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Police d’assurance : les règles d’interprétation

La police d’assurance, en raison de sa structure complexe et de son langage technique, suscite de fréquents litiges d’interprétation. Face à ces ambiguïtés, le juge dispose d’un pouvoir souverain d’interprétation, limité toutefois aux clauses obscures : dès lors qu’une stipulation est claire, elle doit recevoir application littérale. Certaines catégories de clauses, notamment les exclusions de garantie, font l’objet d’un contrôle renforcé, la Cour de cassation refusant toute interprétation qui en priverait le caractère « formel et limité » exigé par l’article L. 113-1 du Code des assurances. Plus largement, le droit positif impose une règle d’interprétation favorable à l’assuré, fondée à la fois sur le droit de la consommation et sur la notion de contrat d’adhésion. L’ensemble de ces principes traduit un équilibre subtil : assurer la sécurité juridique des stipulations contractuelles tout en préservant la protection de l’assuré, partie réputée faible dans la relation assurantielle.

1. La densité du contentieux lié à l’interprétation des polices d’assurance

Le droit des assurances se caractérise par un contentieux particulièrement dense relatif à l’interprétation des polices. Cette situation s’explique par plusieurs causes convergentes : la prolifération des contrats d’assurance, la complexité de leur structure et les difficultés linguistiques inhérentes à ce type de conventions.

La police d’assurance présente en effet une architecture particulièrement complexe. Elle articule généralement trois niveaux de stipulations : les conditions générales, acte prérédigé et uniformisé ; les conditions particulières, qui individualisent chaque contrat ; et les conventions spéciales, qui précisent les modalités de certaines garanties. Cette stratification contractuelle multiplie les risques de contradiction et d’ambiguïté entre les différentes stipulations.

À cette complexité structurelle s’ajoute une difficulté rédactionnelle. Le vocabulaire assurantiel, bien qu’en voie d’amélioration, demeure empreint d’une technicité qui peut nuire à la clarté des engagements contractuels. Les assureurs peinent parfois à concilier précision technique et accessibilité du langage, créant des zones d’ombre propices aux litiges d’interprétation.

2. Le pouvoir d’interprétation du juge

L’interprétation des contrats d’assurance relève de la compétence exclusive des juridictions du fond. Cette prérogative constitue un pouvoir souverain qui échappe, par principe, au contrôle de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 22 oct. 1974). Les juges du fond jouissent donc d’une liberté d’appréciation dans l’analyse du sens des stipulations contractuelles ambiguës.

Cette liberté d’appréciation connaît cependant une limite majeure : elle ne peut s’exercer que face à des clauses présentant un caractère obscur ou ambigu. Lorsque les termes contractuels possèdent une signification claire et univoque, l’interprétation devient non seulement inutile mais interdite. Le principe interpretatio cessat in claris impose alors l’application littérale de la stipulation.

La Deuxième chambre civile a précisé la portée de cette règle dans un arrêt du 10 septembre 2015. En l’espèce, une clause de la police d’assurance prévoyait prévoyait le versement de prestations “pendant toute la durée de l’incapacité-invalidité donnant lieu à la pension de la sécurité sociale et jusqu’à la date de liquidation des assurances vieillesse telle qu’elle est prévue notamment aux articles L. 304 et suivants du code de la sécurité sociale“. Or, les articles L. 304 et suivants du Code de la sécurité sociale n’existaient pas.

La cour d’appel avait considéré que cette référence erronée rendait la clause ambiguë, justifiant son interprétation en faveur de l’assuré conformément à l’article L. 133-2 du Code de la consommation. Elle en avait déduit que la substitution d’une pension de vieillesse à une pension d’invalidité n’interrompait pas le versement des prestations.

La Cour de cassation censure la Cour d’appel en énonçant que “les juges du fond ne jouissent du pouvoir d’interpréter les conventions que si celles-ci sont obscures ou ambiguës” et que la cour d’appel “s’est bornée à relever que l’article 25 du contrat citait un article du code de la sécurité sociale qui n’existait pas, circonstance qui ne suffisait pas à le priver de clarté et ne nuisait pas à sa compréhension” (Cass. 2e civ., 10 sept. 2015, n°14-22.669).

Cette décision pose un principe clair : une erreur dans la référence à un texte légal ne rend pas automatiquement la clause ambiguë si son objectif reste compréhensible. En l’occurrence, bien que les articles L. 304 et suivants du Code de la sécurité sociale n’existent pas, la finalité de la clause demeurait évidente : faire cesser les prestations à la liquidation de la retraite.

