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La stipulation pour autrui: conditions

La stipulation pour autrui constitue une exception au principe de l’effet relatif des contrats, qui veut qu’un contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties qui l’ont conclu. Elle permet ainsi à une personne (le stipulant) de prévoir, dans un contrat conclu avec une autre personne (le promettant), qu’un tiers bénéficiaire pourra directement se prévaloir d’un droit issu de cet accord.

Désormais consacrée aux articles 1205 à 1209 du Code civil, cette institution repose sur une construction doctrinale et jurisprudentielle ancienne, qui a progressivement évolué pour s’affranchir de certaines limitations initialement imposées par la théorie contractuelle classique.

Pour être valable, la stipulation pour autrui doit réunir deux conditions essentielles :

C’est l’existence de ces deux éléments qui permet au bénéficiaire d’opposer la stipulation au promettant et d’exercer le droit qui lui a été conféré.

A) Le caractère contractuel de la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui puise son essence dans la volonté concertée du stipulant et du promettant, qui s’accordent expressément à conférer un droit direct à un tiers bénéficiaire. Ce fondement contractuel, consacré par l’article 1205 du Code civil, implique que la stipulation ne saurait se déduire du silence des parties : elle requiert une manifestation de volonté non équivoque (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151).

Longtemps perçue comme un mécanisme nécessairement accessoire à une obligation sous-jacente, la stipulation pour autrui s’est progressivement affranchie de cette exigence, au point d’acquérir une autonomie conceptuelle reconnue tant par la doctrine que par la jurisprudence. Ainsi, son existence n’est plus subordonnée à l’existence d’une prestation entre le stipulant et le promettant (Cass. 1re civ., 12 avr. 1967).

Dès lors, la stipulation pour autrui ne procède ni d’un impératif d’utilité pour le stipulant ni d’une relation sous-jacente entre les parties contractantes, mais exclusivement de l’engagement du promettant à l’égard du tiers, par la seule force de l’accord contractuel qui l’y oblige.

1. La volonté conjointe du stipulant et du promettant de faire naître un droit au profit d’un tiers

La stipulation pour autrui trouve son assise dans l’accord concerté du stipulant et du promettant, lesquels manifestent une volonté expresse et non équivoque de conférer un droit direct à un tiers bénéficiaire. Ce principe, désormais consacré par l’article 1205 du Code civil, constitue le fondement même de cette institution, en ce qu’il permet d’affranchir le bénéficiaire du principe de l’effet relatif des contrats.

a. Une volonté de créer un droit au profit d’un tiers

Loin de se déduire implicitement du contrat, la stipulation pour autrui exige une intention claire et indubitable des parties. Aussi, le principe selon lequel la stipulation pour autrui ne saurait se présumer est désormais bien établi en droit français. L’article 1205 du Code civil rappelle avec fermeté que la volonté de conférer un droit au tiers doit être clairement exprimée. La jurisprudence a réaffirmé cette exigence, en jugeant que l’intention des parties de créer une stipulation pour autrui devait être non équivoque et ne pouvait se déduire implicitement du contrat (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151).

Cette exigence trouve sa justification dans la nature même de la stipulation pour autrui. Elle constitue en effet une dérogation au principe de l’effet relatif des conventions (art. 1199 C. civ.), qui dispose que les contrats ne créent d’obligations qu’entre les parties. Dès lors, il ne saurait être admis qu’un tiers puisse revendiquer un droit contractuel sans que cette conséquence ait été expressément voulue par le stipulant et le promettant.

Toutefois, si cette volonté conjointe est essentielle à la validité de la stipulation, l’analyse du mécanisme révèle une distinction à faire entre la création de la créance et son attribution au bénéficiaire.

La distinction entre ces deux étapes de l’opération trouve une illustration particulièrement évocatrice dans la jurisprudence relative à l’assurance pour compte. En effet, l’existence d’une telle stipulation repose exclusivement sur l’accord du souscripteur et de l’assureur, indépendamment de la volonté du bénéficiaire (Cass. 2e civ., 24 oct. 2019, n° 18-21.363). À l’inverse, lorsque cet accord fait défaut ou demeure incertain, la stipulation ne saurait prospérer, ce qui conduit la jurisprudence à refuser la reconnaissance d’une assurance pour compte en l’absence d’une volonté suffisamment caractérisée en faveur du bénéficiaire (Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 18-26.685 et 19-10.157).

