Le partage des biens indivis doit répondre à une double exigence d’équité et de préservation économique. Si la priorité est donnée au partage en nature, il arrive que les circonstances rendent cette solution difficilement praticable. Le Code civil prévoit alors des mécanismes alternatifs permettant d’assurer une répartition juste entre les copartageants, tout en tenant compte des contraintes matérielles et économiques.
La démarche à suivre pour constituer les lots repose ainsi sur une logique progressive : il convient d’abord de rechercher si l’égalité entre les copartageants peut être atteinte par un partage en nature. En cas de difficulté, plusieurs alternatives s’offrent au juge ou aux parties, allant de l’ajustement par le biais de soultes jusqu’à la licitation des biens.
Nous nous focaliserons ici sur la première étape de constitution des lots: la recherche d’un partage en nature.
Le partage en nature constitue historiquement la règle de principe en matière de répartition des biens indivis. Bien que la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 ait consacré le principe d’égalité en valeur à l’article 826 du Code civil, le partage en nature demeure la voie prioritaire qu’il y a lieu d’emprunter lorsqu’il peut être réalisé sans compromettre l’intégrité économique des biens. L’attribution à chaque copartageant d’une part en nature des biens indivis permet de garantir le respect des droits patrimoniaux de chacun et d’assurer une répartition concrète des actifs à partager.
La finalité du partage en nature est d’attribuer à chaque héritier un lot composé de biens matériels équivalant à ses droits dans l’indivision. Concrètement, cette répartition implique que chaque lot soit constitué d’une proportion comparable de biens meubles, immeubles, créances ou autres actifs de même nature. Par exemple, il ne saurait être question d’attribuer exclusivement des liquidités à un héritier et des biens immobiliers à un autre, sauf à porter atteinte à l’équilibre du partage. L’objectif est d’éviter une rupture d’égalité entre les copartageants.
Ainsi, un partage en nature rigoureusement équilibré pourrait se traduire par une répartition homogène des biens selon leur nature : chaque lot comprenant, par exemple, une part de terrains agricoles, une part de biens mobiliers et une part de liquidités. Cette approche permet d’assurer que chaque copartageant soit alloté de manière équitable, tant en valeur qu’en substance, préservant ainsi ses droits patrimoniaux de manière tangible.
A l’analyse, le partage en nature présente deux atouts majeurs :
- D’une part, il favorise la sécurité juridique des opérations de partage en réduisant les aléas liés à l’évaluation des biens. En effet, les biens immobiliers, les titres financiers ou les objets d’art peuvent être soumis à des fluctuations de valeur parfois difficiles à anticiper. En attribuant directement une part matérielle à chaque héritier, le risque de contestations ultérieures est considérablement atténué.
- D’autre part, le partage en nature favorise l’équilibre économique des opérations. Il évite que certains copartageants soient exclusivement alloties en liquidités, tandis que d’autres se voient attribuer des biens difficiles à liquider ou susceptibles de perdre de la valeur. Cette méthode de répartition assure une forme d’équité durable, car elle préserve les droits de chacun de manière concrète et immédiate.
Prenons un exemple pratique pour illustrer cette logique. Imaginons une succession comprenant deux appartements identiques situés dans un même immeuble. Il apparaît naturel et équitable d’attribuer un appartement à chacun des deux copartageants, évitant ainsi de recourir à une soulte ou à une vente. Une telle répartition permet d’assurer une égalité instantanée entre les parties, tout en évitant les frais et les délais qu’implique une procédure de licitation.
Dans une situation similaire, lorsque la masse partageable comprend des terrains agricoles de même qualité ou des actions d’une même société, il est tout aussi pertinent d’allouer à chaque héritier une fraction équivalente de ces biens. Cette approche garantit que chaque copartageant bénéficie d’une part concrète du patrimoine transmis, sans dépendre d’une évaluation incertaine ou d’une compensation monétaire qui pourrait, à terme, s’avérer inadaptée.
Toutefois, le partage en nature, bien qu’idéal dans certaines configurations, trouve sa limite dès lors que la division matérielle des biens risque d’en compromettre la valeur ou l’utilité économique. Il en est ainsi des biens indivis dont le fractionnement entraînerait une dépréciation significative ou rendrait leur exploitation impossible.
L’article 830 du Code civil invite précisément à éviter la division des unités économiques et autres ensembles patrimoniaux dont le morcellement pourrait porter préjudice à leur viabilité. Ce texte traduit la volonté du législateur de préserver la cohérence économique des patrimoines partagés, notamment lorsqu’il s’agit de biens tels que des exploitations agricoles, des fonds de commerce ou des immeubles à usage locatif.
La jurisprudence, fidèle à cette exigence, rappelle que le juge du partage dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer si un morcellement est approprié ou s’il constitue une atteinte à l’intégrité économique du bien concerné. Ainsi, dans un arrêt du 11 mai 2016, la Cour de cassation a validé la décision d’une cour d’appel ayant refusé la division matérielle d’un immeuble composé de deux appartements (Cass. 1ère civ., 11 mai 2016, n°15-18.993). Les juges avaient relevé que les installations communes des deux logements (chauffage, canalisations d’eau, installations électriques) rendaient leur séparation techniquement complexe et économiquement inopportune, en raison des coûts élevés de mise aux normes nécessaires pour assurer leur indépendance.
Dans cette affaire, le partage en nature aurait nécessité des travaux coûteux qui auraient compromis la rentabilité des biens. La solution retenue a donc été d’attribuer l’ensemble de l’immeuble à un seul héritier, moyennant le versement d’une soulte aux autres copartageants, afin de rétablir l’équilibre en valeur.
Cette jurisprudence illustre parfaitement la nécessité de préserver l’intégrité des biens lorsque leur division entraînerait une dévalorisation. Le partage en nature, bien qu’idéal dans certaines hypothèses, ne saurait être réalisé au mépris des réalités économiques. Le juge doit donc, dans chaque situation, rechercher l’option la plus adaptée pour garantir l’équilibre entre les parties tout en préservant la valeur des actifs.
La question du morcellement se pose avec une acuité particulière lorsqu’il s’agit de biens à vocation économique, tels que les exploitations agricoles. Le législateur a d’ailleurs prévu un mécanisme spécifique d’attribution préférentielle pour ces biens, permettant à un héritier exploitant de se voir attribuer l’ensemble de l’exploitation, afin d’en assurer la pérennité.
Prenons l’exemple d’une exploitation agricole composée de plusieurs parcelles de terres cultivables et de bâtiments d’exploitation. La division matérielle de cet ensemble pourrait compromettre sa viabilité, en raison de la nécessité de maintenir une cohérence fonctionnelle entre les différentes parcelles et infrastructures. Dans une telle situation, le partage en nature serait inopportun, car il nuirait à la rentabilité économique de l’exploitation. Il serait donc préférable d’attribuer l’ensemble à un seul héritier, moyennant une compensation financière versée aux autres copartageants.
Cette solution permet non seulement de préserver l’intégrité de l’exploitation, mais également d’éviter les pertes économiques qui découleraient d’un morcellement. Elle illustre la nécessité d’adopter une approche pragmatique dans les opérations de partage, en tenant compte des spécificités des biens indivis et des intérêts économiques en jeu.

