Site icon Gdroit

La force probante de l’acte sous signature privée

==>Notion

À la différence de l’acte authentique, l’acte sous signature privée ne fait l’objet d’aucune définition textuelle. Le Code civil n’aborde que ses conditions de validité et sa force probante. Aussi, est-ce la doctrine qu’est revenue la tâche de le définir.

Selon Charles Demolombe, l’acte sous signature privée consiste en « un écrit rédigé sans l’intervention d’un officier public, sous la seule signature des parties, à l’effet de constater la preuve d’une obligation ou d’une libération ou de tout autre fait juridique »[1].

La définition de Charles Aubry est plus lapidaire. Pour cet auteur, « les actes sous seing privé sont des actes faits sans l’intervention d’officiers publics, et sous la signature des parties »[2].

Il ressort de ces définitions deux éléments qui caractérisent l’acte sous signature privée :

L’acte sous signature privée est régi aux articles 1372 à 1377 du Code civil. Nous nous focaliserons ici sur sa force probante.

1. La vigueur de la force probante de l’acte sous signature privée

L’article 1372 du Code civil prévoit que « l’acte sous signature privée, reconnu par la partie à laquelle on l’oppose ou légalement tenu pour reconnu à son égard, fait foi entre ceux qui l’ont souscrit et à l’égard de leurs héritiers et ayants cause. »

Par la formule « fait foi », il faut comprendre que l’acte sous signature privée fait preuve et plus précisément qu’il produit l’effet juridique d’un écrit au sens de l’article 1364 du Code civil.

Cela signifie, autrement dit, que, en tant que preuve parfaite, l’acte sous signature privée s’impose au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonnera à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

Dans l’affirmative, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait ou de l’acte allégué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

Si l’on s’arrête à cette particularité de l’acte sous signature privée, rien ne le distingue a priori de l’acte authentique.

En effet, l’’article 1371 du Code civil prévoit également, s’agissant de l’acte authentique, qu’il « fait foi ».

Pourtant, il existe bien une différence entre les deux catégories d’actes. La force probante dont est pourvu l’acte authentique lui confère une valeur juridique supérieure à celle reconnue à l’acte sous signature privée.

La raison en est que l’acte authentique « fait foi » de plein droit dès lors que ses conditions d’établissement sont remplies.

Tel n’est pas le cas de l’acte sous signature privée. L’article 1372 du Code civil dispose que pour faire foi, l’acte sous signature privée doit :

Dans l’un ou l’autre cas, « par reconnu », il faut entendre « authentifié ». À cet égard, lorsque l’on oppose traditionnellement l’acte authentique à l’acte sous signature privée, cela ne signifie pas que ce dernier ne pourrait pas également présenter un caractère authentique.

Lorsque l’on dit d’un acte qu’il est authentique, il faut seulement comprendre que l’on tient pour vrai son origine et son contenu.

Aussi, à l’instar de l’acte authentique établi par un officier public, l’acte sous signature privée peut également présenter un caractère authentique. C’est toutefois à la condition, comme précisé par l’article 1372 du Code civil, qu’il soit reconnu comme tel par la partie à laquelle on l’oppose.

Aussi suffira-t-elle à cette dernière de contester l’authenticité de l’acte, en arguant par exemple que la signature apposée sur l’instrumentum a été falsifiée, pour le priver de son effet probatoire.

En pareille hypothèse, c’est à la partie qui s’en prévaut qu’il reviendra de prouver l’authenticité de l’acte. Pour ce faire, elle pourra notamment s’appuyer sur le dispositif institué aux articles 287 et suivants du Code de procédure civile (Cass. 2e civ. 15 juin 1994, n°92-18.241).

Pour mémoire, l’article 287 prévoit que « si l’une des parties dénie l’écriture qui lui est attribuée ou déclare ne pas reconnaître celle qui est attribuée à son auteur, le juge vérifie l’écrit contesté à moins qu’il ne puisse statuer sans en tenir compte. »

Si donc l’acte sous signature privée fait foi, en principe, « entre ceux qui l’ont souscrit et à l’égard de leurs héritiers et ayants cause », cet effet probatoire est en réalité précaire puisque devant nécessairement pour jouer être « reconnu par la partie à laquelle on l’oppose ou légalement tenu pour reconnu à son égard ».

