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L’établissement de la mitoyenneté par voie de prescription

La mitoyenneté est définie classiquement comme l’« état d’un bien sur lequel deux voisins ont un droit de copropriété et qui sépare des immeubles, nus ou construits, contigus »[1].

Il ressort de cette définition que la mitoyenneté se caractérise par trois éléments :

Il ressort de ces trois éléments qui caractérisent la mitoyenneté qu’il s’agit là d’une forme particulière de propriété qui a son régime propre.

Aussi, la mitoyenneté peut s’établir selon 4 modes d’acquisition différents. À cet égard, elle peut résulter :

Nous nous focaliserons ici sur le troisième mode d’acquisition de la mitoyenneté : la prescription.

I) Principe

La mitoyenneté d’un bien (mur, haie, fossé, clôture) séparant deux héritages contigus peut s’acquérir par voie d’usucapion, soit par le jeu de la prescription acquisitive.

La jurisprudence l’admet de longue date. Dans un arrêt du 8 décembre 1971 elle a, par exemple, jugé que lorsque pendant plus de trente ans les propriétaires d’une maison adossée à un mur privatif ont eu, tant par eux-mêmes que par leurs auteurs la jouissance non contestée d’un droit de mitoyenneté sur ce mur, ils sont fondés à s’en prévaloir pour l’avoir acquis par voie de prescription (Cass. 3e civ. 8 déc. 1971, n°70-12340)

La prescription acquisitive jouera le plus souvent dans cette configuration, soit lorsqu’un ouvrage prend appui sur un mur privatif édifié sur le fonds voisin et que son propriétaire n’élève aucune contestation pendant un certain délai.

Sous l’effet du temps, la situation a vocation à se consolider, la prescription produisant, à l’expiration de son terme, un effet acquisitif primant sur n’importe quel titre.

II) Conditions

Pour que la prescription acquisitive puisse jouer, encore faut-il que le propriétaire qui s’en prévaut puisse justifier, d’une part, d’une possession caractérisée dans ses éléments constitutifs et, d’autre part, d’une possession utile

==> Une possession caractérisée dans ses éléments constitutifs

La caractérisation de la possession est subordonnée à la réunion de deux éléments cumulatifs :

Le corpus de la possession s’analyse comme l’exercice d’une emprise physique sur la chose. L’article 2255 du Code civil précise en ce sens que « la possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit ».

Quant à l’animus se définit comme la volonté du possesseur de se comporter à l’égard de la chose comme s’il en était le véritable propriétaire.

Il s’agit, autrement dit, de son état d’esprit, soit de l’élément psychologique de la possession. Il faut avoir l’intention de se comporter comme le titulaire du droit exercé pour être fondé à se prévaloir des effets attachés à la possession.

L’exigence du corpus et de l’animus, exclut que la mitoyenneté du mur puisse être acquise dans le cadre, soit d’une détention précaire, soit d’un acte de pure faculté ou de simple tolérance.

Elle le sera par voie de prescription uniquement s’il est démontré que le propriétaire du fonds voisin a exercé une emprise physique sur le mur et qu’il s’est comporté comme exerçant un droit de propriété sur l’ouvrage.

La Cour de cassation a pu préciser que « le fait d’appuyer une construction contre un mur constitue un acte de possession caractérisé car le propriétaire de ladite construction se comporte comme si le mur était sa propriété exclusive » (Cass. 3e civ., 8 décembre 1971).

La Cour de cassation a, dans le même sens, validé la décision d’une Cour d’appel qui avait considéré que l’ancrage du garage de propriétaires dans le mur pignon de la maison voisine et le maintien de cette situation pendant plus de trente ans avaient fait acquérir à son propriétaire la mitoyenneté de la surface ainsi usucapée (Cass. 3e civ. 9 déc. 1992, n°90-20762).

Elle a en revanche considéré que la réfection d’un mur au moyen d’un enduit ou par simple recrépissage était insuffisante quant à caractériser une possession utile (V. en ce sens Cass. 3e civ. 13 mars 1984).

Pour que la prescription acquisitive puisse jouer, il faut que les travaux réalisés sur le mur soient substantiels.

==> Une possession utile

L’article 2261 du Code civil dispose que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que pour être efficace, la possession ne doit être affectée d’aucun vice. Plus précisément, pour produire ses pleins effets, elle doit être utile.

Par utile, il faut entendre susceptible de fonder une prescription acquisitive. On dit alors que la prescription est utile ad usucapionem, soit par l’usucapion.

La prescription ne sera utile que si elle présente les quatre caractères énumérés par la loi, étant précisé que la dernière partie du texte « à titre de propriétaire », se rapporte non pas aux caractères de la possession mais à son existence, et plus précisément à son animus.

III) Durée de la prescription

Lorsque la possession est caractérisée dans tous ses éléments et qu’elle est utile elle produira son effet acquisitif à l’expiration d’un certain délai.

L’article 2272 du Code civil prévoit en ce sens que « le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans ».

Pour prescrire en matière immobilière il convient donc de posséder utilement le bien pendant un délai de 30 ans.

Il est ici indifférent que le possesseur soit de mauvaise foi. La bonne foi n’est pas érigée en condition d’application de la prescription trentenaire.

Par exception à la prescription trentenaire, l’alinéa 2 de l’article 2272 du Code civil prévoit que « celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans. »

Lorsqu’ainsi les conditions posées par ce texte sont remplies, la prescription acquisitive est ramenée à 10 ans en matière de propriété immobilière.

Reste que, en matière de mitoyenneté, ces conditions ne sont presque jamais réunies, de sorte que la prescription abrégée ne jouera jamais.

