Site icon Gdroit

Exclusions de garantie dans le contrat d’assurance : la faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré

==>Préservation de l’aléa et de la mutualité

Le contrat d’assurance n’existe que par et pour l’aléa : l’événement redouté doit demeurer incertain, sous peine de dissoudre la mutualisation et de fausser le calcul de la prime. Les exclusions légales s’inscrivent d’abord dans cette logique technique. La plus structurante est celle de la faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré, posée par l’article L. 113-1, alinéa 2 du Code des assurances. L’idée est simple et décisive : lorsque l’assuré veut le dommage ou agit délibérément avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences, l’aléa disparaît, et avec lui la justification économique de la garantie.

La Cour de cassation a consolidé ce critère en précisant que la faute dolosive est autonome et suppose un acte volontaire accompli avec la conscience que le dommage surviendra inéluctablement, ce qui fait « perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire » (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11.538). La prohibition ne se confond pas avec une peine privée : elle protège la technique assurantielle elle-même, en empêchant que l’assurance finance la certitude au lieu de couvrir le risque (v. déjà l’analyse de la doctrine sur la distinction entre hasard et certitude, et sur la nécessité d’une « dose de hasard » pour que la probabilisation soit possible).

Cette exigence irrigue également d’autres exclusions prévues par la loi en assurances de dommages : le vice propre de la chose (C. assur., art. L. 121-7) et la guerre (art. L. 121-8) traduisent, sous un autre angle, le soupçon qui pèse sur des situations où l’aléa est insuffisant ou radicalement perturbé. La loi tolère d’ailleurs que ces deux exclusions fassent l’objet d’aménagements contractuels lorsque l’assureur accepte, en connaissance de cause, de reprendre du risque (les textes ont un caractère supplétif en dommages : possibilité d’écarter l’exclusion par stipulation contraire, comme le rappelle la doctrine). En assurances de personnes, le traitement du suicide et du meurtre de l’assuré par le bénéficiaire (C. assur., art. L. 132-7 et L. 132-24) procède de la même logique de tri de l’assurable : on écarte l’événement voulu qui ruinerait l’aléa au profit d’un gain assuré.

À travers ces exclusions légales, se dessine aussi la fonction régulatrice de l’obligation de couverture : délimitée par la loi et par la police, elle justifie, en miroir, les mécanismes d’équilibre économique du contrat (adéquation prime/risque, divisibilité de la prime, suspension de garantie en cas d’impayé), et distingue nettement la couverture du risque de l’obligation de règlement après sinistre (C. assur., art. L. 113-5), distinction mise en lumière par la doctrine et la jurisprudence contemporaines.

==>Protection de l’ordre public et prévention des abus

Les exclusions légales ont, ensuite, une portée éthique et institutionnelle. Elles marquent les limites au-delà desquelles l’assurance ne doit pas devenir un paravent des transgressions. La prohibition de la faute intentionnelle ou dolosive exprime ce souci de non-instrumentalisation de l’assurance : nul n’est fondé à s’enrichir de son propre forfait ni à organiser, aux frais de la mutualité, les effets d’un acte voulu. La Cour de cassation l’a rappelé lorsqu’elle rattache la faute dolosive à la disparition de l’aléa et, corrélativement, à l’incompatibilité avec la finalité du contrat (Cass. 2e civ., 14 mars 2024, n° 22-18.426).

La même logique de sauvegarde de l’ordre public se retrouve lorsqu’il s’agit de risques illicites ou activités prohibées : si la matière des peines relève plus directement des interdictions de garantir au sens strict, la jurisprudence rappelle, de manière convergente, l’impossibilité de faire prospérer par l’assurance des comportements contraires à l’ordre public, par exemple l’exercice illégal de la médecine, dont l’assurance en responsabilité a été tenue pour nulle (Cass. 1re civ., 5 mai 1993, n° 91-15.401).

Cette dimension d’ordre public éclaire aussi les périmètres indérogeables de la solidarité assurantielle : ainsi, en assurances de dommages, l’article L. 121-2 impose que l’assureur reste garant des pertes et dommages causés par les personnes dont l’assuré est civilement responsable, « quelles que soient la nature et la gravité des fautes de ces personnes ». La règle, d’ordre public, interdit que l’on creuse conventionnellement la garantie au détriment des victimes par le jeu d’exclusions visant les préposés ; elle participe de la prévention des abus en assurant le maintien d’un socle de protection.

Au total, les exclusions légales remplissent une double finalité. Elles préservent l’aléa et, ce faisant, la mutualité qui fonde économiquement le contrat ; elles protègent l’ordre public en empêchant que l’assurance serve d’écran à la volonté de nuire ou à l’illicite. Loin d’appauvrir la promesse assurantielle, elles en dessinent la forme légitime : couvrir le risque et non la certitude, réparer le hasard et non subventionner l’abus. Cette architecture légale offrira, dans les développements qui suivent, le cadre d’analyse de chaque exclusion posée par les textes, en articulation avec la jurisprudence récente et la doctrine qui en éclairent la raison d’être.

Nous nous focaliserons ici sur les principales exclusions légales et plus précisément sur la faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré.

I. Notions

B. La faute en droit commun : le manquement à une norme de conduite

==>Une notion sans définition légale… mais fondamentalement juridique

Le Code civil ne définit pas la faute, alors même qu’elle fut pensée, en 1804, comme le cœur de la responsabilité. La notion est juridique au sens strict : les juges du fond constatent souverainement les faits, mais la qualification de ces faits en « faute » relève du contrôle de la Cour de cassation, qui veille à ce que la faute soit caractérisée pour elle-même, distinctement du dommage et du lien causal (Cass. 2e civ., 7 mars 1973, n°71-14.769).

La doctrine a fourni l’armature conceptuelle. Planiol y voit un « manquement à une obligation préexistante » : l’auteur a fait ce qu’il n’aurait pas dû faire, ou n’a pas fait ce qu’il devait faire.

Dans la doctrine moderne, la faute est analysée comme un comportement objectivement non conforme au modèle du comportement attendu : violation d’une règle de conduite (texte législatif ou réglementaire), méconnaissance d’un devoir général de prudence et de diligence, ou contrariété à des standards/jurisprudences et usages professionnels.

Autrement dit, c’est un écart normatif de conduite — par action ou par abstention — apprécié in concreto par référence au « bon père de famille »/personne raisonnable, sans qu’il soit nécessaire d’établir une intention de nuire.

==>Les éléments de la faute : matériel, légal, moral

B. Les fautes en droit des assurance

En droit commun de la responsabilité, la faute est un écart de conduite mesuré à l’aune d’une norme de comportement (texte, usage, standard de prudence) ; elle s’apprécie pour elle-même, indépendamment du dommage et du lien de causalité, sous le contrôle de la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 7 mars 1973, n° 71-14.769). L’assurance, elle, ne « juge » pas la conduite : elle sélectionne ce que la mutualisation peut absorber sans se nier elle-même. Depuis la loi de 1930, le Code des assurances opère ainsi un déplacement assurantiel au sein de la catégorie « faute » : par principe, les pertes causées par la faute de l’assuré sont garanties (art. L. 113-1, al. 1), sauf clauses formelles et limitées ; mais les pertes « provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré » sont, d’ordre public, inassurables (art. L. 113-1, al. 2). La justification est double : technique (préserver l’aléa, essence du contrat) et éthique (éviter l’effet d’aubaine) ; la Cour de cassation et la doctrine classique l’ont régulièrement rappelé (Cass. 1re civ., 15 janv. 1985, n° 83-14.742).

Sur cette base, la jurisprudence a stabilisé deux qualifications qui structurent tout le contentieux. D’une part, la faute intentionnelle, de conception « subjective » : l’exclusion ne joue que si l’assuré a voulu non seulement l’acte, mais le dommage tel qu’il est survenu (Cass. 1re civ., 12 juin 1974, n°73-12.882 ; Cass. 2e civ., 28 mars 2019, n° 18-15.829). D’autre part, la faute dolosive, désormais autonome : un acte délibéré accompli avec la conscience de l’inéluctabilité de ses conséquences, conscience qui ne se confond pas avec la simple perception d’un risque (Cass. 2e civ., 20 janv. 2022, n° 20-13.245). La «cartographie» est alors claire : lourde et inexcusable demeurent assurables par principe en droit commun (sauf clause valable) ; seules l’intention et le dol, ainsi définis, franchissent le seuil de l’inassurabilité légale (avec des droits spéciaux qui tracent leurs propres lignes, par ex. art. L. 172-13 en maritime).

Cet édifice n’a de sens que si la preuve et l’office du juge sont rigoureusement tenus. La charge de la preuve de l’exclusion légale incombe à l’assureur (Cass. 2e civ., 29 juin 2017, n°16-12.154). L’autorité de la chose jugée au pénal ne dispense pas d’établir, au sens assurantiel, l’intention du résultat ou la conscience de l’inéluctable (autonomie des qualifications : Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, n° 01-03.494 ; Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n°18-18.909). Et, sur le terrain conventionnel, seules les exclusions formelles et limitées sont opposables ; les formulations vagues, qui appellent interprétation, sont écartées (Cass. 2e civ., 12 juin 2014, n°13-15.836). Enfin, même en cas d’intention établie, l’exclusion ne vaut qu’à hauteur du dommage recherché : les conséquences non voulues demeurent couvertes (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n° 17-15.143).

