La police d’assurance constitue le document écrit qui constate l’existence et fixe le contenu du contrat d’assurance. Aux termes de l’article L. 112-2, alinéa 4, du Code des assurances, elle matérialise la rencontre de volontés entre l’assureur et le souscripteur. Cette définition légale masque la complexité technique d’un instrument qui dépasse largement sa fonction probatoire.
Le contrat d’assurance met en présence un assureur professionnel et un souscripteur généralement profane. L’assureur maîtrise la technique assurantielle et rédige unilatéralement des clauses souvent complexes, tandis que le souscripteur adhère à un contrat dont il ne comprend pas tous les enjeux. Cette asymétrie d’information crée un déséquilibre structurel.
Le législateur a choisi de soumettre la police d’assurance à un régime juridique spécifique pour corriger ce déséquilibre. L’objectif est double : protéger le souscripteur contre les abus de la partie forte et assurer la lisibilité d’un instrument technique complexe.
Le régime juridique de la police répond à cette finalité protectrice. Il impose des contraintes de forme strictes (langue française, caractères apparents), un contenu obligatoire détaillé, des règles de preuve adaptées et des principes d’interprétation favorables à l’assuré. Ces dispositions forment un ensemble cohérent destiné à rééquilibrer la relation contractuelle.
a. Définition de la police d’assurance
L’article L. 112-2, alinéa 4, du Code des assurances définit la police d’assurance comme le document écrit qui matérialise la rencontre de volontés du souscripteur et de l’entreprise d’assurance. Cette définition légale impose de distinguer rigoureusement deux concepts souvent confondus dans le langage courant.
La « police » désigne l’instrumentum, c’est-à-dire le document matériel qui constate l’accord des parties. Le « contrat d’assurance » constitue le negotium, soit l’accord de volontés lui-même. Cette distinction, héritée du droit romain, revêt une importance pratique fondamentale : le contrat peut exister sans la police, mais la police ne peut exister sans le contrat.
Le terme « police » provient de l’italien polizza qui signifie « certificat ». Il constitue l’appellation technique propre au contrat d’assurance. Certains organismes d’assurance ont proposé de l’abandonner au profit du terme générique de « contrat », mais cette proposition s’avère juridiquement inexacte. Comme l’observent les auteurs, « on n’améliore pas une langue en l’appauvrissant ».
La doctrine québécoise illustre parfaitement cette orthodoxie terminologique : « Le contrat d’assurance est formé dès que l’assureur accepte la proposition du preneur » (art. 2398 C. civ. Q.) ; « La police est le document qui constate l’existence du contrat d’assurance » (art. 2399, al. 1er, C. civ. Q.).
b. Structure matérielle de la police d’assurance
i. Composition traditionnelle
Le Code des assurances ne détermine pas la présentation matérielle de la police d’assurance. Cette liberté a conduit les assureurs à concevoir un ensemble documentaire composite : plusieurs écrits distincts qui, réunis, forment un contrat unique.
Cette technique répond à une nécessité pratique. L’assureur doit concilier l’uniformité des règles applicables à tous les assurés d’une même catégorie avec la personnalisation nécessaire à chaque situation particulière.
==>Les conditions générales
Les conditions générales constituent l’ossature standardisée de la police. Pré-imprimées, elles sont remises à tous ceux qui souscrivent auprès de l’entreprise d’assurance un contrat couvrant un même risque ou un même ensemble de risques.
Ces conditions énoncent les clauses communes à tous les membres de la mutualité des assurés. Elles décrivent les garanties de base, fixent les exclusions générales, déterminent les plafonds d’indemnisation et précisent les règles de fonctionnement du contrat. Elles comportent également les obligations respectives des parties et les sanctions attachées à leur méconnaissance.
L’uniformisation qu’elles permettent présente un double avantage. D’une part, elle facilite la gestion administrative des contrats pour l’assureur. D’autre part, elle assure l’égalité de traitement entre les assurés confrontés à des risques similaires.
L’opposabilité des conditions générales à l’assuré suppose qu’il ait reconnu les avoir reçues. Cette reconnaissance résulte de la mention portée sur les conditions particulières que l’assuré a approuvée. La Cour de cassation a ainsi validé le raisonnement d’une cour d’appel qui avait « retenu que lors de la signature des conditions particulières, l’assurée avait reconnu avoir reçu le jour même un exemplaire des conditions générales qu’elle produisait d’ailleurs en original affirmant sans preuve l’avoir reçu postérieurement au sinistre en contradiction avec la mention portée sur les conditions particulières qu’elle a approuvée » (Cass. 1re civ., 1er avr. 2003, n°00-14.616).
L’assureur doit donc rapporter la preuve de cette remise par la production des conditions particulières signées comportant cette mention de réception. L’assuré ne peut ensuite contredire cette reconnaissance qu’en apportant la preuve de ses allégations contraires.
==>Les conditions particulières
Les conditions particulières constituent l’élément personnalisé du contrat d’assurance. Elles réalisent l’adaptation du contrat aux spécificités de chaque souscripteur et du risque qu’il présente.
A cet égard, ces conditions comportent tous les éléments variables du contrat. Elles identifient précisément les parties contractantes, décrivent le risque couvert dans ses particularités, fixent les montants des capitaux assurés et déterminent le niveau des franchises applicables. Elles précisent également le montant de la prime due et les modalités de son paiement.
Les conditions particulières peuvent déroger aux conditions générales pour tenir compte des spécificités du risque ou répondre aux souhaits particuliers de l’assuré. Cette faculté de dérogation illustre leur rôle central dans la personnalisation du contrat d’assurance. Elles permettent d’adapter les garanties standard aux besoins concrets de l’assuré, qu’il s’agisse d’extensions de garantie, de modifications des exclusions ou d’aménagements des obligations contractuelles.
Traditionnellement, les conditions particulières suivent d’assez près les mentions contenues dans la proposition d’assurance sur lesquelles l’accord s’est fait. Elles traduisent contractuellement les éléments déclarés par le souscripteur lors de la formation du contrat.
L’opposabilité des conditions particulières à l’assuré est subordonnée à leur signature par ce dernier. Cette règle découle directement de leur fonction d’individualisation : l’assuré doit avoir expressément consenti aux stipulations qui lui sont spécifiquement destinées.
La jurisprudence applique rigoureusement ce principe. La Cour de cassation a ainsi cassé un arrêt de la cour d’appel de Versailles qui avait admis l’opposabilité de conditions particulières non signées au motif que l’assuré avait versé les cotisations et ainsi «implicitement accepté les conditions émises par l’assureur ». Pour la Haute juridiction, cette analyse était erronée : « en l’absence de signature par l’assuré des conditions particulières, celles-ci ne lui étaient pas opposables et (…) seule la proposition d’assurance signée et exécutée par l’assuré faisait la loi des parties » (Cass. 2e civ., 3 juill. 2014, n°13-21.734).
Cette solution illustre le formalisme protecteur du droit des assurances. Le simple versement des cotisations ne saurait valoir acceptation des conditions particulières. Seule la signature manifeste un consentement exprès et éclairé aux stipulations individualisées.
L’absence de signature des conditions particulières produit des effets juridiques spécifiques. Ces conditions ne peuvent être opposées à l’assuré, qui ne peut donc se voir reprocher leur méconnaissance. En revanche, l’assureur ne peut invoquer les stipulations qu’elles contiennent, notamment les aménagements de garantie qui lui seraient favorables.
Dans cette hypothèse, seuls les documents effectivement signés par l’assuré font la loi des parties. Il s’agit principalement de la proposition d’assurance, dès lors qu’elle a été signée et exécutée par l’assuré. Cette règle protège l’assuré contre l’opposabilité de clauses auxquelles il n’aurait pas expressément consenti.
L’assureur a donc intérêt à s’assurer de la signature effective des conditions particulières par l’assuré. À défaut, il s’expose à ne pouvoir invoquer les stipulations qui y figurent, ce qui peut considérablement limiter ses moyens de défense en cas de litige.
Les conditions particulières jouent également un rôle dans l’opposabilité des conditions générales. Comme précédemment analysé, la reconnaissance par l’assuré d’avoir reçu les conditions générales peut résulter d’une mention portée sur les conditions particulières qu’il a approuvées. Cette technique permet à l’assureur de prouver la remise des conditions générales par le biais des conditions particulières signées.
Dès lors que l’assureur remet les conditions particulières et les conditions générales à l’assuré, celles-ci se substituent à la proposition d’assurance initiale. La Cour de cassation a ainsi validé le raisonnement d’une cour d’appel qui avait relevé « que la proposition d’assurance, souscrite par l’assurée, n’excluait pas l’application des conditions générales de la police pourvu que celles-ci aient été portées à la connaissance de l’assuré » et retenu « que l’assurée avait eu connaissance, par les conditions particulières du contrat, de la clause d’exclusion de garantie invoquée par l’assureur, figurant également dans les conditions générales applicables » (Cass. 1re civ., 27 janv. 2004, n° 01-00.284).
La remise de la police définitive remplace donc les documents provisoires de formation du contrat. Les conditions particulières et générales deviennent « la loi des parties » et s’imposent à l’assuré dès lors qu’elles lui ont été régulièrement communiquées.
==>Les conventions spéciales
Les conventions spéciales forment une troisième catégorie de documents contractuels. Elles sont apparues pour répondre aux besoins créés par les polices multirisques, qui couvrent plusieurs types de risques dans un même contrat. Elles occupent une position intermédiaire entre les conditions générales et les conditions particulières, répondant aux besoins de précision technique sans atteindre le niveau d’individualisation propre à ces dernières.
Ces conventions définissent les modalités spécifiques à chaque type de garantie offerte dans le cadre d’un contrat multirisques. Leur fonction consiste à préciser les conditions générales en les adaptant aux particularités techniques de chaque risque couvert.
Dans un contrat multirisques-habitation, les conventions spéciales détaillent séparément les conditions applicables à chaque garantie : incendie, vol, dégâts des eaux, bris de glaces, responsabilité civile. Chaque convention précise les modalités de mise en œuvre de la garantie concernée, ses exclusions particulières, les obligations spécifiques de l’assuré et les modalités d’indemnisation.
Cette spécialisation technique répond à une nécessité pratique. Les différents risques couverts par une police multirisques présentent des caractéristiques propres qui justifient des stipulations adaptées. Les conditions générales, trop générales par nature, ne peuvent appréhender ces spécificités techniques.
Les conventions spéciales se situent à un niveau de précision intermédiaire. Elles sont plus spécifiques que les conditions générales, qui énoncent les règles communes à toutes les garanties, mais demeurent plus générales que les conditions particulières, qui individualisent le contrat pour chaque assuré.
Cette position intermédiaire leur confère un rang spécifique dans la hiérarchie contractuelle. Elles prévalent sur les conditions générales qu’elles précisent ou complètent, mais cèdent devant les conditions particulières qui peuvent les aménager pour tenir compte de la situation particulière de l’assuré.
Les conventions spéciales sont généralement intégrées à la police sous forme d’intercalaires ou d’annexes. Contrairement aux conditions particulières, elles ne comportent habituellement pas la signature des parties. Cette présentation matérielle soulève des questions délicates quant à leur opposabilité à l’assuré.
La jurisprudence subordonne l’opposabilité des conventions spéciales à leur intégration effective dans la police d’assurance. Les intercalaires qui ne font pas corps avec la police peuvent être déclarés inopposables à l’assuré. La Cour de cassation a ainsi jugé inopposable une feuille volante, ni datée, ni signée, et sans aucune référence à la police (Cass. 1re civ., 18 janv. 1965). De même, un document dactylographié comportant une franchise a été déclaré inopposable, faute de signature de l’assuré (Cass. 1re civ., 4 juin 1996).
Pour être opposables à l’assuré, les conventions spéciales doivent remplir plusieurs conditions cumulatives. Elles doivent d’abord faire corps avec la police d’assurance, c’est-à-dire être matériellement intégrées aux autres documents contractuels. Elles doivent ensuite être datées et porter une référence claire à la police principale.
L’absence de signature des conventions spéciales ne constitue pas, en elle-même, un obstacle à leur opposabilité, dès lors qu’elles font effectivement partie de la police remise à l’assuré et acceptée par lui. Toutefois, cette acceptation doit pouvoir être établie, soit par la signature de documents de renvoi, soit par l’exécution sans réserve du contrat.
La multiplication des documents contractuels engendre des difficultés pratiques considérables pour l’assuré. Les clauses de renvoi d’un document à l’autre compliquent la lecture de la police et nuisent à sa compréhension globale.
Cette complexité explique la tendance actuelle à la simplification documentaire. Les progrès de l’informatique permettent désormais l’édition d’un document unique intégrant toutes les stipulations contractuelles, y compris les spécifications techniques traditionnellement contenues dans les conventions spéciales. Cette évolution technique devrait conduire à une meilleure lisibilité des contrats d’assurance et réduire les contentieux liés à l’opposabilité des différents documents contractuels.
ii. Hiérarchie des documents contractuels
La police d’assurance réunit plusieurs documents qui peuvent contenir des clauses contradictoires. Il faut alors déterminer quelles stipulations s’appliquent en priorité.
==>Principe
Le droit français applique une règle simple : les stipulations spéciales prévalent sur les stipulations générales (specialia generalibus derogant). L’article 1119, alinéa 3, du Code civil consacre cette solution : « en cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières ».
Cette hiérarchie s’établit en trois niveaux :
- Les conditions particulières prévalent sur tout autre document
- Les conventions spéciales prévalent sur les conditions générales
- Les conditions générales s’appliquent en l’absence de stipulation contraire
La jurisprudence applique constamment ce principe. Les conflits entre conditions générales et conditions particulières se résolvent toujours en faveur des secondes (Cass. 1re civ., 17 juin 1986). Les conventions spéciales occupent le rang intermédiaire : elles prévalent sur les conditions générales mais cèdent devant les conditions particulières (Cass. 1re civ., 2 mai 1989).
==>Conditions
Cette règle ne joue qu’en cas de véritable contradiction entre les documents. Une simple différence de rédaction ne suffit pas. Il faut que les stipulations soient réellement inconciliables et qu’on ne puisse les appliquer simultanément (Cass. 1re civ., 7 juin 2001, n°99-21.617).
Si les clauses peuvent coexister, chaque document s’applique dans son domaine propre. Le juge doit rechercher l’intention commune des parties en interprétant le contrat dans son ensemble (Cass. 1re civ., 22 nov. 1988).
==>Limites
La hiérarchie suppose que la stipulation spéciale soit valide et opposable. Une condition particulière non signée ne peut prévaloir sur une condition générale régulièrement acceptée.
