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Civ. 1, 1er juin 2016, n° 15-12.276 : Clause de désignation, contrat en cours, Cour de cassation vs conseil constitutionnel

Résumé.

Dans sa décision du 13 juin 2013 (décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013), le Conseil constitutionnel a énoncé que la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale n’était pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de la publication de la décision et liant les entreprises à celles qui sont régies par le Code des assurances, aux institutions du Code de la Sécurité sociale et aux mutuelles relevant du Code de la mutualité. Les contrats en cours sont les actes ayant le caractère de conventions ou d’accords collectifs ayant procédé à la désignation d’organismes assureurs pour les besoins du fonctionnement des dispositifs de mutualisation que les partenaires sociaux ont entendu mettre en place.

Commentaire.

La protection sociale complémentaire, la généralisation de la couverture frais de soins de santé et les clauses de désignation sont, une fois encore, à l’honneur, dans cette décision du 1er juin 2016 de la Cour de cassation. Gageons que la complexité inouïe du dispositif légal et réglementaire inventé par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l’emploi et ses suites (décrets d’application, circulaires de la Direction de la Sécurité sociale, circulaires de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale not.) n’est pas prête de tarir les chefs de saisine des juges administratifs, civils et constitutionnels.

1. Droit constitutionnel et sens.

En l’espèce, et pour ce qui retiendra exclusivement l’attention, la Chambre sociale de la Cour de cassation est invitée à se prononcer sur le sens qu’il importe de donner à une décision rendue par le Conseil constitutionnel relativement à la conformité de l’article premier de la loi précitée aux droits et libertés que la Constitution garantit. Dans sa décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, le Conseil considère que les contrats et accords collectifs ne sauraient valablement contenir de clause désignant un seul et unique organisme de prévoyance chargé de garantir le remboursement des frais de soins de santé des salariés concernés, à peine de porter une atteinte disproportionnée aux libertés de contracter et d’entreprendre (cons. n° 11). C’est qu’une pareille clause, généralement stipulée dans une convention ou un accord collectif de branche, avait pour objet d’octroyer une exclusivité de gestion à un organisme en particulier (à savoir le plus généralement une institution de prévoyance) (1). Et le Conseil de décider que la déclaration d’inconstitutionnalité “n’est toutefois pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de cette publication et liant les entreprises à celles qui sont régies par le Code des assurances, aux institutions relevant du titre 3 du Code de la Sécurité sociale et aux mutuelles relevant du Code de la mutualité” (cons. n° 14). Cependant, faute d’avoir défini, dans le cas particulier, la notion de “contrats en cours“, la modulation de la jurisprudence constitutionnelle dans le temps fait débat.

2. Droit prétorien et interprétation.

Dans un passé relativement récent, la Cour de cassation s’est prononcée sur cette question. La décision commentée donne à penser que l’interprétation choisie alors n’a pas pleinement convaincu. Dans un arrêt remarqué (2), la Chambre sociale a pu considérer que les contrats en cours étaient ceux “ayant procédé à la désignation d’organismes assureurs pour les besoins du fonctionnement des dispositifs de mutualisation que les partenaires sociaux ont entendu mettre en place” (Cass. soc., 11 février 2015, n° 14-13.538, FS-P+B, lire nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 604, 2015 et sur notre site Internet). Ce faisant, la Cour de cassation excluait, tout comme son homologue administratif du reste (CE, Avis, 26 septembre 2013, n° 387895, n° 18), qu’il ait pu s’agir des actes juridiques qui lient les entreprises souscriptrices et l’assureur désigné par la convention ou l’accord collectif (3).

L’espèce est l’occasion pour la Cour de cassation de réaffirmer sa position. L’accord collectif critiqué du 8 décembre 2011, qui est relatif au régime de prévoyance des salariés cadres et assimilés, conclu dans le cadre de la Convention collective nationale de la pharmacie d’officine du 3 décembre 1997, et étendu par arrêté du 19 décembre 2012 (extension à propos de laquelle la Cour de cassation indique au passage que le droit de l’Union européenne est indifférent) (4), étant en cours lors de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, l’ensemble des employeurs entrant dans le champ d’application de l’accord collectif restait donc tenu d’adhérer au régime géré par l’organisme désigné par les partenaires sociaux. En conséquence, tous les dispositifs conventionnels, conventions et avenants conclus avant le 13 juin 2013, en cours, continuent d’être régis par l’article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale et de s’imposer aux entreprises jusqu’à leur terme. Preuve, s’il en était, que la décision ne s’impose pas à l’esprit, la Chambre sociale prend soin – et l’effort d’explicitation de sa décision est remarquable – de publier une note sur son site Internet (5). Preuve encore qu’on peut hésiter, c’est une cassation (partielle) sans renvoi qui est rendue. Le débat est donc clos.