La suite examine d’abord les raisons d’être de l’inassurabilité légale — ce « tri » assurantiel qui préserve l’aléa et évite l’effet d’aubaine —, puis précise les qualifications matérielles (intentionnel et dolosif) ainsi que la place des fautes lourde et inexcusable dans l’économie du contrat, avant d’exposer la méthode contentieuse (charge de la preuve, contrôle de qualification, portée exacte des exclusions). L’ensemble, éclairé par la doctrine (Kullmann, Mayaux, Groutel, Pélissier) et par les lignes désormais fermes de la Cour de cassation, vise à rappeler l’équilibre propre à l’assurance : indemniser la négligence ordinaire pour protéger les victimes, mais refuser les comportements qui font disparaître l’aléa.

1. Du risque fautif mutualisable au sinistre voulu : fondements et ligne de partage

Depuis la loi de 1930, le Code des assurances opère un véritable déplacement à l’intérieur de la notion de faute. Il ne s’agit pas de juger moralement les conduites, mais de borner ce que la mutualisation peut absorber sans se nier. Deux étages se répondent — l’un d’ouverture, l’autre de fermeture — portés par une double justification, technique (préserver l’aléa) et éthique (éviter l’effet d’aubaine), que la Cour de cassation et la doctrine rappellent avec constance (v. notamment Cass. 1re civ., 15 janv. 1985, n° 83-14.742).

==>Le premier étage : une large assurabilité de la faute (art. L. 113-1, al. 1)

Par principe, « les pertes et dommages […] causés par la faute de l’assuré » sont couverts, sauf exclusion formelle et limitée stipulée au contrat. L’assurance n’exige donc pas l’irréprochabilité : les négligences, imprudences, voire les fautes lourdes entrent dans l’économie normale de la mutualisation, sauf clause valable prévoyant l’inverse.

Le principe posé par l’alinéa 1er de l’article L. 113-1 — l’assurabilité des fautes non intentionnelles, sous réserve d’exclusions formelles et limitées — poursuit une finalité sociale claire : assurer l’indemnisation des victimes face aux négligences et imprudences ordinaires de l’assuré, plutôt que de faire de l’assurance un instrument de sanction morale.

En d’autres termes, la mutualisation couvre l’aléa fautif dès lors qu’il n’est ni voulu ni rendu inévitable par l’assuré.

Deux précisions de droit positif nuancent ce principe général :

==>Le second étage : la zone rouge de l’inassurabilité légale (art. L. 113-1, al. 2)

Après avoir affirmé, à l’alinéa 1er de l’article L. 113-1, que les pertes et dommages causés par la faute de l’assuré sont en principe garantis (sauf exclusion formelle et limitée), le même article opère, à l’alinéa 2, un basculement : l’assureur n’est pas tenu lorsque le sinistre provient d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré.

Cette exception est d’ordre public et vaut de façon transversale pour les assurances de dommages comme pour les assurances de personnes (avec les tempéraments propres à ces dernières, tel le régime du suicide : art. L. 132-7). Les sources convergent sur ce caractère impératif et sur sa vocation générale.

Deux fondements se combinent.

De cette articulation découle une ligne de partage décisive : ce n’est pas « la faute » en soi qui est inassurable, mais la faute qualifiée par l’adjectif — intentionnelle ou dolosive. D’où deux conséquences pratiques majeures :

Enfin, rappel indispensable à la préservation de la mutualisation : même si l’assuré est condamné pénalement pour une infraction volontaire, l’exclusion légale n’éteint que la part de dommage effectivement recherchée ; les conséquences non voulues restent couvertes (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n°17-15.143).

La preuve incombe à l’assureur (Cass. 2e civ., 29 juin 2017, n°16-12.154). Cet équilibre – interdire l’assurance du sinistre voulu, mais ne pas priver la victime (ou l’assuré) des conséquences non recherchées – exprime la logique profonde de l’alinéa 2.

2. Qualifications de la faute en droit des assurance

En pratique, tout se joue dans les mots-clefs de l’alinéa 2 de l’article L. 113-1 et dans leur portée exacte.

La Cour de cassation a fixé deux pôles nettement distincts :

Autour de ce cœur d’inassurabilité légale, il faut cartographier les fautes non intentionnelles (faute lourde, faute inexcusable) : elles demeurent assurables par principe (L. 113-1, al. 1), mais peuvent être exclues par clause à la condition d’être formelle et limitée (vigilance constante : Cass. 2e civ., 12 juin 2014, n° 13-15.836). L’enjeu de la section qui suit est donc double : délimiter l’intention et le dol, et situer les autres fautes dans l’architecture de la garantie, afin de préserver l’équilibre du contrat entre couverture de la négligence et refus du sinistre voulu.

a. La faute intentionnelle : une notion « subjective » centrée sur le résultat voulu

==>Définition

En droit des assurances, la faute intentionnelle n’est pas la simple volonté d’agir dangereusement : elle suppose la volonté du résultat dommageable dans sa configuration concrète.

L’arrêt fondateur du 12 juin 1974 (affaire Autard), rendu en matière de responsabilité professionnelle d’un notaire, fixe la formule de principe. Le notaire avait délivré des attestations d’absence d’inscriptions hypothécaires sans vérification préalable et n’avait pas informé des associés et des clients de nouveaux prêts et inscriptions ; il avait été sanctionné disciplinairement. Son assureur (La Paix) opposait l’exclusion légale en soutenant qu’il s’agissait d’une « faute intentionnelle » dès lors que le notaire avait agi en connaissance du préjudice susceptible d’en résulter.

La Cour de cassation approuve la cour d’appel de Montpellier d’avoir écarté l’exclusion en posant clairement le standard : l’exonération « est limitée au cas où l’assuré a voulu, non seulement l’action ou l’omission génératrice de dommages, mais encore ces dommages eux-mêmes » ; il ne suffit pas que l’assuré ait voulu commettre une faute lourde ou « qu’il ait eu conscience d’en commettre une s’il a ainsi seulement augmenté la probabilité de réalisation du dommage sans le rendre certain par une volonté de le provoquer ».

Constatant que les poursuites disciplinaires n’avaient pas retenu chez le notaire la volonté de commettre les fautes ni celle de provoquer le dommage, la Cour rejette le pourvoi de l’assureur et confirme la garantie (Cass. 1re civ., 12 juin 1974, n°73-12.882).

Cet arrêt, souvent cité, cristallise l’exigence subjective : la faute intentionnelle au sens assurantiel vise la volonté du résultat dommageable tel qu’il est survenu, non la seule lucidité d’un risque ni la simple témérité de la conduite.

Cette exigence subjective a été constamment reprise et précisée. En effet, la Cour de cassation a très nettement balisé la frontière entre “vouloir le risque” et “vouloir le dommage”.

Dans l’arrêt du 23 septembre 2004, la Deuxième chambre civile censure une cour d’appel qui avait qualifié de « faute dolosive » le comportement d’un assuré décédé sur un chantier alors qu’il se trouvait en arrêt de travail.

Les juges du fond avaient déduit la déchéance de la garantie du seul fait que l’intéressé, indemnisé pour arrêt, s’était « exposé […] à un accident pouvant entraîner son décès ». La Cour de cassation rappelle le bon critère et reproche à l’arrêt de s’être déterminé « sans préciser en quoi la faute […] supposait la volonté de commettre le dommage tel qu’il s’est réalisé » (Cass. 2e civ., 23 sept. 2004, n° 03-14.389). Autrement dit, le non-respect d’une obligation (ici, la « bonne foi » contractuelle) ou la conscience d’un danger ne suffisent pas : il faut la volonté du résultat dommageable.

Même exigence, réaffirmée avec force le 28 mars 2019. Les faits étaient parlants : l’assuré avait allumé un poêle dans une caravane close, laissé à proximité un bidon de 20 litres de pétrole et s’était absenté plusieurs heures ; l’incendie avait détruit la caravane. Pour écarter la garantie, la cour d’appel avait relevé que l’intéressé savait que le pétrole était inflammable, que l’aération était nécessaire et qu’« ainsi, ne manquerait pas de se produire l’inflammation spontanée ». La Deuxième chambre civile casse : « la faute intentionnelle implique la volonté de son auteur de créer le dommage tel qu’il est survenu » ; on ne peut « dédui[re] la faute intentionnelle […] de sa conscience de ce que le risque assuré se produirait tel qu’il est survenu » (Cass. 2e civ., 28 mars 2019, n° 18-15.829).

Ces deux décisions, complémentaires, posent une ligne claire : la connaissance, même aiguë, d’un risque — fût-il hautement probable — ne vaut pas volonté du dommage. Pour que l’exclusion légale joue, l’assureur doit établir que l’assuré a poursuivi le résultat concret qui s’est effectivement produit.

