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Qu’est-ce qu’une présomption?

Il est certaines situations où, parce que le fait allégué est trop difficile à prouver, la loi impose au juge de le tenir pour établi. Il s’agit là du mécanisme des présomptions légales.

1. Notion de présomption

Dans le langage courant une présomption est, selon le Dictionnaire de l’Académie Française, une opinion fondée sur des indices ou des apparences, sur ce qui est probable sans être certain.

Le mot présomption vient du latin praesumptio, « anticipation, hardiesse, assurance », lequel est dérivé du verbe praesumere qui signifie « appréhender d’avance ».

Dans son sens premier, une présomption s’analyse donc à un préjugé, une supposition une conjecture, une prévision et plus généralement à une idée faite avant toute expérience.

La notion de présomption a très vite été empruntée par les juristes afin de décrire la technique consistant à conférer à un fait inconnu une vraisemblance sur la base d’une probabilité raisonnable.

Car si, en droit, est un point commun que les présomptions partagent, aussi diverses et variées soient-elles, il est à rechercher dans leur fondement : la probabilité.

Cette idée est exprimée par l’adage que l’on peut lire sous la plume de Cujas : Praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit. Cet adage signifie que la présomption se déduit de ce qui arrive le plus souvent.

Ainsi, une présomption n’est autre que l’interprétation d’une probabilité obéissant à la loi du plus grand nombre.

Plus précisément, elle est le produit d’un raisonnement par induction, soit un raisonnement consistant à remonter, par une suite d’opérations cognitives, de données particulières (faits, expériences, énoncés) à des propositions plus générales, de cas particuliers à la loi qui les régit, des effets à la cause, des conséquences au principe, de l’expérience à la théorie.

C’est ce que Domat a cherché à exprimer en écrivant que « les présomptions sont des conséquences qu’on tire d’un fait connu pour servir à faire connaître la vérité d’un fait incertain »[14].

Pothier définissait, quant à lui, la présomption comme « le jugement que la loi ou l’homme porte sur la vérité d’une chose »[15].

Plus tard, les rédacteurs du Code civil s’inspireront de ces définitions pour définir les présomptions à l’ancien article 1349 comme « des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu. »

Cette définition a été vivement critiquée par la doctrine. En l’absence de précision, le texte laissait à penser que les présomptions formaient un seul et même ensemble alors que, comme souligné par des auteurs « on désigne sous le mot « présomptions » des concepts qui n’ont que très peu de points communs »[16].

En effet, les présomptions ne sauraient être appréhendées de façon unitaire, car elles sont multiples ; ne serait-ce que parce qu’elles ne remplissent pas toutes les mêmes fonctions.

2. Fonctions des présomptions

En simplifiant à l’extrême, on attribue aux présomptions deux fonctions bien distinctes :

==> La fonction de mode de preuve ou les présomptions judiciaires (de fait)

Lorsque la preuve est libre, il est admis que le juge puise dans les circonstances de la cause la preuve du fait contesté ; c’est le mécanisme des présomptions judiciaires, qualifiées également de présomptions du fait de l’homme ou présomptions de fait.

Dans cette hypothèse, les présomptions remplissent la fonction de mode de preuve, puisque constituant un véritable moyen d’établir le fait allégué.

On retrouve ici le raisonnement par induction. Il est mis en œuvre par le juge qui donc à partir d’un ou plusieurs indices connus, va tirer des conséquences quant à la réalité du fait contesté.

Ainsi, la décision du juge est-elle assise sur la probabilité du fait induit.

À cet égard, en application de l’article 1382 du Code civil, seules les présomptions « graves, précises et concordantes » sont admises.

Lorsque cette condition est remplie, les présomptions judiciaires « sont laissées à l’appréciation du juge ».

L’ancien article 1353 du Code civil prévoyait dans le même sens qu’elles doivent être « abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat ».

Comme souligné par des auteurs « la preuve construite sur des indices n’est donc acquise que si elle correspond à l’intime conviction du juge »[10].

==> La fonction de déplacement de l’objet de la preuve ou les présomptions légales (de droit)

Il est des cas où le raisonnement inductif consistant à tirer un fait inconnu d’un fait connu est mis en œuvre, non pas par le juge, mais par le législateur lui-même ; c’est le mécanisme des présomptions légales ou présomptions de droit.

L’article 1354, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que la présomption légale est celle « que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les tenant pour certains ».