De plus, les conditions particulières s’imposent même si les conditions générales seraient plus favorables à l’assuré (Cass. 1re civ., 21 juin 1988). Cette règle peut paraître sévère, mais elle se justifie : les conditions particulières traduisent la volonté spécifique des parties pour ce contrat précis.
c. Exigences de forme de la police d’assurance
i. L’obligation d’écrit
==>Principe et fondements
L’article L. 112-3, alinéa 1er, du Code des assurances impose que « le contrat d’assurance est rédigé par écrit ». Cette exigence d’écrit constitue une spécificité du droit des assurances qui trouve ses origines dans l’ordonnance maritime de 1681.
L’écrit revêt ici une fonction exclusivement probatoire (ad probationem) et non solennelle (ad solemnitatem). La Cour de cassation l’a fermement rappelé dans un arrêt de principe : « si le contrat d’assurance ou tout avenant à ce contrat doit, dans un but probatoire, être rédigé par écrit, il constitue un contrat consensuel qui est parfait dès la rencontre des volontés de l’assureur et de l’assuré » (Cass. 1re civ., 15 févr. 1978, n° 76-13.154).
Cette solution trouve une illustration concrète dans l’espèce ayant donné lieu à cet arrêt. Un assuré avait sollicité la remise en vigueur de son contrat d’assurance automobile après une période de suspension. Bien qu’un accord soit intervenu entre l’assureur et l’assuré avant la survenance de l’accident, l’assuré avait refusé, après le sinistre, de signer l’avenant et de payer la prime. La cour d’appel en avait déduit que le contrat ne s’était pas formé.
La Cour de cassation a censuré cette analyse en rappelant que « le contrat de remise en vigueur de la garantie avait été définitivement conclu antérieurement à la réalisation du risque, et que le refus de signer l’avenant et de payer la prime opposé après coup par l’assuré n’affectait pas la validité de ce contrat ». Le contrat existait donc indépendamment de sa formalisation par écrit..
==>Portée de l’obligation
L’exigence d’écrit présente une portée plus large qu’en droit commun des contrats. Elle s’impose quelle que soit la somme en jeu et même si le contrat a un caractère commercial, par dérogation expresse à l’article 1359 du Code civil (Cass. 1re civ., 4 juin 1996, n°94-16.306).
Cette solution se justifie par la spécificité même du contrat d’assurance. L’article L. 112-3 constitue une disposition spéciale qui régit intégralement les conditions de forme du contrat d’assurance.
L’alinéa 2 de l’article L. 112-3 étend cette exigence aux modifications contractuelles : « toute addition ou modification au contrat d’assurance primitif doit être constatée par un avenant signé des parties ». Cette disposition assure la cohérence du formalisme tout au long de la vie du contrat.
==>Conséquences probatoires
Cette exigence d’écrit produit des conséquences importantes pour l’administration de la preuve contractuelle. La preuve par témoins n’est pas admissible pour établir l’existence ou le contenu du contrat d’assurance, même si l’intérêt litigieux était inférieur au seuil légal. Il en va de même des preuves par présomptions de fait.
Toutefois, les règles de preuve édictées par le Code des assurances ne sont pas d’ordre public. Les parties peuvent donc conventionnellement aménager l’exigence d’écrit pour l’adapter aux usages commerciaux contemporains, tout en préservant la sécurité juridique des relations contractuelles.
ii. L’usage de la langue française
==>Principe général
L’article L. 112-3, alinéa 1er, du Code des assurances impose que le contrat d’assurance soit rédigé « en français ». Cette obligation s’inscrit dans le cadre plus large de la défense de la langue française, généralisée par la loi n°94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française.
L’obligation d’utiliser la langue française en matière d’assurance est cependant plus ancienne. Elle remonte au décret du 30 décembre 1938 et avait été spécifiquement renforcée par la loi n°89-1014 du 31 décembre 1989. Le législateur a ainsi reconnu la nécessité de protéger le souscripteur en lui facilitant la compréhension des documents contractuels.
Cette exigence ne vise pas seulement la police d’assurance elle-même, mais s’étend également aux informations transmises par l’assureur au souscripteur avant et pendant l’exécution du contrat.
==>Dérogations
L’ordonnance n°2001-350 du 19 avril 2001 a introduit un régime de dérogations qui tient compte de l’européanisation du marché des assurances. Ce régime distingue deux situations selon le droit applicable au contrat.
- Première hypothèse : libre choix de la loi applicable
- Lorsque les parties peuvent appliquer une autre loi que la loi française en vertu des articles L. 181-1 et L. 183-1 du Code des assurances, le choix d’une autre langue que le français devient possible.
- Ce choix doit s’effectuer d’un commun accord entre les parties.
- Toutefois, cette faculté est encadrée.
- Sauf lorsque le contrat couvre les « grands risques » au sens de l’article L. 111-6 du Code des assurances, la demande de rédaction dans une langue étrangère doit émaner du seul souscripteur et être formulée par écrit.
- Cette exigence protège le souscripteur contre une éventuelle pression de l’assureur.
- Seconde hypothèse : application nécessaire de la loi française
- Lorsque la loi française s’applique nécessairement au contrat, les possibilités de dérogation sont plus restreintes.
- L’usage du français ne peut être écarté qu’au profit de la langue ou de l’une des langues officielles de l’État dont le souscripteur est ressortissant.
- Cette dérogation suppose également une demande écrite du souscripteur et un accord entre les parties.
- Elle vise à tenir compte de la situation des ressortissants étrangers résidant en France ou y exerçant une activité professionnelle.
==>Cas particuliers
Les assurances maritimes bénéficient d’un régime particulier. L’article L. 111-1 du Code des assurances écarte l’application de l’article L. 112-3 pour ces contrats, sauf pour la navigation de plaisance. Cette exception se justifie par le caractère international du commerce maritime et les usages spécifiques de cette activité.
La Cour de cassation a confirmé cette spécificité dans une espèce où un assureur français contestait l’application d’une clause attributive de compétence rédigée en anglais. Pour la Haute juridiction, « dans les contrats internationaux de droit privé, les parties choisissent librement la langue dans laquelle elles rédigent leurs accords ; (…) s’il est fait exception à ce principe dans les contrats d’assurance des risques français qui, selon l’article L. 112-3, alinéa 1er, du Code des assurances, texte auquel l’article L. 111-2 du même Code interdit de déroger, doivent être rédigés en français, cette loi de police se trouve, par application de l’article L. 111-1 du Code des assurances, écartée dans les assurances maritimes, sauf lorsqu’il s’agit de couvrir les risques de la navigation de plaisance » (Cass. com., 11 mars 1997, n° 95-13.926).
L’arrêt précise également que « dès lors que le contrat d’assurance litigieux présentait un caractère international et qu’il n’était pas soutenu que la navigation en cause n’avait pas de but lucratif », l’obligation d’utiliser le français ne s’appliquait pas. Cette solution illustre l’adaptation du droit des assurances aux spécificités du commerce maritime international.
L’assureur n’est pas tenu de fournir spontanément une traduction du contrat à son client étranger. Cette solution a été affirmée dans une espèce concernant un emprunteur étranger qui reprochait à sa banque de ne pas lui avoir fourni une traduction du contrat d’assurance de groupe. La Cour de cassation a rejeté ce grief en relevant que « le premier juge a exactement énoncé qu’aucune disposition n’oblige une banque à fournir à son client étranger la traduction des termes d’un contrat de prêt passé avec lui ; (…) la banque a fourni un contrat rédigé en français comme le lui impose l’article L. 112-3 du code des assurances» (Cass. 2e civ., 22 nov. 2007, n°06-19.852).
La jurisprudence a également précisé que l’assureur n’est pas tenu d’informer le souscripteur étranger de la possibilité d’utiliser la langue de l’État dont il est ressortissant. Dans une affaire concernant un assuré de nationalité russe qui contestait l’opposabilité d’une clause d’exclusion, la Cour de cassation a jugé qu’« ayant exactement relevé que l’assureur n’est pas tenu au titre de son devoir d’information et de conseil d’informer le souscripteur qu’aux termes de l’article L. 112-3, alinéa 3, du code des assurances (…) le contrat et les informations transmises par l’assureur au souscripteur peuvent (…) être rédigés dans la langue ou dans l’une des langues officielles de l’État dont il est ressortissant, et constaté qu’en l’espèce une telle demande n’avait pas été faite, ce qui rendait inopérante la recherche visée au moyen, la cour d’appel a légalement justifié sa décision » (Cass. 2e civ., 14 déc. 2017, n°16-26.709).
Cette position se comprend : si la loi impose le français comme obligation principale, la traduction et l’information sur cette possibilité ne peuvent être que facultatives.
==>Sanctions
La violation de l’obligation d’utiliser la langue française peut entraîner des sanctions sévères. Cette fermeté jurisprudentielle a été illustrée dans une espèce concernant un assureur allemand qui tentait d’opposer à un assuré français une clause d’exclusion rédigée en langue étrangère.
La Cour de cassation a déclaré cette clause inapplicable en se fondant sur « la combinaison de ces textes d’ordre public ». Pour la Haute juridiction, « sans préjudice des dispositions de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1975 relatives à l’emploi obligatoire de la langue française (…) et selon les articles L. 112-3 (…) et L. 111-2 du Code des assurances, les contrats d’assurances souscrits ou exécutés en France, sont impérativement rédigés en français ; (…) aux termes de l’article L. 112-4, du même Code, les clauses édictant des nullités, des déchéances ou des exceptions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents ; (…) il résulte de la combinaison de ces textes d’ordre public que c’est à juste titre que la cour d’appel a déclaré inapplicable l’exclusion de garantie invoquée par la compagnie Allianz, qui n’était pas rédigée en français » (Cass. 1re civ., 24 nov. 1993, n° 91-21.114).
Cette décision révèle que la sanction d’inapplicabilité résulte du cumul de deux exigences : l’obligation générale d’utiliser le français (art. L. 112-3) et le formalisme renforcé imposé aux clauses d’exclusion (art. L. 112-4). La Cour de cassation qualifie expressément ces dispositions de « textes d’ordre public », soulignant leur caractère impératif.
Il est donc probable que des stipulations qui échappent au formalisme renforcé de l’article L. 112-4 ne soient pas automatiquement déclarées inapplicables au seul motif qu’elles ne sont pas rédigées en français. En pareilles circonstances, le droit commun des obligations pourrait conduire à la mise en jeu de la responsabilité civile de l’assureur ou à la nullité du contrat pour vice du consentement.
==>Perspectives européennes
L’obligation d’utiliser la langue française s’inscrit dans un contexte européen qui reconnaît la légitimité de la protection linguistique. Cette compatibilité a été établie dans une affaire concernant l’étiquetage de denrées alimentaires où un hypermarché français était poursuivi pour avoir vendu des produits étiquetés uniquement en anglais.
La Cour de justice de l’Union européenne a distingué deux aspects de la réglementation française (CJCE, 12 sept. 2000, aff. Geffroy et Casino France SNC).
- D’une part, elle a admis qu’une réglementation nationale puisse prévoir « que l’étiquetage des denrées alimentaires et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas induire l’acheteur ou le consommateur en erreur, notamment sur les caractéristiques desdites denrées ».
- D’autre part, elle a précisé que « les articles 30 du traité et 14 de la directive 79/112 s’opposent à ce qu’une réglementation nationale impose l’utilisation d’une langue déterminée pour l’étiquetage des denrées alimentaires, sans retenir la possibilité qu’une autre langue facilement comprise par les acheteurs soit utilisée ou que l’information de l’acheteur soit assurée par d’autres mesures ».
La Cour européenne a ainsi établi qu’une législation nationale prescrivant l’utilisation d’une langue déterminée demeure compatible avec le droit de l’Union, à condition de permettre l’usage alternatif d’une autre langue facilement compréhensible ou d’autres mesures d’information.
Cette jurisprudence européenne légitime l’approche française en matière d’assurance, qui concilie protection de la langue nationale et nécessités du commerce international par un système de dérogations encadrées. Les dispositions de l’ordonnance de 2001 permettant l’usage d’autres langues dans certaines conditions s’inscrivent parfaitement dans cette logique européenne de conciliation.
iii. Les exigences de lisibilité
==>Principe général : les caractères apparents
L’article L. 112-3, alinéa 1er, du Code des assurances exige que le contrat d’assurance soit rédigé « en caractères apparents ». Cette obligation s’applique à toutes les clauses du contrat et impose qu’elles soient facilement lisibles.
Cette exigence répond à un objectif de protection du souscripteur. Elle garantit que l’assuré puisse effectivement prendre connaissance du contenu de son contrat sans difficulté matérielle. L’apparence des caractères conditionne donc la capacité de l’assuré à comprendre ses droits et obligations.
L’appréciation du caractère apparent d’une clause relève du pouvoir souverain des juridictions du fond (Cass. 1re civ., 27 mai 1998, n°95-19.967). Toutefois, l’inapplicabilité des stipulations illisibles constitue une sanction appropriée, faute pour le souscripteur d’avoir pu consentir à la mise en œuvre d’une clause dont il n’a pas pu prendre connaissance.
==>Exigence renforcée : les caractères très apparents
Certaines clauses sont soumises à un formalisme renforcé et doivent figurer en caractères très apparents. L’article L. 112-4, alinéa 2, du Code des assurances dispose que « les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents ».
Cette exigence s’étend également à la durée du contrat. L’article L. 113-15 du Code des assurances impose que « la durée du contrat doit être mentionnée en caractères très apparents », sans toutefois prévoir de sanction spécifique.
Ce formalisme renforcé s’explique par la nécessité d’attirer particulièrement l’attention du souscripteur sur des clauses susceptibles de le priver de garantie ou d’affecter ses droits. Il s’agit de clauses restrictives de droits qui justifient une protection accrue.
La jurisprudence a précisé le contenu de cette exigence. L’obligation de faire figurer certaines mentions en caractères très apparents « n’est satisfaite qu’à la condition que, grâce à leur grande lisibilité, la teneur de ces mentions ne puisse échapper à l’assuré » (Cass. civ., 14 mai 1946).
Les caractères très apparents doivent permettre à ce que grâce à leur grande lisibilité, la teneur des mentions ne puisse échapper à l’assuré. Il faut que les clauses concernées se détachent du contexte et puissent être vues d’un seul coup d’œil, de manière à attirer spécialement l’attention de l’assuré.
Cette différence peut résulter de divers procédés typographiques : taille des caractères, attributs particuliers (caractères gras ou soulignés) ou couleur spécifique. Les caractères utilisés ne doivent pas forcément différer de ceux employés pour l’impression d’autres clauses situées à proximité, dès lors que le procédé typographique utilisé permet à la stipulation litigieuse de se détacher du contexte (Cass. 1re civ., 28 juin 1988).
