L’évaluation de l’indemnité constitue une étape déterminante dans la mise en œuvre du contrat d’assurance de dommages. Si le principe indemnitaire (C. assur., art. L. 121-1) en fixe la finalité – replacer l’assuré dans la situation qui était la sienne avant le sinistre, sans perte ni profit –, son application concrète dépend largement de la nature du bien ou de l’intérêt assuré. En effet, les méthodes de calcul varient considérablement selon que l’objet de la garantie porte sur un bâtiment, du mobilier, du matériel professionnel, des marchandises, des valeurs mobilières ou encore des supports d’information.
Chaque catégorie de biens appelle des règles techniques spécifiques, combinant la valeur de remplacement, la prise en compte de la vétusté, l’existence éventuelle d’une clause de valeur à neuf, ou encore le recours à l’expertise préalable. À ces règles s’ajoutent des garanties complémentaires, telles que la couverture des pertes de loyers, des pertes indirectes ou des frais annexes liés à la reconstitution. La jurisprudence, attentive au respect du principe indemnitaire, veille à ce que ces modalités ne conduisent ni à un enrichissement indu de l’assuré, ni à une limitation excessive de la réparation.
Ainsi, l’étude des méthodes d’évaluation de l’indemnité permet de mesurer la diversité des techniques employées pour concilier la rigueur du principe indemnitaire avec les impératifs pratiques de la réparation, et d’apprécier la portée des ajustements conventionnels qui façonnent, au cas par cas, l’étendue de la garantie.
a. Bâtiments
S’agissant des bâtiments, l’indemnité est en principe calculée d’après la valeur de reconstruction au jour du sinistre, déduction faite de la vétusté et en incluant les honoraires d’architecte. Cette valeur, souvent qualifiée de « valeur d’usage », incarne l’application stricte du principe indemnitaire posé par l’article L. 121-1 du Code des assurances.
Toutefois, de nombreux contrats prévoient une couverture en valeur à neuf, destinée à replacer l’assuré dans la situation la plus proche possible de celle qui aurait été la sienne si le sinistre n’avait pas eu lieu. Dans ce cas, le versement du complément entre la valeur d’usage et la valeur à neuf est subordonné à la reconstruction effective du bien, qui doit être justifiée par la production de factures. La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé que, faute de reconstruction, l’assuré ne pouvait prétendre qu’au montant vétusté déduite (Cass. 1re civ., 4 déc. 2001, n° 98-18.766). En pratique, ce complément est souvent plafonné : il se limite à la valeur d’usage majorée d’un pourcentage fixé par le contrat, le plus souvent 25 %. Ainsi, seuls les immeubles dont la vétusté est inférieure à ce seuil seront intégralement indemnisés « à neuf ».
La question de la reconstruction se heurte parfois aux contraintes d’urbanisme. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la simple inconstructibilité d’une zone ne fait pas obstacle, en soi, à la reconstruction à l’identique d’un bâtiment détruit par un sinistre. Seules des dispositions expresses de la réglementation locale, justifiées par des motifs impérieux – notamment de sécurité publique – peuvent légalement interdire la reconstruction (CE, 8 nov. 2017). En outre, certaines polices prévoient une garantie des frais de reconstitution, destinée à compenser l’écart de coût résultant de l’inflation entre la date du sinistre et celle des travaux. Ce mécanisme, qui dépasse la stricte logique indemnitaire, est toutefois plafonné : l’indemnité ne peut excéder un pourcentage de la valeur à neuf au jour du sinistre, souvent limité à 30 %.
b. Mobilier personnel
Pour ce qui concerne le mobilier personnel, l’évaluation après sinistre se fait d’ordinaire à la valeur de remplacement au jour du sinistre, vétusté déduite. Là encore, une option de couverture « en valeur à neuf » peut être souscrite, soit au jour du sinistre, soit au jour de la reconstitution, afin de prendre en compte l’évolution ultérieure des prix.