==>Ligne de crête jurisprudentielle

La Cour de cassation maintient une frontière nette entre la témérité et l’intention du résultat ; en positif et en négatif, les illustrations abondent :

==>Portée matérielle de l’exclusion

Même lorsque l’intention est établie, l’exonération ne joue qu’à hauteur du dommage recherché. Un assuré condamné pénalement ne perd la garantie que pour le chef de dommage qu’il a voulu : les atteintes non recherchées demeurent couvertes (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n° 17-15.143).

La Cour de cassation l’a encore rappelé en matière d’incendie volontaire : la condamnation pénale ne suffit pas à démontrer que l’assuré a voulu l’ampleur exacte des destructions survenues ; la faute intentionnelle, au sens de l’article L. 113-1, exige la preuve d’une volonté du dommage tel qu’il est survenu (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-18.909).

L’arrêt du 16 janvier 2020 illustre avec netteté l’autonomie de la « faute intentionnelle » au sens assurantiel par rapport à l’infraction pénale d’incendie volontaire (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-18.909).

Les faits. Un jeune majeur met le feu, de nuit, à des chaises en plastique disposées sur la terrasse d’un salon de thé. L’incendie se propage à l’intérieur et cause d’importants dégâts. L’exploitant, indemnisé par son assureur dommages, agit ensuite contre l’auteur et contre l’assureur de responsabilité civile couvrant le foyer de la mère de l’auteur. Entre-temps, l’auteur a été condamné pénalement du chef de dégradation volontaire d’un bien immobilier par incendie.

La solution d’appel. Pour refuser sa garantie, l’assureur de responsabilité du foyer invoque l’article L. 113-1, al. 2, au motif que l’auteur a commis une faute intentionnelle, en se prévalant de la chose jugée au pénal. La cour d’appel lui donne raison : la condamnation pour incendie volontaire suffirait, selon elle, à caractériser la faute intentionnelle exclusive de garantie.

La censure. La Cour de cassation casse partiellement. Elle rappelle le standard assurantiel: « la faute intentionnelle […] implique la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu » et n’exclut de la garantie « que le dommage que l’assuré a recherché en commettant l’infraction ». En d’autres termes, la seule condamnation pour incendie volontaire n’implique pas, par elle-même, que l’assuré ait voulu l’ampleur exacte des destructions constatées. Il faut démontrer positivement que le résultat concret (ici, la propagation et les dégâts intérieurs majeurs) a été voulu. À défaut, l’exclusion légale ne joue pas.

Portée. L’arrêt réaffirme deux idées structurantes :

En pratique. Dans des scénarii d’incendies volontaires, l’assureur ne peut se retrancher derrière la seule décision pénale : il doit établir, au cas par cas, que l’assuré a recherché non seulement l’embrasement initial (ex. des chaises extérieures), mais encore la propagation et les destructions telles qu’elles se sont effectivement produites (intérieur du commerce, pertes d’exploitation, etc.).

À défaut d’une telle preuve, la garantie de responsabilité demeure due, et si intention il y a, elle ne peut conduire qu’à une exclusion partielle, limitée au dommage expressément visé par l’assuré.

==>Illustrations

En assurance, la faute intentionnelle n’est donc pas la simple volonté d’agir dangereusement : elle suppose la volonté du dommage tel qu’il est survenu. Ni la gravité de la faute, ni la conscience aiguë d’un risque, même élevé, n’y suffisent (Cass. 2e civ., 28 mars 2019, n° 18-15.829).

==>Exigence probatoire et rigueur de qualification

Parce que l’exclusion est d’ordre public et radicale, sa mise en œuvre est strictement encadrée. Il incombe à l’assureur d’établir l’intention portant sur le résultat ; la charge de la preuve ne se renverse pas au détriment de l’assuré (Cass. 2e civ., 29 juin 2017, n°16-12.154).

La Cour de cassation casse ainsi les décisions qui convertissent, par facilité, conscience du risque en volonté du dommage (Cass. 2e civ., 28 mars 2019, préc.). De même, on ne peut «contractualiser » une définition plus large de l’intention : une clause qui viserait, de manière floue, des dommages « causés ou provoqués intentionnellement » sans délimitation précise est inopposable (Cass. 2e civ., 12 juin 2014, n° 13-15.836).

==>Un contrôle juridictionnel à double détente

Les juges du fond apprécient souverainement les faits révélant – ou non – la volonté du résultat, mais la Cour de cassation exerce un contrôle serré sur la définition et sur la suffisance de la motivation.

Après avoir, un temps, rappelé la souveraineté d’appréciation (Cass. 1re civ., 4 juil. 2000, n°98-10.744), elle veille à ce que la décision caractérise bien l’élément intentionnel dirigé vers le dommage survenu (v. notamment Cass. 2e civ., 23 sept. 2004, préc.). Les Troisième chambre civile et Chambre commerciale s’y conforment, n’hésitant pas à censurer des arrêts qui, derrière des formules sur « l’absence d’aléa », ne démontrent pas la volonté du résultat.

b. La faute dolosive : autonomie et critère d’inéluctabilité du dommage

Longtemps accolée, dans les formules jurisprudentielles, à la faute intentionnelle, la faute dolosive a désormais sa propre consistance au sens de l’article L. 113-1, al. 2, du code des assurances.

La Cour de cassation l’a formulé sans détour dans un arrêt désormais majeur : faute intentionnelle et faute dolosive sont deux figures autonomes, et chacune suffit à faire perdre à l’assurance son caractère aléatoire, entraînant l’exclusion légale de garantie (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11.538).

L’affaire était révélatrice. À la suite d’un incendie mortel, l’assureur de l’immeuble, subrogé après indemnisation, recherchait l’assureur du logement de l’incendiaire. La cour d’appel avait retenu une faute dolosive : l’intéressé, qui voulait se suicider, avait installé une cuisinière à gaz et deux bouteilles dans le séjour, des « moyens [qui] dépassaient très largement ce qui était nécessaire pour uniquement se suicider » et « témoign[aient] de la volonté de provoquer une forte explosion ».

Même si la destruction de l’immeuble n’était pas son mobile premier, celle-ci était « inévitable et ne pouvait pas être ignorée » de l’auteur. La deuxième chambre civile approuve la méthode et la solution : après avoir rappelé « qu’au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances, la faute intentionnelle et la faute dolosive sont autonomes, chacune justifiant l’exclusion de garantie dès lors qu’elle fait perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire », elle valide la qualification de faute dolosive au regard de l’inéluctabilité du dommage ainsi provoqué.

Autrement dit, le dol assurantiel n’exige pas que l’assuré ait visé ce résultat précis ; il suffit qu’en accomplissant délibérément son acte, il n’ait pas pu ignorer que la réalisation du dommage était nécessaire.

==>Définition consolidée : l’acte délibéré avec conscience de l’inéluctable

La définition est aujourd’hui stabilisée par une série d’arrêts de principe : la faute dolosive suppose un acte délibéré de l’assuré accompli avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables ; cette conscience ne se confond pas avec la simple perception d’un risque (Cass. 2e civ., 20 janv. 2022, n° 20-13.245 ). La Cour de cassation a encore réaffirmé, dans des termes didactiques, que la faute dolosive « ne se confond pas avec la conscience du risque d’occasionner le dommage » (Cass. 2e civ., 14 mars 2024, n°22-18.426). La troisième chambre civile s’est alignée : « acte délibéré […] avec la conscience du caractère inéluctable » (Cass. 3e civ., 30 mars 2023, n° 21-21.084).

L’idée directrice est simple et nette : à la différence de l’intention—qui suppose la volonté du résultat précis—la faute dolosive se contente d’un choix délibéré de comportement alors même que l’assuré sait que le dommage en résultera nécessairement. Son critère est donc l’« inéluctabilité connue » : ce qui compte n’est pas une volonté psychologique de nuire, mais la conscience, au moment d’agir, que le dommage suivra inévitablement.

C’est exactement la ligne tenue par la Cour de cassation, qui distingue la connaissance d’un risque (insuffisante) de la conscience du caractère inéluctable des conséquences (suffisante) pour exclure la garantie (Cass. 2e civ., 4 avr. 2024, n° 22-20.267).

==>Un itinéraire jurisprudentiel en trois temps

==>Illustrations

Ces décisions tracent une ligne de crête : connaître un risque, même élevé, même probable, ne suffit pas ; il faut la conscience de l’issue nécessaire.

c. Cartographie des fautes : la place des fautes lourde et inexcusable

Hors l’hypothèse intentionnelle ou dolosive visée par l’article L. 113-1, al. 2, les autres degrés de la faute ne franchissent pas, en droit commun, le seuil de l’inassurabilité légale.

Elles peuvent donc être coupées de garantie par la voie contractuelle, à la condition que la clause respecte l’exigence de formalisme et de limitation posée par l’alinéa 1er du même texte.

==>Faute lourde et faute inexcusable : assurables par principe, excluables par clause valable

En droit commun des assurances, la faute lourde (négligence d’une gravité particulière) et, hors textes spéciaux, la faute inexcusable demeurent assurables tant qu’aucune exclusion n’a été stipulée et qu’elle ne vise pas une faute relevant de l’alinéa 2.