Ainsi, plus encore que l’attribution de la créance au bénéficiaire, c’est bien la rencontre des volontés du stipulant et du promettant qui constitue le socle de la stipulation pour autrui. Loin d’être un mécanisme implicite, elle requiert une intention manifeste des parties, seule garante de la rigueur contractuelle et de la sécurité juridique de l’opération.

b. L’inopérance de l’exigence d’un intérêt du stipulant

Si l’existence d’une volonté claire est unanimement requise, la question de l’intérêt du stipulant dans l’opération a fait l’objet de vives controverses doctrinales et jurisprudentielles.

Historiquement, la jurisprudence a conditionné la validité de la stipulation pour autrui à l’existence d’un intérêt du stipulant, qu’il soit moral ou patrimonial (Cass. civ. 16 janv. 1888). Cette approche reposait sur l’idée que le stipulant devait agir dans une finalité qui lui était propre et non dans une logique purement gratuite. En d’autres termes, la stipulation pour autrui n’était admise que si le stipulant trouvait un avantage dans l’opération.

Toutefois, cette exigence a progressivement perdu de sa pertinence, au point d’être qualifiée de « faux problème » par la doctrine. Des auteurs tels que Marty et Raynaud soutiennent que la seule volonté conjointe du stipulant et du promettant suffit à justifier la stipulation, indépendamment de toute considération d’intérêt propre du stipulant. L’intérêt du stipulant ne constitue pas une condition essentielle, dès lors que l’acte de stipulation repose sur une autonomie juridique propre.

La jurisprudence a suivi cette évolution en cessant progressivement de faire référence à l’intérêt du stipulant comme condition de validité de la stipulation pour autrui (Cass. com. 1er déc. 1975, n°74-13.788). Désormais, l’accord des parties constitue le seul fondement du mécanisme, sans que le stipulant ait à démontrer un quelconque avantage personnel.

L’ordonnance du 10 février 2016 a définitivement consacré l’autonomie de la stipulation pour autrui en supprimant toute référence à l’intérêt du stipulant dans le Code civil. Alors que l’ancien article 1121 imposait que la stipulation fût l’accessoire d’une obligation principale pesant sur le stipulant, cette exigence a été expressément abandonnée dans les nouvelles dispositions de l’article 1205.

Cet abandon marque l’aboutissement d’une évolution tendant à détacher la stipulation pour autrui des contraintes inutiles qui limitaient son efficacité. Désormais, ce mécanisme contractuel fonctionne librement, sans que l’on ait à s’interroger sur l’utilité du stipulant dans l’opération.

Ainsi, l’essence de la stipulation pour autrui ne réside pas dans l’intérêt du stipulant, mais bien dans la volonté conjointe de ce dernier et du promettant de faire naître un droit au profit d’un tiers. Dès lors, l’accord des parties demeure le seul fondement de la stipulation, affranchi de toute exigence d’utilité ou d’intérêt personnel du stipulant.

2. L’abandon du caractère accessoire de la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui a longtemps été conçue comme un mécanisme intrinsèquement lié à un engagement principal du stipulant. L’ancien article 1121 du Code civil consacrait cette approche, en posant comme condition de validité que la stipulation pour autrui fût l’accessoire d’une obligation du stipulant, lequel devait lui-même retirer un bénéfice de l’opération. En d’autres termes, la stipulation pour autrui ne pouvait prospérer que dans le cadre d’une convention où le stipulant trouvait un intérêt propre à conférer un avantage au tiers bénéficiaire.

Toutefois, cette exigence a progressivement perdu en pertinence, jusqu’à être entièrement abandonnée par la doctrine et la jurisprudence. Dès 1967, la Cour de cassation a marqué un tournant décisif en reconnaissant qu’une stipulation pour autrui pouvait exister indépendamment de toute obligation principale du stipulant (Cass. 1re civ., 12 avr. 1967). Cette décision opérait une rupture avec la conception traditionnelle du mécanisme en consacrant la pleine autonomie de la stipulation pour autrui, y compris dans l’hypothèse où le stipulant ne retirait aucun avantage personnel de l’engagement pris par le promettant.