La Cour de cassation refuse ainsi aux juges du fond la possibilité d’interpréter une clause sous prétexte qu’elle contient une référence juridique inexacte. Une simple erreur matérielle ne justifie pas d’écarter le sens apparent d’une stipulation, fût-ce au bénéfice de l’assuré. Cette solution protège la sécurité juridique en empêchant les tribunaux de dénaturer la volonté contractuelle sous couvert d’interprétation favorable.

3. L’interprétation des clauses d’exclusion

Les clauses d’exclusion de garantie font l’objet d’un encadrement en matière d’interprétation particulièrement strict. L’article L. 113-1 du Code des assurances exige que ces dispositions soient “formelles et limitées“, condition de leur validité et de leur opposabilité.

Cette exigence légale a conduit la Cour de cassation à adopter une position radicale : « une clause d’exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée » (Cass. 1re civ., 22 mai 2001, D. 2001, p. 2776, note Beignier ; RGDA 2001, p. 944, note Kullmann).

Cette exigence légale a conduit la Cour de cassation à poser une règle sans concession. Dans un arrêt du 22 mai 2001, elle énonce qu’« une clause d’exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée » (Cass. 1re civ., 22 mai 2001, D. 2001, n°99-10.849).

Cette formule découle directement de l’application de l’article L. 113-1 du Code des assurances. En l’espèce, un assuré réclamait le versement d’un capital invalidité après une transplantation cardiaque. L’assureur opposait une clause excluant “les incapacités contractées par l’assuré antérieurement à son admission dans l’assurance“. La cour d’appel avait validé cette exclusion en considérant que, “sans s’arrêter au sens littéral du terme incapacité“, il convenait d’entendre cette clause comme visant “la conséquence d’affections ou d’infirmités contractées par l’assuré avant la prise d’effet du contrat”.

La Cour de cassation censure cette solution au motif que “cette clause était ambiguë“. En refusant de s’en tenir au sens littéral du terme “incapacité” pour lui substituer une interprétation extensive, la cour d’appel avait reconnu implicitement que la clause nécessitait une interprétation. Or, une clause qui doit être interprétée ne peut, par définition, être considérée comme “formelle et limitée” au sens de l’article L. 113-1.

Cette jurisprudence, constamment réaffirmée (Cass. 3e civ., 27 oct. 2016, n° 15-23.841), établit un principe simple : toute exclusion ambiguë doit être écartée plutôt qu’interprétée.

Cette jurisprudence trouve une application récente dans un arrêt de la Deuxième chambre civile du 25 janvier 2024. L’affaire concernait une société de traiteur qui réclamait la garantie de ses pertes d’exploitation liées aux mesures de fermeture imposées pendant la pandémie de Covid-19. L’assureur opposait une clause d’exclusion stipulant que « demeure toutefois exclue : – la fermeture consécutive à une fermeture collective d’établissements dans une même région ou sur le plan national, – lorsque la fermeture est la conséquence d’une violation volontaire à la réglementation, de la déontologie ou des usages de la profession ».

L’assurée soutenait que cette clause était ambiguë et ne pouvait donc être considérée comme formelle et limitée. Elle faisait valoir que « ni l’emploi du singulier pour conjuguer le verbe “demeurer” ni l’usage de la conjonction de coordination “lorsque” n’avaient pu établir clairement le caractère cumulatif des deux propositions », créant un doute sur l’interprétation cumulative ou alternative des deux exclusions.

La Cour de cassation lui donne raison en censurant la cour d’appel qui avait validé l’exclusion. Elle énonce que « la clause d’exclusion précitée, rendue ambiguë par l’usage de la conjonction de subordination “lorsque”, nécessitait interprétation, de sorte qu’elle n’était pas formelle » (Cass. 2e civ., 25 janv. 2024, n° 22-14.739).

Cette décision illustre la rigueur de la Haute juridicition dans l’appréciation du caractère formel des exclusions. L’emploi de la conjonction “lorsque” introduisait une incertitude sur l’articulation entre les deux branches de l’exclusion : fallait-il les comprendre comme deux exclusions indépendantes ou comme une exclusion unique à double condition ? Cette ambiguïté rédactionnelle suffisait à priver la clause de son caractère formel, la rendant inapplicable.

