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Objet du contrat d’assurance : les exclusions conventionnelles

Dans l’économie du contrat d’assurance, l’exclusion n’est pas une marge : c’est l’un des lieux où se joue la traduction juridique de l’incertitude. Assurer, c’est promettre une prise en charge d’un aléa — mais c’est aussi encadrer l’aléa par la délimitation et par l’exclusion. À la périphérie, les exclusions légales (guerre et émeutes : C. assur., art. L.121-8 ; terrorisme : art. L.126-1 et L.126-2 ; suicide en période probatoire : art. L.132-7 ; meurtre du bénéficiaire : art. L.132-24) sont l’expression d’une politique du risque, d’ordre public, qui soustrait certaines hypothèses à la liberté des parties. Au cœur du contrat, les exclusions conventionnelles relèvent, elles, de la liberté contractuelle : l’assureur propose, l’assuré adhère. Mais cette liberté n’est pas un pouvoir discrétionnaire ; elle est civilisée par la forme et par la mesure.

Deux bornes cardinales en fixent la morale et la technique. La première, textuelle, commande que l’exclusion soit “formelle et limitée” (C. assur., art. L.113-1, al. 1) : elle doit être intelligible, précise, non équivoque, de sorte que l’assuré sache exactement dans quels cas il n’est pas garanti. La seconde, matérielle, exige qu’elle soit “mentionnée en caractères très apparents” (art. L.112-4) : la visibilité typographique devient ici un instrument de loyauté contractuelle. Cette double exigence, la Cour de cassation l’a élevée au rang de loi de police applicable même à des polices régies par une loi étrangère produisant effet en France (Cass. 2e civ., 15 juin 2023, n° 21-20.538). L’exclusion n’est donc valide qu’autant qu’elle dit clairement ce qu’elle retranche et qu’elle le montre.

À ce titre, la jurisprudence n’oppose pas liberté et contrôle : elle les articule. Elle admet, au nom de la cohérence économique du contrat, des clauses qui laissent une garantie non dérisoire, telles celles validées dans le contentieux des pertes d’exploitation COVID-19 (AXA) — exclusions jugées “formelles et limitées” parce qu’elles n’éviscéraient pas la garantie de fermeture administrative (Cass. 2e civ., 1er déc. 2022, n° 21-15.392, et s). Mais elle refuse les exclusions ambiguës qui exigeraient une réécriture judiciaire : ainsi, une clause rendue incertaine par un mésusage de la conjonction “lorsque” a été tenue pour non formelle, donc inopposable (Cass. 2e civ., 25 janv. 2024, n° 22-14.739). Et, sur le terrain de l’apparence, elle rappelle fermement que le “gras” ne suffit pas si la présentation n’attire pas spécialement l’attention de l’assuré (v. Cass. 2e civ., 14 oct. 2021, n° 20-11.980).

Cette grammaire du contrôle s’enracine dans une philosophie contractuelle de la protection: parce que le contrat d’assurance est un contrat d’adhésion, l’outil d’exclusion ne peut devenir un instrument d’éviction. La règle “formel et limité” n’est donc pas un simple canon de rédaction ; c’est une technique de domestication du pouvoir d’exclure, qui reconduit l’assureur à sa promesse centrale — convertir le risque en prix — sans lui permettre de défaire l’attente légitime de couverture.

À l’inverse, là où le texte délimite l’objet (polices “à périls dénommés”, périmètres d’activité, de lieux ou de personnes), la non-garantie est implicite par non-assurance : question de périmètre, non d’exception. La doctrine a depuis longtemps mis des mots sur ce cheminement intellectuel: préciser l’objet n’est pas encore restreindre ce qui a été couvert, et la ligne de partage commande le régime (notamment quant à la charge de la preuve).

Car la rationalité probatoire renforce la rationalité matérielle : à l’assuré, la preuve des conditions de garantie ; à l’assureur, la preuve des conditions de fait de l’exclusion qu’il oppose — solution constante depuis 1980 (v. Cass. 1re civ., 15 oct. 1980, n° 79-17.075). Et en responsabilité civile, l’exclusion ne saurait moduler la couverture selon la gravité des fautes des personnes dont l’assuré répond (C. assur., art. L.121-2) : ici, la liberté recule devant une exigence de socialisation du risque.

I. Définition et distinction

A. Délimitation du risque couvert vs exclusion de garantie

Le domaine des exclusions conventionnelles ne peut être compris sans distinguer, en amont, deux mécanismes par lesquels le contrat circonscrit l’étendue de la couverture qu’il accorde.

La délimitation joue ainsi sur la définition initiale du risque. Elle peut se fonder sur des critères objectifs tenant à la nature des biens, aux activités déclarées, aux personnes couvertes, aux lieux, aux périodes ou encore aux types de dommages. Dans les polices dites « à périls dénommés », la délimitation s’opère aussi de manière négative : seuls les événements expressément listés ouvrent droit à garantie, les autres étant implicitement exclus. La doctrine décrit ce mécanisme comme une non-assurance implicite.