Cette évolution s’est prolongée dans la jurisprudence contemporaine, notamment en matière d’assurance, où il a été jugé que la désignation ou la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, effectuée par voie testamentaire, n’avait pas à être portée à la connaissance de l’assureur pour être valide (Cass. 2e civ., 10 mars 2022, n°20-19.655). Cet arrêt illustre le fait que la stipulation pour autrui, loin d’être conditionnée par l’existence d’un engagement principal du stipulant, est un acte unilatéral attributif de créance, dont l’effet se déploie sans intervention nécessaire du promettant au moment de son exécution.

a. La remise en cause doctrinale de l’exigence d’accessoire

La doctrine, largement favorable à cette évolution, a souligné l’inanité d’une telle contrainte, qui limitait artificiellement la portée du mécanisme. M. Marty et M. Raynaud relèvent ainsi que « l’exigence d’accessoire constituait une entrave inutile à l’effectivité du procédé, sans fondement réel dans la logique contractuelle »[19].

Dans le même esprit, des auteurs comme Eugène Gaudemet[20], Théorie générale des obligations, 1937, Dalloz, p. 243 et Guy Flattet[21] démontrent que rien dans la construction contractuelle ne justifiait que la stipulation pour autrui fût nécessairement subordonnée à une prestation du stipulant. Loin de constituer un principe essentiel, l’ancienne exigence d’accessoire apparaissait comme un dogme artificiel, entravant la souplesse du droit des obligations.

Cette critique a conduit à une inversion des perspectives : alors que la conception classique considérait que la stipulation pour autrui devait être l’accessoire d’une obligation du stipulant, certains auteurs ont soutenu que c’est, au contraire, la stipulation pour soi-même qui peut être reléguée à un rôle secondaire, le véritable moteur du mécanisme étant l’engagement du promettant envers le bénéficiaire. Cette analyse rejoint les observations de Georges Ripert et Jean Boulanger, selon lesquels « la stipulation pour autrui n’est pas une opération technique qui se suffise à elle-même. C’est un mécanisme juridique qui fonctionne à l’intérieur d’un contrat pour en diviser les effets »[22]. Dans le même sens, d’autres auteurs ont souligné que « ce n’est plus la stipulation pour autrui qui est accessoire à un engagement du stipulant, mais bien la stipulation pour soi-même qui l’accompagne qui peut être reléguée à un rôle secondaire »[23].

Par ailleurs, il a été démontré que la stipulation pour autrui s’apparente à un acte unilatéral du stipulant attribuant une créance au bénéficiaire, sans que l’accord du promettant ne soit requis à ce stade (art. 1321, al. 4 C. civ.). Dès lors, l’existence d’un contrat générateur de la créance demeure une condition préalable nécessaire, mais la stipulation elle-même n’a plus à s’inscrire dans un cadre accessoire.

b. La consécration de l’autonomie de la stipulation pour autrui

Cette évolution doctrinale et jurisprudentielle a finalement trouvé son aboutissement dans la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016. Les nouveaux articles 1205 et suivants du Code civil consacrent désormais l’autonomie de la stipulation pour autrui, sans exiger qu’elle s’inscrive dans un engagement principal du stipulant.

Désormais, la stipulation pour autrui est reconnue comme un acte distinct du contrat générateur de la créance, soumis aux conditions générales du droit des actes juridiques, notamment en matière de capacité (art. 1128 C. civ.). La jurisprudence récente a confirmé cette autonomie, en reconnaissant notamment qu’une stipulation pour autrui pouvait être implicite, dès lors qu’elle résultait de la volonté non équivoque des parties (Cass. 1re civ., 10 juill. 1995, n° 92-13.534).

En définitive, l’abandon du caractère accessoire marque l’aboutissement d’une évolution tendant à détacher la stipulation pour autrui des contraintes inutiles qui limitaient sa portée. Elle confère à cette institution une autonomie renouvelée, lui permettant de s’adapter plus librement aux besoins des contractants et d’assurer une meilleure prévisibilité des droits du bénéficiaire. Ainsi affranchi de son ancrage traditionnel dans une obligation du stipulant, le mécanisme de la stipulation pour autrui acquiert une souplesse nouvelle, renforçant son efficacité en tant qu’outil de structuration des relations contractuelles.

B) Le tiers bénéficiaire de la stipulation

La stipulation pour autrui confère un droit direct au bénéficiaire, bien que celui-ci ne soit pas partie au contrat initial. Toutefois, pour que ce droit soit reconnu, encore faut-il que le bénéficiaire soit déterminé ou déterminable, qu’il accepte la stipulation, et qu’il puisse, dans certains cas, être tenu d’obligations corrélatives.

