La police d’assurance est l’écrit qui constate le contrat et en fixe les termes. Selon l’article L. 112-2 du Code des assurances, seul ce document — ou la note de couverture — établit l’engagement réciproque de l’assureur et de l’assuré. Pourtant, le contrat d’assurance reste consensuel : il est valable dès l’accord des volontés, l’écrit n’étant exigé qu’à titre de preuve (art. L. 112-3). Dès lors, toute la question est de savoir comment se répartit la charge de la preuve entre les parties et quels moyens sont admis pour établir l’existence ou le contenu de la garantie.
1. Fonction probatoire de la police d’assurance
La police d’assurance constitue l’instrument probatoire par excellence du contrat d’assurance, comme l’exprime clairement l’article L. 112-2 du Code des assurances en disposant que “seule la police ou la note de couverture constate l’engagement réciproque de l’assureur et de l’assuré“. Cette formulation confère à ces documents un monopole apparent dans la constatation des engagements contractuels.
Toutefois, cette prééminence probatoire ne doit pas occulter la nature consensuelle du contrat d’assurance. Comme le rappelle constamment la jurisprudence : “Si le contrat d’assurance ou tout avenant à ce contrat doit, dans un but probatoire, être rédigé par écrit, il constitue un contrat consensuel qui est parfait dès la rencontre des volontés de l’assureur et de l’assuré” (Cass. 1re civ., 15 févr. 1978, n°76-13.154). L’écrit n’est donc requis qu’ad probationem et non ad solemnitatem.
Cette exigence d’écrit trouve ses racines historiques dans l’ordonnance maritime de 1681 et se justifie par la complexité technique des relations assurantielles. L’article L. 112-3, alinéa 1er, impose que le contrat soit “rédigé par écrit, en français, en caractères apparents“, créant un régime dérogatoire au droit commun de la preuve.
La police ne se contente pas d’être un simple instrument probatoire : elle constitue également un acte créateur de droits. Toute modification de la police par les parties contractantes donne naissance à un nouveau lien contractuel, concrétisé par de nouvelles obligations. Cette dimension constitutive distingue la police des autres écrits probatoires.
2. La charge de la preuve
i. Principes généraux de répartition de la charge de la preuve
La détermination de la charge de la preuve obéit aux règles classiques énoncées à l’article 1353 du Code civil, selon lesquelles “celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit en prouver l’existence” et “celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation“. Toutefois, en pratique, cette règle de droit commun est d’application résiduelle car elle ne se pose que lorsque l’existence ou le contenu de la clause litigieuse fait l’objet de contestations effectives.
Cette problématique de la charge de la preuve ne surgit pas si la clause dont l’existence est alléguée n’est pas contestée par l’autre partie (Cass. 1re civ., 7 févr. 1995, n°92-12.634), ou a contrario si l’existence même du contrat n’était pas spécialement alléguée par l’assuré (Cass. 2e civ., 24 mai 2012, n°10-27.604).
ii. Preuve de l’existence du contrat
Lorsque l’existence du contrat fait l’objet de litiges, s’applique le principe selon lequel “c’est à celui qui l’invoque d’en rapporter la preuve“. Cette règle s’impose indistinctement à l’assureur exerçant une action récursoire, à l’assuré réclamant le règlement du sinistre, ou à la victime mettant en jeu la garantie de l’assureur du responsable (Cass. 1re civ., 29 avr. 1997, n° 95-10.564).
Cette exigence peut se révéler particulièrement délicate à satisfaire dans certaines configurations pratiques. Tel est notamment le cas lorsque des polices anciennes mais toujours en vigueur n’ont pas été conservées par l’assureur, situation fréquente en assurances de responsabilité où la réclamation de la victime peut intervenir plusieurs années après la souscription.
iii. Preuve du contenu du contrat
Lorsque seul le contenu du contrat fait l’objet de discussions, l’existence n’étant pas contestée, les mêmes règles trouvent rigoureusement application. Cette exigence probatoire distincte trouve une illustration parfaite dans une décision rendue à l’occasion d’un litige de responsabilité médicale consécutif à une contamination par le virus de l’hépatite C lors d’une transfusion sanguine.