Les assureurs peuvent donc prévoir des exclusions ciblées, mais la rédaction doit être précise : la Cour de cassation censure les formules vagues qui ne permettent pas à l’assuré de mesurer l’étendue de la garantie. Ainsi, une clause énonçant que sont exclus « les dommages de toute nature causés ou provoqués intentionnellement » a été écartée, car non “formelle et limitée” et, partant, inopposable (Cass. 2e civ., 12 juin 2014, n° 13-15.836, n° 13-16.397).

À l’inverse, la Cour de cassation a déjà admis des exclusions spécialement circonscrites visant des manquements déterminés, dès lors que la clause délimite clairement l’hypothèse visée (v. par ex. Cass. 2e civ., 30 avr. 2014, n° 13-16.901).

La chambre commerciale s’est toutefois montrée plus réticente face à certaines rédactions (Cass. com., 20 nov. 2012, n° 11-27.033), ce qui illustre la vigilance constante sur le caractère limitatif de la clause. Dans cette affaire, la Cour d’appel avait écarté la garantie en se bornant à constater, par le jeu d’une clause, que « le contrat avait perdu son caractère aléatoire ». La Cour de cassation casse : pour appliquer l’exclusion légale, il ne suffit pas d’invoquer l’atteinte à l’aléa ; il faut rechercher si l’assuré « a eu la volonté de causer le dommage tel qu’il est survenu » au sens de l’article L. 113-1, al. 2. Autrement dit, une clause ne peut pas, par simple référence à la disparition de l’aléa, se substituer à la définition stricte de la faute intentionnelle exigée par la loi ; le juge doit caractériser cette volonté du résultat pour priver l’assuré de couverture.

En droit social, la faute inexcusable de l’employeur — aujourd’hui caractérisée par la conscience du danger et l’absence de mesures (jurisprudence « amiante ») — a longtemps été discutée sur le terrain de l’assurabilité. Le législateur a tranché : depuis la loi n° 87-39 du 27 janv. 1987, elle est assurable en matière d’accidents du travail, ce qui confirme que l’inassurabilité légale reste réservée à l’alinéa 2 (faute intentionnelle/dolosive).

==>Régimes spéciaux : des lignes propres, sans bouleverser l’architecture générale

Certains droits spéciaux fixent leurs propres bornes. En assurance maritime, l’article L. 172-13 du code des assurances prohibe la garantie des fautes intentionnelles et des fautes inexcusables de l’assuré ; et l’article L. 175-3 écarte la garantie pour la faute intentionnelle du capitaine. Ici, la faute inexcusable (classiquement appréhendée comme une faute délibérée, avec conscience de la probabilité du dommage et acceptation téméraire sans raison valable) est, par option législative, inassurable, à la différence du droit commun.

D’autres branches connaissent des limitations analogues, sans remettre en cause le schéma de principe : tout ce qui n’est ni intentionnel ni dolosif demeure assurable sauf exclusion contractuelle dûment formelle et limitée.

3. Preuve et office du juge

a. La preuve

==>Qui ?

La charge pèse sur l’assureur : c’est à lui d’établir que le sinistre « provient » d’une faute intentionnelle (volonté du dommage tel qu’il est survenu) ou d’une faute dolosive (acte délibéré avec conscience de l’inéluctabilité du dommage). Cette règle est constante (Cass. 1ère civ., 15 janv. 1991, n° 89-12.918 ; Cass.. 2e civ., 29 juin 2017, n° 16-12.154).

==>Quoi ?

Intentionnel : l’assureur doit prouver la volonté du résultat dans sa configuration concrète ; la seule conscience d’un risque — même très élevé — ne suffit pas (Cass. 2e civ., 23 sept. 2004, n° 03-14.389).

Dolosif : il doit démontrer un acte délibéré accompli avec la conscience du caractère inéluctable des conséquences ; la simple perception d’un risque demeure insuffisante (Cass. 2e civ., 10 nov. 2021, n° 19-12.659 ).

==>Comment ?

La preuve est libre et peut résulter d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants (moyens employés, enchaînement des faits, contexte matériel) recueillis au besoin dans un dossier pénal, sans effet automatique des qualifications pénales (Cass. 2e civ., 8 sept. 2016, n°15-23.563 ; v. l’autonomie, infra). Dans cette affaire, un café, assuré depuis dix jours seulement auprès d’un nouvel assureur, est détruit par un incendie dont l’enquête établit l’origine criminelle ; aucune effraction n’est constatée, seuls trois détenteurs disposent des clés, et la version avancée par l’un d’eux — l’intrusion hypothétique d’auteurs munis de deux barres de fer d’1,60 m dans un passage d’environ un mètre — est jugée fantaisiste.

Malgré un non-lieu pour ce sinistre et une relaxe pour un précédent incendie, la cour d’appel déduit de cet ensemble d’indices la relation du sinistre avec une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré.

La Cour de cassation approuve : elle relève que les juges du fond ont souverainement apprécié la valeur probante des présomptions retenues, sans inverser la charge de la preuve ni se déterminer par des motifs hypothétiques, et valide ainsi l’exclusion de garantie.

La portée est double : d’une part, le juge civil peut s’appuyer sur les éléments du dossier pénal sans être lié par son issue ; d’autre part, le standard probatoire reste exigeant — à défaut d’indices suffisamment convergents établissant la volonté du résultat (intentionnel) ou l’inéluctabilité connue (dolosif), le doute profite à la garantie.

==>Quel résultat ?

Même lorsque la faute intentionnelle ou dolosive est établie, l’assureur n’est déchargé que pour la part de dommage effectivement recherchée (intentionnel) ou inéluctable au regard de la conscience de l’assuré (dolosif). Le reste demeure garanti. C’est le sens de l’arrêt du 8 mars 2018 : la Cour de cassation rappelle que l’exclusion ne s’étend pas au-delà du dommage voulu, de sorte que les conséquences non recherchées restent à la charge de l’assureur (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n° 17-15.143).

Conséquence probatoire : l’assureur doit mener une preuve « en deux temps » : (i) établir l’intention (ou l’inéluctabilité connue) au moment d’agir ; (ii) délimiter précisément quels chefs de préjudice correspondent à ce résultat voulu/nécessaire. À défaut de cette circonscription, la garantie subsiste pour tout ce qui n’entre pas dans le périmètre prouvé.

Lorsqu’il invoque une exclusion conventionnelle (faute lourde, inexcusable hors textes d’ordre public), l’assureur doit prouver deux choses :

À défaut, la clause est inopposable. Ainsi, la Deuxième chambre civile a écarté une stipulation générale du type « sont toujours exclus les dommages de toute nature causés ou provoqués intentionnellement », car elle ne renvoyait pas à des circonstances définies avec précision et appelait interprétation : elle n’était donc ni « formelle » ni « limitée » au sens de L. 113-1, al. 1 (Cass. 2e civ., 12 juin 2014, n° 13-15.836 et n° 13-16.397).

Conséquence pratique : même en présence d’une clause valable, l’assureur doit encore rattacher factuellement le comportement reproché à l’hypothèse exactement décrite par la clause ; sinon, la garantie demeure due.

b. L’office du juge

Les juges du fond apprécient souverainement les faits révélant — ou non — la volonté du résultat (intentionnel) ou la conscience de l’inéluctabilité (dolosif). La Cour de cassation, elle, contrôle la qualification juridique et la suffisance de la motivation : elle censure les décisions qui confondent témérité et volonté du dommage, ou qui se bornent à invoquer la «disparition de l’aléa» sans caractériser le critère légal de l’article L. 113-1, al. 2 (Cass. 1re civ., 4 juill. 2000, n° 98-10.744).

==>Autonomie vis-à-vis du pénal

L’autorité de la chose jugée au pénal sur les faits ne dispense jamais de la qualification assurantielle : une condamnation pour infraction intentionnelle n’emporte pas automatiquement faute intentionnelle au sens de l’article L. 113-1, al. 2 ; le juge civil doit vérifier la volonté du dommage tel qu’il est survenu (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-18.909). À l’inverse, de simples mesures de procédure pénale (mise en examen, contrôle judiciaire) sont indifférentes prises isolément pour caractériser l’exclusion légale (Cass. 2e civ., 22 oct. 2015, n° 14-25.494).

==>Délimitation judiciaire de l’exclusion

Le juge doit borner l’exclusion à la seule part de dommage recherchée (intentionnel) ou inévitable à la conscience (dolosif), et maintenir la garantie pour le surplus (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n° 17-15.143). Il veille aussi à ce que les clauses contractuelles n’élargissent pas, par des formules générales sur l’« aléa », le noyau légal d’inassurabilité : l’invocation abstraite de la perte d’aléa ne se substitue jamais aux critères de l’alinéa 2 (Cass. com., 20 nov. 2012, n° 11-27.033).

Au bilan, preuve exigeante (à la charge de l’assureur) et qualification juridictionnelle stricte marchent de pair : c’est ce couple qui préserve l’équilibre du droit des assurances — couvrir l’aléa fautif ordinaire, mais refuser les comportements qui suppriment l’aléa soit par la volonté du résultat, soit par la conscience de son caractère inéluctable.

