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Les conditions d’exercice de l’action en responsabilité pour troubles anormaux de voisinage

Pour que la responsabilité fondée sur les troubles anormaux de voisinage soit mise en œuvre, encore faut-il qu’il soit établi que la victime entretient une relation de voisinage avec l’auteur des troubles.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par relation de voisinage. Communément, cette notion renvoie à la situation d’une personne qui réside à faible distance d’une autre personne.

Quant au Code civil, il est silencieux sur ce point. Il n’aborde les relations de voisinage que sous l’angle des problématiques de mitoyenneté.

Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’est revenue la tâche :

A) Le demandeur à l’action en responsabilité fondée sur les troubles de voisinage

Parce que seules les personnes qui ont intérêt et qualité à agir peuvent engager une action en responsabilité fondée sur la théorie des troubles de voisinage, la jurisprudence s’est employée à déterminer des critères permettant de délimiter la notion de voisin.

B) Le défendeur à l’action en responsabilité fondée sur les troubles de voisinage

Il est admis en jurisprudence que le défendeur n’est pas nécessairement la personne qui a causé le trouble, il peut également s’agir du propriétaire du fonds dont émane le trouble, alors même qu’il n’en est pas à l’origine.

1. L’auteur du trouble

La personne qui est à l’origine du trouble engage sa responsabilité, sans qu’il soit besoin d’établir qu’elle a commis une faute. La seule constatation du trouble anormal suffit à engager sa responsabilité.

À cet égard, il est indifférent que l’auteur du trouble soit propriétaire, locataire ou usufruitier. Ce qui importe c’est qu’il occupe le fonds dont émane le trouble.

La question s’est néanmoins posée en jurisprudence de la responsabilité des entrepreneurs et des maîtres d’ouvrage dont l’intervention sur un fonds est à l’origine d’un trouble affectant la jouissance des fonds voisins.

Dans un arrêt du 30 juin 1998, la Cour de cassation a ainsi retenu, sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, la responsabilité d’un entrepreneur qui avait injecté du béton dans le sol avec une intensité telle que « ce matériau avait pénétré dans les locaux occupés par les [occupants] du fonds situés au-delà des limites du terrain de la construction ».

Relevant que la preuve était rapportée d’un lien de cause à effet entre ces travaux et les dommages constatés chez les voisins la troisième chambre civile valide la décision de la Cour d’appel « qui n’était pas tenue de caractériser la faute du constructeur » et qui a pu légitimement en déduire que l’entrepreneur « était responsable du trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage » subi par les occupants du fonds voisin (Cass. 3e civ. 30 juin 1998, n°96-13039).

Il ressort de cet arrêt que la Cour de cassation n’hésite pas à retenir la responsabilité de l’entrepreneur à l’origine du trouble, alors même que son intervention n’était que ponctuelle et, surtout qu’il n’entretenait aucune relation de voisinage, au sens commun du terme, avec la victime du trouble.

La Cour de cassation justifie néanmoins sa position dans son rapport annuel en arguant que « bien que celui-ci ne soit pas, normalement, le voisin de la victime, on peut retenir que c’est en travaillant chez un voisin qu’il a commis le trouble anormal et cet arrêt montre la volonté de la troisième chambre d’unifier la jurisprudence dans deux des côtés du triangle unissant entre eux les trois acteurs de l’opération de construction litigieuse ».

Dans un arrêt du 22 juin 2005, la Cour de cassation a précisé sa position en se référant à la notion de « voisins occasionnels ».

Elle a, en effet, confirmé l’arrêt d’une Cour d’appel qui a retenu « à bon droit que le propriétaire de l’immeuble auteur des nuisances, et les constructeurs à l’origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal de voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels des propriétaires lésés » (Cass. 3e civ. 22 juin 2005, n°03-20068).

Pour que la responsabilité du voisin occasionnel soit engagée sur le fondement des troubles de voisinage, encore faut-il, ajoute la Cour de cassation :

2. Le propriétaire du fonds dont émane le trouble

Alors même qu’il n’est pas l’auteur du trouble, la jurisprudence a admis que le propriétaire du terrain dont ce trouble émane engage sa responsabilité.