Cette jurisprudence traduit une volonté claire de protection de l’assuré. En refusant d’interpréter les exclusions ambiguës, les tribunaux empêchent les assureurs de se soustraire à leurs obligations par le biais de rédactions volontairement équivoques. Cette approche incite également les compagnies d’assurance à améliorer la précision de leurs stipulations d’exclusion.

4. Le principe de l’interprétation in favorem de l’assuré

==>Fondements du principe

Le principe d’interprétation in favorem à l’assuré repose sur deux textes principaux qui se complètent pour offrir une protection étendue.

Le premier fondement concerne les assurés-consommateurs. L’article L. 211-1 du Code de la consommation dispose que les clauses des contrats proposés par les professionnels «s’interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur ». Cette règle s’applique lorsque l’assuré contracte pour ses besoins personnels, en dehors de toute activité professionnelle.

Cette protection vaut également pour les contrats d’assurance collective. Même si l’employeur qui souscrit le contrat-cadre agit en professionnel, les salariés qui y adhèrent le font en qualité de consommateurs. L’article L. 211-1 leur profite donc, car le contrat leur est “proposé” au sens du texte.

Le second fondement vise les contrats d’adhésion. L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit l’article 1190 du Code civil, qui étend la règle d’interprétation favorable aux contrats d’adhésion. Cette innovation permet aux assurés professionnels d’en bénéficier, même s’ils ne sont pas consommateurs.

Cette extension présente un intérêt majeur en assurance. Les polices d’assurance constituent par nature des contrats d’adhésion : l’assureur rédige seul les conditions générales, l’assuré ne pouvant que les accepter ou les refuser en bloc.

Une limite importante tempère cette règle. Lorsqu’un courtier représentant l’assuré négocie réellement le contenu du contrat, celui-ci devient un contrat de gré à gré au sens de l’article 1110 du Code civil. L’interprétation favorable ne s’applique plus, puisque les clauses résultent d’une négociation équilibrée entre les parties.

==>Évolution prétorienne et contrôle de cassation

L’interprétation in favorem à l’assuré a évolué : d’abord fondée sur les règles générales d’interprétation, elle s’appuie désormais sur des textes spéciaux permettant un contrôle de cassation.

Traditionnellement, les tribunaux appliquaient la règle générale d’interprétation contra stipulatorem. L’ancien article 1162 du Code civil prévoyait que les clauses ambiguës s’interprètent contre celui qui les a rédigées. Les tribunaux en déduisaient que « toute clause obscure ou ambiguë doit s’interpréter contre l’assureur » (CA Montpellier, 27 juin 1990). Cette solution se justifiait par le fait que l’assureur rédige seul ses polices.

Un tournant s’est opéré en 2003. La Première chambre civile a rendu un arrêt majeur le 21 janvier 2003 qui procède à un changement de fondement juridique du principe de l’interprétation in favorem de l’assuré  (Cass. 1ère civ. 21 janv. 2003, n° 00-13.342 et 00-19.001) . L’affaire concernait un assuré atteint de sclérose en plaque qui réclamait le versement d’un capital invalidité. L’assureur refusait de garantir au motif que l’assuré ne remplissait pas “la double condition prévue au contrat“.

La Cour de cassation se fonde directement sur l’article L. 133-2 du Code de la consommation, rappelant que ce texte impose que “les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel“. Elle constate ensuite que “la clause définissant le risque invalidité était bien ambiguë de sorte qu’elle devait être interprétée dans le sens le plus favorable” à l’assuré.

Cette décision marque une rupture méthodologique. Pour la première fois, la Cour de cassation fonde explicitement l’interprétation favorable sur le droit de la consommation plutôt que sur les règles générales d’interprétation des contrats.

Cette évolution a une conséquence majeure : la Cour de cassation contrôle désormais l’application de cette règle. En effet, le visa de l’article L. 133-2 permet à la Haute juridicition de censurer les arrêts qui méconnaissent l’obligation d’interpréter favorablement au consommateur. Alors qu’elle ne pouvait auparavant vérifier l’interprétation des clauses ambiguës, relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond, elle peut maintenant sanctionner le non-respect de l’interprétation favorable lorsque les conditions légales sont réunies.

Cette jurisprudence s’est confirmée dans de nombreux arrêts ultérieurs (Cass. 2e civ., 1er juin 2011, n° 09-72.552 et 10-10.843 0).