II. Domaine

L’articulation de l’article L. 113-1, al. 2, autour de la « faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré », ne produit pleinement ses effets qu’à une double condition : savoir dans quelles branches d’assurance la prohibition joue, et identifier avec précision sur qui pèse l’étiquette d’« assuré ». C’est tout l’enjeu du « domaine ». Mal borné, il transforme une règle d’ordre public étroite (réservée aux sinistres voulus ou inéluctables à la conscience de l’assuré) en un aspirateur d’exclusions ; bien compris, il maintient l’équilibre entre mutualisation du risque et éviction des comportements qui suppriment l’aléa.

Sur le plan des branches (domaine matériel), la question est simple en principe et délicate en pratique. La prohibition légale vaut transversalement, en assurances de dommages comme en assurances de personnes, sous les tempéraments propres à ces dernières (par ex., le régime spécial du suicide en assurance-vie : C. assur., art. L. 132-7). En responsabilité civile, elle se combine avec l’article L. 121-2, qui oblige l’assureur à garantir les dommages causés par les personnes dont l’assuré répond « quelles que soient la nature et la gravité des fautes » : règle cardinale, mais cantonnée à la RC — elle ne s’étend pas aux assurances de choses, la Cour de cassation l’ayant clairement réservé à ce seul terrain (Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052). C’est ce balisage qui explique, par exemple, qu’une faute intentionnelle d’un préposé n’anéantit pas la garantie RC (L. 121-2), alors qu’une faute intentionnelle de l’assuré lui-même fait tomber la garantie (L. 113-1, al. 2).

Sur le plan des personnes (domaine personnel), tout tient à l’identification du titulaire de l’intérêt assuré. L’alinéa 2 vise « l’assuré » au sens technique : pas nécessairement le souscripteur, pas davantage tout occupant ou proche. En résultent des solutions contrastées mais cohérentes : la faute intentionnelle d’un conjoint non assuré ne peut priver l’assuré de sa garantie (Cass. 2eciv. , 13 juil. 2005, n° 04-14.154) ; à l’inverse, lorsque chacun a la qualité d’assuré, la faute de l’un est opposable à l’autre (Cass. 1re civ., 11 oct. 1994, n° 93-11.295). Pour les personnes morales, l’intention ou le dol s’apprécie dans la tête de leurs dirigeants, de droit ou de fait (Cass. 1ère civ., 6 avr. 2004, n° 01-03.494). Enfin, dans les assurances « pour compte », les exceptions (dont l’exclusion légale) sont opposables au bénéficiaire lorsque l’économie du contrat le commande : la faute intentionnelle du souscripteur-assuré peut alors assécher la garantie due au bénéficiaire (Cass. 1re civ., 20 juil. 1994, n° 90-21.054).

Concrètement, le développement qui suit répondra donc à deux questions opérationnelles : (i) « où » la prohibition s’applique-t-elle (RC / choses / personnes, et avec quels correctifs) ? ; (ii) « à qui » imputer l’intention ou le dol pour déclencher l’inassurabilité ? Ces réponses conditionnent l’issue des litiges : un même fait peut rester assurable en RC (effet de L. 121-2) tout en excluant la garantie en assurance de choses, et une même scène de sinistre peut ou non emporter l’exclusion suivant que l’auteur matériel a — ou non — la qualité d’assuré au regard de la police.

A. Domaine quant aux branches d’assurance

La prohibition des pertes et dommages « provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré » (C. assur., art. L. 113-1, al. 2) irrigue toutes les assurances — de dommages comme de personnes — sous réserve des tempéraments propres à ces dernières (ainsi, le régime spécial du suicide : art. L. 132-7, traité à part).

La spécificité majeure se rencontre en assurance de responsabilité : l’article L. 121-2 impose la garantie des dommages causés par les personnes dont l’assuré est civilement responsable, « quelles que soient la nature et la gravité des fautes de ces personnes ». La règle, d’ordre public, interdit de priver la victime de la couverture au motif que le préposé ou l’enfant a commis une faute grave, voire intentionnelle (v. Cass. 1re civ., 3 oct. 1973, n° 72-12.646 ; confirmation nette : Cass. 1re civ., 12 mars 1991, n° 88-12.441). En d’autres termes, la faute intentionnelle du préposé reste assurable au titre de la RC de son commettant, par l’effet du texte, et toute clause réintroduisant, directement ou indirectement, une distinction selon la gravité de la faute de ces personnes est réputée non écrite.

Limite importante : par un revirement, la Cour de cassation, dans un arrêt du 5 décembre 2000, a réservé L. 121-2 à la seule RC; il est inapplicable aux assurances de choses (incendie, vol, etc.) : Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052. Ainsi, en assurance de choses, la faute intentionnelle d’un tiers (préposé, enfant) demeure la faute d’un tiers : la garantie de la chose assurée reste due (sauf stipulation contraire valable), et l’exclusion légale de l’alinéa 2 ne joue que si l’auteur de la faute est l’assuré lui-même.

B. Domaine quant aux personnes : qui est « l’assuré » auteur de la faute ?

==>L’assuré, pas nécessairement le souscripteur

L’alinéa 2 de l’article 113-1 du Code des assurances vise l’assuré au sens technique — le titulaire de l’intérêt d’assurance —, et non le seul souscripteur. La jurisprudence y veille : ainsi, la faute intentionnelle du conjoint non assuré n’exclut pas la garantie due à l’assuré (abandon de l’ancienne théorie de la « communauté d’intérêts » : Cass. 2e civ., 13 juill. 2005, n°04-14.154). À l’inverse, lorsque les deux époux/concubins ont la qualité d’assurés, la faute intentionnelle de l’un est opposable à l’autre (Cass. 1re civ., 11 oct. 1994, n° 93-11.295).

Dans les montages pour compte, la solution est subtile : l’auteur de la faute intentionnelle peut être le souscripteur (p. ex., un locataire) tandis que le bénéficiaire de la garantie (p. ex., le propriétaire) est assuré pour compte ; la Cour de cassation a pu admettre que la faute du souscripteur soit opposable au bénéficiaire lorsque l’économie du contrat le commande (v. Cass. 1re civ., 20 juill. 1994, n° 90-21.054), tout en rappelant que l’analyse se fait au regard des qualités assurantielles effectives attachées aux différentes garanties (dommages/RC).

Dans cette affaire, un propriétaire avait imposé, dans le bail, que le locataire souscrive une assurance « pour le compte » du bailleur contre le risque d’incendie. Un sinistre survient : l’immeuble est endommagé par un incendie volontaire commis par un salarié, avec la complicité du gérant de la société locataire. Le propriétaire, bénéficiaire de l’assurance pour compte, réclame l’indemnité à l’assureur du locataire (un syndicat de souscripteurs du Lloyd’s). L’assureur refuse, en invoquant l’exclusion légale pour faute intentionnelle.

La première chambre civile approuve ce refus. Elle constate que l’incendie a été volontaire, avec la complicité du gérant de la société locataire (donc dirigeant de droit). Or cette société était souscripteur du contrat d’assurance conclu « pour le compte » du propriétaire. Dans ces conditions, la faute intentionnelle du représentant de ce souscripteur fait obstacle à la garantie en vertu de l’article L. 113-1, al. 2, et cette exclusion est opposable au bénéficiaire pour compte en application de l’article L. 112-1, al. 3 (opposabilité au bénéficiaire des exceptions nées du contrat conclu pour son compte). La Cour rejette donc le pourvoi du propriétaire (Cass. 1re civ., 20 juill. 1994, n° 90-21.054).

Ce que décide la Cour de cassation:

Sur le terrain pratique, l’assurance « pour compte » appelle une vigilance particulière. Lorsque le locataire souscrit, pour le compte du propriétaire, une assurance de choses couvrant l’immeuble, la faute intentionnelle imputable à la « tête assurée » – ici, le locataire-société – peut priver le bénéficiaire (le propriétaire) de toute indemnité. La raison en est double : d’une part, en assurance pour compte, l’assureur peut opposer au bénéficiaire toutes les exceptions nées du contrat (art. L. 112-1, al. 3) ; d’autre part, la faute intentionnelle de l’assuré exclut la garantie par l’effet de l’article L. 113-1, al. 2. C’est exactement ce que retient l’arrêt du 20 juillet 1994 : l’incendie volontaire commis avec la complicité du gérant de la société locataire – donc au niveau de la personne morale assurée – fait tomber la garantie, exclusion qui s’impose au propriétaire bénéficiaire du contrat souscrit pour son compte (Cass. 1re civ., 20 juill. 1994, n° 90-21.054).

La solution est parfaitement cohérente avec deux lignes directrices constantes. D’abord, lorsque l’assuré est une personne morale, l’intention (ou le dol) s’apprécie dans la tête de ses dirigeants, de droit ou de fait (Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, n° 01-03.494). Ensuite, en matière d’assurance pour compte, le jeu de l’article L. 112-1, al. 3 rend opposables au bénéficiaire les exceptions que l’assureur tiendrait du contrat vis-à-vis du souscripteur-assuré. En bref, dans les assurances de choses souscrites pour compte, la faute intentionnelle du souscripteur-assuré – appréciée via son dirigeant – assèche la garantie y compris à l’égard du bénéficiaire, par l’effet combiné des articles L. 113-1, al. 2 et L. 112-1, al. 3.