Le possesseur se heurtera, en effet, à l’exigence de justifier :

Dans un arrêt du 5 octobre 1994 la cour de cassation a, par exemple, considéré qu’un règlement de copropriété dont se prévalait un copropriétaire ne lui conférait qu’un droit d’usage et de jouissance sur une partie délimitée du mur séparatif, et que, dans ces conditions il « ne constituait pas pour son titulaire un juste titre permettant une usucapion abrégée » (Cass. 3e civ. 5 oct. 1994, n°92-15926).

Cass. 3e civ. 5 oct. 1994
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 avril 1992), que la ville de Paris a acquis, par acte des 1er et 9 juillet 1968, une parcelle de terrain retranchée de l'immeuble ..., bordant l'immeuble ... ; que la ville de Paris a assigné la société civile immobilière (SCI) Union foncière de Paris, propriétaire du lot n° 35 de l'immeuble ... pour se faire reconnaître copropriétaire indivise pour moitié du mur pignon de cet immeuble ;

Attendu que la SCI Union foncière de Paris fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande, alors, selon le moyen, d'une part, que la présomption de mitoyenneté posée par l'article 653 du Code civil peut être combattue par tous moyens ; qu'il était établi et non contesté que, par bail enregistré le 17 mai 1968, les consorts X..., propriétaires de l'immeuble au mur litigieux, avaient donné en location ce mur aux fins d'affichage publicitaire et que, depuis cette date et sans aucune interruption jusqu'à l'instance, les propriétaires successifs ont renouvelé les contrats de location ; qu'il était également établi que lorsque la ville de Paris a acquis sa parcelle par acte des 1er et 9 juillet 1968, la face du mur 116, avenue Ledru-Rollin donnant sur cette parcelle comportait déjà trois panneaux publicitaires et que son acte ne faisait aucune référence ni allusion à une prétendue mitoyenneté ou copropriété de ce mur, ce qu'il n'aurait pas manqué de faire si tel avait été le cas ; d'où il suit qu'en jugeant que le mur litigieux était la propriété indivise de la SCI Union foncière de Paris et de la ville de Paris, bien qu'il ne fût pas contesté que la SCI Union foncière de Paris et ses auteurs avaient accompli sur ce mur des actes de propriété exclusive, écartant toute possibilité de mitoyenneté ou de copropriété, la cour d'appel a violé les articles 653 et 1353 du Code civil ; d'autre part, qu'aux termes de l'alinéa 2, de l'article 2, de la loi du 10 juillet 1965, " les parties privatives sont la propriété exclusive de chaque copropriétaire " ; que ce texte analyse donc expressément le droit du copropriétaire sur son lot comme un droit de propriété exclusive, et non point en un simple droit d'usage ou de jouissance qui ne constitue en réalité que l'émolument généré par le titre ; que de l'application combinée des articles 2 de la loi du 10 juillet 1965 et 2265 du Code civil, il résulte donc qu'une partie peut acquérir par 10 ans, en vertu d'un juste titre, un lot de copropriété ; que la SCI Union foncière de Paris, s'est vu apporter, par M. David Y..., par acte notarié du 26 février 1979, le lot de copropriété n° 35, ce dernier l'avait lui-même acquis de la société LND, par acte notarié du 22 novembre 1977 ; que ce lot était expressément constitué " d'un emplacement réservé à l'affichage sur le mur séparatif d'avec l'immeuble ..., sur une hauteur de 8 mètres à partir du niveau du sol, et sur une largeur de 16 mètres environ... " ; qu'en conséquence, la SCI Union foncière de Paris et son auteur direct bénéficiaient d'un juste titre leur ayant conféré sur le mur litigieux un droit exclusif de propriété ; d'où il suit qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 2 de la loi du 10 juillet 1965, ensemble l'article 2265 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant souverainement relevé qu'il n'était pas démontré par la SCI Union foncière de Paris que le mur pignon de l'immeuble ... séparatif d'avec l'immeuble ... était privatif, la cour d'appel en a justement déduit que ce mur était présumé mitoyen ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant retenu, sans violer l'article 2 de la loi du 10 juillet 1965, que le lot n° 35 du règlement de copropriété dont se prévalait la SCI ne lui conférait qu'un droit d'usage et de jouissance sur une partie délimitée du mur séparatif, la cour d'appel en a exactement déduit que ce droit ne constituait pas pour son titulaire un juste titre permettant une usucapion abrégée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

IV) Étendue de l’acquisition

Par un arrêt du 7 octobre 1980, la Cour de cassation a jugé que l’acquisition de la mitoyenneté d’un mur s’étendait dans la limite de l’emprise exercée sur l’ouvrage par le possesseur (Cass. 3e civ. 7 oct. 1980, n°79-11610).

Autrement dit, lorsque la mitoyenneté est acquise par prescription, elle se limite toujours à la partie du mur qui a fait l’objet d’une possession utile.

Lorsque, de la sorte, une construction est appuyée à un mur privatif pendant plus de trente ans, la mitoyenneté ne pourra être revendiquée que pour la surface du mur qui a supporté l’ouvrage.

Dans un arrêt du 23 mars 2010, la Cour de cassation a apporté une précision pour le moins utile à la règle en jugeant que lorsque l’immeuble d’habitation et la cuisine accolés au mur séparatif avaient manifestement plus de trente ans et que l’extension de la cuisine qui datait de moins de trente ans s’appuyait sur ce mur, la mitoyenneté du mur pouvait être étendue à l’emprise de cette extension, en raison l’indivisibilité des deux ouvrages (Cass. 3e civ. 23 mars 2010, n°09-10.381).

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