Toutefois, une jurisprudence contraire exige une différence effective entre les caractères (Cass. 1re civ., 25 mars 1991).
==>Appréciation de l’exigence
La jurisprudence se montre particulièrement rigoureuse dans l’appréciation de cette exigence. La Cour de cassation estime que la totalité du texte de la clause édictant l’exclusion ou la déchéance doit être rédigée en caractères très apparents.
Cette rigueur est illustrée par un arrêt où l’assureur contestait l’annulation d’une clause d’exclusion relative aux dommages subis par le matériel loué. La cour d’appel avait considéré cette clause comme non valable car, bien que « les cas d’exclusion étaient énumérés en caractères gras », « les termes “restent exclus” figuraient en caractères ordinaires ne les distinguant pas du contexte imprimé ». La Cour de cassation a validé cette analyse en relevant que « la cour d’appel a pu en déduire que la clause d’exclusion n’était pas rédigée en caractères très apparents conformément aux exigences de l’article L. 112-4, dernier alinéa, du Code des assurances » (Cass. 1re civ., 25 mars 1991, n°89-18.682).
De même, la Cour de cassation a confirmé l’annulation d’une clause où une partie seulement du texte respectait les exigences typographiques. Dans cette espèce, la GMF contestait la décision des juges du fond qui avaient déclaré non valable une clause d’exclusion. La Haute juridiction a validé le raisonnement de la cour d’appel qui avait «retenu non seulement que celle-ci était imprimée dans les mêmes caractères que ceux employés pour l’impression des articles voisins mais encore qu’aucun moyen typographique n’avait été mis en œuvre pour attirer spécialement l’attention de l’assuré sur cette clause dont la disposition finale relative à l’unicité du passager transporté n’était pas imprimée en caractères gras ou soulignés ». La Cour de cassation a approuvé cette analyse en considérant qu’« en déduisant de l’ensemble de ces éléments que ladite clause ne satisfaisait pas aux exigences de l’article L. 112-4 du Code des assurances, ils ont, de ce chef, légalement justifié leur décision » (Cass. 1re civ., 11 déc. 1990, n° 89-15.248).
L’appréciation des caractères très apparents peut donner lieu à des comparaisons entre différents procédés utilisés dans le même contrat. La Cour de cassation a ainsi estimé, en se retranchant derrière le pouvoir souverain des juges du fond, que lorsque des clauses d’exclusions en caractères gras cohabitent avec des clauses de couleur rouge, seules les secondes respectent les prescriptions légales, sans doute parce qu’elles attirent plus l’attention du lecteur (Cass. 1re civ., 1er déc. 1998, n°96-18.993).
Bien que l’appréciation des caractères très apparents relève du pouvoir souverain des juridictions du fond (Cass. 1re civ., 26 avr. 2000), la Cour de cassation exerce un contrôle de la motivation des décisions rendues au fond. Cela oblige les tribunaux à préciser en quoi les stipulations litigieuses respectent ou non l’exigence relative aux caractères très apparents.
==>Sanctions
La violation de l’exigence légale est sanctionnée par la neutralisation de la clause litigieuse, sans affecter la validité du contrat dans son ensemble. Cette sanction prend deux formes selon le texte applicable.
Pour les clauses visées par l’article L. 112-4, la clause non conforme est réputée non écrite (Cass. 1re civ., 1er déc. 1998, n° 96-18.993). Pour celles visées par l’article L. 113-15, elle est déclarée inopposable à l’assuré (Cass. 1re civ., 14 nov. 1979).
La jurisprudence a appliqué ces sanctions dans diverses situations. Une clause contractuelle de déchéance de garantie ne répondant pas aux dispositions de l’article L. 112-4 a été déclarée inopposable à l’assuré (Cass. 2e civ., 15 déc. 2011, n° 10-26.983).
De même, une cour d’appel était tenue de rechercher si la clause litigieuse était rédigée en termes très apparents de manière à attirer spécialement l’attention de l’assuré sur la nullité qu’elle édictait (Cass. 2e civ., 15 avr. 2010, n° 09-11.667).
Cette nullité ne peut être soulevée que par les parties au contrat et non par la victime exerçant l’action directe (Cass. 3e civ., 28 oct. 2003, n° 01-13.490). L’idée est que l’exigence de lisibilité vise à protéger le consentement et ne peut donc profiter à la victime qui est tiers au contrat.
==>Limites
La jurisprudence a précisé que l’exigence de caractères très apparents ne concerne que les stipulations d’origine conventionnelle. Dans un arrêt de principe, la Cour de cassation a affirmé que l’article L. 112-4 « n’est pas applicable, sauf dispositions particulières, aux nullités, déchéances ou exclusions prévues par la loi » (Cass. 1re civ., 1er déc. 1993, n°89-12.854).
Cette solution trouve son illustration dans l’exclusion de la faute intentionnelle. Bien qu’elle constitue une cause d’exclusion de garantie, cette exclusion résulte directement de la loi et n’a pas à figurer en caractères très apparents dans la police d’assurance.
Cette jurisprudence restreint considérablement la portée du formalisme protecteur. Elle aboutit au paradoxe suivant : les exclusions les plus graves, parce qu’elles sont prévues par la loi, échappent à l’obligation d’information renforcée, tandis que des exclusions conventionnelles moins importantes y sont soumises.
Cette limitation s’avère particulièrement préjudiciable s’agissant des causes de nullité. La nullité sanctionnant un manquement survenu lors de la formation du contrat relève par nature du domaine légal. En conséquence, ces causes de nullité n’ont jamais à figurer en caractères très apparents, privant l’assuré d’une information pourtant essentielle sur les risques d’annulation de son contrat.
Cette évolution jurisprudentielle a suscité des réserves doctrinales. Certains auteurs dénoncent les excès d’un formalisme devenu contre-productif. La multiplication des exigences de forme et la rigueur excessive dans leur appréciation peuvent paradoxalement nuire à l’efficacité du dispositif protecteur en créant une instabilité contractuelle préjudiciable à tous les acteurs du marché de l’assurance.
d. Contenu de la police d’assurance
i. Mentions requises par l’article L. 112-4
L’article L. 112-4 du Code des assurances détermine le contenu obligatoire de la police d’assurance. Il énumère les informations que l’assureur doit impérativement fournir à l’assuré pour que celui-ci connaisse ses droits et obligations.
L’article impose d’abord que « la police d’assurance est datée du jour où elle est établie ». Cette date permet de situer le contrat dans le temps et peut s’avérer déterminante pour l’appréciation des droits des parties.
Le texte distingue ensuite deux séries de mentions. Les premières concernent les éléments essentiels du contrat (parties, risque, garantie, prime). Les secondes portent sur des aspects plus techniques (droit applicable, autorités de contrôle).
==>Mentions essentielles du contrat
Les mentions essentielles que la police « indique » concernent les éléments constitutifs du contrat d’assurance :
- Identification des parties
- La police doit mentionner « les noms et domiciles des parties contractantes ».
- Cette exigence garantit l’identification précise du souscripteur et de l’assureur, élément indispensable à la détermination des droits et obligations de chacun.
- Le domicile du souscripteur revêt une importance particulière car c’est à cette adresse que doivent être envoyées les mises en demeure en cas de non-paiement des primes.
- Objet de l’assurance
- L’indication de « la chose ou la personne assurée » délimite l’objet de la garantie.
- Cette mention permet de déterminer précisément ce qui est couvert par le contrat, qu’il s’agisse d’un bien en assurance de dommages ou d’une personne en assurance de personnes.
- Définition du risque
- La « nature des risques garantis » doit être précisée.
- Cette mention détermine le périmètre de la couverture en identifiant les événements susceptibles de déclencher la garantie de l’assureur (incendie, responsabilité civile, décès, etc.).
- Prise d’effet et durée de la garantie
- La police doit indiquer « le moment à partir duquel le risque est garanti et la durée de cette garantie ».
- Cette double exigence temporelle distingue utilement la prise d’effet de la garantie de la durée du contrat, qui peuvent ne pas coïncider. Elle permet à l’assuré de connaître précisément les limites temporelles de sa protection.
- Éléments financiers
- Le « montant de cette garantie » fixe les limites quantitatives de l’engagement de l’assureur.
- La « prime ou la cotisation de l’assurance » détermine la contrepartie financière due par l’assuré. Ces mentions permettent à ce dernier de mesurer l’étendue de sa protection et le coût de celle-ci.
==>Mentions d’ordre technique
L’article L. 112-4 impose en outre des mentions relevant davantage de l’organisation technique et juridique de l’assurance :
- Droit applicable
- La police doit indiquer « la loi applicable au contrat lorsque ce n’est pas la loi française ».
- Cette mention revêt une importance particulière dans le contexte de l’européanisation du marché des assurances et de l’internationalisation des risques.
- Identification de l’assureur
- La police doit mentionner « l’adresse du siège social de l’assureur et, le cas échéant, de la succursale qui accorde la couverture ».
- Cette exigence facilite l’identification de l’interlocuteur de l’assuré et peut s’avérer déterminante pour l’exercice de recours.
- Autorités de contrôle
- L’indication du « nom et l’adresse des autorités chargées du contrôle de l’entreprise d’assurance qui accorde la couverture » renseigne l’assuré sur l’organisme de tutelle de son assureur.
- Cette mention prend une importance particulière dans le cadre des assurances en libre prestation de services où l’autorité de contrôle peut être étrangère.
==>Mentions spécifiques aux assurances en libre prestation de services
Les contrats et notes de couverture proposés en libre prestation de services sont soumis à des obligations particulières prévues aux articles L. 112-7 et L. 112-8 du Code des assurances. Ils doivent mentionner l’adresse de l’établissement qui accorde la couverture, le cas échéant celle du siège social et, pour le risque automobile, l’adresse du représentant de l’assureur chargé de gérer les sinistres en France.
Dès avant la conclusion du contrat, le souscripteur doit être informé, sur tous les documents qui lui sont remis, du nom de l’État membre de l’Union européenne où est situé l’établissement de l’assureur pressenti pour couvrir le risque.
ii. Mentions complémentaires de l’article R. 112-1
==>Champ d’application
L’article R. 112-1 du Code des assurances complète les exigences de l’article L. 112-4 en imposant des mentions supplémentaires aux polices d’assurance. Ce texte réglementaire s’applique spécifiquement aux « polices d’assurance relevant des branches 1 à 17 de l’article R. 321-1 », excluant les assurances sur la vie qui relèvent d’un régime particulier.
Ces mentions complémentaires visent à parfaire l’information de l’assuré sur les modalités pratiques d’exécution du contrat et sur ses droits et obligations tout au long de la relation contractuelle.
==>Éléments relatifs à la durée et à la continuité du contrat
- Durée des engagements
- La police doit indiquer « la durée des engagements réciproques des parties ».
- Cette mention se distingue de celle prévue par l’article L. 112-4 concernant la durée de la garantie.
- Elle vise à préciser la période pendant laquelle les parties demeurent liées par leurs obligations respectives.
- Tacite reconduction
- Lorsque le contrat prévoit un mécanisme de reconduction automatique, la police doit mentionner « les conditions de la tacite reconduction, si elle est stipulée ».
- Cette exigence permet à l’assuré de connaître les modalités de prolongation de son contrat et les conditions dans lesquelles il peut s’y opposer.
- Modalités de fin de contrat
- L’article R. 112-1 impose l’indication des « cas et conditions de prorogation ou de résiliation du contrat ou de cessation de ses effets ».
- Cette mention exhaustive couvre toutes les hypothèses de modification ou d’extinction de la relation contractuelle, qu’elles résultent de la volonté des parties ou de la survenance d’événements particuliers.
==>Obligations déclaratives de l’assuré
- Déclaration du risque
- La police doit préciser « les obligations de l’assuré, à la souscription du contrat et éventuellement en cours de contrat, en ce qui concerne la déclaration du risque et la déclaration des autres assurances couvrant les mêmes risques ».
- Cette double exigence vise à informer l’assuré sur ses devoirs de sincérité lors de la formation du contrat et sur son obligation de déclarer les modifications ultérieures du risque.
- L’obligation de déclarer les autres assurances couvrant les mêmes risques répond aux règles de cumul d’assurances et permet à l’assureur d’apprécier correctement le risque qu’il garantit.
==>Gestion des sinistres
- Déclaration de sinistre
- L’indication des « conditions et modalités de la déclaration à faire en cas de sinistre » revêt une importance pratique capitale.
- Cette mention informe l’assuré sur les formalités à accomplir lors de la survenance du sinistre, les délais à respecter et les justificatifs à produire.
- Délai de paiement des indemnités
- La police doit mentionner « le délai dans lequel les indemnités sont payées ». Cette exigence permet à l’assuré de connaître le délai maximal dans lequel il peut espérer percevoir l’indemnisation de son préjudice.
- Estimation des dommages
- Pour les assurances autres que celles couvrant les risques de responsabilité, la police doit indiquer « la procédure et les principes relatifs à l’estimation des dommages en vue de la détermination du montant de l’indemnité ».
- Cette mention éclaire l’assuré sur les modalités d’évaluation de son préjudice.
==>Dispositions légales de référence
- Règle proportionnelle
- La police doit rappeler « les dispositions des titres Ier et II du livre Ier de la partie législative du présent code concernant la règle proportionnelle, lorsque celle-ci n’est pas inapplicable de plein droit ou écartée par une stipulation expresse ».
- Ce rappel permet à l’assuré de connaître les conséquences d’une déclaration inexacte ou incomplète du risque.
- Prescription biennale
- L’obligation de rappeler les dispositions légales concernant « la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance » constitue l’une des exigences les plus importantes de l’article R. 112-1.
- Cette mention informe l’assuré sur les délais dans lesquels il peut exercer ses droits à l’encontre de l’assureur.
==>Mentions spécifiques à certains types d’assurances
- Assurances mutuelles
- L’article R. 112-1 impose une obligation particulière aux sociétés d’assurance mutuelles : « Les polices des sociétés d’assurance mutuelles doivent constater la remise à l’adhérent du texte entier des statuts de la société ».
- Cette exigence découle du caractère participatif de l’assurance mutuelle.
- Assurances accidents du travail
- Pour les assurances contre les accidents du travail, une mention spécifique est requise : « Les polices d’assurance contre les accidents du travail doivent rappeler les dispositions légales relatives aux déclarations d’accidents et aux pénalités pouvant être encourues à ce sujet par les employeurs ».
- Cette obligation reflète les enjeux de sécurité sociale attachés à cette branche d’assurance.
iii. Sanction de l’absence des mentions obligatoires
==>Absence de sanction légale générale
Le Code des assurances ne prévoit aucune sanction spécifique pour l’omission des mentions obligatoires imposées par les articles L. 112-4 et R. 112-1. Cette lacune législative a contraint la jurisprudence à déterminer les conséquences de ces manquements selon les principes généraux du droit des contrats.