==>Personne morale assurée

Lorsque l’assuré est une personne morale, l’intention ou le dol s’apprécient chez ses dirigeants, de droit ou de fait. La Cour de cassation l’a explicitement jugé, y compris en soulignant l’autonomie de la qualification assurantielle par rapport au pénal (Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, n° 01-03.494).

Corrélativement, la faute intentionnelle d’un préposé n’est pas la faute de la personne morale assurée : en RC, L. 121-2 impose la garantie « quelles que soient la nature et la gravité des fautes » de ces personnes ; en assurance de choses, la faute du préposé demeure celle d’un tiers, la garantie de la chose n’étant écartée qu’en cas de faute intentionnelle de l’assuré lui-même.

==>Vigilance : qui est (vraiment) assuré ?

La Cour de cassation rappelle avec force que l’exclusion légale de l’article L. 113-1, al. 2 ne joue qu’à l’égard de « la faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré » — encore faut-il identifier qui est l’assuré au sens du contrat.

Dans l’affaire du 5 mars 2015, des bailleurs avaient assigné leur locataire et l’assureur «risques locatifs » de celle-ci, après de lourdes dégradations commises dans l’appartement par le fils majeur de la locataire. L’assureur avait refusé sa garantie en opposant la faute intentionnelle, la cour d’appel ayant retenu que le fils devait être « considéré comme assuré» parce qu’hébergé au foyer et rattaché fiscalement à sa mère. La deuxième chambre civile casse : les bailleurs soutenaient, pièces à l’appui, que le fils n’était pas assuré au sens des conditions générales (il était majeur et déposait des déclarations fiscales distinctes) ; la Cour d’appel devait répondre à ce moyen déterminant, ce qu’elle n’a pas fait (violation des art. 4 et 5 CPC). Autrement dit, avant d’écarter la garantie sur le terrain de L. 113-1, al. 2, le juge doit vérifier, à la lumière de la police, que l’auteur de l’acte intentionnel a bien la qualité d’« assuré ». À défaut, l’exclusion légale ne peut être opposée à l’assuré (Cass. 2e civ., 5 mars 2015, n° 14-13.740.

La portée est nette : seule la faute intentionnelle de l’assuré, au sens technique retenu par la police (titulaire de l’intérêt et/ou personnes désignées comme « assurés »), déclenche l’inassurabilité légale ; la faute d’un tiers — fût-il un proche occupant les lieux — ne suffit pas, à elle seule, à priver l’assuré de la garantie, sauf texte spécial ou stipulation contractuelle valable. La ligne est constante : ainsi, la faute intentionnelle du conjoint non assuré ne peut exclure la garantie due à l’assuré (abandon de l’ancienne « communauté d’intérêts » : Cass. 2e civ., 13 juill. 2005, n° 04-14.154), tandis que, lorsque deux personnes ont toutes deux la qualité d’assurés au contrat, la faute intentionnelle de l’une est opposable à l’autre (Cass. 1re civ., 11 oct. 1994, n° 93-11.295). Enfin, quand l’assuré est une personne morale, l’intention/dol s’apprécie dans la tête de ses dirigeants de droit ou de fait (Cass. 1re civ., 6 avr. 2004, n° 01-03.494).

III. Mise en œuvre par branches

La qualification « faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré » n’a de sens qu’inscrite dans les branches où elle se déploie. Or ces branches n’obéissent pas aux mêmes logiques. En assurance de responsabilité, l’exigence d’indemnisation des victimes conduit le législateur à neutraliser la gravité des fautes des personnes dont l’assuré répond (art. L. 121-2), règle d’ordre public consacrée de longue date (Cass. 1re civ., 12 mars 1991, n° 88-12.441).

À l’inverse, en assurance de choses, cette neutralisation ne joue pas : la Cour de cassation en a réservé le bénéfice à la seule RC (revirement : Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052). En assurances de personnes, le législateur aménage des régimes spéciaux (suicide : art. L. 132-7 ; indignité du bénéficiaire meurtrier : art. L. 132-24). S’y ajoutent des exclusions légales propres à certains risques collectifs (guerre, émeutes : art. L. 121-8 ; terrorisme : art. L. 126-1 s.).

Dans toutes ces configurations, deux garde-fous demeurent : la charge probatoire pèse sur l’assureur et l’exclusion ne peut viser que le dommage recherché (ou inévitable à la conscience), la garantie subsistant pour le surplus (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n°17-15.143).

A. Assurances de dommages

1. Faute de l’assuré lui-même

Lorsque l’auteur du fait générateur est l’assuré lui-même, l’exclusion légale ne peut jouer qu’aux conditions strictes de l’article L. 113-1, al. 2. Aussi, pour se prévaloir de l’exclusion légale, l’assureur doit prouver l’une des deux qualifications, à titre alternatif :

Sur la preuve, la Cour de cassation admet un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes (indices matériels, temporalité, contrôle des accès, incohérences des explications), y compris tirées d’un dossier pénal – sans effet automatique des qualifications répressives (Cass. 2e civ., 8 sept. 2016, n° 15-23.563). À l’inverse, la seule conscience d’un risque élevé ne suffit pas : il faut la volonté du résultat (intentionnel) ou la conscience de son caractère inévitable (dolosif) ; c’est précisément ce que la Cour rappelle lorsqu’elle casse une décision ayant déduit l’intention de la simple témérité (Cass. 2e civ., 28 mars 2019, n° 18-15.829).

Même établie, la qualification ne purge pas toute couverture : l’exclusion légale est circonscrite au dommage recherché (ou rendu inévitable). Les conséquences non voulues demeurent garanties. La Deuxième chambre civile l’a dit expressément : l’exclusion « ne joue que pour la part du dommage effectivement recherchée », la garantie subsistant pour le surplus (Cass. 2e civ., 8 mars 2018, n° 17-15.143). Il en résulte, en pratique, une preuve segmentée : l’assureur doit non seulement établir la qualification (intention/dol), mais encore délimiter la part du préjudice effectivement voulue (intentionnel) ou inévitable à la conscience (dolosif).

Deux précisions sur le périmètre des personnes visées.

Une police ne peut pas créer d’autres cas d’inassurabilité que ceux de l’article L. 113-1, al. 2: pas de refus de garantie sans preuve de la volonté du dommage ou de son inéluctabilité connue.

En pratique, les clauses qui remplacent ces critères légaux par des formules générales (« disparition de l’aléa », « dommages causés ou provoqués intentionnellement » sans autre précision) sont inopposables : elles ne dispensent ni de caractériser l’intention du résultat (ou l’inéluctabilité connue), ni de rapporter la preuve correspondante. Le juge doit donc écarter ces stipulations trop vagues et appliquer strictement l’alinéa 2, en exigeant la démonstration du dommage voulu (intentionnel) ou nécessaire à la conscience de l’assuré (dolosif). (Cass. com., 20 nov. 2012, n° 11-27.033)

2. Faute des personnes dont l’assuré répond (préposés, enfants, etc.)

En responsabilité civile, la règle cardinale est posée par l’article L. 121-2 : l’assureur doit sa garantie « quelles que soient la nature et la gravité des fautes » des personnes dont l’assuré répond. Il en résulte que la faute, fût-elle intentionnelle, d’un préposé ou d’un enfant n’autorise pas l’assureur à refuser la garantie due au commettant (ou au responsable légal). La Cour de cassation l’affirme de longue date et sans ambiguïté (solution de principe : Cass. 1re civ., 12 mars 1991, n° 88-12.441 ).

Cette protection est d’ordre public : sont réputées non écrites les clauses qui, directement ou indirectement, réintroduisent une distinction selon la gravité de la faute des personnes dont l’assuré répond (par ex. en visant la « faute intentionnelle du préposé »). Tel est l’enseignement de principe (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-16.420).

À l’inverse, demeurent licites de vraies délimitations d’objet du risque — celles qui tracent le périmètre matériel de la garantie (activité assurée, catégories de biens ou de dommages couverts, retrait des risques relevant d’une assurance obligatoire distincte, tel le risque automobile), sans moduler la couverture selon la gravité d’une faute. Cette approche, qui distingue nettement la délimitation du risque (permise) des exclusions fondées sur la gravité d’une faute (interdites en RC par l’art. L. 121-2), s’inscrit dans la ligne qui réserve ce texte à la seule responsabilité civile et non aux assurances de choses (Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052).

L’« immunité » assurantielle que l’article L. 121-2 confère au commettant n’est pas un blanc-seing : elle s’adosse à une architecture subtile où la lettre du texte, sa finalité protectrice des victimes et l’économie générale du droit des assurances se répondent.

La première borne est désormais classique : par un revirement clair, la première chambre civile a réservé L. 121-2 au seul terrain de la responsabilité civile. En dehors de ce champ — assurance de choses notamment — la faute du préposé, du conjoint ou de l’enfant n’est que celle d’un tiers, et la garantie du bien n’est écartée qu’en cas de faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré lui-même au sens de L. 113-1, al. 2, ou si une clause formelle et limitée l’a valablement prévue.