Il s’agit là d’un cas spécifique de responsabilité du fait d’autrui qui ne repose, ni sur l’article 1240 du Code civil, ni sur l’article 1242, al. 1er, mais sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.

Ainsi que le résument Philippe Malaurie et Laurent Aynès « la victime peut agir directement contre l’auteur du trouble, même s’il n’est pas propriétaire : locataire ou entrepreneur ; ou contre le propriétaire, même s’il n’est pas l’auteur du trouble, car il répond du locataire ou de l’entrepreneur. Le propriétaire, le locataire et l’entrepreneur sont solidairement responsables ».

L’objectif ici visé par la jurisprudence est de faciliter l’exercice du droit à réparation en multipliant les débiteurs d’indemnisation.

Ainsi, le propriétaire du fonds engage sa responsabilité de plein droit à raison du trouble anormal causé par son locataire ou par l’entrepreneur de travaux qu’il a commis .

i) S’agissant de la responsabilité du propriétaire-bailleur du fait du locataire

Deux recours doivent ici être distingués :

==> Le recours de la victime du trouble contre le propriétaire-bailleur

Dans un arrêt du 17 avril 1996, la Cour de cassation a jugé que « la victime d’un trouble de voisinage trouvant son origine dans l’immeuble donné en location, peut en demander réparation au propriétaire » (Cass. 3e civ., 17 avril 1996, n° 94-15.876)

Elle précise, en outre, que le bailleur ne pouvait pas, au cas particulier, se réfugier derrière l’envoi de mises en demeure à l’auteur du trouble, ce qui était insuffisant pour l’exonérer de sa responsabilité.

À cet égard, dans un arrêt du 31 mai 2000, la Cour de cassation ajoute que le seul fait de mentionner dans le contrat de bail que le propriétaire demandait la suppression des micros et musique était insuffisant pour démontrer qu’il avait mis en demeure son locataire de respecter la réglementation sur le bruit et qu’il ne justifiait pas de vérifications particulières pour s’assurer que son locataire respectait les obligations souscrites (Cass. 2e civ. 31 mai 2000, n°98-17532)

La deuxième chambre civile en déduit que l’existence de troubles anormaux du voisinage émanant de l’immeuble donné en location par le propriétaire justifiait que, indépendamment de toute faute de la part du bailleur, le propriétaire était tenu d’en réparer les conséquences dommageables subies par un tiers

Il en résulte que, pour pouvoir s’exonérer de sa responsabilité en cas de trouble causé par son locataire, le bailleur doit, non seulement le mettre en demeure de cesser les troubles dont il est l’origine, mais encore il est tenu d’obtenir la cessation définitive de ces troubles par tous moyens fût-il obligé de menacer le locataire de la résiliation du bail

==> Le recours du propriétaire-bailleur contre le locataire

S’il ne parvient pas à faire cesser le trouble et qu’il est condamné consécutivement à une action engagée contre lui par la victime des troubles de voisinage, tout n’est pas perdu pour le propriétaire.

En effet, lorsque le propriétaire a été condamné à indemniser la victime du trouble, alors même qu’il n’en était pas à l’origine, la jurisprudence admet qu’il dispose d’un recours contre son locataire.

Dans un arrêt du 8 juillet 1987, la Cour de cassation a considéré en ce sens que « lorsque le trouble de voisinage émane d’un immeuble donné en location, la victime de ce trouble peut en demander réparation au propriétaire, qui dispose d’un recours contre son locataire lorsque les nuisances résultent d’un abus de jouissance ou d’un manquement aux obligations nées du bail »

Pour que le bailleur soit fondé à exercer un recours contre son locataire il lui incombe ainsi de démontrer, soit un manquement au contrat de bail, soit un abus de jouissance du local loué.

ii) S’agissant de la responsabilité du propriétaire-maître d’ouvrage du fait de l’entrepreneur de travaux

Plusieurs actions doivent être envisagées :

==> L’action de la victime des troubles contre le maître d’ouvrage

À l’instar de la responsabilité du propriétaire du fait de son locataire, lorsqu’il endosse la qualité de maître d’ouvrage il est pareillement responsable du fait de l’intervention de l’entrepreneur de travaux qu’il a commis.