Sur le terrain probatoire, la Cour de cassation a jugé que l’assureur ne pouvait exiger la production de factures d’achat lorsque le contrat n’imposait pas une telle formalité (Cass. 2e civ., 7 févr. 2019, n° 17-31.256). Quant aux objets précieux – bijoux, tableaux, collections – ils peuvent être couverts sur la base d’une valeur agréée. L’assuré fait alors établir une expertise préalable, généralement valable trois ans, qui fixe par avance le montant de l’indemnité en cas de sinistre total. En cas de sinistre partiel, la moins-value est déterminée soit par les mêmes experts, soit de gré à gré entre les parties, mais toujours sous le contrôle du principe indemnitaire, qui interdit de dépasser la valeur réelle du bien au jour du sinistre.
c. Matériel (professionnel)
S’agissant du matériel professionnel, la règle est comparable à celle du mobilier: l’indemnisation correspond à la valeur de remplacement par un matériel d’état et de rendement identiques, frais de transport et d’installation inclus. Le contrat peut également prévoir une couverture en valeur à neuf, au jour du sinistre ou au jour de la reconstitution. Ce type de clause vise à protéger l’entreprise contre les effets de l’obsolescence technique et à lui permettre de maintenir la continuité de son exploitation.
d. Marchandises
Pour les marchandises, le mode d’évaluation varie selon leur nature et leur état de transformation. Les matières premières, les emballages et les approvisionnements sont indemnisés d’après leur prix d’achat, apprécié au dernier cours précédant le sinistre, frais de transport et de manutention compris. Les produits semi-ouvrés, en cours de fabrication ou achevés sont, quant à eux, évalués sur la base de leur coût de production, lequel inclut le prix des matières et composants utilisés, les frais de fabrication déjà engagés et une quote-part des frais généraux de production, à l’exclusion toutefois des frais de distribution.
e. Appareils électriques et électroniques (risques industriels, artisanaux, commerciaux)
Les appareils électriques et électroniques, utilisés dans un cadre industriel, artisanal ou commercial, obéissent à une logique particulière. La garantie s’étend aux machines, moteurs et canalisations électriques (à l’exception des réseaux enterrés).
En cas de destruction totale, le dommage est évalué à la valeur de remplacement à neuf par un matériel équivalent, mais diminuée d’un abattement pour vétusté calculé selon un barème forfaitaire par année écoulée depuis la sortie d’usine ou l’installation. Il convient encore de retrancher la valeur de sauvetage. Les contrats comportent fréquemment des exclusions, notamment pour les dommages internes aux machines, ceux liés aux intempéries sur les toitures, ou encore pour les véhicules et objets dont la valeur ne s’amoindrit pas avec le temps, tels que bijoux ou œuvres d’art.
f. Espèces, titres et autres valeurs
S’agissant des espèces, titres et autres valeurs, la couverture est strictement encadrée. Elle suppose en principe que ces biens soient conservés dans des meubles réfractaires agréés et elle est plafonnée au capital fixé aux conditions particulières. Les règles d’évaluation dépendent de la nature du support : pour les titres cotés, l’indemnisation se fait aux cours officiels de la dernière séance boursière précédant le sinistre ; pour les titres nominatifs, elle porte essentiellement sur les frais d’opposition et de remplacement, ainsi que sur les pertes d’intérêts liées à un ajournement.
Pour les autres valeurs, la garantie est limitée aux frais de procédure de remplacement. Dans tous les cas, l’assuré doit établir l’existence et la valeur des biens détruits ou volés, et l’assureur n’est tenu de verser l’indemnité qu’après preuve de l’échec des procédures d’opposition ou de publication. La jurisprudence précise que la règle proportionnelle de capitaux prévue à l’article L. 121-5 du Code des assurances n’est pas applicable à ce type de garantie, ce qui illustre son caractère spécifique.
g. Supports d’information (documents, données)
Les supports d’information, qu’il s’agisse de documents ou de données, sont indemnisés sur la base des justificatifs de reconstitution ou de remplacement (factures, mémoires), dans un délai qui ne peut excéder deux ans à compter du sinistre. Des acomptes peuvent être versés au fur et à mesure des opérations de reconstitution, mais à la condition que l’assuré en rapporte la preuve.
h. “Valeur à dire d’expert” / Valeur agréée (régime général)
En raison de la difficulté d’évaluer certains biens, la pratique a développé le mécanisme de la valeur agréée, dite « à dire d’expert ». Une expertise préalable est alors réalisée, donnant lieu à un état descriptif annexé au contrat et signé par les parties, généralement valable pour une durée de trois ans. Lorsque le bien est détruit ou perdu, la valeur fixée lors de cette expertise détermine directement le montant de l’indemnité, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle estimation. En cas de dommage partiel, la moins-value est en principe arrêtée par les mêmes experts ; à défaut d’accord, elle peut être fixée par d’autres experts ou, en dernier ressort, par le juge.
Certains contrats vont encore plus loin en prévoyant que, même en cas d’atteinte limitée, l’assureur verse la valeur totale prévue à l’inventaire, à la condition que l’assuré lui transfère la propriété de l’objet endommagé. Si l’assuré préfère conserver le bien, l’indemnité se limite alors à la moins-value convenue avec l’assureur.