C’est là une différence majeure, sinon fondamentale avec l’acte authentique. La force probante de ce dernier n’est conditionnée à aucune reconnaissance, ni vérification préalable. Il tire son authenticité des seules présence de l’officier public et de sa signature apposée sur l’acte.

Pour cette raison, la partie qui se prévaut d’un acte authentique est dispensée de prouver son authenticité, celle-ci étant inhérente à l’acte en lui-même ; elle est autrement dit présumée ; d’où la qualification « d’acte authentique ».

La seule voie ouverte pour remettre en cause cette authenticité n’est autre que la procédure d’inscription en faux.

Tel n’est pas le cas pour l’acte sous signature privée dont la contestation est bien plus facile. Il suffira de rapporter la preuve contraire, ce qui impliquera, soit de produire un autre écrit, soit de procéder à une vérification d’écriture.

2. L’étendue de la force probante de l’acte sous signature privée

L’infériorité de la force probante dont est pourvu l’acte sous signature privée par rapport à celle dont est doté l’acte authentique se manifeste à trois niveaux : son origine, son contenu et sa date.

a. La force probante de l’acte sous signature privée quant à son origine

À la différence de l’acte authentique, l’acte sous signature privée n’est pas dressé par un officier public ; il est établi par les parties elles-mêmes.

À cet égard, il est indifférent que l’acte ait été rédigé par un avocat dans la mesure où celui-ci n’endosse pas la qualité d’officier public.

Par officier public, il faut entendre, pour mémoire, une personne délégataire de la puissance publique de l’État au nom duquel il confère l’authenticité aux actes relevant de sa compétence.

Dans la mesure où l’acte sous signature privée n’a pas été établi par un officier public, il ne saurait faire foi quant à son origine.

Cela signifie concrètement que la partie à laquelle on l’oppose peut dénier en être l’auteur sans qu’il lui soit besoin de mettre en œuvre une procédure d’inscription en faux.

Il lui suffira de solliciter une vérification en écriture conformément à l’article 1373 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la partie à laquelle on l’oppose peut désavouer son écriture ou sa signature. Les héritiers ou ayants cause d’une partie peuvent pareillement désavouer l’écriture ou la signature de leur auteur, ou déclarer qu’ils ne les connaissent. Dans ces cas, il y a lieu à vérification d’écriture ».

Dans l’hypothèse où la vérification d’écriture confirmerait l’origine de l’acte sous signature privée contesté, celui-ci acquerrait la force probante d’un acte authentique. Il ne pourrait alors être remis en cause que dans le cadre d’une procédure d’inscription en faux.

A contrario, tant que l’origine de l’acte sous signature privée n’est pas contestée par la partie à laquelle on l’oppose, il produit pleinement les effets probatoires que l’on attache à l’écrit.

b. La force probante de l’acte sous signature privée quant à son contenu

Compte tenu de ce que l’acte sous signature privée est établi par les seules parties, les faits qu’il énonce n’ont, par hypothèse, ni été constatés, ni été vérifiés par un officier public.

Il en résulte que la partie à laquelle l’acte est opposé peut les contester sans qu’il lui soit besoin, à encore, de mettre en œuvre la procédure d’inscription en faux.

Elle pourra discuter la véracité des faits énoncés dans l’acte en rapportant la preuve contraire et plus précisément en produisant un autre écrit contredisant ces derniers.

c. La force probante de l’acte sous signature privée quant à sa date

S’agissant de la force probante de l’acte sous signature privée quant à sa date, il convient de distinguer selon que l’on se place dans les rapports entre les parties ou dans les rapports avec les tiers.

i. Dans les rapports entre les parties

Bien que l’article 1377 du Code civil ne le dise pas expressément, dans les rapports entre les parties, la date apposée sur l’acte sous signature privée fait foi.

