tout contrat d’assurance souscrit par une personne assujettie à l’obligation d’assurance est, nonobstant toute clause contraire, réputé comporter des garanties au moins équivalentes à celles figurant dans les clauses-types » fixées par l’article A. 243-1. Cette règle interdit toute limitation contractuelle défavorable, même acceptée par l’assuré, qui aurait pour effet de réduire la protection légale attachée à l’assurance obligatoire de responsabilité décennale ou à l’assurance dommages-ouvrage.

La Cour de cassation en a rappelé la portée impérative dans un arrêt du 4 février 2016 (Cass. 3e civ., 4 févr. 2016, n°14-29.790). En l’espèce, des maîtres d’ouvrage avaient confié la réalisation d’une piscine à un constructeur, assuré au titre de la responsabilité décennale. Après réception, des désordres étaient apparus : la rugosité du revêtement intérieur, due à une mauvaise mise en œuvre, rendait l’ouvrage impropre à sa destination. L’assureur avait refusé sa garantie, se prévalant d’une clause de la police limitant l’indemnisation aux seuls défauts de solidité affectant la structure de l’ouvrage.

La Haute juridiction a censuré cette position : dès lors que les désordres rendaient l’ouvrage impropre à sa destination au sens de l’article 1792 du Code civil, la clause contractuelle restreignant la garantie à la seule solidité de la structure contrevenait aux règles d’ordre public fixées par les articles L. 241-1, L. 243-8 et A. 243-1 du Code des assurances, et devait être réputée non écrite.

Cette décision illustre la philosophie protectrice du régime :

L’arrêt confirme ainsi que, dans les assurances obligatoires de construction, le « forçage » légal du contrat ne se limite pas à un socle de garanties : il garantit l’intégrité fonctionnelle de l’ouvrage et préserve l’efficacité du système de réparation automatique, pierre angulaire de la loi Spinetta.

b. Assurance automobile : exclusions autorisées et exclusions inopposables

En matière d’assurance automobile obligatoire, le « forçage » légal se manifeste principalement par la fermeture de la liste des exclusions et par le régime d’inopposabilité aux victimes.

Les articles R. 211-10 et R. 211-11 du Code des assurances dressent une liste limitative des exclusions admises. On y retrouve, par exemple, le défaut d’âge ou de permis de conduire en cours de validité, sauf si le véhicule a été obtenu par vol, violence ou utilisation à l’insu de l’assuré, ou encore le transport de passagers dans des conditions manifestement dangereuses.

En dehors de ces hypothèses strictement énumérées, toute autre exclusion est prohibée dans le cadre de l’assurance obligatoire.

Par ailleurs, et surtout, l’article L. 211-1, alinéa 2 consacre l’inopposabilité, aux tiers lésés, des exclusions, franchises, déchéances et même de la réduction proportionnelle de prime prévue à l’article L. 113-9.

L’assureur demeure tenu d’indemniser intégralement la victime, puis peut exercer un recours contre son assuré fautif.

Ce mécanisme protecteur a été renforcé par la réécriture de l’article R. 211-13 intervenue fin 2023, qui précise les modalités de mise en œuvre et la portée de cette inopposabilité.

La logique d’ensemble est claire : la victime doit percevoir sans délai et sans réduction le montant de l’indemnité à laquelle elle a droit, l’éventuel conflit entre l’assureur et l’assuré relevant d’une seconde phase, purement interne.

Enfin, l’extension introduite par l’article L. 211-7-1 du Code des assurances (créé par la loi PACTE) parachève ce mouvement protecteur : désormais, la nullité du contrat fondée sur la violation de l’article L. 211-1 — par exemple pour fausse déclaration intentionnelle de l’assuré — est inopposable aux victimes et à leurs ayants droit.

L’assureur ne peut donc plus se prévaloir de cette nullité pour refuser l’indemnisation d’un tiers victime d’un accident de la circulation, même lorsque l’assuré a gravement manqué à ses obligations déclaratives. La Cour de cassation a d’ailleurs aligné sa jurisprudence sur cette innovation, confirmant ainsi la primauté absolue de la protection des victimes dans ce domaine.

c. Procédure d’opposabilité des non-garanties en assurance obligatoire automobile

L’encadrement légal du contenu de la garantie se double d’un encadrement procédural, destiné à éviter que l’inopposabilité ne soit contournée par un simple défaut d’information.

En vertu de l’article R. 421-5 du Code des assurances, lorsqu’un assureur entend décliner sa garantie — qu’il s’agisse d’une nullité, d’une suspension, d’une situation de non-assurance ou d’une assurance partielle — dans le cadre d’une assurance obligatoire de dommages, il doit respecter une procédure stricte :

Cette règle vise à garantir que la victime soit immédiatement informée, sans que le FGAO ne soit le seul destinataire, et ce dans des formes identiques. En cas de manquement, l’exception devient inopposable, même si elle se fonderait sur un défaut réel.

La Cour de cassation a consacré et précisé ce formalisme dans plusieurs décisions, rappelant que, dans le domaine des assurances obligatoires, la procédure d’opposabilité d’une non-garantie ne relève pas d’un formalisme accessoire mais d’une véritable condition d’efficacité de l’exception.

Ainsi, dans un arrêt de la Deuxième chambre civile du 13 septembre 2018, un assureur avait tenté d’opposer une exception de non-garantie à la suite d’un accident de la circulation (Cass. 2e civ., 13 sept. 2018, n° 17-17.949). Constatant que l’assureur n’avait pas informé personnellement la victime dans les délais et formes prescrits par l’article R. 421-5 du Code des assurances, la Cour de cassation a jugé l’exception irrecevable. Elle a condamné l’assureur à verser, par l’intermédiaire du Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO), la provision due à la victime, précisant que l’intervention volontaire du Fonds ne conférait pas, à elle seule, un caractère opposable à la non-garantie.

La Chambre criminelle a adopté la même position dans un arrêt du 21 mars 2017, relatif à un accident de la circulation ayant entraîné des blessures involontaires (Cass. crim., 21 mars 2017, n° 16-81.377). L’assureur, invoquant un défaut d’assurance, avait informé uniquement le FGAO, sans notifier la victime. La Haute juridiction a jugé que cette irrégularité procédurale entraînait l’inopposabilité de la non-garantie, et ce malgré l’absence avérée de contrat valide, autorisant ainsi le Fonds à indemniser la victime.

Ces décisions illustrent la philosophie protectrice qui inspire le régime des assurances obligatoires : dans un domaine où la couverture vise d’abord à protéger les tiers lésés, le législateur n’entend pas laisser la victime pâtir d’une défaillance procédurale de l’assureur. Le « forçage procédural » opère ici comme un instrument de sécurisation de l’indemnisation : il ne suffit pas que la cause de non-garantie soit juridiquement fondée, encore faut-il qu’elle soit invoquée dans le strict respect du formalisme légal, lequel tend à garantir une information rapide et complète de toutes les parties concernées, en particulier de la victime.

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