À l’inverse, l’exclusion conventionnelle est une non-garantie explicite. Elle prend la forme d’une clause qui vise directement une cause, une circonstance ou un type de dommage afin de le soustraire à l’indemnisation. C’est pourquoi elle relève du régime spécifique de l’article L. 113-1, alinéa 1er du Code des assurances (« clauses formelles et limitées »), combiné avec l’article L. 112-4 (caractère « très apparent »).

La jurisprudence a eu maintes occasions de tracer la frontière. Elle admet que certaines clauses, bien que rédigées comme des délimitations, comportent des exclusions indirectes, dès lors que la définition du risque laisse hors champ, de manière intelligible et non équivoque, des situations précises. Ainsi, la garantie limitée aux travaux réalisés directement par l’assuré exclut, par corrélation, les travaux exécutés par un sous-traitant (Cass. 1re civ., 19 mai 1992, n° 90-18.199). De même, la couverture des fuites provenant de conduites non enterrées implique nécessairement l’absence de garantie pour celles issues de conduites enterrées (Cass. 3e civ., 26 mars 2008, n° 07-14.406). La Cour de cassation a encore jugé que la clause circonscrivant la garantie à la responsabilité délictuelle laisse logiquement hors champ la responsabilité contractuelle (Cass. com., 24 nov. 1987, n°85-18.570). À l’inverse, elle a refusé d’admettre une exclusion indirecte lorsque la clause de garantie des dommages matériels n’excluait pas clairement la prise en charge d’ouvrages non exécutés (Cass. 1re civ., 21 mai 1990, n° 88-19.017). L’élément déterminant est toujours l’intelligibilité immédiate de ce qui est garanti et de ce qui ne l’est pas.

Cette dialectique se retrouve dans les assurances de responsabilité. Certaines limitations tiennent non pas au comportement fautif mais à la nature du dommage couvert : par exemple, en assurance produits livrés, la garantie des atteintes causées aux tiers par le produit n’inclut pas, par construction, le coût de réfection du produit lui-même (Cass. 2e civ., 19 nov. 2009, n° 08-14.300). Il s’agit bien d’une délimitation, et non d’une exclusion amputant la substance de la garantie.

Au total, la distinction entre délimitation et exclusion n’est pas qu’un jeu théorique : elle commande le régime de validité des clauses et détermine la charge de la preuve. L’assuré doit démontrer que le sinistre relève du risque tel qu’il a été défini par la police. L’assureur, en revanche, supporte la preuve des faits permettant de mettre en œuvre une exclusion qu’il invoque. Comme le souligne la doctrine, on ne sait véritablement si l’on « restreint » la couverture qu’en identifiant d’abord le périmètre positif de la garantie, avant d’examiner ce qui en est expressément retranché.

B. Conditions/obligations de prévention vs exclusions

Une seconde frontière essentielle traverse le droit des assurances : celle qui sépare les conditions de garantie des exclusions conventionnelles. Cette distinction est déterminante, car elle commande à la fois le régime de validité applicable et la charge de la preuve.

Les conditions de garantie imposent à l’assuré l’accomplissement d’un fait positif ou la réunion d’un état préalable à la survenance du sinistre : installation d’un dispositif de sécurité, respect d’une qualification technique, obtention d’un agrément, ou encore conformité à une obligation permanente de prévention. Ces stipulations, en ce qu’elles définissent les modalités d’accès à la garantie, relèvent du mécanisme de l’article L.113-2 du Code des assurances et échappent, par principe, au double carcan du formalisme « formel et limité » (art. L.113-1, al. 1er) et de la présentation « très apparente » (art. L.112-4).

À l’inverse, les exclusions conventionnelles privent la garantie en considération de circonstances particulières de réalisation du risque. Elles opèrent un retrait ciblé, qui ne peut valoir qu’à la condition d’obéir à ces deux exigences cumulatives : être rédigées en termes formels et limités, et figurer de manière très apparente dans la police.

La Cour de cassation a depuis longtemps tracé la ligne de partage. Est une exclusion la clause qui fait dépendre la garantie de circonstances entourant le sinistre. Ainsi, la Haute juridiction a jugé qu’une stipulation privant la couverture en fonction des conditions du vol constitue une véritable exclusion (Cass. 1re civ., 26 nov. 1996, n°94-16.058) ; de même pour la célèbre « clause syndicale vol » (Cass. 1re civ., 2 avr. 1996, n°95-13.928).

Inversement, relèvent de la catégorie des conditions de garantie les stipulations imposant des mesures permanentes de prévention ou de qualification. Ont ainsi été qualifiées de conditions la clause imposant l’installation d’un système antivol agréé (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n°99-10.650) ou l’exigence, en assurance aérienne, de la détention d’un brevet de pilotage valide (Cass. 1re civ., 4 juin 2002, n°99-15.159 et n°99-16.373). Dans le même arrêt, la Cour de cassation a jugé que la clause dite de « groupe » en assurance emprunteur, définissant le périmètre de la garantie, relevait de la délimitation et non de l’exclusion. Plus récemment, la Cour de cassation a confirmé que constitue une condition, et non une exclusion, la clause qui formule des exigences générales et précises, même sans mention expresse « à peine de non-garantie » (Cass. 2e civ., 15 déc. 2022, n°20-22.356). La troisième Chambre civile, dans le même esprit, a rappelé qu’il convient d’examiner en premier lieu l’étendue même de la garantie avant d’apprécier le caractère éventuellement abusif ou excessif d’une clause d’exclusion (Cass. 3e civ., 4 juill. 2024, n°23-13.695).