L’application aux contrats collectifs suit, quant à elle, une logique particulière. L’article L. 211-1 vise les contrats “proposés” au consommateur. Cette formulation permet d’inclure les contrats collectifs à adhésion facultative : même si l’employeur souscrit le contrat-cadre en professionnel, les salariés qui y adhèrent librement bénéficient de la protection consumériste. En revanche, les contrats collectifs à adhésion obligatoire échappent à cette règle, car ils ne sont pas réellement “proposés” aux bénéficiaires (Cass. 2e civ., 8 juill. 2010, n° 09-16.417).

==>Limites au principe d’interprétation in favorem à l’assuré

L’interprétation favorable à l’assuré ne s’applique pas systématiquement. Elle connaît deux limites principales qui restreignent son domaine d’application.

Première limite : les clauses claires ne peuvent être interprétées. Lorsqu’une stipulation possède un sens évident, l’interprétation favorable devient inutile et interdite. Le principe interpretatio cessat in claris s’impose : on n’interprète que ce qui est obscur (Cass. 1re civ., 26 févr. 2020, n° 18-21.306).

La jurisprudence illustre cette règle par plusieurs cas concrets. L’arrêt de la Première chambre civile du 2 décembre 2003 offre un exemple éclairant. Un emprunteur avait souscrit une assurance “perte d’emploi” couvrant les échéances de son prêt “lorsque l’assuré licencié bénéficiait d’une allocation chômage”. Son employeur ayant mis fin au contrat de travail à l’issue de la période d’essai, l’assureur refusait sa prise en charge.

La cour d’appel avait accueilli la demande de l’assuré en considérant que “le but de la police étant de garantir à un emprunteur le paiement du prêt immobilier au cas où il se trouve privé d’emploi pour une raison indépendante de sa volonté, le terme ‘licencié’ doit s’entendre, quel que soit le sens de ce terme dans la jurisprudence sociale, d’une privation d’emploi non volontaire”.

La Cour de cassation censure cette interprétation extensive en rappelant que “sous couvert d’interprétation, les juges ne peuvent altérer le sens clair et précis d’un contrat, ni modifier les obligations que les parties avaient librement acceptées“. Elle précise que la cour d’appel, “en étendant la garantie due par l’assureur en interprétant le terme ‘licencié’, dont le sens clair et précis est exclusif de la rupture du contrat de travail pendant la période d’essai“, avait dénaturé le contrat (Cass. 1re civ., 2 déc. 2003, n° 01-10.019).

Cette solution confirme que l’interprétation favorable ne peut jouer lorsque les termes employés possèdent une signification juridique précise. Le terme “licencié” ayant un sens technique défini par le droit du travail, qui exclut la rupture pendant la période d’essai, aucune ambiguïté ne justifiait une interprétation extensive favorable à l’assuré.

De même, un arrêt de la Deuxième chambre civile du 16 novembre 2006 illustre ce principe à propos d’une garantie invalidité (Cass. 2e civ. 16 nov. 2006, n°06-10.424). Un gérant de société victime d’une chute réclamait l’indemnisation de ses séquelles au titre d’une assurance individuelle accident. L’assureur refusait sa garantie en soutenant que seule était couverte “l’invalidité absolue définitive correspondant à l’invalidité 3e catégorie telle que définie par la sécurité sociale“.

La cour d’appel avait donné raison à l’assuré par un raisonnement alambiqué. Elle considérait que “l’objet de la garantie était parfaitement désigné par le chapitre 3 comme étant l’accident, sans autre précision, le décès et l’invalidité ne pouvant être que les conséquences de l’accident” et que “l’assureur ajoutait donc au contrat des précisions qu’il ne contenait pas du fait d’une rédaction approximative“. Elle en déduisait que les clauses devaient s’interpréter “en cas de doute, en faveur du consommateur” et qu’à défaut d’exclusion claire, toute invalidité permanente était garantie.

La Cour de cassation censure cette solution en rappelant que “selon les stipulations contenues dans les chapitres 3 et 5 des conditions particulières, qui prévalent sur les conditions générales et sont dépourvus d’ambiguïté, seule était garantie, pour un capital d’un certain montant, l’invalidité absolue définitive correspondant à l’invalidité 3e catégorie telle que définie par la sécurité sociale, impliquant la nécessité de l’assistance permanente d’une tierce personne pour accomplir les actes essentiels de la vie“.