3. Droit et économie de l’assurance.

L’abrogation de l’article de loi autorisant la stipulation d’une clause de désignation (CSS, art. L. 912-1 anc.) a été légitimement fort mal accueillie par les opérateurs. Rien de très surprenant à ce que les organismes d’assurance désignés aient cherché à minimiser la portée de la décision d’inconstitutionnalité, dira-t-on. Il faut tout de même bien voir que, techniquement, la clause de désignation présente l’intérêt d’être une clef d’une mutualisation (professionnelle) des risques entre les employeurs et les salariés compris dans le périmètre (6). Ce faisant, les bons risques sont mélangés aux moyens ou mauvais risques. Un phénomène d’anti-sélection est ainsi évité. Et un auteur de rappeler justement : que la mutualisation permet, à titre principal, d’équilibrer les comptes du régime et de minimiser les taux des cotisations ou des primes ; qu’elle permet encore, à titre accessoire, de puiser dans le fonds alimenté par les cotisations patronales et salariales (géré par l’organisme assureur) les ressources nécessaires au financement de prestations d’aide sociale (non contributives) et d’actions de prévention des risques (accidents ou de maladies) dans les entreprises. Au fond, la mutualisation des risques dans une branche professionnelle est un vecteur de solidarité dans un régime de protection sociale (comp. gestion en répartition dans les régimes obligatoires) (7). C’est ce qui fit dire au Conseil d’Etat qu’une telle clause n’infligeait qu’une atteinte marginale au principe de la liberté de la concurrence (CE, 1° et 2° s-s-r., 7 juillet 2000, mentionné aux tables du recueil Lebonn, RJS, n° 111). C’est ce qui fit dire, mutatis mutandis, à la Cour de justice de l’Union européenne que l’équilibre financier d’un régime, qui a une fonction sociale essentielle, commande de regrouper les risques (8). C’est ce qui décida manifestement la Cour de cassation à trancher de la sorte. C’est que, précise la Chambre sociale, “les contrats en cours sont les actes ayant le caractère de conventions ou d’accords collectifs ayant procédé à la désignation d’organismes assureurs pour les besoins du fonctionnement des dispositifs de mutualisation que les partenaires sociaux ont entendu mettre en place“.

4. Droit et concurrence des juges ? Ceci étant dit, l’interprétation choisie par la Chambre sociale de la Cour de cassation laisse perdurer une atteinte frontale aux droits et libertés que la Constitution garantit, atteinte qui décidait précisément le Conseil constitutionnel à neutraliser l’article L. 912-1 du Code de la sécurité sociale dans son ancienne mouture.


1.- V. en ce sens, Association pour la promotion de l’assurance collective.

2.- V. not. J. Barthélémy, Institut de protection sociale européenne, Validité des clauses de désignation – L’apport décisif de la Cour de cassation, 16 février 2015.

3.- Contra : CA Chambéry, 7 janvier 2014, n° 12/02382, CA Paris, 16 octobre 2014, n° 12/17007 (arrêt cassé en l’espèce). V. égal. les notes critiques de V. Roulet sous CA Paris, pôle 6, 2ème ch., 16 octobre 2014, n° 12/17007 ; préc., Les cahiers sociaux, n° 269, décembre 2014 et J. Bourdoiseau sous Cass. soc., 11 février 2015, op. cit..
4.- “[…] Les accords collectifs de branche instituant un régime de protection sociale complémentaire ne relèvent […] pas du champ d’application de l’article 56 du TFUE qui n’impose aucune obligation de transparence aux partenaires sociaux, lesquels ne sont pas un pouvoir adjudicateur soumis aux règles régissant les marchés publics ou la commande publique et ne peuvent être liés, le cas échéant, que par les règles conventionnelles qu’ils ont pu établir relativement aux conditions de choix de l’organisme assureur“.
5.- Note explicative.
6.- G. Briens, La mutualisation professionnelle des risques. A propos de l’article 1er de l’ANI du 11 janvier 2013, SSL, 15 avril 2013, n° 1580, p. 10. P. Morvan, Droit de la protection sociale, 7ème éd., LexisNexis, 2015, n° 1155.
7.- P. Morvan, Droit de la protection sociale, eod loc.. V. égal. sur les utilités et les inconvénients des clauses de désignation, V. Roulet, Protection sociale d’entreprise. Etat des lieux et perspectives, Institut de recherches économiques et sociales, septembre 2013, pp. 80 et s..
8.- CJUE, 12 septembre 2000, aff. C-180/98 à C-184/98, cons. n° 104 ” […] l’affiliation obligatoire de tous les membres d’une profession libérale à un régime de pension complémentaire ou, à tout le moins, au volet le plus important d’un tel régime aurait une fonction sociale essentielle dans le système de pension applicable aux Pays-Bas, en raison du montant extrêmement réduit de la pension légale, calculé sur la base du salaire minimal légal. Dès lors qu’un régime de pension complémentaire aurait été établi par les membres d’une telle profession et que l’affiliation à ce régime aurait été rendue obligatoire par les pouvoirs publics, celui-ci constituerait un élément du système néerlandais de protection sociale et le fonds professionnel de pension chargé de sa gestion devrait être considéré comme concourant à la gestion du service public de la Sécurité sociale“.

(Article publié in Lexbase 16 juin 2016)

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