L’évolution de la jurisprudence et de la doctrine a progressivement affiné ces conditions, en conciliant la flexibilité contractuelle avec la nécessité de préserver la sécurité juridique. Loin d’être un simple spectateur du contrat, le bénéficiaire devient un acteur dont les droits et obligations doivent être précisément encadrés.

1. La désignation du bénéficiaire

a. L’exercice d’un pouvoir unilatéral du stipulant

L’identification du bénéficiaire est une pierre angulaire du mécanisme de la stipulation pour autrui, en ce qu’elle conditionne l’attribution effective du droit conféré. Ce pouvoir appartient exclusivement au stipulant, seul habilité à attribuer à un tiers la créance qu’il détient contre le promettant. Il ne s’agit pas d’une simple prérogative, mais d’un droit discrétionnaire, corollaire du principe selon lequel la stipulation pour autrui confère au stipulant la maîtrise du droit né du contrat, lui permettant d’en disposer librement (art. 537 C. civ.). Dès lors, l’acte par lequel le stipulant désigne le bénéficiaire s’analyse en un acte unilatéral, qui modifie l’économie du contrat initial en déterminant la personne à laquelle la créance sera directement transmise[24].

L’effet de cette désignation est contraignant pour le promettant, lequel, à l’instar du débiteur dans une cession de créance (art. 1321 C. civ.) ou une indication de paiement (art. 1342-2, al. 1er C. civ.,), est tenu d’exécuter son obligation au profit du bénéficiaire désigné, sans qu’un consentement de sa part soit requis pour la validité de l’attribution (art. 1321, al. 4 C. civ.). Ainsi, la jurisprudence a refusé d’admettre comme bénéficiaire d’une assurance-décès une personne mentionnée de manière informelle par l’assureur dans un certificat d’adhésion partiellement complété, au motif que seule la volonté expresse du stipulant est de nature à conférer un droit direct au tiers (CA Toulouse, 2e ch., 1re sect., 23 juin 2005).

La désignation du bénéficiaire emporte un effet attributif immédiat, dont la nature varie selon le moment où elle intervient. Lorsque la stipulation est formulée dès l’origine, la créance naît directement dans le patrimoine du bénéficiaire, sans jamais transiter par celui du stipulant (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151). À l’inverse, si la créance a préalablement existé dans le patrimoine du stipulant avant d’être attribuée, l’opération s’apparente davantage à une transmission. Toutefois, la stipulation pour autrui se distingue fondamentalement d’une cession de créance en ce que le bénéficiaire n’est pas l’ayant cause du stipulant : il n’hérite pas d’un droit préexistant, mais devient titulaire d’une créance qui prend naissance en sa faveur.

Ainsi, la désignation du bénéficiaire ne se réduit pas à une simple modalité du contrat : elle constitue l’acte fondateur par lequel le stipulant confère au tiers un droit direct contre le promettant, consacrant ainsi la vocation autonome de la stipulation pour autrui.

b. Moment et modalités de la désignation du bénéficiaire

La stipulation pour autrui suppose que le bénéficiaire soit désigné par le stipulant au promettant (art. 1205, al. 2 C. civ). Toutefois, cette désignation ne doit pas nécessairement intervenir lors de la conclusion du contrat : elle peut être effectuée ultérieurement, sous réserve que le promettant ne s’y oppose pas. Cette possibilité découle du fait que l’attribution d’un droit au profit d’un tiers dépend exclusivement de la volonté du stipulant, lequel dispose d’une faculté de révocation tant que le bénéficiaire n’a pas accepté la stipulation (Cass., ass. plén., 12 déc. 1986, n°84-17.867).

Ainsi, le stipulant conserve la liberté de modifier la désignation du bénéficiaire à tout moment, sous réserve des conditions posées par la loi ou par la nature du contrat. Par exemple, en matière d’assurance-vie, la jurisprudence a admis qu’un souscripteur puisse substituer un nouveau bénéficiaire à l’ancien par simple déclaration, sans que cela ne constitue une cession de créance (Cass. 1re civ., 10 juill. 1996, n° 94-18.733). Cette solution repose sur l’idée que le stipulant ne saurait céder un droit qui ne lui appartient pas, dès lors qu’il l’a fait naître directement au profit du bénéficiaire désigné.