Cette solution a d’abord été consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 février 1971.

La troisième chambre civile a estimé, dans cette décision, au visa des articles 544 et 1382 (nouvellement 1240) du Code civil que :

Il ressort ainsi de cet arrêt que le maître d’ouvrage est responsable du fait de son constructeur dont l’intervention est à l’origine du trouble.

La Cour de cassation a statué, dans le même sens, d’un arrêt du 22 juin 2005, aux termes duquel elle a estimé que « le propriétaire de l’immeuble auteur des nuisances, et les constructeurs à l’origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal de voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels des propriétaires lésés » (Cass. 3e civ., 22 juin 2005, n° 03-20.068 et 03-20.991).

Le propriétaire engage également sa responsabilité du fait de l’entrepreneur (Cass. 3e civ., 11 mai 2000, n°98-18249) ou encore du maître d’œuvre (Cass. 3e civ., 20 déc. 2006, n°05-10.855)

À cet égard, il convient d’observer que, à la différence du maître d’ouvrage qui engage sa responsabilité de plein droit dès lors que le trouble anormal est caractérisé, celle de l’entrepreneur de travaux ne peut l’être qu’à la condition qu’il soit démontré que le trouble est en relation directe avec la mission qui lui a été confiée (V. en ce sens Cass. 3e civ. 9 févr. 2011, n°09-71.570 et 09-72.494).

==> Le recours du maître d’ouvrage contre les entrepreneurs de travaux

Lorsque le propriétaire a été condamné à indemniser la victime du trouble, alors même qu’il n’en était pas à l’origine, la jurisprudence admet qu’il dispose d’un recours contre l’entrepreneur de travaux.

Dans un arrêt du 2 juin 2015, la Cour de cassation a, par exemple, jugé « qu’un maître de l’ouvrage condamné pour avoir réalisé des travaux ayant causé à autrui un trouble anormal de voisinage et contre lequel n’est établi ni immixtion fautive ni acceptation délibérée des risques est, subrogé, après paiement de l’indemnité, dans les droits de la victime et est bien fondé, avec son assureur, à recourir contre les constructeurs qui par leur action ont été seuls à l’origine des troubles invoqués et leurs assureurs, sans avoir à prouver leur faute, pour obtenir leur garantie intégrale » (Cass. 3e civ., 2 juin 2015, n° 14-11149)

Ainsi, en cas de condamnation consécutivement à l’action engagée par la victime de troubles anormaux de voisinage, le propriétaire du fonds dont émanent ces troubles dispose d’un recours contre l’entrepreneur de travaux qu’il a commis.

Selon que l’auteur des troubles sera l’entrepreneur principal ou un sous-traitant le fondement du recours sera, tantôt de nature contractuelle, tantôt de nature délictuelle.

Il importe encore de distinguer selon que le recours du maître d’ouvrage est exercé, avant l’indemnisation de la victime du trouble ou après.

==> Les recours des entrepreneurs de travaux entre eux

Le maître d’ouvrage n’est pas le seul à bénéficier d’une action récursoire en cas de condamnation à indemniser l’auteur des troubles, les entrepreneurs de travaux disposent également de recours entre eux.

À cet égard, dans un arrêt du 26 avril 2006, la Cour de cassation a précisé que « l’entrepreneur principal ne peut exercer de recours subrogatoire contre les sous-traitants que pour la fraction de la dette dont il ne doit pas assumer la charge définitive » (Cass. 3e civ. 26 avr. 2006, n°05-10100).

S’agissant, par ailleurs, de la contribution à la dette des entrepreneurs de travaux lorsqu’ils sont plusieurs à être intervenus sur le chantier, il y a lieu de distinguer deux situations

À cet égard, deux situations doivent être distinguées :

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