En l’espèce, l’établissement de transfusion sanguine contestait la mise hors de cause de son assureur en soutenant que “la preuve d’un acte juridique peut être rapportée par témoignages ou présomptions dès lors qu’existe un commencement de preuve par écrit” et que la cour d’appel aurait dû “rechercher si la police de responsabilité civile n° 10.392.694, en ce qu’elle « annulait » la police n° 6.734.541, ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, susceptible d’être valablement complété par des éléments extrinsèques“.
La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en relevant que l’arrêt retenait que “ni l’assureur ni l’assuré n’étaient en mesure de produire la police d’assurance, et que le fait que l’assuré apporte la preuve de l’existence d’un contrat ne le dispensait pas de l’obligation d’apporter également la preuve littérale et suffisante du contenu de celui-ci” (Cass. 2e civ., 13 mai 2004, n° 03-10.964).
Cette décision établit clairement la distinction entre la preuve de l’existence du contrat et celle de son contenu spécifique. Même lorsque l’existence du contrat d’assurance ne fait aucun doute, l’assuré demeure tenu d’établir de manière littérale et suffisante les stipulations particulières sur lesquelles il entend se fonder pour obtenir la garantie. Cette solution illustre parfaitement la rigueur avec laquelle la jurisprudence applique l’exigence de preuve écrite en matière d’assurance, même dans les situations où l’existence du contrat est incontestée.
Dans les rapports entre assureur et souscripteur, cette répartition s’opère selon la qualité de demandeur ou de défendeur. Le souscripteur doit établir qu’une clause contractuelle prévoyait la garantie de l’assureur, celui-ci ne pouvant être condamné au seul motif qu’il ne produit pas la police (Cass. 1re civ., 24 janv. 1995, n° 92-21.542).
Inversement, l’assureur doit prouver l’existence d’une clause prévoyant une déchéance (Cass. 1re civ., 25 oct. 1994, n°92-14.654) ou stipulant une exclusion, car il est alors “demandeur à l’exception” (Cass. 2e civ., 25 oct. 2012, n°11-25.490). Cette solution s’explique par l’application du principe de droit commun selon lequel le risque probatoire pèse sur celui qui soulève une exception.
iv. Régime spécifique dans les rapports triangulaires
Dans les rapports entre la victime et l’assureur du responsable, la jurisprudence a développé un régime probatoire remarquablement libéral. Si la victime doit établir l’existence du contrat, comme tout demandeur, elle est dispensée de prouver son contenu (Cass. 3e civ., 29 mai 2002, n°01-00.350).
Cette solution protectrice trouve sa justification dans le fait que la victime, tiers au contrat, ne dispose pas d’un exemplaire de la police. Il serait logiquement inéquitable que le risque d’une absence de preuve pèse sur elle lorsque l’assureur ne peut produire la police. La jurisprudence a étendu cette faveur probatoire aux clauses les plus variées : exclusions (Cass. 1re civ., 7 juill. 1998, n°96-16.360), plafonds (Cass. 1re civ., 24 juin 1970), franchises, non-application d’une extension territoriale (Cass. 1re civ., 27 juin 1995, n°93-12.148).
Lorsque la clause édicte une restriction de garantie au sens large (exclusion, plafond, franchise), cette solution n’est que l’application du droit commun qui veut que le risque probatoire soit supporté par l’assureur qui soulève une exception. En revanche, elle est pleinement dérogatoire lorsque la clause porte sur la définition du risque couvert.
Cette différenciation des régimes probatoires selon la qualité du demandeur produit des effets juridiques remarquables qui bouleversent l’économie générale du contrat d’assurance.
Cette dualité de régimes probatoires entraîne une conséquence remarquable : toutes les clauses restrictives dont l’assureur ne peut prouver l’existence deviennent inopposables à la victime, alors que le droit substantiel réserve cette solution aux seules déchéances. L’assureur se trouve dans la situation d’un garant qui fait une avance sur recours : il indemnise la victime sans tenir compte de la clause non prouvée, mais dispose d’une action récursoire contre le souscripteur sur qui pèse à titre définitif la charge probatoire.