En l’absence de désignation expresse, la créance issue de la stipulation pour autrui revient au stipulant lui-même ou, en cas de décès, à sa succession (art. L. 132-11 C. ass.). Cette solution, appliquée en matière d’assurance-vie, a valeur de principe général et s’étend à toutes les hypothèses de stipulation pour autrui. Il en résulte que tant que le bénéficiaire n’est pas formellement désigné, le droit demeure dans la sphère patrimoniale du stipulant, qui peut en disposer librement.

Si le bénéficiaire est désigné, il n’est pas nécessaire que celui-ci soit informé immédiatement de l’attribution du droit à son profit. L’acte attributif est en effet non réceptice par nature : la créance est transmise indépendamment de la connaissance qu’en a le bénéficiaire. Toutefois, cette situation change dès lors que le stipulant décide de notifier la stipulation au bénéficiaire : dans ce cas, la faculté de révocation disparaît, et toute modification ultérieure de la désignation du bénéficiaire requiert son consentement (art. 1207, al. 3 C. civ.).

c. Le bénéficiaire : un ayant cause particulier du stipulant

Le bénéficiaire de la stipulation pour autrui est traditionnellement qualifié d’ayant cause à titre particulier du stipulant. Son droit résulte directement de la volonté de ce dernier et s’exerce avec les caractères qui lui ont été conférés par le stipulant (Cass. com., 19 déc. 1960, n° 58-11.141). Cette qualification a des implications majeures, notamment en ce qui concerne la pérennité du droit du bénéficiaire : tant que la stipulation n’a pas été acceptée, le stipulant conserve la faculté de révoquer l’attribution ou de substituer un autre bénéficiaire. Cette possibilité de révocation souligne le fait que le droit direct du bénéficiaire ne naît que de la volonté du stipulant et demeure suspendu tant qu’il ne l’a pas accepté.

D’un point de vue économique, la stipulation pour autrui peut répondre à diverses causes objectives : elle peut être motivée par une intention libérale (donation), par une logique de financement (prêt) ou par un objectif d’exécution d’une obligation préexistante (paiement). Dans tous les cas, elle se réalise en deux temps : d’abord, l’attribution de la créance, puis, le cas échéant, la transformation de cette créance en somme d’argent par l’exécution de l’obligation du promettant.

==>Qui peut être bénéficiaire d’une stipulation pour autrui ?

2. La nécessité d’un bénéficiaire déterminé ou déterminable

La stipulation pour autrui, pour produire ses effets, exige que le bénéficiaire soit soit déterminé ab initio, soit déterminable avec certitude au moment de l’exécution de la promesse. Cette exigence trouve sa justification dans la nécessité d’assurer la sécurité juridique des parties et d’éviter qu’un droit soit créé sans titulaire certain.

a. Un bénéficiaire nécessairement déterminable

La stipulation pour autrui ne saurait déployer ses effets qu’au bénéfice d’un titulaire précisément identifié ou, à défaut, rigoureusement déterminable au moment où la promesse est appelée à s’exécuter. Cette exigence, désormais consacrée par l’article 1205, alinéa 2, du Code civil, assure la sécurité juridique du mécanisme en prévenant toute incertitude quant à l’attribution des droits conférés. En ce sens, le texte prévoit que le bénéficiaire peut être « déterminé au moment de l’exécution de la promesse », consacrant ainsi une solution qui, longtemps débattue, s’est progressivement imposée en doctrine et en jurisprudence.

Historiquement, l’incertitude pesait sur la possibilité d’instituer un bénéficiaire non immédiatement désigné. Le principe classique, solidement ancré en droit des obligations, commande que tout rapport d’obligation suppose nécessairement un créancier identifiable, de sorte qu’un droit ne peut exister sans titulaire certain. Cette conception rigide semblait a priori exclure toute stipulation au profit d’un bénéficiaire non encore individualisé.

Toutefois, la jurisprudence a admis, par souci de pragmatisme, que la stipulation puisse viser une personne non déterminée au jour de la conclusion du contrat, dès lors qu’elle est susceptible d’être identifiée au moment où la promesse produit ses effets. Cette évolution s’explique par la nature même du mécanisme, qui repose sur un décalage temporel entre la formation du contrat initial et l’attribution effective du droit au bénéficiaire.

Ainsi, il est jugé que la stipulation peut être consentie au profit d’un bénéficiaire dont l’identité demeure incertaine au moment de la conclusion du contrat, mais qui sera nécessairement identifiable en fonction d’éléments objectifs prédéterminés. Ce principe a été consacré en matière d’assurance pour compte, où la Cour de cassation a reconnu qu’un contrat pouvait bénéficier à un créancier encore éventuel à la date de souscription (Cass. 1re civ., 7 oct. 1959).