Conformément au principe du consensualisme qui régit le contrat d’assurance, l’absence d’une mention obligatoire n’affecte ni la validité de la convention ni même sa pleine efficacité, sauf dispositions particulières. Cette solution pourrait tout au plus engager la responsabilité civile de l’assureur, à condition que le souscripteur parvienne à prouver l’existence d’un préjudice, ou entraîner le prononcé de sanctions administratives par les autorités de contrôle.
==>Exception : la prescription biennale
La Cour de cassation a développé une jurisprudence d’exception concernant l’obligation de rappeler les dispositions relatives à la prescription biennale. Abandonnant l’approche traditionnelle, elle sanctionne désormais avec une particulière rigueur l’inobservation de cette exigence.
L’arrêt fondateur de cette évolution concerne une adhérente à un contrat d’assurance collective qui contestait l’opposabilité de la prescription biennale. La cour d’appel avait estimé que « le délai de prescription de l’article L. 114-1 ne figure pas dans les mentions obligatoires de la police » et qu’« il s’agit là d’une règle d’ordre public qui s’impose aux parties en l’absence de tout rappel contractuel ».
La Cour de cassation a censuré cette analyse en rappelant le principe selon lequel « aux termes de ce texte [l’article R. 112-1], les polices d’assurance doivent rappeler les dispositions de la loi concernant la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance ; (…) l’inobservation de ces dispositions est sanctionnée par l’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription édicté par l’article L. 114-1 du même Code » (Cass. 2e civ., 2 juin 2005, n° 03-11.871).
Cette décision établit clairement que l’obligation de rappel des dispositions sur la prescription constitue une condition d’opposabilité de ces règles à l’assuré, contrairement à l’analyse de la cour d’appel qui considérait cette prescription comme d’ordre public et donc applicable indépendamment de tout rappel contractuel.
Par suite, la jurisprudence a progressivement durci ses exigences, imposant un rappel exhaustif du régime de la prescription biennale. La simple mention du délai s’est révélée insuffisante.
S’agissant des causes d’interruption, la Cour de cassation a durci ses exigences dans une espèce concernant des fissures dues à la sécheresse. L’assureur opposait la prescription biennale à son assurée qui l’avait assigné en 2005 pour un sinistre déclaré en 2001. La cour d’appel avait validé cette défense en relevant que « la définition de la prescription, la durée, le point de départ et même la possibilité d’interrompre ce délai par l’expédition d’une lettre recommandée avec accusé de réception, sont expressément mentionnés » dans les conditions générales.
La Cour de cassation a censuré cette décision en précisant que « l’assureur est tenu de rappeler dans le contrat d’assurance, sous peine d’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription édicté par l’article L. 114-1 du code des assurances, les causes d’interruption de la prescription biennale prévues à l’article L. 114-2 du même code » (Cass. 2e civ., 3 sept. 2009, n° 08-13.094)).
Cette décision illustre l’insuffisance d’un rappel partiel des causes d’interruption. La simple mention de la lettre recommandée ne suffit pas : l’assureur doit rappeler l’ensemble des causes d’interruption prévues par l’article L. 114-2.
Cette rigueur jurisprudentielle s’étend également aux différents points de départ du délai de prescription, comme l’illustre une décision rendue dans une affaire opposant une société de construction à son assureur responsabilité civile. En l’espèce, la société S. (anciennement société S. Nord) avait indemnisé le maître d’ouvrage le 3 avril 2001 par déduction des pénalités de retard suite à des incidents survenus sur une station de pompage, puis assigné son assureur A. le 15 septembre 2003.
Les termes précis de l’arrêt révèlent que le contrat d’assurance comportait des dispositions relatives à la prescription : le titre VII des conditions générales énonçait que “toute action dérivant du présent contrat est prescrite par deux ans. Ce délai commence à courir du jour de l’événement qui donne naissance à cette action“, tandis que l’article 8.6 des conditions particulières procédait à un renvoi aux articles L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances.
Cependant, la Cour de cassation a censuré cette approche en relevant que “le contrat ne rappelait pas que, quand l’action de l’assuré contre l’assureur a pour cause le recours d’un tiers, le délai de la prescription court du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré ou a été indemnisé par ce dernier“. L’attendu de principe précise que l’article R. 112-1 impose à l’assureur l’obligation de “rappeler dans le contrat d’assurance, sous peine d’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription édicté par l’article L. 114-1 du même code, les différents points de départ du délai de la prescription biennale prévus à l’article L. 114-2 de ce code” (Cass. 2e civ., 28 avr. 2011, n° 10-16.403).
Cette décision confirme que l’obligation d’information ne saurait se satisfaire d’une clause générique ou d’un simple renvoi légal, mais exige une énumération exhaustive des hypothèses spécifiques de déclenchement du délai prescriptif, notamment dans les relations triangulaires impliquant un recours de tiers.
Cette exigence d’exhaustivité témoigne d’une évolution conceptuelle de la jurisprudence qui, abandonnant toute complaisance formaliste, privilégie désormais l’effectivité de la protection de l’assuré. L’enrichissement progressif de ces exigences jurisprudentielles conduit naturellement à s’interroger sur les modalités pratiques du rappel contractuel et sur l’évolution des standards admis par la Haute juridiction.
Au-delà de ces développements récents, il convient d’examiner l’évolution jurisprudentielle quant aux modalités concrètes de formulation de ces rappels obligatoires. Si la Cour de cassation impose désormais une exhaustivité rigoureuse du contenu, ses exigences relatives à la forme du rappel ont connu une trajectoire plus nuancée.
La Cour de cassation a d’abord admis qu’il suffisait, pour satisfaire à l’exigence réglementaire, de faire référence aux articles correspondants du Code des assurances sans en reprendre le détail du contenu. Cette approche libérale trouve une illustration topique dans une décision rendue à l’occasion d’un litige opposant une commune à son assureur dommages-ouvrage.
En l’espèce, suite à l’apparition de fissures sur la façade d’un bâtiment en extension à la fin de l’année 1993, la commune avait déclaré le sinistre le 25 février 1994 et s’était vu opposer un refus de garantie le 26 juillet 1994. Lorsque l’assureur invoqua la prescription biennale pour faire échec à l’action en référé-provision engagée le 21 mars 2003, la commune contesta l’opposabilité de cette prescription en soutenant que “les modes d’interruption de la prescription biennale, énoncés à l’article L. 114-2 de ce Code, doivent, sous peine d’empêcher l’assureur de se prévaloir de cette prescription abrégée, être mentionnés dans la police d’assurance” et que l’assureur “s’était bornée, dans l’article 21 des conditions générales de sa police dommages-ouvrage, à renvoyer aux article L. 114-1 et L. 114-2 du Code des assurances sans mentionner explicitement les modes d’interruption de la prescription”.
La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en relevant que l’article 21 des conditions générales stipulait que “toutes actions dérivant du présent contrat sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y a donné naissance dans les termes des articles L. 114-1 et L. 114-2 du Code des assurances”. Elle en a exactement déduit que “les dispositions relatives à la prescription biennale avaient été rappelées dans la police, de sorte que les dispositions de l’article R. 112-1, alinéa 2, du même Code selon lequel les polices d’assurances doivent… rappeler la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance avaient été respectées et que l’assureur était fondé à opposer la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale” (Cass. 2e civ., 10 nov. 2005, n° 04-15.041).
Cette décision consacrait une interprétation souple de l’obligation de rappel, admettant qu’un simple renvoi textuel aux dispositions légales pouvait satisfaire aux exigences de l’article R. 112-1, sans nécessiter une reproduction littérale ou une explicitation détaillée du contenu de ces articles.
Toutefois, cette jurisprudence s’est affinée. L’évolution vers une conception plus restrictive du rappel contractuel apparaît nettement dans une décision rendue à l’occasion d’un litige opposant une société employeur à son assureur responsabilité civile suite à un accident du travail ayant donné lieu à une reconnaissance de faute inexcusable.
En l’espèce, suite à l’accident du travail dont avait été victime un salarié, un tribunal des affaires de sécurité sociale avait retenu l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur et octroyé au salarié le bénéfice d’une rente majorée ainsi qu’une indemnisation de son préjudice personnel. L’employeur avait alors assigné son assureur en garantie des conséquences pécuniaires de cet accident.
L’assureur contestait l’action en invoquant la prescription biennale et soutenait que “le code des assurances impose uniquement la mention des textes relatifs à la prescription, sans exiger une reproduction in extenso desdits textes” et que la cour d’appel avait “constaté la présence d’une clause, dans le contrat litigieux, selon laquelle « toutes actions dérivant du présent contrat sont prescrites par deux ans à dater de l’événement dans les termes des articles L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances »”.
La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en précisant que l’article R. 112-1 “oblige l’assureur à rappeler dans le contrat les dispositions des titres I et II du livre I de la partie législative de ce code concernant la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance, ce qui suppose l’indication des différents points de départ du délai de la prescription biennale prévue à l’article L. 114-1 et des causes d’interruption du délai biennal prévues à l’article L. 114-2 du même code sous peine d’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription édicté par ledit texte“.
Elle a relevé que la police d’assurance “se bornait à rappeler sans autres précisions que « toutes actions dérivant du présent contrat sont prescrites par deux ans à dater de l’événement dans les termes des articles L. 114-1 et L.114-2 du code des assurances »” et en a déduit à bon droit que l’assureur “n’était pas fondé à opposer la prescription biennale” (Cass. 2e civ., 22 oct. 2015, n°14-21.292).
Cette décision marque un tournant jurisprudentiel significatif : désormais, un simple renvoi aux textes légaux sans explicitation des “différents points de départ” et des “causes d’interruption” s’avère insuffisant pour satisfaire aux exigences de l’article R. 112-1.
Il convient toutefois de circonscrire la portée de cette évolution jurisprudentielle et de s’interroger sur son éventuelle extension à d’autres défaillances contractuelles. La rigueur déployée par la Cour de cassation en matière de prescription biennale procède-t-elle d’une logique générale appelée à irriguer l’ensemble du contentieux des mentions obligatoires, ou demeure-t-elle circonscrite à cette hypothèse particulière ?
Cette solution jurisprudentielle rigoureuse demeure spécifique à la prescription biennale. Il n’est pas certain qu’elle soit transposable à d’autres omissions, notamment lorsqu’elles portent sur les obligations à la charge de l’assuré. La jurisprudence n’a pas généralisé cette approche stricte à l’ensemble des mentions obligatoires.
Au demeurant, ces omissions restent relativement rares en pratique. Les exigences légales portent sur les stipulations essentielles du contrat d’assurance, que tout assureur connaît et ne manque généralement pas d’inclure dans ses polices.
La question du moment de l’information se révèle également déterminante pour l’efficacité juridique du rappel des dispositions prescriptives. Cette dimension temporelle soulève la question de savoir si une information tardive peut suppléer les carences initiales du contrat d’assurance.
La jurisprudence a précisé qu’un courrier ultérieur de l’assureur, adressé à son assuré postérieurement au sinistre et rappelant les termes de la prescription biennale, ne peut avoir aucune efficacité. Cette solution se trouve illustrée dans une décision rendue à l’occasion d’un litige opposant un syndicat de copropriétaires à son assureur multirisques suite à des infiltrations d’eau survenues dans un appartement.
En l’espèce, suite à des infiltrations d’eau survenues le 21 juillet 1995, des copropriétaires avaient assigné le syndicat de copropriétaires qui avait été condamné par jugement du 29 novembre 2005 à les indemniser. Le syndicat avait alors assigné son assureur le 1er juillet 2008 pour obtenir remboursement. L’assureur invoquait la prescription biennale et soutenait notamment qu’il “avait adressé à son agent général une lettre datée du 31 mai 2006, transmise au syndicat des copropriétaires de la résidence Le Gray d’Albion le 9 juin suivant, qui rappelait expressément les dispositions de l’article L. 114-1 du code des assurances, ce dont il résultait que la prescription avait nécessairement commencé de courir, au plus tard, le 10 juin 2006“.
La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en relevant que “les conditions particulières du contrat d’assurance conclu entre le syndicat des copropriétaires et l’assureur ne portent aucune référence expresse à la prescription des actions dérivant du contrat d’assurance, ni ne font spécifiquement mention des dispositions de l’article L. 114-1 du code des assurances” et que “le courrier ultérieur de l’assureur du 10 juin 2006, adressé à son assuré et rappelant les termes de la prescription biennale, ne peut avoir aucune efficience“. Elle en a exactement déduit “l’inopposabilité à l’assuré du délai de prescription édicté par l’article L. 114-1 du code des assurances” (Cass. 2e civ., 30 juin 2011, n° 10-23.223).
Cette solution logique confirme que l’information doit être fournie dès la formation du contrat pour produire ses effets et qu’aucune régularisation a posteriori ne saurait pallier les carences initiales de l’information contractuelle.
e. Force probatoire de la police d’assurance
e.1. Fonction probatoire de la police d’assurance
La police d’assurance constitue l’instrument probatoire par excellence du contrat d’assurance, comme l’exprime clairement l’article L. 112-2 du Code des assurances en disposant que “seule la police ou la note de couverture constate l’engagement réciproque de l’assureur et de l’assuré“. Cette formulation confère à ces documents un monopole apparent dans la constatation des engagements contractuels.
Toutefois, cette prééminence probatoire ne doit pas occulter la nature consensuelle du contrat d’assurance. Comme le rappelle constamment la jurisprudence : “Si le contrat d’assurance ou tout avenant à ce contrat doit, dans un but probatoire, être rédigé par écrit, il constitue un contrat consensuel qui est parfait dès la rencontre des volontés de l’assureur et de l’assuré” (Cass. 1re civ., 15 févr. 1978, n°76-13.154). L’écrit n’est donc requis qu’ad probationem et non ad solemnitatem.
Cette exigence d’écrit trouve ses racines historiques dans l’ordonnance maritime de 1681 et se justifie par la complexité technique des relations assurantielles. L’article L. 112-3, alinéa 1er, impose que le contrat soit “rédigé par écrit, en français, en caractères apparents“, créant un régime dérogatoire au droit commun de la preuve.
La police ne se contente pas d’être un simple instrument probatoire : elle constitue également un acte créateur de droits. Toute modification de la police par les parties contractantes donne naissance à un nouveau lien contractuel, concrétisé par de nouvelles obligations. Cette dimension constitutive distingue la police des autres écrits probatoires.
e.2. La charge de la preuve
i. Principes généraux de répartition de la charge de la preuve
La détermination de la charge de la preuve obéit aux règles classiques énoncées à l’article 1353 du Code civil, selon lesquelles “celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit en prouver l’existence” et “celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation“. Toutefois, en pratique, cette règle de droit commun est d’application résiduelle car elle ne se pose que lorsque l’existence ou le contenu de la clause litigieuse fait l’objet de contestations effectives.