L’équité commanderait que cette solution soit applicable quel que soit le mode de mise en cause de l’assureur : directement par la victime exerçant l’action directe, ou sur initiative de l’assuré qui l’appelle en garantie. Malheureusement, dans cette dernière hypothèse, il a été jugé que la charge probatoire reposait sur l’assuré, demandeur à la garantie d’assurance (Cass. 1re civ., 24 janv. 1995, n° 92-21.542). Cette solution n’est pas satisfaisante, car elle fait dépendre l’indemnisation complète de la victime d’un pur choix procédural.
3. Les modes de preuves
i Dans les rapports entre les parties
==>Principe de la preuve littérale
Les relations contractuelles entre assureur et souscripteur sont soumises à un régime probatoire rigoureux qui déroge aux règles de droit commun. L’obligation d’établir le contrat par écrit s’impose dans toutes les configurations : assurances individuelles, contrats collectifs lorsque l’adhérent est reconnu comme véritable partie contractante, et même dans les relations commerciales où le droit commun dispenserait ordinairement de cette formalité.
Cette spécificité puise son fondement dans l’article L. 112-3, alinéa 1er, qui impose que le contrat soit rédigé par écrit. Cette disposition crée un système dérogatoire aux règles générales de l’article 1359 du Code civil.
Aussi, l’obligation de preuve écrite s’impose quel que soit le montant en jeu et même dans les relations commerciales, où le droit commun dispenserait normalement de cette formalité (Cass. 1re civ., 4 juin 1996, n° 94-16.306).
Cependant, cette rigueur ne devrait pas s’étendre à la preuve du consentement lui-même. Ainsi, pour établir que l’assureur a accepté la proposition d’assurance avant la survenance du sinistre, tous les moyens de preuve demeurent admissibles, car il s’agit de prouver un fait juridique et non le contenu d’un acte juridique.
==>Diversité des supports probatoires admis
L’évolution de la jurisprudence témoigne d’une approche pragmatique dans l’appréciation des éléments de preuve. Les actes authentiques et sous seing privé constituent naturellement les preuves de référence, ces derniers bénéficiant d’une date certaine opposable aux tiers sans qu’aucune formalité d’enregistrement ne soit requise.
La complexité naît de l’admission progressive d’écrits moins formels. La jurisprudence a validé des supports variés : un exemplaire signé par le seul assureur (Cass. 1re civ., 6 janv. 1993, n° 91-12.748), des télégrammes (Cass. 1re civ., 12 juill. 1962), ou des mentions d’assurance reproduites dans des procès-verbaux officiels (Cass. 1re civ., 12 mai 1969).
L’admission de constats amiables portant des mentions pré-imprimées de l’assureur illustre cette souplesse (Cass. 2e civ., 24 juin 1998, n° 96-21.066), même si la jurisprudence exige que le document contienne des éléments substantiels permettant l’identification précise du véhicule assuré.
À l’inverse, l’absence de signature de l’assuré sur un document dactylographié fait obstacle à son utilisation probatoire (Cass. 1re civ., 4 juin 1996, n° 94-16.306). Cette solution, bien que rigoureuse, peut sembler excessive car elle limite les moyens de preuve alors que l’extension du domaine de la preuve littérale pourrait être compensée par une conception élargie de l’écrit admissible.
==>Adaptation aux évolutions technologiques
Le développement des nouvelles technologies de l’information a progressivement enrichi la palette des supports de preuve admissibles. L’article 1316 du Code civil, en consacrant l’équivalence entre documents électroniques et écrits traditionnels, a facilité cette évolution.
La télécopie illustre parfaitement cette ouverture jurisprudentielle. Après avoir reconnu sa validité probatoire (Cass. com., 2 déc. 1997), les tribunaux ont admis son utilisation pour des actes aussi importants que la résiliation contractuelle, dès lors que cette possibilité était contractuellement prévue (CA Lyon, 5 nov. 1993). Cette souplesse s’étend jusqu’à la reconnaissance de situations où l’impossibilité morale de se préconstituer une preuve écrite résulte d’usages professionnels établis (Cass. com., 22 mars 2011).