La reconnaissance de bénéficiaires déterminables s’est traduite par l’admission de stipulations formulées en des termes généraux, dès lors qu’elles permettent d’identifier sans ambiguïté les personnes appelées à bénéficier de la promesse. C’est ainsi que la jurisprudence a validé des stipulations visant :

Dans chacun de ces cas, bien que les bénéficiaires ne soient pas nommément désignés dès la conclusion du contrat, leur individualisation devient possible grâce aux critères objectifs définis dans la stipulation.

Si l’ordonnancement juridique admet que le bénéficiaire soit déterminable, encore faut-il que la stipulation repose sur des critères suffisamment précis pour permettre son identification. À défaut, l’attribution demeure juridiquement inefficace et la créance ne peut être revendiquée par quiconque.

Ainsi, une stipulation formulée en des termes trop vagues ou généraux serait nulle, faute de conférer un droit à un titulaire identifiable. Tel serait le cas, par exemple, d’une stipulation visant de manière imprécise « les pauvres d’une ville », sans qu’aucun élément ne permette d’individualiser les personnes concernées. En revanche, la jurisprudence a admis la validité d’une stipulation au profit des pauvres d’une commune, dès lors que ceux-ci étaient représentés par un bureau d’aide sociale (Cass. req., 13 juin 1877).

De même, la stipulation au profit d’une personne future ne peut être admise que si son existence, bien que différée, est prévisible avec certitude. C’est notamment le cas en matière d’assurance sur la vie, où la loi admet qu’un contrat puisse être souscrit au bénéfice d’enfants à naître, sous réserve qu’ils soient conçus au moment du décès de l’assuré (art. L. 132-8, al. 3 C. civ.).

b. L’alternative en cas d’absence de bénéficiaire désigné

La stipulation pour autrui repose sur l’attribution d’un droit à un bénéficiaire clairement désigné ou, au moins, déterminable. À défaut, elle devient inopérante et n’a pas d’effet. Autrement dit, si personne ne peut être identifié comme bénéficiaire au moment où le contrat doit produire ses effets, le droit issu de la stipulation revient au stipulant lui-même.

Cette règle est particulièrement évidente en matière d’assurance-vie. Si le souscripteur n’a désigné aucun bénéficiaire, le capital assuré intègre automatiquement sa succession (art. L. 132-11 C. civ.). La jurisprudence applique cette solution à toutes les stipulations pour autrui: lorsqu’il n’y a pas de bénéficiaire désigné ou déterminable, le droit profite au stipulant ou, s’il est décédé, à ses héritiers (Cass. 1re civ., 16 févr. 1983, n° 81-16.715).

Un autre cas d’inefficacité de la stipulation se rencontre lorsque le bénéficiaire est incapable de recevoir le droit qui lui a été attribué. Par exemple, si une personne désignée ne remplit pas les conditions légales pour bénéficier du contrat, la stipulation est considérée comme inexistante, et l’obligation du promettant s’exécute directement au profit du stipulant.

Ainsi, pour que la stipulation pour autrui soit valable, il faut impérativement qu’un bénéficiaire puisse être identifié au moment où la prestation devient exigible.

==>Peut-on stipuler pour une personne qui n’existe pas encore ?

Pendant longtemps, la possibilité de désigner comme bénéficiaire une personne non encore existante a fait débat. L’argument principal contre cette idée était simple : un droit ne peut exister sans titulaire. Si la stipulation vise un bénéficiaire qui n’est pas encore né ou qui n’a pas encore d’existence juridique, cela reviendrait, selon certains auteurs, à créer un droit sans sujet, ce qui serait contraire aux principes du droit des obligations.

Cependant, cette vision a évolué. Il est désormais admis que le bénéficiaire peut être une personne qui n’existe pas encore au moment où le contrat est conclu, tant qu’il peut être déterminé lorsque la stipulation produit ses effets. Cette solution est consacrée par l’article 1205 du Code civil, qui prévoit que « le bénéficiaire peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse ».

Un exemple courant est celui de l’assurance-vie, où il est fréquent de prévoir que le capital reviendra aux enfants à naître du souscripteur (art. L. 132-8, al. 3 C. civ.). La jurisprudence a également admis que des fondations non encore constituées puissent être désignées comme bénéficiaires, à condition que leur création intervienne avant l’exécution de la promesse (Cass. req., 7 mars 1893).