Cette problématique de la charge de la preuve ne surgit pas si la clause dont l’existence est alléguée n’est pas contestée par l’autre partie (Cass. 1re civ., 7 févr. 1995, n°92-12.634), ou a contrario si l’existence même du contrat n’était pas spécialement alléguée par l’assuré (Cass. 2e civ., 24 mai 2012, n°10-27.604).
ii. Preuve de l’existence du contrat
Lorsque l’existence du contrat fait l’objet de litiges, s’applique le principe selon lequel “c’est à celui qui l’invoque d’en rapporter la preuve“. Cette règle s’impose indistinctement à l’assureur exerçant une action récursoire, à l’assuré réclamant le règlement du sinistre, ou à la victime mettant en jeu la garantie de l’assureur du responsable (Cass. 1re civ., 29 avr. 1997, n° 95-10.564).
Cette exigence peut se révéler particulièrement délicate à satisfaire dans certaines configurations pratiques. Tel est notamment le cas lorsque des polices anciennes mais toujours en vigueur n’ont pas été conservées par l’assureur, situation fréquente en assurances de responsabilité où la réclamation de la victime peut intervenir plusieurs années après la souscription.
iii. Preuve du contenu du contrat
Lorsque seul le contenu du contrat fait l’objet de discussions, l’existence n’étant pas contestée, les mêmes règles trouvent rigoureusement application. Cette exigence probatoire distincte trouve une illustration parfaite dans une décision rendue à l’occasion d’un litige de responsabilité médicale consécutif à une contamination par le virus de l’hépatite C lors d’une transfusion sanguine.
En l’espèce, l’établissement de transfusion sanguine contestait la mise hors de cause de son assureur en soutenant que “la preuve d’un acte juridique peut être rapportée par témoignages ou présomptions dès lors qu’existe un commencement de preuve par écrit” et que la cour d’appel aurait dû “rechercher si la police de responsabilité civile n° 10.392.694, en ce qu’elle « annulait » la police n° 6.734.541, ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, susceptible d’être valablement complété par des éléments extrinsèques“.
La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en relevant que l’arrêt retenait que “ni l’assureur ni l’assuré n’étaient en mesure de produire la police d’assurance, et que le fait que l’assuré apporte la preuve de l’existence d’un contrat ne le dispensait pas de l’obligation d’apporter également la preuve littérale et suffisante du contenu de celui-ci” (Cass. 2e civ., 13 mai 2004, n° 03-10.964).
Cette décision établit clairement la distinction entre la preuve de l’existence du contrat et celle de son contenu spécifique. Même lorsque l’existence du contrat d’assurance ne fait aucun doute, l’assuré demeure tenu d’établir de manière littérale et suffisante les stipulations particulières sur lesquelles il entend se fonder pour obtenir la garantie. Cette solution illustre parfaitement la rigueur avec laquelle la jurisprudence applique l’exigence de preuve écrite en matière d’assurance, même dans les situations où l’existence du contrat est incontestée.
Dans les rapports entre assureur et souscripteur, cette répartition s’opère selon la qualité de demandeur ou de défendeur. Le souscripteur doit établir qu’une clause contractuelle prévoyait la garantie de l’assureur, celui-ci ne pouvant être condamné au seul motif qu’il ne produit pas la police (Cass. 1re civ., 24 janv. 1995, n° 92-21.542).
Inversement, l’assureur doit prouver l’existence d’une clause prévoyant une déchéance (Cass. 1re civ., 25 oct. 1994, n°92-14.654) ou stipulant une exclusion, car il est alors “demandeur à l’exception” (Cass. 2e civ., 25 oct. 2012, n°11-25.490). Cette solution s’explique par l’application du principe de droit commun selon lequel le risque probatoire pèse sur celui qui soulève une exception.
iv. Régime spécifique dans les rapports triangulaires
Dans les rapports entre la victime et l’assureur du responsable, la jurisprudence a développé un régime probatoire remarquablement libéral. Si la victime doit établir l’existence du contrat, comme tout demandeur, elle est dispensée de prouver son contenu (Cass. 3e civ., 29 mai 2002, n°01-00.350).
Cette solution protectrice trouve sa justification dans le fait que la victime, tiers au contrat, ne dispose pas d’un exemplaire de la police. Il serait logiquement inéquitable que le risque d’une absence de preuve pèse sur elle lorsque l’assureur ne peut produire la police. La jurisprudence a étendu cette faveur probatoire aux clauses les plus variées : exclusions (Cass. 1re civ., 7 juill. 1998, n°96-16.360), plafonds (Cass. 1re civ., 24 juin 1970), franchises, non-application d’une extension territoriale (Cass. 1re civ., 27 juin 1995, n°93-12.148).
Lorsque la clause édicte une restriction de garantie au sens large (exclusion, plafond, franchise), cette solution n’est que l’application du droit commun qui veut que le risque probatoire soit supporté par l’assureur qui soulève une exception. En revanche, elle est pleinement dérogatoire lorsque la clause porte sur la définition du risque couvert.
Cette différenciation des régimes probatoires selon la qualité du demandeur produit des effets juridiques remarquables qui bouleversent l’économie générale du contrat d’assurance.
Cette dualité de régimes probatoires entraîne une conséquence remarquable : toutes les clauses restrictives dont l’assureur ne peut prouver l’existence deviennent inopposables à la victime, alors que le droit substantiel réserve cette solution aux seules déchéances. L’assureur se trouve dans la situation d’un garant qui fait une avance sur recours : il indemnise la victime sans tenir compte de la clause non prouvée, mais dispose d’une action récursoire contre le souscripteur sur qui pèse à titre définitif la charge probatoire.
L’équité commanderait que cette solution soit applicable quel que soit le mode de mise en cause de l’assureur : directement par la victime exerçant l’action directe, ou sur initiative de l’assuré qui l’appelle en garantie. Malheureusement, dans cette dernière hypothèse, il a été jugé que la charge probatoire reposait sur l’assuré, demandeur à la garantie d’assurance (Cass. 1re civ., 24 janv. 1995, n° 92-21.542). Cette solution n’est pas satisfaisante, car elle fait dépendre l’indemnisation complète de la victime d’un pur choix procédural.
e.3. Les modes de preuves
i Dans les rapports entre les parties
==>Principe de la preuve littérale
Les relations contractuelles entre assureur et souscripteur sont soumises à un régime probatoire rigoureux qui déroge aux règles de droit commun. L’obligation d’établir le contrat par écrit s’impose dans toutes les configurations : assurances individuelles, contrats collectifs lorsque l’adhérent est reconnu comme véritable partie contractante, et même dans les relations commerciales où le droit commun dispenserait ordinairement de cette formalité.
Cette spécificité puise son fondement dans l’article L. 112-3, alinéa 1er, qui impose que le contrat soit rédigé par écrit. Cette disposition crée un système dérogatoire aux règles générales de l’article 1359 du Code civil.
Aussi, l’obligation de preuve écrite s’impose quel que soit le montant en jeu et même dans les relations commerciales, où le droit commun dispenserait normalement de cette formalité (Cass. 1re civ., 4 juin 1996, n° 94-16.306).
Cependant, cette rigueur ne devrait pas s’étendre à la preuve du consentement lui-même. Ainsi, pour établir que l’assureur a accepté la proposition d’assurance avant la survenance du sinistre, tous les moyens de preuve demeurent admissibles, car il s’agit de prouver un fait juridique et non le contenu d’un acte juridique.
==>Diversité des supports probatoires admis
L’évolution de la jurisprudence témoigne d’une approche pragmatique dans l’appréciation des éléments de preuve. Les actes authentiques et sous seing privé constituent naturellement les preuves de référence, ces derniers bénéficiant d’une date certaine opposable aux tiers sans qu’aucune formalité d’enregistrement ne soit requise.
La complexité naît de l’admission progressive d’écrits moins formels. La jurisprudence a validé des supports variés : un exemplaire signé par le seul assureur (Cass. 1re civ., 6 janv. 1993, n° 91-12.748), des télégrammes (Cass. 1re civ., 12 juill. 1962), ou des mentions d’assurance reproduites dans des procès-verbaux officiels (Cass. 1re civ., 12 mai 1969).
L’admission de constats amiables portant des mentions pré-imprimées de l’assureur illustre cette souplesse (Cass. 2e civ., 24 juin 1998, n° 96-21.066), même si la jurisprudence exige que le document contienne des éléments substantiels permettant l’identification précise du véhicule assuré.
À l’inverse, l’absence de signature de l’assuré sur un document dactylographié fait obstacle à son utilisation probatoire (Cass. 1re civ., 4 juin 1996, n° 94-16.306). Cette solution, bien que rigoureuse, peut sembler excessive car elle limite les moyens de preuve alors que l’extension du domaine de la preuve littérale pourrait être compensée par une conception élargie de l’écrit admissible.
==>Adaptation aux évolutions technologiques
Le développement des nouvelles technologies de l’information a progressivement enrichi la palette des supports de preuve admissibles. L’article 1316 du Code civil, en consacrant l’équivalence entre documents électroniques et écrits traditionnels, a facilité cette évolution.
La télécopie illustre parfaitement cette ouverture jurisprudentielle. Après avoir reconnu sa validité probatoire (Cass. com., 2 déc. 1997), les tribunaux ont admis son utilisation pour des actes aussi importants que la résiliation contractuelle, dès lors que cette possibilité était contractuellement prévue (CA Lyon, 5 nov. 1993). Cette souplesse s’étend jusqu’à la reconnaissance de situations où l’impossibilité morale de se préconstituer une preuve écrite résulte d’usages professionnels établis (Cass. com., 22 mars 2011).
Concernant les photocopies, la jurisprudence a développé une approche nuancée particulièrement révélatrice. L’arrêt du 9 mai 1996 a marqué un tournant en validant une photocopie de bulletin de transfert en assurance-décès. Les juges avaient soigneusement vérifié que l’original était introuvable et que la copie constituait une reproduction fidèle, confirmée par des témoignages concordants sur la volonté du défunt (Cass. 1re civ., 9 mai 1996). Cette solution trouve son ancrage dans l’article 1348 du Code civil, qui encadre les reproductions fidèles et durables.
Toutefois, cette souplesse connaît des limites strictes. Sans preuve de sa conformité à l’original, la photocopie demeure sans valeur probante (Cass. 1re civ., 25 oct. 1994, n°92-14.654). Inversement, lorsque cette conformité n’est pas contestée par l’adversaire, le document acquiert pleine force probatoire (Cass. 1re civ., 7 févr. 1995, n° 92-12.634).
==>Modes de preuve subsidiaires
Malgré la primauté de l’écrit, certains moyens de preuve subsidiaires conservent leur pertinence. L’aveu, qu’il soit judiciaire ou extrajudiciaire, demeure recevable. Il peut résulter des écritures des parties (Cass. 1re civ., 9 mars 2004, n° 02-13.076), de correspondances relatives à la résiliation (Cass. 1re civ., 12 déc. 1966), ou porter sur l’acceptation d’un contrat téléphonique (Cass. 1re civ., 8 juill. 2003, n° 01-10.859).
Le commencement de preuve par écrit, complété par témoignages ou présomptions, trouve également sa place dans ce système probatoire (TI Saint-Denis, 12 mars 1965). Cette possibilité, conforme à l’article 1347 du Code civil, se justifie par l’incertitude qui peut affecter la force probante de certains écrits imparfaits.
==>Manifestations tacites de volonté
Nonobstant l’exigence d’écrit, la jurisprudence n’ignore pas totalement le caractère consensuel du contrat d’assurance. Les tribunaux admettent que l’accord des parties puisse résulter de comportements univoques, conformément aux dispositions générales de l’article 1113 du Code civil.
Cette approche pragmatique se manifeste dans plusieurs situations caractéristiques. Lorsque l’assureur transmet à l’assuré un projet de police pour signature, ce simple envoi révèle son intention de contracter (Cass. 1re civ., 28 févr. 1989). Plus significatif encore, l’apposition de sa propre signature sur le document contractuel constitue un engagement définitif, même antérieurement à tout retour signé par l’assuré (Cass. 1re civ., 6 janv. 1993, n° 91-12.748).
L’attitude de l’assureur face aux versements de l’assuré révèle également sa position contractuelle. L’encaissement de primes sans protestation peut traduire une acceptation de la proposition d’assurance, particulièrement lorsqu’il s’accompagne d’actes positifs de gestion (Cass. 1re civ., 17 févr. 1987).
Cependant, cette ouverture connaît des limites que la Cour de cassation rappelle régulièrement. L’arrêt rendu le 10 juillet 2002 par la Première chambre civile illustre parfaitement cette rigueur dans une affaire tragique d’assurance-vie.
En l’espèce, un médecin avait signé le 18 février 1993 deux bulletins d’adhésion (assurance-décès et pertes professionnelles) auprès de La Médicale de France, puis avait passé une visite médicale le 20 février et remis un chèque de 9 257,65 francs qui fut encaissé sans réserve le 17 mars. Tragiquement, l’assuré décédait le 25 mars suivant des suites d’une tumeur cérébrale diagnostiquée après la souscription mais avant l’encaissement du chèque.
Face à cette situation douloureuse, la Cour d’appel de Paris avait condamné l’assureur à verser la somme assurée aux héritiers, en relevant que “les consorts X… avaient apporté la preuve du contrat d’assurance conclu par leur auteur” du seul fait que l’assureur avait encaissé le chèque d’acompte “sans réserve”.
La Cour de cassation a censuré cette décision au motif que la cour d’appel avait statué “sans relever l’existence d’un écrit émanant de l’assureur faisant preuve du contrat d’assurance ou du moins, constitutif d’un commencement de preuve par écrit le rendant vraisemblable et régulièrement complété” (Cass. 1re civ., 10 juill. 2002, n° 99-15.430).
Cette solution peut sembler rigoureuse, voire inéquitable, dans un contexte aussi dramatique. Elle révèle toutefois une logique juridique cohérente qui distingue soigneusement deux opérations distinctes : la formation du contrat par le seul échange des consentements et l’établissement de sa preuve.
D’un point de vue purement théorique, l’encaissement du chèque par l’assureur après la visite médicale pouvait légitimement être interprété comme une acceptation de la proposition d’assurance. Cette analyse s’appuie sur le comportement univoque de l’assureur qui, en prélevant la somme, manifeste son intention de donner suite à la demande.
