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La force probante de l’acte sous signature privée quant à sa date

S’agissant de la force probante de l’acte sous signature privée quant à sa date, il convient de distinguer selon que l’on se place dans les rapports entre les parties ou dans les rapports avec les tiers.

I) Dans les rapports entre les parties

Bien que l’article 1377 du Code civil ne le dise pas expressément, dans les rapports entre les parties, la date apposée sur l’acte sous signature privée fait foi.

Toutefois, parce que cette date n’a pas été constatée, ni vérifiée par un officier public à l’instar des faits énoncés dans un acte authentique, elle ne fait foi que jusqu’à preuve du contraire, soit sans qu’il soit besoin pour la partie à laquelle l’acte est opposé de mettre en œuvre la procédure d’inscription en faux.

Pratiquement, il appartiendra à cette dernière de prouver que la date d’accomplissement de l’acte est erronée.

Pour ce faire, il lui faudra produire un écrit en matière civile, tandis que la preuve se fait par tout moyen en matière commerciale.

II) Dans les rapports avec les tiers

L’article 1377 du Code civil prévoit que « l’acte sous signature privée n’acquiert date certaine à l’égard des tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort d’un signataire, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique. »

Il ressort de cette disposition que la date figurant sur un acte sous signature privée n’est pourvue, par principe, d’aucune force probante à l’égard des tiers, sauf à acquérir un caractère certain.

A) Principe

En application de l’article 1377 du Code civil, la date apposée par les parties sur un acte sous signature privée ne produit aucun effet probatoire à l’égard des tiers, en ce sens qu’elle ne leur est pas opposable.

La raison en est qu’il est extrêmement aisé pour des parties qui seraient de connivence de falsifier un acte, ce qui peut avoir pour conséquence de nuire aux tiers.

Un auteur souligne en ce sens que « cette défiance envers les parties est compréhensible au regard de l’éventualité qu’elles conviennent de porter sur l’acte une date différente de la date réelle, qu’il s’agisse de l’antidater ou de le postdater »[6].

C’est la raison pour laquelle le législateur a estimé qu’il y avait lieu de ne conférer, par principe, aucune force probante à la date mentionnée dans un acte sous signature privée. Il s’agit là d’une règle qui vise à protéger les tiers contre la fraude éventuelle des parties.

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1328 du Code civil exprimait ce principe de façon plus explicite que l’article 1377 puisqu’il disposait que « les actes sous seing privé n’ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l’un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellé ou d’inventaire ».

Il ressortait ainsi clairement de ce texte que faute de remplir les conditions exigées par la loi, l’acte sous signature privée était réputé n’avoir aucune date contre les tiers. C’était le principe du tout ou rien

L’introduction de la notion de date certaine par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 n’est pas sans avoir interrogé sur le maintien de ce principe.

En effet, faut-il comprendre que par opposition à la notion de date certaine, il existerait des dates non certaines qui, parce qu’elles sont reconnues en tant que date pourraient jouer contre les tiers ?

À l’analyse, il n’en est rien ; dans le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016, le législateur a souligné que l’article 1377 avait vocation à reconduire la règle énoncée à l’ancien article 1328 du Code civil, mais en la « modernisant ».

B) Exception

Si, par principe, la date figurant sur un acte sous signature privée n’est pourvue d’aucune force probante à l’égard des tiers, par exception il est admis qu’elle puisse leur être opposable lorsqu’elle répond aux conditions faisant d’elles une date certaine.

La question qui alors se pose est double :

Tandis que la réponse à la première question se trouve dans la loi, la réponse à la seconde question a été apportée par la jurisprudence.

1. Les circonstances d’acquisition de la date certaine

Elles sont au nombre de trois :

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser à plusieurs reprises que la liste des circonstances dans lesquelles un acte sous signature privée acquiert date certaine était limitative (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 4 févr. 1986, n°84-03.038).

2. Les tiers auxquels la date certaine est opposable

En application de l’article 1377 du Code civil, si la date figurant sur l’acte fait foi entre les parties, elle est en revanche inopposable aux tiers, sauf à avoir acquis date certaine.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par tiers.

Cette question n’est pas sans avoir donné lieu à un abondant contentieux en jurisprudence.

Au sens large, la catégorie des tiers est constituée par toutes les personnes qui ne sont pas parties à l’acte.

Selon la formule latine consacrée il s’agit des « penitus extranei» soit les personnes totalement étrangères au contrat.

Comme soulevé néanmoins par un auteur, « il n’est pas toujours aisé de distinguer la partie du tiers et il est bien des personnes intermédiaires entre les deux»[7].

Aussi, entre les parties à l’acte et les penitus extranei, il est un certain nombre de personnes qui oscillent entre ces deux extrêmes.

Tantôt la jurisprudence les assimile à des parties, tantôt elle leur attribue le statut de tiers.

==> Les personnes exclues de la catégorie des tiers

Au nombre des personnes qui ne sont pas parties à l’acte mais que la jurisprudence a exclues de la catégorie des tiers, figurent : les héritiers et légataires universels et à titre universel, les créanciers chirographaires ou encore les créanciers saisissants.

À l’analyse, les solutions retenues par la jurisprudence ont été guidées par la finalité de l’ancien article 1328 du Code civil devenu l’article 1377 : la protection des tiers.

Comme souligné par des auteurs « le régime protecteur de l’article 1328 se justifie parce que le droit de celui qui l’invoque serait atteint si l’antériorité de l’écrit litigieux était admise»[8].

Si donc les règles gouvernant la date certaine ont pour finalité la protection des tiers contre les agissements frauduleux des parties, seules les personnes susceptibles de subir un préjudice peuvent endosser la qualification de tiers et donc se prévaloir de l’inopposabilité de la date figurant sur l’acte sous signature privée.

Afin d’identifier les personnes relevant de la catégorie des tiers au sens de l’article 1377 du Code civil, il convient alors de déterminer si le droit qu’elles invoquent leur est propre ou si ce droit entretient un lien de dépendance avec la situation juridique de la partie à l’acte.

Toute la question est alors de savoir si le degré d’autonomie du droit invoqué est suffisant.

==> Les personnes relevant de la catégorie des tiers

Au nombre des personnes qui relèvent de la catégorie des tiers on compte notamment les ayants cause à titre particulier et les créanciers justifiant d’un droit propre.

C) Limites

La Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que la seule connaissance par le tiers de l’existence de l’acte litigieux le prive de la faculté de se prévaloir de l’inopposabilité de la date apposée sur celui-ci (Cass. 3e civ. 20 juill. 1989, n°88-13.413).

Cette position est logique dans la mesure où l’article 1377 du Code civil vise à protéger les tiers.

Aussi, dès lors que l’acte est connu, cette règle n’a plus lieu de s’appliquer, le tiers pouvant difficilement arguer qu’il ignorait l’éventuelle falsification de la date figurant sur l’acte.

Dans un arrêt du 18 juin 1991, la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait reconnu la qualité de tiers à un couple d’époux sans rechercher s’ils n’avaient pas eu connaissance des conditions dans lesquelles l’acte litigieux – au cas particulier un mandat – avait été négocié (Cass. com. 18 juin 1991, n°90-10.755).

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