Concernant les photocopies, la jurisprudence a développé une approche nuancée particulièrement révélatrice. L’arrêt du 9 mai 1996 a marqué un tournant en validant une photocopie de bulletin de transfert en assurance-décès. Les juges avaient soigneusement vérifié que l’original était introuvable et que la copie constituait une reproduction fidèle, confirmée par des témoignages concordants sur la volonté du défunt (Cass. 1re civ., 9 mai 1996). Cette solution trouve son ancrage dans l’article 1348 du Code civil, qui encadre les reproductions fidèles et durables.
Toutefois, cette souplesse connaît des limites strictes. Sans preuve de sa conformité à l’original, la photocopie demeure sans valeur probante (Cass. 1re civ., 25 oct. 1994, n°92-14.654). Inversement, lorsque cette conformité n’est pas contestée par l’adversaire, le document acquiert pleine force probatoire (Cass. 1re civ., 7 févr. 1995, n° 92-12.634).
==>Modes de preuve subsidiaires
Malgré la primauté de l’écrit, certains moyens de preuve subsidiaires conservent leur pertinence. L’aveu, qu’il soit judiciaire ou extrajudiciaire, demeure recevable. Il peut résulter des écritures des parties (Cass. 1re civ., 9 mars 2004, n° 02-13.076), de correspondances relatives à la résiliation (Cass. 1re civ., 12 déc. 1966), ou porter sur l’acceptation d’un contrat téléphonique (Cass. 1re civ., 8 juill. 2003, n° 01-10.859).
Le commencement de preuve par écrit, complété par témoignages ou présomptions, trouve également sa place dans ce système probatoire (TI Saint-Denis, 12 mars 1965). Cette possibilité, conforme à l’article 1347 du Code civil, se justifie par l’incertitude qui peut affecter la force probante de certains écrits imparfaits.
==>Manifestations tacites de volonté
Nonobstant l’exigence d’écrit, la jurisprudence n’ignore pas totalement le caractère consensuel du contrat d’assurance. Les tribunaux admettent que l’accord des parties puisse résulter de comportements univoques, conformément aux dispositions générales de l’article 1113 du Code civil.
Cette approche pragmatique se manifeste dans plusieurs situations caractéristiques. Lorsque l’assureur transmet à l’assuré un projet de police pour signature, ce simple envoi révèle son intention de contracter (Cass. 1re civ., 28 févr. 1989). Plus significatif encore, l’apposition de sa propre signature sur le document contractuel constitue un engagement définitif, même antérieurement à tout retour signé par l’assuré (Cass. 1re civ., 6 janv. 1993, n° 91-12.748).
L’attitude de l’assureur face aux versements de l’assuré révèle également sa position contractuelle. L’encaissement de primes sans protestation peut traduire une acceptation de la proposition d’assurance, particulièrement lorsqu’il s’accompagne d’actes positifs de gestion (Cass. 1re civ., 17 févr. 1987).
Cependant, cette ouverture connaît des limites que la Cour de cassation rappelle régulièrement. L’arrêt rendu le 10 juillet 2002 par la Première chambre civile illustre parfaitement cette rigueur dans une affaire tragique d’assurance-vie.
En l’espèce, un médecin avait signé le 18 février 1993 deux bulletins d’adhésion (assurance-décès et pertes professionnelles) auprès de La Médicale de France, puis avait passé une visite médicale le 20 février et remis un chèque de 9 257,65 francs qui fut encaissé sans réserve le 17 mars. Tragiquement, l’assuré décédait le 25 mars suivant des suites d’une tumeur cérébrale diagnostiquée après la souscription mais avant l’encaissement du chèque.
Face à cette situation douloureuse, la Cour d’appel de Paris avait condamné l’assureur à verser la somme assurée aux héritiers, en relevant que “les consorts X… avaient apporté la preuve du contrat d’assurance conclu par leur auteur” du seul fait que l’assureur avait encaissé le chèque d’acompte “sans réserve”.