Cette décision établit un principe clair : lorsqu’une clause renvoie expressément à une classification légale précise, elle ne peut faire l’objet d’une interprétation extensive. En l’espèce, les conditions particulières limitaient la garantie à “l’invalidité 3e catégorie telle que définie par la sécurité sociale“, formule qui possède un contenu juridique déterminé.

La cour d’appel avait tort de considérer cette référence comme ambiguë. La classification de la sécurité sociale définit avec précision les trois catégories d’invalidité selon des critères médicaux objectifs. En visant spécifiquement la troisième catégorie, le contrat excluait automatiquement les invalidités de première et deuxième catégories, sans qu’il soit besoin d’une clause d’exclusion expresse.

L’interprétation favorable ne peut donc jouer pour étendre une garantie au-delà des limites clairement fixées par référence à un texte légal précis.

Seconde limite : la priorité donnée à l’intention commune des parties. Avant d’appliquer le principe de l’interprétation in favorem à l’assuré, le juge doit rechercher la volonté réelle des contractants. Si cette recherche permet de lever l’ambiguïté, l’interprétation in favorem devient inutile. L’article 1190 du Code civil le précise : l’interprétation favorable ne joue qu’en cas de “doute” persistant sur l’intention commune, après épuisement des autres méthodes d’interprétation.

5. Résolution des conflits entre stipulations contractuelles

==>L’application stricte des clauses claires

Les tribunaux ne peuvent interpréter que les clauses ambiguës. Face à une stipulation claire et précise, ils doivent l’appliquer sans chercher à en modifier le sens. Cette règle fondamentale protège la sécurité juridique et respecte la volonté des parties.

La Cour de cassation sanctionne sévèrement toute dénaturation des clauses univoques. L’arrêt du 11 juin 2009 rendu par la Deuxième chambre civile illustre cette rigueur à propos d’une clause de subsidiarité. Une société de gestion de conteneurs réclamait la garantie du vol de 122 conteneurs citernes. Le contrat prévoyait que la garantie “intervient en excédent de garantie et capitaux couverts par ailleurs pour les risques assurés ou en cas de défaillance ou insuffisances desdites garanties“.

La cour d’appel avait accueilli la demande en considérant que cette clause, “rédigée sous forme affirmative, et sans indiquer que la garantie serait conditionnée à l’existence d’autres garanties, mais seulement qu’elle ‘intervient en excédent’ de telles garanties, constitue manifestement une clause de subsidiarité et ne saurait, sans dénaturation, être considérée comme stipulant exclusion“.

La Cour de cassation censure cette interprétation en rappelant que “la clause de subsidiarité subordonnait clairement la garantie de l’assureur à l’existence d’une autre assurance couvrant le même risque” et que la cour d’appel, “qui en a dénaturé le sens et la portée“, avait violé l’article 1134 du Code civil (Cass. 2e civ., 11 juin 2009, n° 08-16.362). Cette décision démontre que la volonté de protéger l’assuré ne justifie jamais l’écartement d’une clause dont le sens est évident.

Cette rigueur s’observe dans de nombreuses applications. Les juges ne peuvent affirmer que le paiement d’un acompte fait courir la garantie lorsque la police prévoit expressément une prise d’effet “le lendemain à midi du jour du paiement de la première prime” (Cass. 1re civ., 10 mars 1964). De même, ils ne sauraient écarter une clause d’assistance exigeant l’accord préalable de l’assureur sous prétexte que l’assuré comateux ne pouvait la respecter, dès lors que cette exigence était clairement stipulée.

L’arrêt du 19 décembre 2000 illustre parfaitement ce principe. Un médecin victime d’une encéphalite herpétique à l’île Maurice avait été rapatrié d’urgence en France par son épouse, sans prévenir préalablement l’assureur. Le contrat stipulait que “l’organisation par le bénéficiaire ou par son entourage de l’une des assistances énoncées ne peut donner lieu à prise en charge que si Mondial Assistance a été prévenue préalablement et a donné son accord exprès“.

La cour d’appel avait écarté cette clause en retenant que l’assuré comateux était dans l’impossibilité de respecter cette obligation du fait de la force majeure, et que son épouse, “ne connaissant pas les termes du contrat d’assistance dont elle n’était qu’un bénéficiaire indirect, n’avait pu avertir Mondial Assistance de leur départ précipité“.

