Si le contrat d’assurance est, par principe, un contrat consensuel qui se forme par la simple rencontre des volontés, la pratique a vu émerger un mécanisme dérogatoire : la clause de signature. Par ce procédé, l’assureur subordonne la perfection du contrat à la signature de la police par le souscripteur, transformant ainsi un contrat de nature consensuelle en un contrat à caractère solennel.
Cette technique, inspirée par des préoccupations légitimes de sécurité juridique et de maîtrise du moment de la formation contractuelle, interroge la portée du consensualisme en droit des assurances. Relève-t-il d’un principe d’ordre public auquel les parties ne peuvent déroger, ou bien d’une règle supplétive que la liberté contractuelle autorise à aménager ?
La jurisprudence a répondu en faveur d’une validité de principe des clauses de signature, tout en encadrant strictement leur efficacité. Elle illustre ainsi un équilibre subtil : permettre aux assureurs de sécuriser la formalisation du contrat, sans pour autant affaiblir indûment la protection des souscripteurs.
i. Le mécanisme des clauses de signature
Les clauses de signature constituent un procédé par lequel l’assureur subordonne la perfection du contrat à la signature de la police par le souscripteur. Ce mécanisme porte dérogation au principe du consensualisme qui gouverne traditionnellement la formation du contrat d’assurance, transformant celui-ci en contrat solennel pour lequel l’écrit signé devient une condition de validité.
Cette technique répond à des préoccupations pratiques légitimes de l’assureur : maîtriser le moment précis de formation du contrat, s’assurer de l’adhésion formelle de l’assuré aux conditions contractuelles, et éviter les contestations ultérieures sur l’existence ou la portée de l’engagement. Elle soulève cependant une interrogation juridique majeure : dans quelle mesure les parties peuvent-elles déroger au principe du consensualisme expressément posé par le Code des assurances ?
Cette problématique met en tension deux conceptions du consensualisme. La première, rigide, considère que le caractère consensuel du contrat d’assurance constitue un principe d’ordre public auquel les parties ne sauraient déroger. La seconde, plus souple, y voit une règle supplétive que la liberté contractuelle permet d’écarter par des stipulations expresses.
ii. La consécration jurisprudentielle
La jurisprudence a tranché en faveur de la validité de principe des clauses de signature dans un arrêt de la première chambre civile du 28 février 1989 (Cass. 1ère civ. 28 févr. 1989, n°87-12.005). Par cette décision, la Haute juridiction reconnaît expressément que “si la proposition d’assurance n’engage ni l’assuré, ni l’assureur, le contrat est parfait, sauf convention contraire, dès la rencontre des volontés de l’assureur et de l’assuré“.
L’expression “sauf convention contraire” éclaire la position adoptée par la Cour de cassation. Le consensualisme demeure le principe directeur de la formation du contrat d’assurance, mais il n’épouse pas un caractère d’ordre public absolu. Les parties conservent la prérogative d’y déroger par une stipulation expresse, expression de leur liberté contractuelle.
Cette solution équilibrée préserve l’économie générale du droit des assurances tout en ménageant aux assureurs la souplesse nécessaire à l’adaptation de leurs pratiques contractuelles. Elle autorise une modulation des procédures selon la nature des risques traités ou les caractéristiques de la clientèle concernée, témoignant de la capacité du droit à épouser les réalités économiques sans renier ses principes fondamentaux.
iii. Les conditions d’efficacité
L’efficacité des clauses de signature demeure subordonnée au respect de conditions strictes que la jurisprudence a progressivement précisées.
A cet égard, cette dernière exige une cohérence entre les différents actes accomplis par l’assureur. Ainsi, l’efficacité d’une clause de signature peut être remise en cause en cas de communication tardive de la police au souscripteur. La Cour de cassation a déclaré inopérante une clause de signature lorsque la police n’avait été transmise à l’assuré que deux mois après la délivrance de l’attestation d’assurance et le versement d’une partie de la prime (Cass. 1re civ., 9 mars 1999, n° 96-20.190). Cette solution préserve ainsi l’équité contractuelle en évitant que l’assureur ne tire avantage de sa propre négligence dans la transmission des documents.
La jurisprudence ultérieure a confirmé cette approche en précisant les conditions d’efficacité des clauses de signature. Un arrêt rendu par la Première chambre civile du 4 février 2003 illustre parfaitement cette exigence de rigueur dans l’application de ces stipulations (Cass. 1ère civ. 4 févr. 2003, n°99-17.993).
En l’espèce, un souscripteur avait adhéré à un contrat d’assurance-vie le 23 décembre 1994. L’assureur avait accepté la proposition par lettre du 23 janvier 1995, précisant que l’admission aux garanties demeurait subordonnée au respect d’une “clause délai de régularisation” selon laquelle “il est de convention expresse que si le présent contrat n’était pas retourné régularisé dans un délai maximum de deux mois à compter de sa date d’émission, il serait considéré comme n’ayant jamais existé“. Le contrat n’étant parvenu au domicile du souscripteur que le 5 février 1995, jour de son décès, il n’avait pu être régularisé dans le délai imparti.
Les héritiers soutenaient que le contrat était parfait dès l’acceptation de l’assureur le 23 janvier 1995, conformément au principe consensuel, et que la réalisation du risque avant l’expiration du délai de régularisation ne pouvait remettre en cause cette formation.
La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en considérant que les juges du fond avaient “souverainement interprété le contrat établi à la suite de la proposition d’adhésion” et ne fait que l’appliquer. Cette solution valide l’efficacité des clauses de signature lorsque leurs termes sont précis et leurs conditions scrupuleusement respectées, même dans des circonstances particulièrement dramatiques.
Cette jurisprudence témoigne de la rigueur avec laquelle les tribunaux appliquent les stipulations dérogatoires au principe du consensualisme. Elle confirme que la liberté contractuelle, une fois exercée, produit ses pleins effets juridiques, y compris lorsque les conséquences peuvent paraître sévères.