Dans cette hypothèse, le juge est privé de sa faculté de sélectionner les indices susceptibles d’emporter sa conviction ; c’est la loi qui lui impose de tenir pour vrai le fait qui lui est soumis.

Aussi, les présomptions légales ne constituent pas des modes de preuve, la véracité du fait objet de la présomption étant réglée par la loi.

Pour cette raison, elles sont désormais traitées séparément des présomptions judiciaires, ces dernières étant, quant à elles, abordée dans le chapitre du Code civil consacré aux modes de preuves.

Comment dès lors analyser les présomptions légales ?

Si l’on se reporte à l’article 1354 du Code civil, elles sont présentées comme remplissant la fonction de dispense de preuve.

Ce texte dispose que la présomption légale « dispense celui au profit duquel elle existe d’en rapporter la preuve ».

Certains auteurs soulèvent que l’emploi du terme « dispense » n’est pas des plus opportun car il suggère qu’une présomption légale opérerait un renversement systématique de la charge de la charge de la preuve au détriment du défendeur.

Or tel n’est pas le cas ; le plaideur est toujours tenu de prouver le fait qu’il allègue.

Seulement, la preuve ne pourra se faire qu’au moyen de faits voisins et annexes dont l’établissement permettra de faire jouer la présomption légale.

Ainsi, s’agit-il moins d’une dispense de preuve, que d’un déplacement de l’objet de la preuve.

Le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve a souligné en ce sens que les présomptions légales « ont toutes pour effet de dispenser de preuve, mais non de « toute preuve », car elles peuvent n’avoir comme effet que de déplacer l’objet de la preuve, et non d’en dispenser totalement le demandeur ».

Prenons l’exemple de la preuve de la propriété d’un bien qui peut, dans de nombreux cas, s’avérer difficile, sinon impossible à rapporter, en particulier lorsqu’il s’agit d’un meuble.

C’est la raison pour laquelle elle est classiquement présentée comme la probatio diabolica.

Cette qualification de preuve du diable vient de ce que pour établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien, il faudrait être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, preuve que « seul le diable pourrait rapporter ».

Afin de faciliter la preuve de la propriété, il a donc été institué une présomption de propriété qui repose sur le postulat consistant à admettre que statistiquement, il est de grande chance pour que le possesseur de la chose soit également son propriétaire.

Aussi, pour se voir reconnaître la qualité de propriétaire, il y a lieu de rapporter la preuve, non pas de la propriété du bien, mais de sa possession.

On retrouve ce mécanisme de déplacement de l’objet de la preuve avec la célèbre présomption « pater is est » énoncée à l’article 312 du Code civil.

Cette disposition pose que « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ».

Ainsi, pour que le mari de la mère établisse son lien de filiation avec l’enfant, il lui faudra prouver, non pas l’existence d’un lien biologique, mais que la naissance est intervenue pendant le mariage.

Les deux exemples ci-dessus exposés démontrent qu’une présomption légale ne dispense nullement son bénéficiaire de toute preuve, puisque si elle dispense de la preuve de la propriété ou de la paternité, c’est seulement par le déplacement de l’objet de la preuve vers le fait que, soit le possesseur est le propriétaire du bien, soit que l’enfant a été conçu pendant le mariage.

Ainsi, la présomption légale allège seulement le fardeau de la preuve, en ce qu’elle admet que la preuve puisse être rapportée indirectement.

3. Principes directeurs régissant les présomptions

Les présomptions légales obéissent à deux principes directeurs :

==> Premier principe : pas de présomption légale sans texte

==> Second principe : principe d’interprétation stricte

 

 

[1] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[2] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°86, pp. 87-88.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[4] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[5] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°117, p. 130.

[6] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[7] Ibid.

[8] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°206, p. 223.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1676, p. 578

[11] L. Siguort, Preuve des obligations – Charge de la preuve et règles générales, Lexisnexis, fasc. JurisClasseur, art. 1353, n°13.

[12] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1090, p. 979.

[13] Ph. Malinvaud, Introduction à l’étude du droit, éd. Lexisnexis, 2018, n°544

[14] J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 1703, p. 271

[15] R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, p. 408

[16] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°232, p. 242

[17] P. Mimim, « Les présomptions quasi-légales », JCP G, 1946, I, 578.

[18] Ch. Perelman, Logique juridique, nouvelle rhétorique, Dalloz, 1976, n°35, p.61.

[19] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°211, p. 226

[20] V. notamment en ce sens F. Geny, Science et technique en droit privé positif

[21] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°583, p.458

[22] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°222, p. 235

[23] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°584, p.460

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