Cependant, la Cour de cassation rappelle que cette formation consensuelle du contrat, même avérée, ne dispense pas de l’exigence de rapporter la preuve du contrat d’assurance par écrit. L’article L. 112-3 impose un écrit qui ne peut être suppléé par de simples présomptions, même concordantes. Cette exigence vise à prévenir les contentieux en matérialisant clairement les termes de l’engagement de chaque partie.
La référence à l’article 1347 du Code civil n’est pas fortuite : elle ouvre néanmoins une possibilité de preuve subsidiaire par commencement de preuve par écrit complété par des éléments de preuve extrinsèques. Mais encore faut-il qu’existe un écrit émanant de l’assureur, ce qui n’était manifestement pas le cas en l’espèce où seuls les bulletins d’adhésion signés par l’assuré et l’encaissement du chèque étaient établis.
Cette jurisprudence illustre donc la tension entre deux impératifs : d’une part, respecter le caractère consensuel du contrat d’assurance qui se forme par la simple rencontre des volontés ; d’autre part, maintenir la sécurité juridique qu’apporte la preuve écrite en assurance. La solution retenue privilégie résolument la seconde considération, même au prix d’une apparente rigueur dans des situations humainement difficiles.
Cette rigueur s’explique par les particularités du contrat d’assurance. Les garanties sont souvent complexes, les montants en jeu considérables, et les litiges peuvent survenir des années après la souscription. Dans ce contexte, seul un écrit précis permet d’éviter les contestations sur l’étendue des engagements de chaque partie.
Ainsi, l’encaissement d’un chèque peut permettre de prouver que l’assureur a accepté de contracter, mais il ne démontre pas quelles garanties il s’est engagé à fournir, à quelles conditions, et pour quel montant. En cas de litige, ces éléments essentiels ne peuvent être établis que par la production d’un document écrit.
ii. Dans les rapports avec les tiers
==>Principe de liberté de la preuve
Les relations entre les tiers et les parties au contrat d’assurance obéissent à un régime probatoire distinct, marqué par une plus grande liberté, qui contraste avec l’exigence de preuve écrite imposée aux seuls contractants.
Cette liberté de la preuve se justifie pleinement lorsque le tiers — qu’il soit victime, bénéficiaire ou simple intéressé à l’opération d’assurance — cherche à établir l’existence ou le contenu du contrat. Ne participant pas à la formation de ce dernier, il ne peut se voir opposer l’exigence d’un écrit auquel il n’a pas eu accès, ni a fortiori être tenu de se constituer une preuve ab initio. La jurisprudence admet ainsi que le tiers peut rapporter la preuve du contrat d’assurance par tous moyens, y compris par voie de présomption (Cass. 1re civ., 17 juill. 1996, n° 94-16.796).
La question devient plus délicate lorsque l’initiative de la preuve n’émane pas du tiers, mais de l’assureur lui-même, qui entend opposer à un tiers les stipulations du contrat d’assurance. Se pose alors la question de savoir si l’assureur est tenu d’en rapporter la preuve par écrit.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 9 mai 1996, a apporté un éclairage important à cette interrogation (Cass. 1re civ., 9 mai 1996, n° 93-19.807). En l’espèce, le litige opposait deux assureurs à la suite d’un sinistre ayant donné lieu à une condamnation solidaire, l’un des assureurs réclamant à l’autre le remboursement d’une partie des sommes versées, en se fondant sur une clause de priorité figurant dans la police d’assurance. L’assureur demandeur produisait divers éléments extrinsèques à la police, laquelle n’avait pas été versée aux débats, pour établir l’existence d’une clause de tacite reconduction.
La juridiction du fond ayant admis cette preuve sur le fondement de simples présomptions, le pourvoi soutenait que la preuve des stipulations contractuelles, et notamment de la reconduction tacite du contrat, devait être rapportée par écrit, en application des articles L. 112-2 et L. 112-3 du Code des assurances.
La Cour de cassation rejette le pourvoi en des termes particulièrement significatifs : elle rappelle que « la preuve par écrit des stipulations du contrat d’assurance n’est exigée que dans les rapports entre les parties au contrat et à l’égard de la victime ». Elle en déduit que la cour d’appel a pu à bon droit retenir l’existence de la clause litigieuse sur la base de présomptions, dès lors que l’existence du contrat n’était pas contestée et que le litige mettait en présence deux assureurs, tiers l’un à l’autre au contrat dont il s’agissait de démontrer une stipulation.
La portée de cette solution jurisprudentielle appelle une attention particulière. En affirmant que l’exigence de preuve écrite ne s’applique que dans les rapports entre les parties au contrat et à l’égard de la victime, la Cour de cassation restreint expressément le domaine dans lequel la preuve écrite constitue une condition impérative pour établir les stipulations du contrat d’assurance. Ce faisant, elle exclut de cette exigence les rapports impliquant des tiers non protégés, au premier rang desquels figurent les assureurs en recours ou tout autre tiers intervenant en dehors du lien d’assurance.
Autrement dit, en dehors de ces deux cercles protégés — les cocontractants et la victime du dommage —, la preuve des stipulations contractuelles peut être rapportée par tout moyen, y compris par voie de présomption, de comportement, ou d’éléments extrinsèques à la police. Cette solution consacre une application différenciée du régime probatoire, fondée sur la nature de la relation liant les parties au litige et sur la finalité protectrice du formalisme en matière d’assurance.
La distinction fondée sur la qualité du tiers auquel l’assureur oppose le contrat est déterminante pour apprécier le régime probatoire applicable. Elle reflète une conception fonctionnelle du formalisme, qui ne vise pas à imposer l’écrit de manière abstraite, mais à assurer la protection de ceux qui ne disposent pas des éléments du contrat, comme les victimes ou les bénéficiaires, et qui se trouvent, de ce fait, en situation d’infériorité probatoire.
C’est précisément cette logique qui justifie l’exigence renforcée de preuve par écrit lorsque l’assureur entend faire valoir une limitation ou une exclusion de garantie à l’encontre de la victime. La jurisprudence fait ici du formalisme un instrument de protection : il s’agit d’éviter qu’un tiers, qui n’a pas eu accès au contrat et ne peut en connaître les clauses, se voit opposer des stipulations dont l’assureur est seul maître. Dans cette configuration, la charge de la preuve pèse intégralement sur l’assureur, qui doit établir à la fois l’existence de la clause litigieuse et sa stipulation dans un écrit probant.
En revanche, lorsque le litige oppose l’assureur à un tiers non protégé, tel qu’un autre assureur, un intermédiaire ou un acquéreur du bien assuré, cette exigence de preuve écrite s’efface. Le droit commun de la preuve retrouve alors son application : la preuve des stipulations contractuelles peut être apportée par tous moyens, y compris par présomptions ou indices de comportement. C’est précisément ce qu’admet la Cour de cassation dans l’arrêt du 9 mai 1996, en validant la démonstration de l’existence d’une clause de tacite reconduction par de simples présomptions, au motif que le contrat litigieux n’était pas opposé à une partie ou à une victime, mais dans le cadre d’un recours entre deux assureurs.
Il en découle un régime probatoire gradué, fondé sur un principe simple : l’exigence de preuve écrite s’impose uniquement lorsque la protection d’un tiers le justifie, notamment lorsqu’il s’agit d’une victime ou d’un contractant n’ayant pas accès aux stipulations contractuelles. À l’inverse, lorsque le tiers ne bénéficie d’aucune protection spécifique — comme dans les rapports entre professionnels ou dans les recours entre assureurs —, la preuve peut être librement rapportée par tous moyens.
==>Etendue des moyens de preuve ouverts aux tiers
Le principe de liberté de la preuve, reconnu aux tiers au contrat d’assurance, leur permet d’établir l’existence ou le contenu de la garantie par tout moyen. Cette règle trouve une justification directe dans le fait que le tiers — qu’il soit victime, bénéficiaire ou simple intéressé — n’a pas participé à la formation du contrat et ne dispose pas, en principe, de la police d’assurance. Il serait donc déraisonnable de lui imposer une preuve par écrit qu’il n’a pas les moyens de se constituer.
Dans ce contexte, la jurisprudence reconnaît aux tiers la possibilité de recourir à des présomptions, pour démontrer la réalité du contrat ou l’étendue de la garantie. Celles-ci peuvent notamment être déduites du comportement de l’assureur, de ses déclarations, ou encore des modalités de gestion du sinistre (Cass. 2e civ., 17 juill. 1996).
Cette souplesse probatoire présente un intérêt pratique évident : elle pallie l’absence ou le refus de communication de la police d’assurance. Elle permet ainsi au tiers, et en particulier à la victime, de démontrer non seulement l’existence d’une couverture d’assurance, mais aussi son périmètre effectif, sans être tenu à un mode de preuve déterminé.
Il s’agit là d’un instrument de protection essentiel, qui s’inscrit dans la continuité des principes dégagés par la Cour de cassation : lorsque le formalisme ne se justifie pas par un impératif de protection du contractant ou de la victime, la charge de la preuve s’allège, et les modes de preuve se diversifient. À l’inverse, lorsque la preuve est invoquée contre un tiers protégé, elle doit répondre à des exigences accrues.
iii. Rôle particulier de l’attestation d’assurance
==>Définition de l’attestation d’assurance et distinction d’avec la note de couverture
L’attestation d’assurance est un document unilatéralement émis par l’assureur, destiné à établir que son cocontractant bénéficie d’une couverture en vigueur à une date donnée. Ce document, d’usage courant, permet à l’assuré de satisfaire à certaines obligations légales ou contractuelles qui imposent de justifier d’une assurance, comme en matière automobile (C. assur., art. R. 211-14), d’assurance décennale, ou encore d’assurance de responsabilité civile professionnelle.
L’attestation ne constitue pas, en elle-même, un acte contractuel : elle présuppose l’existence d’un contrat préexistant et se borne à en attester la réalité à des fins de preuve externe. Sa délivrance n’est en principe subordonnée à aucun formalisme, bien qu’en pratique elle obéisse à des modèles types pour certains secteurs régis (ex. : carte verte).
Il convient toutefois de ne pas la confondre avec la note de couverture, qui est un document à finalité très différente. Tandis que l’attestation suit la formation du contrat, la note de couverture la précède : elle constitue un engagement provisoire de l’assureur, souvent pris à l’occasion d’une souscription par l’intermédiaire d’un courtier, dans l’attente de l’émission de la police définitive. Elle a ainsi une véritable portée contractuelle, bien qu’à durée limitée.
La jurisprudence a néanmoins admis, dans certaines hypothèses, qu’une attestation puisse être requalifiée en note de couverture, notamment lorsque son contenu précise de façon suffisante la nature et l’étendue de la garantie (Cass. 1re civ., 30 mars 1994, n° 90-11.241). Cette requalification repose sur une analyse concrète du contenu du document et de l’intention des parties, mais elle demeure exceptionnelle. En principe, la distinction entre les deux instruments reste structurante, tant au regard de leur fonction que de leur valeur juridique.
==>Nature juridique et fonction probatoire
En dépit de son apparence formelle, l’attestation d’assurance ne constitue pas un acte contractuel. Elle n’a ni pour objet, ni pour effet de créer, modifier ou proroger les engagements de l’assureur. Elle se limite à constater l’existence d’un contrat en cours, dont elle est un simple reflet administratif, sans force obligatoire propre.
Sur le plan probatoire, elle ne constitue qu’une présomption simple de souscription, susceptible d’être renversée par tout moyen. La jurisprudence est constante sur ce point : l’attestation ne fait pas preuve du contrat, mais permet d’en présumer l’existence, sans dispenser celui qui s’en prévaut d’établir le contenu effectif des garanties (Cass. 2e civ., 26 oct. 2017, n° 16-18.151). Cette présomption peut d’ailleurs être écartée, par exemple si l’assureur établit que la police a été résiliée antérieurement à la date indiquée sur l’attestation.
La portée probatoire de l’attestation varie selon les contextes. Lorsqu’elle est exigée par la loi — comme en matière d’assurance automobile ou de responsabilité décennale —, elle peut constituer une présomption légale, dont la force est plus difficilement réfragable. À l’inverse, dans les hypothèses où elle est remise à la seule initiative de l’assuré ou pour répondre à une exigence contractuelle, elle constitue tout au plus une présomption de fait, dont la valeur dépendra de son contenu et des circonstances de sa délivrance.
En définitive, l’attestation d’assurance ne dispense ni l’assuré ni le tiers de rapporter la preuve de la validité et du contenu du contrat. Elle ne vaut ni commencement de preuve par écrit, ni reconnaissance de garantie, sauf à démontrer qu’elle a été délivrée avec l’intention d’engager l’assureur au-delà de la police elle-même — hypothèse exceptionnelle que la jurisprudence n’admet qu’avec rigueur.
==>Limites probatoires de l’attestation
L’attestation d’assurance ne peut suppléer les éléments essentiels à la validité du contrat, et notamment le paiement effectif de la prime. Ainsi, l’assureur n’est pas tenu à garantie en l’absence de règlement, même s’il a remis une attestation à l’assuré. Ce principe rappelle que l’attestation n’a pas de valeur contractuelle propre : elle ne lie ni ne contraint l’assureur au-delà des stipulations effectives de la police.
Ce constat s’étend à la question du contenu de la garantie. Conformément à l’article L. 112-6 du Code des assurances, l’assureur peut opposer aux tiers les exclusions et limitations de garantie opposables à l’assuré, même si elles ne figurent pas sur l’attestation (Cass. 3e civ., 20 oct. 2021, n°20-18.533). L’attestation ne prime donc jamais sur les dispositions de la police d’assurance à laquelle elle se réfère.
==>Responsabilité en cas de délivrance prématurée ou trompeuse
La remise d’une attestation en l’absence de contrat valable peut engager la responsabilité de son émetteur. La jurisprudence qualifie une telle délivrance de “création d’une illusion de garantie“, susceptible de générer un préjudice pour le tiers qui se serait fondé de bonne foi sur le document (Cass. 3e civ., 24 oct. 2012, n° 11-16.012). Cette responsabilité peut être retenue tant à l’égard de l’assureur que des intermédiaires impliqués, en particulier lorsque ceux-ci agissent en apparence au nom de la compagnie (Cass. crim., 27 nov. 2007, n°06-87.454).