La Cour de cassation censure cette solution en précisant qu’aux termes de la clause litigieuse, “l’information de la société d’assistance incombait à l’entourage du bénéficiaire dès lors qu’il se chargeait d’organiser la prestation d’assistance“. Elle reproche ici à la Cour d’appel de ne pas avoir “constaté l’impossibilité absolue, pour Mme X…, de prévenir la société Mondiale Assistance” (Cass. 1re civ., 19 déc. 2000, n° 98-14.141). Cette décision confirme qu’une clause claire s’impose même en cas de difficultés pratiques d’exécution. En l’espèce, le fait que l’épouse ignore les termes du contrat ou que la situation soit urgente ne suffisait pas à écarter l’obligation de prévenir l’assureur. La Cour de cassation exige la démonstration d’une impossibilité matérielle absolue pour justifier l’inexécution d’une stipulation univoque.

Le contrôle de la dénaturation, codifié à l’article 1192 du Code civil, permet à la Cour de cassation de vérifier le respect de cette règle. Ce contrôle s’exerce avec une vigilance particulière lorsque les juges du fond s’écartent du sens apparent d’une clause.

==>L’ordre de priorité entre les composantes de la police

La police d’assurance moderne présente une architecture complexe. Elle réunit généralement trois types de documents : les conditions générales, préimprimées et identiques pour tous les contrats d’une même catégorie ; les conditions particulières, qui individualisent chaque contrat ; et les conventions spéciales, qui précisent certaines garanties spécifiques. Cette diversité documentaire engendre inévitablement des contradictions.

Les conditions particulières priment les conditions générales. Cette règle, codifiée à l’article 1119, alinéa 3, du Code civil, énonce qu’« en cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières ». Cette prééminence se justifie logiquement : les conditions particulières, rédigées pour un assuré déterminé, expriment plus fidèlement la volonté des parties que les conditions générales uniformisées.

Cette hiérarchie ne souffre aucune exception. Elle s’applique même lorsque les conditions générales seraient plus avantageuses pour l’assuré (Cass. 1re civ., 9 févr. 1999, n°96-19.538). Le principe juridique l’emporte sur toute considération d’opportunité.

Les conventions spéciales se situent à un niveau intermédiaire (Cass. 1re civ., 2 mai 1989). Plus précises que les conditions générales mais moins personnalisées que les conditions particulières, elles servent notamment à détailler les modalités de garanties spécifiques dans les contrats multirisques.

L’application stricte de cette hiérarchie se vérifie dans la jurisprudence récente. L’arrêt du 4 octobre 2018 illustre parfaitement cette rigueur. Une SCI propriétaire d’un immeuble de dix appartements avait souscrit une assurance multirisque habitation “propriétaire non occupant”. L’immeuble étant devenu inoccupé à la suite d’un incendie, des vols et détériorations y avaient été commis. Un litige opposait les parties sur l’étendue de la garantie vol.

La cour d’appel avait limité l’indemnisation en retenant “qu’au titre de la garantie vol, seul celui effectué dans les locaux techniques ou d’entretien est garanti“. Cette restriction s’appuyait sur l’article 12 des conditions générales qui limitait effectivement la garantie vol aux seuls locaux techniques et d’entretien.

Cependant, la cour d’appel avait elle-même constaté que “selon ses conditions particulières, le contrat d’assurance souscrit par la SCI garantissait notamment le vol dans les parties communes de l’immeuble, celles-ci devant s’entendre comme celles utilisées par l’ensemble des locataires“. Cette stipulation des conditions particulières était manifestement plus large que celle des conditions générales.

La Cour de cassation rappelle d’abord le principe fondamental : “les clauses des conditions particulières d’une police d’assurance prévalent sur celles des conditions générales au cas où les premières sont inconciliables avec les secondes“. Elle censure ensuite la cour d’appel qui “a fait prévaloir les conditions générales de la police d’assurance limitant, en leur article 12, la garantie vol à celui commis dans les locaux techniques et d’entretien, bien que ces dernières soient inconciliables avec les premières” (Cass. 2e civ., 4 oct. 2018, n° 17-20.624).

Cette décision confirme que la règle de priorité s’applique sans exception : dès lors que les conditions particulières contredisent les conditions générales, les premières s’imposent automatiquement. Peu importe que les conditions générales soient plus restrictives ou que leur application puisse paraître logique, elles doivent céder devant les stipulations particulières incompatibles.

Cette hiérarchie ne joue qu’en cas de contradiction véritable. Lorsque les différents documents peuvent coexister harmonieusement, chacun s’applique dans son périmètre respectif. L’ordre de priorité n’intervient que face à une incompatibilité réelle entre les stipulations.