La Cour de cassation a censuré cette décision au motif que la cour d’appel avait statué “sans relever l’existence d’un écrit émanant de l’assureur faisant preuve du contrat d’assurance ou du moins, constitutif d’un commencement de preuve par écrit le rendant vraisemblable et régulièrement complété” (Cass. 1re civ., 10 juill. 2002, n° 99-15.430).
Cette solution peut sembler rigoureuse, voire inéquitable, dans un contexte aussi dramatique. Elle révèle toutefois une logique juridique cohérente qui distingue soigneusement deux opérations distinctes : la formation du contrat par le seul échange des consentements et l’établissement de sa preuve.
D’un point de vue purement théorique, l’encaissement du chèque par l’assureur après la visite médicale pouvait légitimement être interprété comme une acceptation de la proposition d’assurance. Cette analyse s’appuie sur le comportement univoque de l’assureur qui, en prélevant la somme, manifeste son intention de donner suite à la demande.
Cependant, la Cour de cassation rappelle que cette formation consensuelle du contrat, même avérée, ne dispense pas de l’exigence de rapporter la preuve du contrat d’assurance par écrit. L’article L. 112-3 impose un écrit qui ne peut être suppléé par de simples présomptions, même concordantes. Cette exigence vise à prévenir les contentieux en matérialisant clairement les termes de l’engagement de chaque partie.
La référence à l’article 1347 du Code civil n’est pas fortuite : elle ouvre néanmoins une possibilité de preuve subsidiaire par commencement de preuve par écrit complété par des éléments de preuve extrinsèques. Mais encore faut-il qu’existe un écrit émanant de l’assureur, ce qui n’était manifestement pas le cas en l’espèce où seuls les bulletins d’adhésion signés par l’assuré et l’encaissement du chèque étaient établis.
Cette jurisprudence illustre donc la tension entre deux impératifs : d’une part, respecter le caractère consensuel du contrat d’assurance qui se forme par la simple rencontre des volontés ; d’autre part, maintenir la sécurité juridique qu’apporte la preuve écrite en assurance. La solution retenue privilégie résolument la seconde considération, même au prix d’une apparente rigueur dans des situations humainement difficiles.
Cette rigueur s’explique par les particularités du contrat d’assurance. Les garanties sont souvent complexes, les montants en jeu considérables, et les litiges peuvent survenir des années après la souscription. Dans ce contexte, seul un écrit précis permet d’éviter les contestations sur l’étendue des engagements de chaque partie.
Ainsi, l’encaissement d’un chèque peut permettre de prouver que l’assureur a accepté de contracter, mais il ne démontre pas quelles garanties il s’est engagé à fournir, à quelles conditions, et pour quel montant. En cas de litige, ces éléments essentiels ne peuvent être établis que par la production d’un document écrit.
ii. Dans les rapports avec les tiers
==>Principe de liberté de la preuve
Les relations entre les tiers et les parties au contrat d’assurance obéissent à un régime probatoire distinct, marqué par une plus grande liberté, qui contraste avec l’exigence de preuve écrite imposée aux seuls contractants.
Cette liberté de la preuve se justifie pleinement lorsque le tiers — qu’il soit victime, bénéficiaire ou simple intéressé à l’opération d’assurance — cherche à établir l’existence ou le contenu du contrat. Ne participant pas à la formation de ce dernier, il ne peut se voir opposer l’exigence d’un écrit auquel il n’a pas eu accès, ni a fortiori être tenu de se constituer une preuve ab initio. La jurisprudence admet ainsi que le tiers peut rapporter la preuve du contrat d’assurance par tous moyens, y compris par voie de présomption (Cass. 1re civ., 17 juill. 1996, n° 94-16.796).