==>Portée probatoire dans les rapports avec les tiers
Malgré ses limites, l’attestation conserve une portée probatoire non négligeable dans les rapports avec les tiers, notamment la victime exerçant une action directe. Si l’attestation ne saurait valoir preuve complète du contrat, elle peut constituer un indice sérieux, corroboré par le comportement de l’assureur, ses déclarations ou la gestion du sinistre (Cass. 2e civ., 17 juill. 1996). Dans cette perspective, elle participe à l’économie probatoire protectrice que le droit des assurances réserve aux tiers, en particulier aux victimes.
f. Règles d’interprétation de la police d’assurance
i. Conditions d’exercice du pouvoir d’interprétation du juge
==>La densité du contentieux lié à l’interprétation des polices d’assurance
Le droit des assurances se caractérise par un contentieux particulièrement dense relatif à l’interprétation des polices. Cette situation s’explique par plusieurs causes convergentes : la prolifération des contrats d’assurance, la complexité de leur structure et les difficultés linguistiques inhérentes à ce type de conventions.
La police d’assurance présente en effet une architecture particulièrement complexe. Elle articule généralement trois niveaux de stipulations : les conditions générales, acte prérédigé et uniformisé ; les conditions particulières, qui individualisent chaque contrat ; et les conventions spéciales, qui précisent les modalités de certaines garanties. Cette stratification contractuelle multiplie les risques de contradiction et d’ambiguïté entre les différentes stipulations.
À cette complexité structurelle s’ajoute une difficulté rédactionnelle. Le vocabulaire assurantiel, bien qu’en voie d’amélioration, demeure empreint d’une technicité qui peut nuire à la clarté des engagements contractuels. Les assureurs peinent parfois à concilier précision technique et accessibilité du langage, créant des zones d’ombre propices aux litiges d’interprétation.
==>Le pouvoir d’interprétation du juge
L’interprétation des contrats d’assurance relève de la compétence exclusive des juridictions du fond. Cette prérogative constitue un pouvoir souverain qui échappe, par principe, au contrôle de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 22 oct. 1974). Les juges du fond jouissent donc d’une liberté d’appréciation dans l’analyse du sens des stipulations contractuelles ambiguës.
Cette liberté d’appréciation connaît cependant une limite majeure : elle ne peut s’exercer que face à des clauses présentant un caractère obscur ou ambigu. Lorsque les termes contractuels possèdent une signification claire et univoque, l’interprétation devient non seulement inutile mais interdite. Le principe interpretatio cessat in claris impose alors l’application littérale de la stipulation.
La Deuxième chambre civile a précisé la portée de cette règle dans un arrêt du 10 septembre 2015. En l’espèce, une clause de la police d’assurance prévoyait prévoyait le versement de prestations “pendant toute la durée de l’incapacité-invalidité donnant lieu à la pension de la sécurité sociale et jusqu’à la date de liquidation des assurances vieillesse telle qu’elle est prévue notamment aux articles L. 304 et suivants du code de la sécurité sociale“. Or, les articles L. 304 et suivants du Code de la sécurité sociale n’existaient pas.
La cour d’appel avait considéré que cette référence erronée rendait la clause ambiguë, justifiant son interprétation en faveur de l’assuré conformément à l’article L. 133-2 du Code de la consommation. Elle en avait déduit que la substitution d’une pension de vieillesse à une pension d’invalidité n’interrompait pas le versement des prestations.
La Cour de cassation censure la Cour d’appel en énonçant que “les juges du fond ne jouissent du pouvoir d’interpréter les conventions que si celles-ci sont obscures ou ambiguës” et que la cour d’appel “s’est bornée à relever que l’article 25 du contrat citait un article du code de la sécurité sociale qui n’existait pas, circonstance qui ne suffisait pas à le priver de clarté et ne nuisait pas à sa compréhension” (Cass. 2e civ., 10 sept. 2015, n°14-22.669).
Cette décision pose un principe clair : une erreur dans la référence à un texte légal ne rend pas automatiquement la clause ambiguë si son objectif reste compréhensible. En l’occurrence, bien que les articles L. 304 et suivants du Code de la sécurité sociale n’existent pas, la finalité de la clause demeurait évidente : faire cesser les prestations à la liquidation de la retraite.
La Cour de cassation refuse ainsi aux juges du fond la possibilité d’interpréter une clause sous prétexte qu’elle contient une référence juridique inexacte. Une simple erreur matérielle ne justifie pas d’écarter le sens apparent d’une stipulation, fût-ce au bénéfice de l’assuré. Cette solution protège la sécurité juridique en empêchant les tribunaux de dénaturer la volonté contractuelle sous couvert d’interprétation favorable.
==>L’interprétation des clauses d’exclusion
Les clauses d’exclusion de garantie font l’objet d’un encadrement en matière d’interprétation particulièrement strict. L’article L. 113-1 du Code des assurances exige que ces dispositions soient “formelles et limitées“, condition de leur validité et de leur opposabilité.
Cette exigence légale a conduit la Cour de cassation à adopter une position radicale : « une clause d’exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée » (Cass. 1re civ., 22 mai 2001, D. 2001, p. 2776, note Beignier ; RGDA 2001, p. 944, note Kullmann).
Cette exigence légale a conduit la Cour de cassation à poser une règle sans concession. Dans un arrêt du 22 mai 2001, elle énonce qu’« une clause d’exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée » (Cass. 1re civ., 22 mai 2001, D. 2001, n°99-10.849).
Cette formule découle directement de l’application de l’article L. 113-1 du Code des assurances. En l’espèce, un assuré réclamait le versement d’un capital invalidité après une transplantation cardiaque. L’assureur opposait une clause excluant “les incapacités contractées par l’assuré antérieurement à son admission dans l’assurance“. La cour d’appel avait validé cette exclusion en considérant que, “sans s’arrêter au sens littéral du terme incapacité“, il convenait d’entendre cette clause comme visant “la conséquence d’affections ou d’infirmités contractées par l’assuré avant la prise d’effet du contrat”.
La Cour de cassation censure cette solution au motif que “cette clause était ambiguë“. En refusant de s’en tenir au sens littéral du terme “incapacité” pour lui substituer une interprétation extensive, la cour d’appel avait reconnu implicitement que la clause nécessitait une interprétation. Or, une clause qui doit être interprétée ne peut, par définition, être considérée comme “formelle et limitée” au sens de l’article L. 113-1.
Cette jurisprudence, constamment réaffirmée (Cass. 3e civ., 27 oct. 2016, n° 15-23.841), établit un principe simple : toute exclusion ambiguë doit être écartée plutôt qu’interprétée.
Cette jurisprudence trouve une application récente dans un arrêt de la Deuxième chambre civile du 25 janvier 2024. L’affaire concernait une société de traiteur qui réclamait la garantie de ses pertes d’exploitation liées aux mesures de fermeture imposées pendant la pandémie de Covid-19. L’assureur opposait une clause d’exclusion stipulant que « demeure toutefois exclue : – la fermeture consécutive à une fermeture collective d’établissements dans une même région ou sur le plan national, – lorsque la fermeture est la conséquence d’une violation volontaire à la réglementation, de la déontologie ou des usages de la profession ».
L’assurée soutenait que cette clause était ambiguë et ne pouvait donc être considérée comme formelle et limitée. Elle faisait valoir que « ni l’emploi du singulier pour conjuguer le verbe “demeurer” ni l’usage de la conjonction de coordination “lorsque” n’avaient pu établir clairement le caractère cumulatif des deux propositions », créant un doute sur l’interprétation cumulative ou alternative des deux exclusions.
La Cour de cassation lui donne raison en censurant la cour d’appel qui avait validé l’exclusion. Elle énonce que « la clause d’exclusion précitée, rendue ambiguë par l’usage de la conjonction de subordination “lorsque”, nécessitait interprétation, de sorte qu’elle n’était pas formelle » (Cass. 2e civ., 25 janv. 2024, n° 22-14.739).
Cette décision illustre la rigueur de la Haute juridicition dans l’appréciation du caractère formel des exclusions. L’emploi de la conjonction “lorsque” introduisait une incertitude sur l’articulation entre les deux branches de l’exclusion : fallait-il les comprendre comme deux exclusions indépendantes ou comme une exclusion unique à double condition ? Cette ambiguïté rédactionnelle suffisait à priver la clause de son caractère formel, la rendant inapplicable.
Cette jurisprudence traduit une volonté claire de protection de l’assuré. En refusant d’interpréter les exclusions ambiguës, les tribunaux empêchent les assureurs de se soustraire à leurs obligations par le biais de rédactions volontairement équivoques. Cette approche incite également les compagnies d’assurance à améliorer la précision de leurs stipulations d’exclusion.
==>Le principe de l’interprétation in favorem de l’assuré
- Fondements du principe
Le principe d’interprétation in favorem à l’assuré repose sur deux textes principaux qui se complètent pour offrir une protection étendue.
Le premier fondement concerne les assurés-consommateurs. L’article L. 211-1 du Code de la consommation dispose que les clauses des contrats proposés par les professionnels «s’interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur ». Cette règle s’applique lorsque l’assuré contracte pour ses besoins personnels, en dehors de toute activité professionnelle.
Cette protection vaut également pour les contrats d’assurance collective. Même si l’employeur qui souscrit le contrat-cadre agit en professionnel, les salariés qui y adhèrent le font en qualité de consommateurs. L’article L. 211-1 leur profite donc, car le contrat leur est “proposé” au sens du texte.
Le second fondement vise les contrats d’adhésion. L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit l’article 1190 du Code civil, qui étend la règle d’interprétation favorable aux contrats d’adhésion. Cette innovation permet aux assurés professionnels d’en bénéficier, même s’ils ne sont pas consommateurs.
Cette extension présente un intérêt majeur en assurance. Les polices d’assurance constituent par nature des contrats d’adhésion : l’assureur rédige seul les conditions générales, l’assuré ne pouvant que les accepter ou les refuser en bloc.
Une limite importante tempère cette règle. Lorsqu’un courtier représentant l’assuré négocie réellement le contenu du contrat, celui-ci devient un contrat de gré à gré au sens de l’article 1110 du Code civil. L’interprétation favorable ne s’applique plus, puisque les clauses résultent d’une négociation équilibrée entre les parties.
- Évolution prétorienne et contrôle de cassation
L’interprétation in favorem à l’assuré a évolué : d’abord fondée sur les règles générales d’interprétation, elle s’appuie désormais sur des textes spéciaux permettant un contrôle de cassation.
Traditionnellement, les tribunaux appliquaient la règle générale d’interprétation contra stipulatorem. L’ancien article 1162 du Code civil prévoyait que les clauses ambiguës s’interprètent contre celui qui les a rédigées. Les tribunaux en déduisaient que « toute clause obscure ou ambiguë doit s’interpréter contre l’assureur » (CA Montpellier, 27 juin 1990). Cette solution se justifiait par le fait que l’assureur rédige seul ses polices.
Un tournant s’est opéré en 2003. La Première chambre civile a rendu un arrêt majeur le 21 janvier 2003 qui procède à un changement de fondement juridique du principe de l’interprétation in favorem de l’assuré (Cass. 1ère civ. 21 janv. 2003, n° 00-13.342 et 00-19.001) . L’affaire concernait un assuré atteint de sclérose en plaque qui réclamait le versement d’un capital invalidité. L’assureur refusait de garantir au motif que l’assuré ne remplissait pas “la double condition prévue au contrat“.
La Cour de cassation se fonde directement sur l’article L. 133-2 du Code de la consommation, rappelant que ce texte impose que “les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel“. Elle constate ensuite que “la clause définissant le risque invalidité était bien ambiguë de sorte qu’elle devait être interprétée dans le sens le plus favorable” à l’assuré.
Cette décision marque une rupture méthodologique. Pour la première fois, la Cour de cassation fonde explicitement l’interprétation favorable sur le droit de la consommation plutôt que sur les règles générales d’interprétation des contrats.
Cette évolution a une conséquence majeure : la Cour de cassation contrôle désormais l’application de cette règle. En effet, le visa de l’article L. 133-2 permet à la Haute juridicition de censurer les arrêts qui méconnaissent l’obligation d’interpréter favorablement au consommateur. Alors qu’elle ne pouvait auparavant vérifier l’interprétation des clauses ambiguës, relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond, elle peut maintenant sanctionner le non-respect de l’interprétation favorable lorsque les conditions légales sont réunies.
Cette jurisprudence s’est confirmée dans de nombreux arrêts ultérieurs (Cass. 2e civ., 1er juin 2011, n° 09-72.552 et 10-10.843 0).
L’application aux contrats collectifs suit, quant à elle, une logique particulière. L’article L. 211-1 vise les contrats “proposés” au consommateur. Cette formulation permet d’inclure les contrats collectifs à adhésion facultative : même si l’employeur souscrit le contrat-cadre en professionnel, les salariés qui y adhèrent librement bénéficient de la protection consumériste. En revanche, les contrats collectifs à adhésion obligatoire échappent à cette règle, car ils ne sont pas réellement “proposés” aux bénéficiaires (Cass. 2e civ., 8 juill. 2010, n° 09-16.417).
- Limites au principe d’interprétation in favorem à l’assuré
L’interprétation favorable à l’assuré ne s’applique pas systématiquement. Elle connaît deux limites principales qui restreignent son domaine d’application.
Première limite : les clauses claires ne peuvent être interprétées. Lorsqu’une stipulation possède un sens évident, l’interprétation favorable devient inutile et interdite. Le principe interpretatio cessat in claris s’impose : on n’interprète que ce qui est obscur (Cass. 1re civ., 26 févr. 2020, n° 18-21.306).
La jurisprudence illustre cette règle par plusieurs cas concrets. L’arrêt de la Première chambre civile du 2 décembre 2003 offre un exemple éclairant. Un emprunteur avait souscrit une assurance “perte d’emploi” couvrant les échéances de son prêt “lorsque l’assuré licencié bénéficiait d’une allocation chômage”. Son employeur ayant mis fin au contrat de travail à l’issue de la période d’essai, l’assureur refusait sa prise en charge.
La cour d’appel avait accueilli la demande de l’assuré en considérant que “le but de la police étant de garantir à un emprunteur le paiement du prêt immobilier au cas où il se trouve privé d’emploi pour une raison indépendante de sa volonté, le terme ‘licencié’ doit s’entendre, quel que soit le sens de ce terme dans la jurisprudence sociale, d’une privation d’emploi non volontaire”.
La Cour de cassation censure cette interprétation extensive en rappelant que “sous couvert d’interprétation, les juges ne peuvent altérer le sens clair et précis d’un contrat, ni modifier les obligations que les parties avaient librement acceptées“. Elle précise que la cour d’appel, “en étendant la garantie due par l’assureur en interprétant le terme ‘licencié’, dont le sens clair et précis est exclusif de la rupture du contrat de travail pendant la période d’essai“, avait dénaturé le contrat (Cass. 1re civ., 2 déc. 2003, n° 01-10.019).