Un arrêt du 27 avril 2017 illustre cette nuance. Une société fabricant de circuits imprimés avait souscrit une assurance responsabilité civile avec une extension de garantie “dommages aux biens confiés“. Un incendie ayant détruit des biens de tiers dans ses locaux, l’assureur refusait sa garantie en invoquant l’article 4.1 des conditions générales excluant “les dommages matériels et immatériels causés par un incendie”.

L’assurée soutenait que cette exclusion générale était inconciliable avec l’extension de garantie souscrite dans les conditions particulières, laquelle couvrait “les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile incombant à l’assuré en raison des dommages causés aux biens qui lui sont confiés“. Elle invoquait la règle de priorité des conditions particulières sur les conditions générales.

La Cour de cassation rejette ce moyen en précisant que la cour d’appel avait légalement justifié sa décision en “ayant décrit l’articulation des différentes stipulations de la police d’assurance, ce dont il résultait que l’extension de garantie des dommages causés aux biens confiés prévue dans les conditions particulières n’était pas inconciliable avec l’exclusion générale des dommages causés dans l’établissement par un incendie” (Cass. 2e civ., 27 avr. 2017, n° 15-24.561).

Cette solution confirme qu’en l’absence d’incompatibilité véritable, les différentes stipulations coexistent selon leur logique propre. L’extension de garantie des conditions particulières ne remettait pas en cause l’exclusion générale des conditions générales, mais précisait simplement le périmètre d’une garantie spécifique. La hiérarchie documentaire n’avait donc pas lieu de s’appliquer.

==>Autres règles de résolution des conflits

En complément de ces règles de priorité documentaire, d’autres principes permettent de trancher les conflits contractuels dans des situations particulières.

Les mentions manuscrites l’emportent sur le texte imprimé. Cette règle ancienne (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 88-10.758) s’explique par une présomption simple : l’ajout manuscrit d’une mention révèle une volonté délibérée de modifier le contrat-type. Contrairement au texte préimprimé, standardisé et répétitif, l’écriture manuelle témoigne d’une attention particulière portée à une stipulation spécifique.

En cas de divergence entre exemplaires, celui de l’assuré fait foi. Lorsque les versions détenues par chaque partie présentent des différences, la jurisprudence privilégie systématiquement l’exemplaire remis à l’assuré (Cass. 1re civ., 28 avr. 1993, n° 91-12.493). Cette préférence repose sur une double logique : d’une part, l’exemplaire de l’assuré constitue l’expression ultime de la volonté de l’assureur qui l’a rédigé et transmis ; d’autre part, l’assureur doit supporter les risques liés à ses propres défaillances dans la confection des documents contractuels.

L’intention commune des parties prime sur toutes ces règles. Ces principes techniques cèdent devant la volonté réelle des contractants clairement établie. Les juges doivent rechercher cette intention en considérant le contrat dans sa globalité (Cass. 1re civ., 22 nov. 1988). Cette recherche peut même conduire exceptionnellement à faire primer les conditions générales lorsque telle était manifestement la volonté partagée des parties (Cass. 1re civ., 30 oct. 1962).

La pratique révèle certaines incohérences dans l’application de ces principes. Certains domaines échappent régulièrement à l’interprétation favorable. Les clauses de plafond “par année et par sinistre” sont ainsi généralement interprétées de manière restrictive, fixant un montant maximum pour une année d’assurance quel que soit le nombre de sinistres (Cass. 1re civ., 9 juill. 1996, n° 94-19.876). De même, l’appréciation de la condition d’extériorité dans les assurances accidents donne lieu à des solutions variables : tantôt favorable à l’assuré pour un décès par fausse route alimentaire (Cass. 2e civ., 24 mai 2006, n° 05-13.639), tantôt défavorable pour un assuré victime d’apnées du sommeil qui s’était endormi au volant (Cass. 2e civ., 13 janv. 2012, n° 10-25.144).

Ces divergences s’expliquent par la difficulté à concilier deux impératifs : d’un côté, la protection de l’assuré considéré comme partie faible ; de l’autre, le respect de l’autonomie de la volonté et de la liberté contractuelle. Selon les circonstances de chaque espèce, l’un ou l’autre de ces objectifs peut prédominer, créant une apparente incohérence dans les solutions jurisprudentielles.

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