Toutefois, parce que cette date n’a pas été constatée, ni vérifiée par un officier public à l’instar des faits énoncés dans un acte authentique, elle ne fait foi que jusqu’à preuve du contraire, soit sans qu’il soit besoin pour la partie à laquelle l’acte est opposé de mettre en œuvre la procédure d’inscription en faux.

Pratiquement, il appartiendra à cette dernière de prouver que la date d’accomplissement de l’acte est erronée.

Pour ce faire, il lui faudra produire un écrit en matière civile, tandis que la preuve se fait par tout moyen en matière commerciale.

ii. Dans les rapports avec les tiers

L’article 1377 du Code civil prévoit que « l’acte sous signature privée n’acquiert date certaine à l’égard des tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort d’un signataire, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique. »

Il ressort de cette disposition que la date figurant sur un acte sous signature privée n’est pourvue, par principe, d’aucune force probante à l’égard des tiers, sauf à acquérir un caractère certain.

==> Principe

En application de l’article 1377 du Code civil, la date apposée par les parties sur un acte sous signature privée ne produit aucun effet probatoire à l’égard des tiers, en ce sens qu’elle ne leur est pas opposable.

La raison en est qu’il est extrêmement aisé pour des parties qui seraient de connivence de falsifier un acte, ce qui peut avoir pour conséquence de nuire aux tiers.

Un auteur souligne en ce sens que « cette défiance envers les parties est compréhensible au regard de l’éventualité qu’elles conviennent de porter sur l’acte une date différente de la date réelle, qu’il s’agisse de l’antidater ou de le postdater »[6].

C’est la raison pour laquelle le législateur a estimé qu’il y avait lieu de ne conférer, par principe, aucune force probante à la date mentionnée dans un acte sous signature privée. Il s’agit là d’une règle qui vise à protéger les tiers contre la fraude éventuelle des parties.

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1328 du Code civil exprimait ce principe de façon plus explicite que l’article 1377 puisqu’il disposait que « les actes sous seing privé n’ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l’un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellé ou d’inventaire ».

Il ressortait ainsi clairement de ce texte que faute de remplir les conditions exigées par la loi, l’acte sous signature privée était réputé n’avoir aucune date contre les tiers. C’était le principe du tout ou rien

L’introduction de la notion de date certaine par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 n’est pas sans avoir interrogé sur le maintien de ce principe.

En effet, faut-il comprendre que par opposition à la notion de date certaine, il existerait des dates non certaines qui, parce qu’elles sont reconnues en tant que date pourraient jouer contre les tiers ?

À l’analyse, il n’en est rien ; dans le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016, le législateur a souligné que l’article 1377 avait vocation à reconduire la règle énoncée à l’ancien article 1328 du Code civil, mais en la « modernisant ».

==> Exception

Si, par principe, la date figurant sur un acte sous signature privée n’est pourvue d’aucune force probante à l’égard des tiers, par exception il est admis qu’elle puisse leur être opposable lorsqu’elle répond aux conditions faisant d’elles une date certaine.

La question qui alors se pose est double :

Tandis que la réponse à la première question se trouve dans la loi, la réponse à la seconde question a été apportée par la jurisprudence.

==> Limites

La Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que la seule connaissance par le tiers de l’existence de l’acte litigieux le prive de la faculté de se prévaloir de l’inopposabilité de la date apposée sur celui-ci (Cass. 3e civ. 20 juill. 1989, n°88-13.413).

Cette position est logique dans la mesure où l’article 1377 du Code civil vise à protéger les tiers.

Aussi, dès lors que l’acte est connu, cette règle n’a plus lieu de s’appliquer, le tiers pouvant difficilement arguer qu’il ignorait l’éventuelle falsification de la date figurant sur l’acte.

Dans un arrêt du 18 juin 1991, la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait reconnu la qualité de tiers à un couple d’époux sans rechercher s’ils n’avaient pas eu connaissance des conditions dans lesquelles l’acte litigieux – au cas particulier un mandat – avait été négocié (Cass. com. 18 juin 1991, n°90-10.755).

Quitter la version mobile