C’est le sens direct de l’arrêt de principe qui circonscrit L. 121-2 à la RC et refuse son extension aux assurances de biens (Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052). La cohérence d’ensemble est évidente : la règle d’ordre public protège les victimes en RC sans dissoudre l’aléa en biens, lequel demeure gouverné par L. 113-1 et par la délimitation contractuelle licite du risque (v. déjà, pour les délimitations matérielles admises en RC, Cass. 1re civ., 1er juill. 1986, n° 84-17.750).

La seconde borne se rencontre lorsque le préposé est lui-même co-assuré au contrat. Dans cette hypothèse, l’assureur peut refuser sa garantie à l’égard du préposé-assuré sur le fondement de l’article L. 113-1, al. 2, à la condition stricte d’établir soit la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu (faute intentionnelle), soit un acte délibéré accompli avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables (faute dolosive, reconnue comme autonome) ; en revanche, ce refus n’affecte pas la garantie due au commettant au titre de L. 121-2, pour la dette de responsabilité civile encourue du fait du préposé (v. pour l’illustration en matière de clause « rixe », Cass. 2e civ., 5 oct. 2006, n° 05-11.823).

La clé est probatoire : la charge de démontrer l’intention du résultat — et non une simple prise de risque — ou, sur le terrain du dolosif, la conscience de l’inéluctabilité du dommage, pèse sur l’assureur (v. Cass. 3e civ., 11 juill. 2012, n° 11-16.414). À défaut de preuve, la couverture personnelle du préposé co-assuré demeure acquise ; a fortiori, la garantie due au commettant sur le fondement de L. 121-2 ne peut être écartée.

Sur le terrain procédural, la victime dispose de l’action directe (L. 124-3) et bénéficie pleinement du caractère impératif de L. 121-2 : l’assureur de RC du commettant ne peut lui opposer la gravité — fût-elle intentionnelle — de la faute du préposé pour décliner sa garantie. La Cour de cassation affirme de longue date ce verrou d’ordre public et répute non écrites les stipulations qui, directement ou par détour, réintroduisent une graduation selon la faute de la personne dont l’assuré répond (Cass. 1re civ., 12 mars 1991, n° 88-12.441). À l’inverse, demeurent licites les vraies délimitations d’objet — celles qui tracent le périmètre matériel de la garantie sans jouer sur la gravité de la faute (activité assurée, catégories de dommages ou de biens, retrait de risques relevant d’une assurance obligatoire distincte), ce que rappelle la jurisprudence qui, par cohérence, cantonne L. 121-2 à la seule RC (Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052).

Après avoir indemnisé la victime, l’assureur de responsabilité du commettant n’exerce un recours contre le préposé qu’à la place du commettant et dans les mêmes limites que lui (subrogation). Or, par principe, le salarié n’engage pas sa responsabilité personnelle envers les tiers lorsqu’il a agi dans les limites de sa mission et sans faute pénale intentionnelle : c’est la solution de l’Assemblée plénière dans l’arrêt Costedoat (Ass. plén., 25 févr. 2000, n° 97-17.378). Concrètement, si le fait dommageable s’inscrit dans la mission confiée, le commettant n’a pas d’action récursoire contre son préposé ; l’assureur, subrogé, ne peut donc pas davantage agir contre lui.

Ce principe connaît toutefois l’exception consacrée par l’arrêt Cousin : lorsque le préposé a commis une faute pénale intentionnelle, ou encore a délibérément violé une obligation de prudence ou de sécurité lui imposée, il engage sa responsabilité personnelle ; dans ce cas, le recours du commettant — et, par subrogation, celui de son assureur — redevient recevable (Ass. plén., 14 déc. 2001, n° 00-82.066). L’articulation est alors simple : L. 121-2 garantit l’indemnisation de la victime par l’assureur du commettant, mais n’efface pas la responsabilité personnelle du préposé lorsque ses agissements franchissent le seuil de la faute intentionnelle pénale ou de la violation délibérée d’une règle de sécurité ; dans ces seules hypothèses, l’assureur peut répercuter le coût de l’indemnisation sur l’auteur.

Reste l’articulation, parfois délicate, avec les exclusions légales spéciales. L’article L. 121-8 — guerres, émeutes, mouvements populaires — relève d’une logique propre de délimitation légale de la garantie. La deuxième chambre civile a rappelé que ces textes prévalent lorsqu’ils sont applicables et ne se heurtent donc pas à L. 121-2 : une clause se bornant à reprendre l’exclusion légale des émeutes est opposable, y compris lorsque l’auteur du dommage est un mineur dont l’assuré répond (Cass. 2e civ., 22 nov. 2012, n° 11-19.524). On retrouve ici, transposée, la distinction cardinale de la théorie générale du contrat d’assurance entre délimitation du risque — permise et même dictée par la loi — et exclusions fondées sur la gravité d’une faute — prohibées en RC par L. 121-2. La jurisprudence de guerre et d’émeute, exigeant la preuve d’un lien de causalité étroit et déterminant avec le fait de trouble (et non de simples considérations de contexte), vient d’ailleurs discipliner ce jeu de frontières (v. par ex. Cass. 1re civ., 24 mars 1992, n° 89-14.880).

Au total, la ligne est ferme et lisible. En responsabilité civile, la gravité de la faute du tiers dont l’assuré répond n’est jamais un motif d’exclusion : la garantie du commettant s’impose, l’action directe de la victime est préservée, et les tentatives contractuelles de réintroduire l’intentionnel du préposé sont neutralisées (Cass. 1re civ., 12 mars 1991, n° 88-12.441). En assurances de biens, l’assurabilité demeure gouvernée par l’article L. 113-1 — faute de l’assuré — et par les clauses valablement formelles et limitées, L. 121-2 étant sans application (Cass. 1re civ., 5 déc. 2000, n° 98-13.052). Dans l’hypothèse mixte d’un préposé co-assuré, l’exclusion légale peut viser l’auteur si ses conditions sont rigoureusement rapportées, mais elle ne défait pas la garantie due au commettant en RC (Cass. 2e civ., 5 oct. 2006, n° 05-11.823). Enfin, les exclusions légales spéciales — tel L. 121-8 — opèrent à part, comme de véritables bornes légales du risque, dès lors que leurs conditions sont précisément réunies (Cass. 2e civ., 22 nov. 2012, n° 11-19.524). L’ensemble assure ce que la doctrine a depuis longtemps posé comme exigence : protéger les victimes sans transformer l’assurance en mécanisme d’indemnisation des atteintes voulues, et sans dissoudre l’aléa constitutif du contrat.

B. Assurances de personnes

En assurance de personnes, deux hypothèses où la volonté humaine interfère avec le sinistre font l’objet d’un traitement légal spécifique : le suicide de l’assuré et le meurtre de l’assuré par le bénéficiaire. Le législateur n’a pas renvoyé ces cas à l’exclusion générale des fautes intentionnelles (art. L. 113-1), mais a posé deux régimes autonomes de délimitation du risque.

D’une part, l’article L. 132-7 instaure un délai de carence : le suicide n’est pas couvert la première année, puis il doit l’être à compter de la deuxième ; en cas d’augmentation des garanties, un nouveau délai court pour la part augmentée. Des ajustements existent pour les contrats de groupe et, surtout, pour l’assurance emprunteur finançant la résidence principale, où la couverture du suicide est immédiate dans la limite d’un plafond réglementaire (au moins 120 000 € : art. R. 132-5). Pendant la période d’exclusion, la preuve du caractère volontaire de la mort incombe à l’assureur ; la Cour de cassation l’a rappelé avec constance, la qualification factuelle relevant du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 1re civ., 22 oct. 1996, n° 94-14.399).

D’autre part, l’article L. 132-24 ne touche pas à la définition du risque : il écarte personnellement du bénéfice de l’assurance le bénéficiaire condamné pour avoir volontairement donné la mort à l’assuré. La sanction vise le bénéficiaire auteur (ou complice) du crime, non le contrat. Le contrat subsiste : l’assureur verse alors la valeur due (valeur de rachat ou, à défaut, la provision mathématique) au contractant ou à ses ayants droit, ou encore aux autres bénéficiaires selon la stipulation prévue. La seule tentative d’homicide ne déclenche pas l’exclusion automatique ; elle ouvre au contraire au souscripteur un droit de révocation du bénéficiaire, même après acceptation (C. assur., art. L. 132-4, al. 3). La logique est celle de l’indignité transposée à l’assurance-vie : nul ne peut se prévaloir de son crime, tandis que la fonction protectrice du contrat est préservée en faveur des personnes restées étrangères au fait homicide (C. assur., art. L. 132-24).

Les développements qui suivent traiteront, d’une part, du suicide (régime légal, variantes en assurance de groupe et assurance emprunteur, charge et modes de preuve) et, d’autre part, du meurtre par le bénéficiaire (conditions, effets et articulation avec la stipulation pour autrui).

1. Le suicide de l’assuré

Le régime du suicide a été soustrait à la logique générale de l’article L. 113-1 pour faire l’objet d’une délimitation légale propre aux assurances de personnes.