Cette solution confirme que l’interprétation favorable ne peut jouer lorsque les termes employés possèdent une signification juridique précise. Le terme “licencié” ayant un sens technique défini par le droit du travail, qui exclut la rupture pendant la période d’essai, aucune ambiguïté ne justifiait une interprétation extensive favorable à l’assuré.
De même, un arrêt de la Deuxième chambre civile du 16 novembre 2006 illustre ce principe à propos d’une garantie invalidité (Cass. 2e civ. 16 nov. 2006, n°06-10.424). Un gérant de société victime d’une chute réclamait l’indemnisation de ses séquelles au titre d’une assurance individuelle accident. L’assureur refusait sa garantie en soutenant que seule était couverte “l’invalidité absolue définitive correspondant à l’invalidité 3e catégorie telle que définie par la sécurité sociale“.
La cour d’appel avait donné raison à l’assuré par un raisonnement alambiqué. Elle considérait que “l’objet de la garantie était parfaitement désigné par le chapitre 3 comme étant l’accident, sans autre précision, le décès et l’invalidité ne pouvant être que les conséquences de l’accident” et que “l’assureur ajoutait donc au contrat des précisions qu’il ne contenait pas du fait d’une rédaction approximative“. Elle en déduisait que les clauses devaient s’interpréter “en cas de doute, en faveur du consommateur” et qu’à défaut d’exclusion claire, toute invalidité permanente était garantie.
La Cour de cassation censure cette solution en rappelant que “selon les stipulations contenues dans les chapitres 3 et 5 des conditions particulières, qui prévalent sur les conditions générales et sont dépourvus d’ambiguïté, seule était garantie, pour un capital d’un certain montant, l’invalidité absolue définitive correspondant à l’invalidité 3e catégorie telle que définie par la sécurité sociale, impliquant la nécessité de l’assistance permanente d’une tierce personne pour accomplir les actes essentiels de la vie“.
Cette décision établit un principe clair : lorsqu’une clause renvoie expressément à une classification légale précise, elle ne peut faire l’objet d’une interprétation extensive. En l’espèce, les conditions particulières limitaient la garantie à “l’invalidité 3e catégorie telle que définie par la sécurité sociale“, formule qui possède un contenu juridique déterminé.
La cour d’appel avait tort de considérer cette référence comme ambiguë. La classification de la sécurité sociale définit avec précision les trois catégories d’invalidité selon des critères médicaux objectifs. En visant spécifiquement la troisième catégorie, le contrat excluait automatiquement les invalidités de première et deuxième catégories, sans qu’il soit besoin d’une clause d’exclusion expresse.
L’interprétation favorable ne peut donc jouer pour étendre une garantie au-delà des limites clairement fixées par référence à un texte légal précis.
Seconde limite : la priorité donnée à l’intention commune des parties. Avant d’appliquer le principe de l’interprétation in favorem à l’assuré, le juge doit rechercher la volonté réelle des contractants. Si cette recherche permet de lever l’ambiguïté, l’interprétation in favorem devient inutile. L’article 1190 du Code civil le précise : l’interprétation favorable ne joue qu’en cas de “doute” persistant sur l’intention commune, après épuisement des autres méthodes d’interprétation.
==>Résolution des conflits entre stipulations contractuelles
- L’application stricte des clauses claires
Les tribunaux ne peuvent interpréter que les clauses ambiguës. Face à une stipulation claire et précise, ils doivent l’appliquer sans chercher à en modifier le sens. Cette règle fondamentale protège la sécurité juridique et respecte la volonté des parties.
La Cour de cassation sanctionne sévèrement toute dénaturation des clauses univoques. L’arrêt du 11 juin 2009 rendu par la Deuxième chambre civile illustre cette rigueur à propos d’une clause de subsidiarité. Une société de gestion de conteneurs réclamait la garantie du vol de 122 conteneurs citernes. Le contrat prévoyait que la garantie “intervient en excédent de garantie et capitaux couverts par ailleurs pour les risques assurés ou en cas de défaillance ou insuffisances desdites garanties“.
La cour d’appel avait accueilli la demande en considérant que cette clause, “rédigée sous forme affirmative, et sans indiquer que la garantie serait conditionnée à l’existence d’autres garanties, mais seulement qu’elle ‘intervient en excédent’ de telles garanties, constitue manifestement une clause de subsidiarité et ne saurait, sans dénaturation, être considérée comme stipulant exclusion“.
La Cour de cassation censure cette interprétation en rappelant que “la clause de subsidiarité subordonnait clairement la garantie de l’assureur à l’existence d’une autre assurance couvrant le même risque” et que la cour d’appel, “qui en a dénaturé le sens et la portée“, avait violé l’article 1134 du Code civil (Cass. 2e civ., 11 juin 2009, n° 08-16.362). Cette décision démontre que la volonté de protéger l’assuré ne justifie jamais l’écartement d’une clause dont le sens est évident.
Cette rigueur s’observe dans de nombreuses applications. Les juges ne peuvent affirmer que le paiement d’un acompte fait courir la garantie lorsque la police prévoit expressément une prise d’effet “le lendemain à midi du jour du paiement de la première prime” (Cass. 1re civ., 10 mars 1964). De même, ils ne sauraient écarter une clause d’assistance exigeant l’accord préalable de l’assureur sous prétexte que l’assuré comateux ne pouvait la respecter, dès lors que cette exigence était clairement stipulée.
L’arrêt du 19 décembre 2000 illustre parfaitement ce principe. Un médecin victime d’une encéphalite herpétique à l’île Maurice avait été rapatrié d’urgence en France par son épouse, sans prévenir préalablement l’assureur. Le contrat stipulait que “l’organisation par le bénéficiaire ou par son entourage de l’une des assistances énoncées ne peut donner lieu à prise en charge que si Mondial Assistance a été prévenue préalablement et a donné son accord exprès“.
La cour d’appel avait écarté cette clause en retenant que l’assuré comateux était dans l’impossibilité de respecter cette obligation du fait de la force majeure, et que son épouse, “ne connaissant pas les termes du contrat d’assistance dont elle n’était qu’un bénéficiaire indirect, n’avait pu avertir Mondial Assistance de leur départ précipité“.
La Cour de cassation censure cette solution en précisant qu’aux termes de la clause litigieuse, “l’information de la société d’assistance incombait à l’entourage du bénéficiaire dès lors qu’il se chargeait d’organiser la prestation d’assistance“. Elle reproche ici à la Cour d’appel de ne pas avoir “constaté l’impossibilité absolue, pour Mme X…, de prévenir la société Mondiale Assistance” (Cass. 1re civ., 19 déc. 2000, n° 98-14.141). Cette décision confirme qu’une clause claire s’impose même en cas de difficultés pratiques d’exécution. En l’espèce, le fait que l’épouse ignore les termes du contrat ou que la situation soit urgente ne suffisait pas à écarter l’obligation de prévenir l’assureur. La Cour de cassation exige la démonstration d’une impossibilité matérielle absolue pour justifier l’inexécution d’une stipulation univoque.
Le contrôle de la dénaturation, codifié à l’article 1192 du Code civil, permet à la Cour de cassation de vérifier le respect de cette règle. Ce contrôle s’exerce avec une vigilance particulière lorsque les juges du fond s’écartent du sens apparent d’une clause.
- L’ordre de priorité entre les composantes de la police
La police d’assurance moderne présente une architecture complexe. Elle réunit généralement trois types de documents : les conditions générales, préimprimées et identiques pour tous les contrats d’une même catégorie ; les conditions particulières, qui individualisent chaque contrat ; et les conventions spéciales, qui précisent certaines garanties spécifiques. Cette diversité documentaire engendre inévitablement des contradictions.
Les conditions particulières priment les conditions générales. Cette règle, codifiée à l’article 1119, alinéa 3, du Code civil, énonce qu’« en cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières ». Cette prééminence se justifie logiquement : les conditions particulières, rédigées pour un assuré déterminé, expriment plus fidèlement la volonté des parties que les conditions générales uniformisées.
Cette hiérarchie ne souffre aucune exception. Elle s’applique même lorsque les conditions générales seraient plus avantageuses pour l’assuré (Cass. 1re civ., 9 févr. 1999, n°96-19.538). Le principe juridique l’emporte sur toute considération d’opportunité.
Les conventions spéciales se situent à un niveau intermédiaire (Cass. 1re civ., 2 mai 1989). Plus précises que les conditions générales mais moins personnalisées que les conditions particulières, elles servent notamment à détailler les modalités de garanties spécifiques dans les contrats multirisques.
L’application stricte de cette hiérarchie se vérifie dans la jurisprudence récente. L’arrêt du 4 octobre 2018 illustre parfaitement cette rigueur. Une SCI propriétaire d’un immeuble de dix appartements avait souscrit une assurance multirisque habitation “propriétaire non occupant”. L’immeuble étant devenu inoccupé à la suite d’un incendie, des vols et détériorations y avaient été commis. Un litige opposait les parties sur l’étendue de la garantie vol.
La cour d’appel avait limité l’indemnisation en retenant “qu’au titre de la garantie vol, seul celui effectué dans les locaux techniques ou d’entretien est garanti“. Cette restriction s’appuyait sur l’article 12 des conditions générales qui limitait effectivement la garantie vol aux seuls locaux techniques et d’entretien.
Cependant, la cour d’appel avait elle-même constaté que “selon ses conditions particulières, le contrat d’assurance souscrit par la SCI garantissait notamment le vol dans les parties communes de l’immeuble, celles-ci devant s’entendre comme celles utilisées par l’ensemble des locataires“. Cette stipulation des conditions particulières était manifestement plus large que celle des conditions générales.
La Cour de cassation rappelle d’abord le principe fondamental : “les clauses des conditions particulières d’une police d’assurance prévalent sur celles des conditions générales au cas où les premières sont inconciliables avec les secondes“. Elle censure ensuite la cour d’appel qui “a fait prévaloir les conditions générales de la police d’assurance limitant, en leur article 12, la garantie vol à celui commis dans les locaux techniques et d’entretien, bien que ces dernières soient inconciliables avec les premières” (Cass. 2e civ., 4 oct. 2018, n° 17-20.624).
Cette décision confirme que la règle de priorité s’applique sans exception : dès lors que les conditions particulières contredisent les conditions générales, les premières s’imposent automatiquement. Peu importe que les conditions générales soient plus restrictives ou que leur application puisse paraître logique, elles doivent céder devant les stipulations particulières incompatibles.
Cette hiérarchie ne joue qu’en cas de contradiction véritable. Lorsque les différents documents peuvent coexister harmonieusement, chacun s’applique dans son périmètre respectif. L’ordre de priorité n’intervient que face à une incompatibilité réelle entre les stipulations.
Un arrêt du 27 avril 2017 illustre cette nuance. Une société fabricant de circuits imprimés avait souscrit une assurance responsabilité civile avec une extension de garantie “dommages aux biens confiés“. Un incendie ayant détruit des biens de tiers dans ses locaux, l’assureur refusait sa garantie en invoquant l’article 4.1 des conditions générales excluant “les dommages matériels et immatériels causés par un incendie”.
L’assurée soutenait que cette exclusion générale était inconciliable avec l’extension de garantie souscrite dans les conditions particulières, laquelle couvrait “les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile incombant à l’assuré en raison des dommages causés aux biens qui lui sont confiés“. Elle invoquait la règle de priorité des conditions particulières sur les conditions générales.
La Cour de cassation rejette ce moyen en précisant que la cour d’appel avait légalement justifié sa décision en “ayant décrit l’articulation des différentes stipulations de la police d’assurance, ce dont il résultait que l’extension de garantie des dommages causés aux biens confiés prévue dans les conditions particulières n’était pas inconciliable avec l’exclusion générale des dommages causés dans l’établissement par un incendie” (Cass. 2e civ., 27 avr. 2017, n° 15-24.561).
Cette solution confirme qu’en l’absence d’incompatibilité véritable, les différentes stipulations coexistent selon leur logique propre. L’extension de garantie des conditions particulières ne remettait pas en cause l’exclusion générale des conditions générales, mais précisait simplement le périmètre d’une garantie spécifique. La hiérarchie documentaire n’avait donc pas lieu de s’appliquer.
- Autres règles de résolution des conflits
En complément de ces règles de priorité documentaire, d’autres principes permettent de trancher les conflits contractuels dans des situations particulières.
Les mentions manuscrites l’emportent sur le texte imprimé. Cette règle ancienne (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 88-10.758) s’explique par une présomption simple : l’ajout manuscrit d’une mention révèle une volonté délibérée de modifier le contrat-type. Contrairement au texte préimprimé, standardisé et répétitif, l’écriture manuelle témoigne d’une attention particulière portée à une stipulation spécifique.
En cas de divergence entre exemplaires, celui de l’assuré fait foi. Lorsque les versions détenues par chaque partie présentent des différences, la jurisprudence privilégie systématiquement l’exemplaire remis à l’assuré (Cass. 1re civ., 28 avr. 1993, n° 91-12.493). Cette préférence repose sur une double logique : d’une part, l’exemplaire de l’assuré constitue l’expression ultime de la volonté de l’assureur qui l’a rédigé et transmis ; d’autre part, l’assureur doit supporter les risques liés à ses propres défaillances dans la confection des documents contractuels.
L’intention commune des parties prime sur toutes ces règles. Ces principes techniques cèdent devant la volonté réelle des contractants clairement établie. Les juges doivent rechercher cette intention en considérant le contrat dans sa globalité (Cass. 1re civ., 22 nov. 1988). Cette recherche peut même conduire exceptionnellement à faire primer les conditions générales lorsque telle était manifestement la volonté partagée des parties (Cass. 1re civ., 30 oct. 1962).
La pratique révèle certaines incohérences dans l’application de ces principes. Certains domaines échappent régulièrement à l’interprétation favorable. Les clauses de plafond “par année et par sinistre” sont ainsi généralement interprétées de manière restrictive, fixant un montant maximum pour une année d’assurance quel que soit le nombre de sinistres (Cass. 1re civ., 9 juill. 1996, n° 94-19.876). De même, l’appréciation de la condition d’extériorité dans les assurances accidents donne lieu à des solutions variables : tantôt favorable à l’assuré pour un décès par fausse route alimentaire (Cass. 2e civ., 24 mai 2006, n° 05-13.639), tantôt défavorable pour un assuré victime d’apnées du sommeil qui s’était endormi au volant (Cass. 2e civ., 13 janv. 2012, n° 10-25.144).
Ces divergences s’expliquent par la difficulté à concilier deux impératifs : d’un côté, la protection de l’assuré considéré comme partie faible ; de l’autre, le respect de l’autonomie de la volonté et de la liberté contractuelle. Selon les circonstances de chaque espèce, l’un ou l’autre de ces objectifs peut prédominer, créant une apparente incohérence dans les solutions jurisprudentielles.
