L’effectivité du devoir de conseil en assurance repose sur l’existence de mécanismes de sanction dissuasifs et proportionnés. L’ordonnance du 16 mai 2018 a considérablement renforcé l’arsenal répressif applicable aux distributeurs défaillants, traduisant la volonté du législateur de conférer une portée concrète aux obligations de protection du consommateur.
Les sanctions applicables révèlent une approche duale, articulant responsabilité civile et contrôle administratif. D’une part, la responsabilité contractuelle du distributeur permet l’indemnisation du préjudice subi par le souscripteur mal conseillé. D’autre part, l’intervention de l’ACPR assure une régulation préventive du marché par la sanction des manquements systémiques aux bonnes pratiques.
Cette complémentarité entre sanctions civiles et administratives soulève des interrogations quant à leur articulation pratique et leur efficacité respective. Comment s’opère la répartition des rôles entre juge civil et autorité administrative ? Dans quelle mesure ces mécanismes parviennent-ils à dissuader les comportements défaillants tout en préservant l’équilibre économique du secteur ?
L’examen des sanctions du devoir de conseil révèle ainsi les tensions contemporaines entre impératifs de protection du consommateur et contraintes de régulation d’un marché en mutation.
I. Sanctions civiles
==>Nature de la responsabilité
Le manquement au devoir de conseil engage la responsabilité contractuelle de l’intermédiaire ou de l’assureur distributeur. Cette responsabilité trouve son fondement dans l’article 1231-1 du Code civil (ancien article 1147), qui dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution ».
La Cour de cassation a précisé que lorsque le préposé d’une société d’assurance commet une faute dans la phase précontractuelle, la responsabilité de celle-ci ne peut être engagée sur le terrain délictuel, car une faute commise dans la phase précontractuelle n’est pas extérieure au contrat (Cass. 1re civ., 9 juill. 1996, n° 94-18.696).
==>Charge de la preuve
Comme indiqué plus avant, l’arrêt de principe de la Cour de cassation du 25 février 1997 a opéré un renversement fondamental de la charge de la preuve. Désormais, c’est à « celui qui est légalement ou contractuellement tenu de fournir une information de rapporter la preuve qu’il a exécuté cette obligation » (Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, n°94-19.685).
Cette jurisprudence, confirmée par de nombreuses décisions ultérieures (Cass. 1re civ., 3 févr. 1998, n° 96-13.201), place le distributeur dans une position particulièrement délicate puisqu’il doit constituer par anticipation la preuve de l’exécution de son obligation.
La preuve de l’exécution du devoir de conseil peut être rapportée par tous moyens (C. civ., art. 1358). En pratique, elle résulte principalement :
- De la production de documents écrits signés par le client
- De la démonstration de la clarté des mentions des documents communiqués
- De l’établissement de la parfaite information du souscripteur sur les caractéristiques du contrat
A cet égard, la jurisprudence considère que la simple remise des conditions générales ne suffit pas toujours à établir l’exécution du devoir de conseil, notamment lorsque les clauses sont complexes ou comportent des exclusions importantes (Cass. 1re civ., 19 janv. 1994).
==>Préjudice indemnisable
Le préjudice le plus fréquemment invoqué résulte du défaut de couverture consécutif au conseil inadéquat. Il peut s’agir :
- De l’absence de garantie pour un risque spécifique qui aurait dû être couvert
- D’une couverture insuffisante par rapport aux besoins réels du souscripteur
- De la souscription d’un contrat inadapté générant des exclusions préjudiciables
Ainsi, la Cour de cassation a retenu la responsabilité d’un agent général qui avait fait souscrire une assurance ne prévoyant pas les risques afférents au transport des passagers, alors qu’il lui avait été expressément demandé cette garantie (Cass. 1re civ., 10 févr. 1987).
La notion de « défaut de conseil utile » recouvre les situations où l’intermédiaire a omis de délivrer un conseil qui aurait permis au souscripteur d’éviter un préjudice. La jurisprudence a ainsi sanctionné :
- L’omission de conseil sur la nécessité de déclarer les aggravations de risque (Cass. 1re civ., 30 sept. 2015)
- Le défaut de mise en garde sur les conséquences fiscales d’une opération d’assurance-vie (Cass. 2e civ., 3 oct. 2013, n°12-24.957)
- L’absence de conseil sur l’opportunité de souscrire des garanties complémentaires (Cass. 2e civ., 21 déc. 2006, n°06-13.158)
L’évaluation du préjudice soulève des difficultés particulières, notamment lorsqu’il s’agit d’établir le lien de causalité entre le manquement et le dommage. La Cour de cassation exige que le préjudice soit « en relation directe » avec la faute commise (Cass. 1re civ., 6 mai 1981).
En matière d’assurance-vie, la jurisprudence reconnaît la réparation de la «perte de chance» résultant d’un conseil inadéquat, notamment lorsque le souscripteur démontre qu’il aurait fait des choix différents s’il avait été correctement conseillé (CA Angers, 6 nov. 2007, n° 06/01539).
II. Sanctions administratives et disciplinaires
A. Le contrôle de l’ACPR
L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dispose de pouvoirs étendus de contrôle et de sanction en matière de distribution d’assurance. Ces pouvoirs trouvent leur fondement dans les articles L. 612-39 et suivants du Code monétaire et financier.
L’article L. 612-39 confère à l’ACPR le pouvoir de « contrôler le respect par les personnes soumises à son contrôle des dispositions qui leur sont applicables ». Ce contrôle s’étend naturellement aux obligations relatives au devoir de conseil.
L’ACPR peut sanctionner différents types de manquements relatifs au devoir de conseil :
- Les manquements formels :
- Absence de formalisation écrite du conseil
- Défaut de conservation des documents probatoires
- Non-respect des modalités de remise des informations précontractuelles
- Les manquements substantiels :
- Conseil inadapté aux besoins du client
- Défaut d’analyse des exigences et besoins du souscripteur
- Recommandation de produits complexes sans vérification de l’aptitude du client
- Conseil inadapté aux besoins du client
L’article L. 612-39 du Code monétaire et financier prévoit une gradation des sanctions administratives :
- L’avertissement
- Le blâme
- L’interdiction d’exercer certaines opérations
- Le retrait d’agrément ou de l’immatriculation
- Les sanctions pécuniaires
Les sanctions pécuniaires peuvent atteindre des montants substantiels. L’article L. 612-39, III fixe le plafond à 100 millions d’euros ou 10 % du chiffre d’affaires annuel pour les personnes morales.
B. L’encadrement des pratiques commerciales déloyales
L’ACPR veille également au respect des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales dans le secteur de l’assurance. Cette mission s’appuie sur :
- Les dispositions du Code des assurances relatives aux règles de conduite (articles L. 521-1 et suivants)
- Les règles du Code de la consommation relatives aux pratiques commerciales déloyales
- Les orientations et recommandations émises par l’ACPR
L’ACPR a développé une jurisprudence fournie en matière de sanctions des pratiques commerciales non conformes. Elle sanctionne notamment :
- Les défaillances dans l’information précontractuelle
- Les manquements aux obligations de conseil en assurance-vie
- Les pratiques de vente agressives ou inadaptées
L’ACPR coordonne son action avec d’autres autorités :
- L’Autorité des marchés financiers (AMF) pour les produits d’investissement fondés sur l’assurance
- La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour les pratiques commerciales déloyales
- Les juridictions pénales pour les infractions les plus graves
Cette coordination permet une approche cohérente de la répression des manquements au devoir de conseil, garantissant une protection efficace des consommateurs d’assurance.