La question devient plus délicate lorsque l’initiative de la preuve n’émane pas du tiers, mais de l’assureur lui-même, qui entend opposer à un tiers les stipulations du contrat d’assurance. Se pose alors la question de savoir si l’assureur est tenu d’en rapporter la preuve par écrit.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 9 mai 1996, a apporté un éclairage important à cette interrogation (Cass. 1re civ., 9 mai 1996, n° 93-19.807). En l’espèce, le litige opposait deux assureurs à la suite d’un sinistre ayant donné lieu à une condamnation solidaire, l’un des assureurs réclamant à l’autre le remboursement d’une partie des sommes versées, en se fondant sur une clause de priorité figurant dans la police d’assurance. L’assureur demandeur produisait divers éléments extrinsèques à la police, laquelle n’avait pas été versée aux débats, pour établir l’existence d’une clause de tacite reconduction.
La juridiction du fond ayant admis cette preuve sur le fondement de simples présomptions, le pourvoi soutenait que la preuve des stipulations contractuelles, et notamment de la reconduction tacite du contrat, devait être rapportée par écrit, en application des articles L. 112-2 et L. 112-3 du Code des assurances.
La Cour de cassation rejette le pourvoi en des termes particulièrement significatifs : elle rappelle que « la preuve par écrit des stipulations du contrat d’assurance n’est exigée que dans les rapports entre les parties au contrat et à l’égard de la victime ». Elle en déduit que la cour d’appel a pu à bon droit retenir l’existence de la clause litigieuse sur la base de présomptions, dès lors que l’existence du contrat n’était pas contestée et que le litige mettait en présence deux assureurs, tiers l’un à l’autre au contrat dont il s’agissait de démontrer une stipulation.
La portée de cette solution jurisprudentielle appelle une attention particulière. En affirmant que l’exigence de preuve écrite ne s’applique que dans les rapports entre les parties au contrat et à l’égard de la victime, la Cour de cassation restreint expressément le domaine dans lequel la preuve écrite constitue une condition impérative pour établir les stipulations du contrat d’assurance. Ce faisant, elle exclut de cette exigence les rapports impliquant des tiers non protégés, au premier rang desquels figurent les assureurs en recours ou tout autre tiers intervenant en dehors du lien d’assurance.
Autrement dit, en dehors de ces deux cercles protégés — les cocontractants et la victime du dommage —, la preuve des stipulations contractuelles peut être rapportée par tout moyen, y compris par voie de présomption, de comportement, ou d’éléments extrinsèques à la police. Cette solution consacre une application différenciée du régime probatoire, fondée sur la nature de la relation liant les parties au litige et sur la finalité protectrice du formalisme en matière d’assurance.
La distinction fondée sur la qualité du tiers auquel l’assureur oppose le contrat est déterminante pour apprécier le régime probatoire applicable. Elle reflète une conception fonctionnelle du formalisme, qui ne vise pas à imposer l’écrit de manière abstraite, mais à assurer la protection de ceux qui ne disposent pas des éléments du contrat, comme les victimes ou les bénéficiaires, et qui se trouvent, de ce fait, en situation d’infériorité probatoire.
C’est précisément cette logique qui justifie l’exigence renforcée de preuve par écrit lorsque l’assureur entend faire valoir une limitation ou une exclusion de garantie à l’encontre de la victime. La jurisprudence fait ici du formalisme un instrument de protection : il s’agit d’éviter qu’un tiers, qui n’a pas eu accès au contrat et ne peut en connaître les clauses, se voit opposer des stipulations dont l’assureur est seul maître. Dans cette configuration, la charge de la preuve pèse intégralement sur l’assureur, qui doit établir à la fois l’existence de la clause litigieuse et sa stipulation dans un écrit probant.
En revanche, lorsque le litige oppose l’assureur à un tiers non protégé, tel qu’un autre assureur, un intermédiaire ou un acquéreur du bien assuré, cette exigence de preuve écrite s’efface. Le droit commun de la preuve retrouve alors son application : la preuve des stipulations contractuelles peut être apportée par tous moyens, y compris par présomptions ou indices de comportement. C’est précisément ce qu’admet la Cour de cassation dans l’arrêt du 9 mai 1996, en validant la démonstration de l’existence d’une clause de tacite reconduction par de simples présomptions, au motif que le contrat litigieux n’était pas opposé à une partie ou à une victime, mais dans le cadre d’un recours entre deux assureurs.