Le principe est simple et tient en deux temps :

En cas d’augmentation des garanties en cours de contrat, un nouveau délai d’un an ne vise que la part augmentée (C. assur., art. L. 132-7, al. 1 et 2). Sous l’ancien droit, la Cour avait admis qu’une date de départ conventionnelle du délai puisse être retenue (v. Cass. 1re civ., 23 juin 1998, n° 96-10839). Désormais, la formule légale “au cours de la première année du contrat” renvoie normalement à la souscription ; et seule l’augmentation de garanties rouvre un nouveau délai d’un an, strictement limité à la part majorée (L. 132-7, al. 2), toute remise à zéro globale étant exclue. Cette technique n’est pas une «exclusion pour faute intentionnelle » au sens de L. 113-1 : c’est une règle spéciale qui fixe une période de carence destinée à prévenir les souscriptions opportunistes ; au-delà, la garantie est due de plein droit, et l’assureur ne peut pas invoquer L. 113-1 pour la refuser.

Deux régimes particuliers complètent le dispositif.

Historiquement, le délai de carence a été réduit de deux ans à un an par la loi du 2 juillet 1998 ; puis la loi du 3 décembre 2001 a supprimé la référence au « suicide conscient » et a consacré l’obligation de garantie à partir de la deuxième année, toute stipulation contraire étant réputée non écrite. L’ensemble confirme le caractère spécial et autonome de l’article L. 132-7 (al. 1 et 2) et implique qu’au-delà de la carence l’assureur ne peut se prévaloir de l’article L. 113-1 pour refuser sa prestation.

La question probatoire appelle une mise en perspective. Sous les textes antérieurs, l’article L. 132-7 visait le suicide « volontaire et conscient » : pendant la période d’exclusion, il incombait à l’assureur d’établir la volonté de se donner la mort et le caractère conscient du geste ; la Cour de cassation l’a expressément rappelé (Cass. 1re civ., 22 oct. 1996, n° 94-14.399). La preuve pouvait être rapportée par indices convergents (lettre d’adieu, préparation matérielle, choix d’un mode opératoire intrinsèquement létal) ; à l’inverse, des éléments médicaux ou contextuels pouvaient exclure un acte pleinement voulu et lucide. Deux illustrations demeurent classiques : preuve admise lorsque l’assuré laisse un écrit sans ambiguïté et met en place un dispositif d’asphyxie (enfermement, moteur allumé, tuyau relié au pot d’échappement : Cass. 1re civ., 14 mars 2000, n° 97-21.581) ; qualification écartée en cas d’asphyxie auto-érotique, faute de finalité létale démontrée, l’appréciation souveraine des juges du fond n’appelant pas de censure (Cass. 1re civ., 2 juil. 1996, n° 94-12.955).

Depuis la loi du 3 décembre 2001, la référence au « suicide conscient » a disparu du texte : durant la carence, l’assureur ne peut se délier que s’il prouve que l’assuré « s’est volontairement donné la mort » ; au-delà, la garantie est légalement due, et toute clause contraire est inopérante. La charge de la preuve n’a pas changé : tant que l’assureur invoque l’exclusion, c’est à lui d’établir la volonté de mourir (la solution de 1996 demeure pertinente : Cass. 1re civ., 2 juil. 1996, n° 94-12.955). Dans la pratique, les juridictions continuent d’examiner les circonstances (écrits, préparation, modus operandi, contexte psychique) pour caractériser ou exclure cette volonté : lorsqu’il ressort du dossier que le défunt était privé de toute capacité de réflexion (dépression majeure, obnubilation), l’intention de se donner la mort n’est pas tenue pour établie (CA Aix-en-Provence, 8 janv. 2003, n° 98/01785) ; inversement, l’accumulation d’indices concordants suffit à convaincre (Cass. 1re civ., 14 mars 2000, n° 97-21.581.). La Cour de cassation, fidèle à son office, régule la règle de droit et la répartition de la charge de la preuve, mais laisse aux juges du fond l’appréciation des faits (Cass. 1re civ., 2 juil. 1996, n° 94-12.955).

La frontière avec l’accident doit, enfin, être tracée avec rigueur. Lorsque la police prévoit un capital « accident » additionnel, la preuve de l’accident — pour ce seul complément — pèse sur les bénéficiaires ; mais l’échec de cette preuve n’autorise pas, par simple déduction, à requalifier le décès en suicide : pendant la carence, l’assureur doit positivement établir la volonté de mourir s’il entend opposer l’article L. 132-7 du Code des assurance (Cass. 1re civ., 24 mai 2000). Et lorsque la carence est expirée, la discussion probatoire sur l’intention cesse d’être opérante pour la garantie de base : la prestation décès est due, sans qu’il soit possible d’opposer l’article L. 113-1. À cela s’ajoute, en cas d’augmentation des garanties, que le nouveau délai d’un an est strictement cantonné à la fraction majorée, excluant toute «remise à zéro » globale de la couverture (C. assur., art. L. 132-7, al. 2).

2. Meurtre de l’assuré par le bénéficiaire

Le dispositif est d’une grande netteté : lorsque le bénéficiaire est condamné pour avoir volontairement donné la mort à l’assuré – ou au contractant –, il perd le bénéfice du contrat. L’article L. 132-24 ne discute pas l’assurabilité du risque ; il attache à la condamnation pénale une sanction civile ciblée, limitée à la personne du bénéficiaire reconnu coupable. La finalité est double et classique : empêcher tout profit tiré d’un crime et préserver la fonction protectrice de l’assurance-vie au profit des titulaires légitimes, dans un esprit voisin de l’indignité successorale.

La condition déterminante tient à l’intention homicide juridiquement constatée et à l’imputabilité pénale du décès. Sont visés les crimes intentionnels contre la vie (meurtre, assassinat, empoisonnement), que le bénéficiaire soit auteur, coauteur ou complice dès lors qu’il est condamné en cette qualité. À l’inverse, l’homicide involontaire ou des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ne déclenchent pas le mécanisme légal : faute d’intention homicide, L. 132-24 ne s’applique pas. La lettre même du texte – « a été condamné pour avoir donné volontairement la mort » – impose une reconnaissance pénale de culpabilité ; une simple suspicion, une instruction en cours ou une hypothèse d’enquête ne suffisent pas. En pratique, tant qu’aucune condamnation n’est intervenue, le bénéficiaire ne peut être écarté sur ce fondement (la doctrine et la jurisprudence rappellent que la culpabilité « non élucidée » ne fonde pas la privation de droits).

Lorsque la condamnation fait défaut parce qu’il n’y a qu’une tentative, la loi adopte une solution intermédiaire : le souscripteur peut révoquer la stipulation au profit du bénéficiaire même si celui-ci l’a déjà acceptée (C. assur., art. L. 132-24, al. 3). Il s’agit d’une exception expresse au régime d’irrévocabilité de l’acceptation (C. assur., art. L. 132-4) justifiée par la gravité du comportement : un projet criminel, resté au stade de la tentative, ne doit pas figer irréversiblement la clause bénéficiaire.

La portée de la sanction est strictement personnelle. Le contrat ne s’éteint pas : il « cesse d’avoir effet à l’égard du bénéficiaire » condamné. La garantie demeure et se réattribue selon la clause bénéficiaire au profit des autres bénéficiaires désignés ; à défaut, l’assureur verse au souscripteur ou à ses ayants droit le montant de la provision mathématique (formule du texte), sauf stipulation désignant un bénéficiaire subséquent (C. assur., art. L. 132-24, al. 2). En cas de pluralité de bénéficiaires, seule la quote-part du condamné est retranchée ; les co-bénéficiaires non impliqués conservent leur droit dans la proportion prévue, et la fraction retranchée suit la cascade prévue par la police (bénéficiaires de rang suivant, puis, à défaut, versement de la provision mathématique au souscripteur/ayants droit). La même mécanique joue lorsque la condamnation vise le meurtre du contractant (et non de l’assuré) : le bénéficiaire meurtrier est écarté, mais la valeur accumulée reste affectée aux titulaires légitimes.

Sur le terrain probatoire, l’assureur ne peut se contenter d’indices : l’exclusion légale suppose la production d’une condamnation pénale du bénéficiaire pour homicide volontaire ou participation intentionnelle à celui-ci. À l’inverse, une relaxe ou un acquittement pour absence d’intention homicide font obstacle à l’application de L. 132-24 (sans priver l’assureur d’autres moyens éventuels, étrangers à ce texte). La répartition des rôles est claire : le juge pénal constate l’infraction et la culpabilité ; le juge civil en tire les effets assurantiels strictement prévus par la loi, sans étendre ni restreindre son champ (v. la présentation constante en doctrine : Kullmann ; Groutel ; Beignier).

L’ensemble dessine une politique cohérente : là où, pour le suicide, le législateur module la garantie dans le temps afin de préserver l’équilibre assurantiel, il écarte purement et simplement le bénéficiaire criminel afin d’éviter tout aléa moral insoutenable et de garantir que l’assurance-vie protège les proches, non qu’elle rémunère un crime.

Quitter la version mobile