Ainsi, une stipulation pour autrui peut viser une personne qui n’existe pas encore, mais uniquement si elle est déterminable au moment où la prestation doit être effectuée. Ce principe permet d’assurer la validité de nombreuses opérations, tout en garantissant une sécurité juridique aux parties concernées.

3. La faculté de mettre une obligation à la charge du bénéficiaire

Si la stipulation pour autrui repose fondamentalement sur l’idée d’un droit conféré au tiers bénéficiaire, elle n’exclut pas pour autant que celui-ci puisse se voir imposer une obligation en contrepartie de l’avantage qui lui est accordé. Cette perspective, qui s’éloigne de la conception purement libérale de la stipulation pour autrui, trouve son fondement tant dans la jurisprudence que dans la doctrine, qui s’interroge sur les limites de cette évolution.

a. Une obligation conditionnée par l’acceptation du bénéficiaire

La stipulation pour autrui diffère fondamentalement de la promesse pour autrui en ce qu’elle ne contraint pas nécessairement le bénéficiaire à une obligation. Néanmoins, la jurisprudence admet que le bénéficiaire puisse être tenu d’une charge ou d’une contrepartie, à condition qu’il accepte expressément la stipulation pour autrui (Cass. 1re civ., 8 déc. 1987, n°85-11.769).

Cette approche se justifie par le fait que la stipulation pour autrui repose sur une logique contractuelle. En conséquence, il est envisageable que le bénéficiaire, en exerçant le droit qui lui est conféré, adhère implicitement ou explicitement aux obligations qui l’accompagnent. Toutefois, ces obligations ne sauraient lui être imposées de manière unilatérale : elles ne deviennent opposables qu’au moment où il accepte la stipulation.

b. L’exemple de l’assurance de groupe

Le domaine des assurances illustre parfaitement ce mécanisme. Dans le cadre d’un contrat d’assurance de groupe, l’adhérent – bénéficiaire de la couverture assurantielle – est tenu de s’acquitter des primes en contrepartie des garanties qui lui sont offertes. La Cour de cassation a ainsi jugé que l’adhérent à un contrat d’assurance de groupe, bien que n’ayant pas directement négocié la stipulation, était tenu de respecter les obligations qui en découlaient, notamment le paiement des cotisations (Cass. 1ère civ., 7 juin 1989, n°87-14.648).

Cette décision témoigne de la reconnaissance d’un équilibre contractuel au sein de la stipulation pour autrui : si le bénéficiaire souhaite se prévaloir du droit qui lui est conféré, il doit en assumer les charges qui en découlent.

c. Une remise en question de la nature même de la stipulation pour autrui ?

L’admission d’une obligation à la charge du bénéficiaire soulève toutefois une interrogation fondamentale : ne transforme-t-elle pas la stipulation pour autrui en un contrat pour autrui ? Un auteur soutient que dès lors que le bénéficiaire est simultanément créancier et débiteur du promettant, la stipulation pour autrui perd de sa spécificité et s’apparente davantage à un mécanisme contractuel classique[25].

Cette analyse repose sur une distinction essentielle : dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire acquiert un droit par la seule volonté du stipulant, tandis que dans un contrat pour autrui, il devient directement partie à une relation contractuelle impliquant des obligations réciproques. Ainsi, si le bénéficiaire d’une stipulation pour autrui ne peut jouir du droit qui lui est conféré qu’en contrepartie d’une charge déterminée, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence du maintien de la qualification initiale.

En dépit de ces évolutions, la jurisprudence demeure vigilante quant à la préservation du caractère fondamental de la stipulation pour autrui. Si elle admet que le bénéficiaire puisse se voir imposer une obligation, c’est uniquement à la condition qu’il en ait accepté la charge et que celle-ci ne remette pas en cause l’essence même de l’institution.

En définitive, la possibilité d’imposer une obligation au bénéficiaire témoigne d’une évolution pragmatique du droit des contrats, visant à concilier souplesse et équilibre contractuel. Elle confirme que la stipulation pour autrui, loin d’être un mécanisme rigide, s’adapte aux réalités économiques et aux exigences de la pratique contractuelle, tout en préservant son fondement premier : l’octroi d’un droit au profit d’un tiers, voulu par le stipulant et accepté par le promettant.

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