Il en découle un régime probatoire gradué, fondé sur un principe simple : l’exigence de preuve écrite s’impose uniquement lorsque la protection d’un tiers le justifie, notamment lorsqu’il s’agit d’une victime ou d’un contractant n’ayant pas accès aux stipulations contractuelles. À l’inverse, lorsque le tiers ne bénéficie d’aucune protection spécifique — comme dans les rapports entre professionnels ou dans les recours entre assureurs —, la preuve peut être librement rapportée par tous moyens.
==>Etendue des moyens de preuve ouverts aux tiers
Le principe de liberté de la preuve, reconnu aux tiers au contrat d’assurance, leur permet d’établir l’existence ou le contenu de la garantie par tout moyen. Cette règle trouve une justification directe dans le fait que le tiers — qu’il soit victime, bénéficiaire ou simple intéressé — n’a pas participé à la formation du contrat et ne dispose pas, en principe, de la police d’assurance. Il serait donc déraisonnable de lui imposer une preuve par écrit qu’il n’a pas les moyens de se constituer.
Dans ce contexte, la jurisprudence reconnaît aux tiers la possibilité de recourir à des présomptions, pour démontrer la réalité du contrat ou l’étendue de la garantie. Celles-ci peuvent notamment être déduites du comportement de l’assureur, de ses déclarations, ou encore des modalités de gestion du sinistre (Cass. 2e civ., 17 juill. 1996).
Cette souplesse probatoire présente un intérêt pratique évident : elle pallie l’absence ou le refus de communication de la police d’assurance. Elle permet ainsi au tiers, et en particulier à la victime, de démontrer non seulement l’existence d’une couverture d’assurance, mais aussi son périmètre effectif, sans être tenu à un mode de preuve déterminé.
Il s’agit là d’un instrument de protection essentiel, qui s’inscrit dans la continuité des principes dégagés par la Cour de cassation : lorsque le formalisme ne se justifie pas par un impératif de protection du contractant ou de la victime, la charge de la preuve s’allège, et les modes de preuve se diversifient. À l’inverse, lorsque la preuve est invoquée contre un tiers protégé, elle doit répondre à des exigences accrues.
iii. Rôle particulier de l’attestation d’assurance
==>Définition de l’attestation d’assurance et distinction d’avec la note de couverture
L’attestation d’assurance est un document unilatéralement émis par l’assureur, destiné à établir que son cocontractant bénéficie d’une couverture en vigueur à une date donnée. Ce document, d’usage courant, permet à l’assuré de satisfaire à certaines obligations légales ou contractuelles qui imposent de justifier d’une assurance, comme en matière automobile (C. assur., art. R. 211-14), d’assurance décennale, ou encore d’assurance de responsabilité civile professionnelle.
L’attestation ne constitue pas, en elle-même, un acte contractuel : elle présuppose l’existence d’un contrat préexistant et se borne à en attester la réalité à des fins de preuve externe. Sa délivrance n’est en principe subordonnée à aucun formalisme, bien qu’en pratique elle obéisse à des modèles types pour certains secteurs régis (ex. : carte verte).
Il convient toutefois de ne pas la confondre avec la note de couverture, qui est un document à finalité très différente. Tandis que l’attestation suit la formation du contrat, la note de couverture la précède : elle constitue un engagement provisoire de l’assureur, souvent pris à l’occasion d’une souscription par l’intermédiaire d’un courtier, dans l’attente de l’émission de la police définitive. Elle a ainsi une véritable portée contractuelle, bien qu’à durée limitée.
La jurisprudence a néanmoins admis, dans certaines hypothèses, qu’une attestation puisse être requalifiée en note de couverture, notamment lorsque son contenu précise de façon suffisante la nature et l’étendue de la garantie (Cass. 1re civ., 30 mars 1994, n° 90-11.241). Cette requalification repose sur une analyse concrète du contenu du document et de l’intention des parties, mais elle demeure exceptionnelle. En principe, la distinction entre les deux instruments reste structurante, tant au regard de leur fonction que de leur valeur juridique.