Quoi qu’il en soit, la valeur agréée reste enfermée dans les limites du principe indemnitaire : elle ne peut jamais conduire à une indemnisation supérieure à la valeur réelle du bien au jour du dommage (Cass. 1re civ., 13 mai 1997, n° 95-15.237).
i. Postes complémentaires liés au sinistre
L’indemnisation ne se limite pas à la seule réparation des biens sinistrés : elle peut également couvrir des postes complémentaires. C’est le cas, tout d’abord, des honoraires d’expert engagés par l’assuré, dont le remboursement est prévu par de nombreux contrats, sous réserve des conditions générales applicables. S’ajoutent les frais techniques rendus nécessaires par la reconstruction : honoraires d’architectes, de décorateurs, de bureaux d’études, d’ingénierie ou de contrôle technique, à condition que leur intervention soit jugée indispensable « à dire d’expert ». Ces remboursements peuvent toutefois être plafonnés par le contrat.
À cela s’ajoute, dans certaines hypothèses, la prise en charge de la prime d’assurance dommages-ouvrage rendue obligatoire par les articles L. 242-1 et L. 242-2 du Code des assurances. Lorsque des travaux sont imposés par le sinistre, cette prime peut être remboursée à l’assuré, sous réserve qu’elle ait été effectivement payée, et dans la limite fixée contractuellement.
j. Pertes de loyers
Les contrats couvrent parfois la perte de loyers résultant de l’inoccupation temporaire des locaux sinistrés. L’indemnité est alors calculée d’après le temps nécessaire à la remise en état, déterminé « à dire d’expert », et dans la limite d’une durée généralement fixée à une année. La garantie n’inclut pas le défaut de location après achèvement des travaux et n’est exigible qu’une fois les locaux remis en état. L’indemnisation est en outre plafonnée à la somme prévue aux conditions particulières. Si, au jour du sinistre, la valeur locative annuelle excède le capital assuré, la règle proportionnelle de capitaux prévue à l’article L. 121-5 s’applique, réduisant l’indemnité en proportion du défaut d’assurance.
k. Pertes indirectes
Peuvent également être indemnisées les pertes indirectes subies par l’assuré. Deux modalités coexistent. Dans la formule forfaitaire, l’assureur verse une somme correspondant à un pourcentage de l’indemnité allouée pour les biens endommagés (bâtiments, matériel, marchandises). Ce mécanisme cesse de plein droit en cas de chômage ou de cessation d’activité, l’assuré étant alors remboursé de la portion de prime afférente à la période non couverte, sauf s’il maintient le paiement de son personnel pendant une période n’excédant pas trente jours. Dans la formule fondée sur justificatifs, l’assuré doit établir la réalité et le montant des pertes au moyen de factures, devis, mémoires ou bulletins de salaire, l’indemnité correspondant alors aux frais effectivement supportés.
l. Spécificités utiles de chiffrage (rappels jurisprudentiels)
La jurisprudence est venue préciser certaines règles de chiffrage. La Cour de cassation rappelle que l’indemnité doit être fixée à la valeur des biens au jour du sinistre, et non à celle constatée au jour de la décision judiciaire (Cass. 2e civ., 8 juill. 2021, n° 20-10.575). Lorsque le bien a été acquis à l’état d’épave puis réparé, la valeur augmentée par les travaux effectués doit être prise en compte pour le calcul de l’indemnité (Cass. 2e civ., 11 sept. 2008, n° 07-15.171). Enfin, s’agissant d’un fonds de commerce, la garantie doit être appréciée en fonction de sa valeur réelle au moment du sinistre, dans la limite du capital déclaré au contrat (Cass. 1re civ., 13 mai 1997, n° 95-15.237).
m. Capitaux assurés et indexation (impact sur l’assiette)
Enfin, dans les polices indexées, l’assiette de l’indemnisation évolue automatiquement en fonction d’un indice choisi par les parties. Les capitaux assurés, les franchises, les limitations contractuelles et même les primes sont ainsi révisés à chaque échéance. Les capitaux à retenir au jour du sinistre sont ceux figurant dans le dernier avenant ou, à défaut, dans la police initiale, actualisés selon la valeur de l’indice mentionnée sur la dernière quittance intervenue avant le sinistre. Ce mécanisme permet de maintenir l’équilibre du contrat face à l’érosion monétaire et fixe le plafond maximal de l’indemnité, avant application des autres mécanismes de limitation comme les franchises ou la règle proportionnelle.