==>Nature juridique et fonction probatoire
En dépit de son apparence formelle, l’attestation d’assurance ne constitue pas un acte contractuel. Elle n’a ni pour objet, ni pour effet de créer, modifier ou proroger les engagements de l’assureur. Elle se limite à constater l’existence d’un contrat en cours, dont elle est un simple reflet administratif, sans force obligatoire propre.
Sur le plan probatoire, elle ne constitue qu’une présomption simple de souscription, susceptible d’être renversée par tout moyen. La jurisprudence est constante sur ce point : l’attestation ne fait pas preuve du contrat, mais permet d’en présumer l’existence, sans dispenser celui qui s’en prévaut d’établir le contenu effectif des garanties (Cass. 2e civ., 26 oct. 2017, n° 16-18.151). Cette présomption peut d’ailleurs être écartée, par exemple si l’assureur établit que la police a été résiliée antérieurement à la date indiquée sur l’attestation.
La portée probatoire de l’attestation varie selon les contextes. Lorsqu’elle est exigée par la loi — comme en matière d’assurance automobile ou de responsabilité décennale —, elle peut constituer une présomption légale, dont la force est plus difficilement réfragable. À l’inverse, dans les hypothèses où elle est remise à la seule initiative de l’assuré ou pour répondre à une exigence contractuelle, elle constitue tout au plus une présomption de fait, dont la valeur dépendra de son contenu et des circonstances de sa délivrance.
En définitive, l’attestation d’assurance ne dispense ni l’assuré ni le tiers de rapporter la preuve de la validité et du contenu du contrat. Elle ne vaut ni commencement de preuve par écrit, ni reconnaissance de garantie, sauf à démontrer qu’elle a été délivrée avec l’intention d’engager l’assureur au-delà de la police elle-même — hypothèse exceptionnelle que la jurisprudence n’admet qu’avec rigueur.
==>Limites probatoires de l’attestation
L’attestation d’assurance ne peut suppléer les éléments essentiels à la validité du contrat, et notamment le paiement effectif de la prime. Ainsi, l’assureur n’est pas tenu à garantie en l’absence de règlement, même s’il a remis une attestation à l’assuré. Ce principe rappelle que l’attestation n’a pas de valeur contractuelle propre : elle ne lie ni ne contraint l’assureur au-delà des stipulations effectives de la police.
Ce constat s’étend à la question du contenu de la garantie. Conformément à l’article L. 112-6 du Code des assurances, l’assureur peut opposer aux tiers les exclusions et limitations de garantie opposables à l’assuré, même si elles ne figurent pas sur l’attestation (Cass. 3e civ., 20 oct. 2021, n°20-18.533). L’attestation ne prime donc jamais sur les dispositions de la police d’assurance à laquelle elle se réfère.
==>Responsabilité en cas de délivrance prématurée ou trompeuse
La remise d’une attestation en l’absence de contrat valable peut engager la responsabilité de son émetteur. La jurisprudence qualifie une telle délivrance de “création d’une illusion de garantie“, susceptible de générer un préjudice pour le tiers qui se serait fondé de bonne foi sur le document (Cass. 3e civ., 24 oct. 2012, n° 11-16.012). Cette responsabilité peut être retenue tant à l’égard de l’assureur que des intermédiaires impliqués, en particulier lorsque ceux-ci agissent en apparence au nom de la compagnie (Cass. crim., 27 nov. 2007, n°06-87.454).
==>Portée probatoire dans les rapports avec les tiers
Malgré ses limites, l’attestation conserve une portée probatoire non négligeable dans les rapports avec les tiers, notamment la victime exerçant une action directe. Si l’attestation ne saurait valoir preuve complète du contrat, elle peut constituer un indice sérieux, corroboré par le comportement de l’assureur, ses déclarations ou la gestion du sinistre (Cass. 2e civ., 17 juill. 1996). Dans cette perspective, elle participe à l’économie probatoire protectrice que le droit des assurances réserve aux tiers, en particulier aux victimes.