La pratique judiciaire témoigne toutefois d’hésitations. Ainsi, la clause d’inhabitation – qui suspend la garantie si un immeuble demeure inoccupé au-delà d’un certain délai – a été analysée comme une exclusion par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 5 juill. 2006, n°04-10.273), alors qu’une partie de la doctrine y voit plutôt une condition permanente de couverture, liée à l’aggravation du risque. À rebours, des clauses parfois intitulées «exclusions » ont été requalifiées en simples conditions de garantie, car elles ne faisaient que définir l’objet assuré (Cass. 2e civ., 18 mars 2004, n°03-10.062).

La clé de voûte demeure le critère fonctionnel largement admis par la doctrine: relèvent des conditions les stipulations qui exigent la réunion d’un état ou l’accomplissement d’un acte préalable et permanent (« si condition préalable ») ; relèvent des exclusions celles qui privent la couverture en fonction des circonstances concrètes du sinistre (« alors que circonstance du sinistre »).

Cette distinction conceptuelle a trouvé une illustration significative dans le contentieux des pertes d’exploitation liées à la pandémie de Covid-19. Des hôteliers avaient invoqué la garantie « pertes d’exploitation » stipulée en cas d’« arrêt d’activité totale ou partielle du fait de mesures administratives résultant d’une décision des autorités sanitaires de mise en quarantaine ». Ils soutenaient que le confinement généralisé décidé par les pouvoirs publics constituait une « quarantaine » au sens du contrat, en se référant à la définition large donnée par le Règlement sanitaire international de 2005.

La Cour de cassation a rejeté cette interprétation. Reprenant les textes applicables, elle rappelle que la quarantaine se définit comme la mise à l’écart de « personnes suspectes spécifiquement identifiées » en raison du risque de propagation qu’elles présentent, et se distingue de l’interdiction générale de déplacement imposée à l’ensemble de la population. La Haute juridiction en déduit que les mesures de confinement général ne peuvent être assimilées à une mesure de quarantaine au sens du contrat. Dès lors, les conditions de mise en jeu de la garantie n’étaient pas réunies (Cass. 2e civ., 30 mai 2024, n°22-21.574).

L’enseignement de cet arrêt est double : d’une part, le débat portait non sur une exclusion de garantie mais sur la délimitation du risque assuré, la clause étant qualifiée de définition limitative de l’objet de la couverture ; d’autre part, la Cour de cassation consacre une interprétation stricte de la notion de « quarantaine », réduite à une mesure individuelle ciblée et non à un confinement collectif. Le contentieux illustre donc que la question de l’objet de la garantie doit être tranchée en amont de tout contrôle des exclusions, sur le terrain de la qualification contractuelle.

Ainsi, derrière les subtilités techniques, la distinction entre conditions et exclusions n’est pas seulement de vocabulaire : elle commande un régime de validité distinct, une charge probatoire différente, et engage, plus fondamentalement, une conception claire de la répartition des risques entre l’assureur et l’assuré.

C. Spécificité en responsabilité civile : articulation avec L.121-2

Le domaine de la responsabilité civile occupe une place particulière dans le droit des exclusions de garantie. Cette singularité tient à l’articulation entre, d’une part, le régime légal impératif de l’article L.121-2 du Code des assurances – qui impose à l’assureur de prendre en charge les conséquences des dommages causés par les personnes dont l’assuré répond, « quelles que soient la nature et la gravité des fautes » – et, d’autre part, la prohibition générale des clauses qui viendraient, directement ou indirectement, réintroduire une distinction selon la gravité des fautes.

La jurisprudence a, dès longtemps, affirmé que sont réputées non écrites les clauses qui visent à exclure certains comportements fautifs en fonction de leur intensité. La Cour de cassation a ainsi censuré les stipulations excluant la faute intentionnelle d’un préposé, en jugeant qu’elles contreviennent au principe d’ordre public posé par l’article L.113-1, al. 2 du Code des assurances (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n°84-16.420). À l’inverse, demeurent valables les délimitations d’objet du risque qui ne portent pas sur la gravité de la faute, mais sur le périmètre matériel ou fonctionnel de la garantie. C’est le cas, par exemple, de la clause excluant les dommages causés ou subis par un véhicule terrestre à moteur appartenant à l’assuré « chef de famille ».

La Cour de cassation a également admis la validité d’exclusions qui, tout en affectant la responsabilité civile, visent des situations objectivement déterminées. Ainsi, la limitation de la garantie à la responsabilité délictuelle laisse légitimement hors champ la responsabilité contractuelle (Cass. com., 24 nov. 1987, n°85-18.570). De même, la garantie des fuites provenant de conduites non enterrées écarte corrélativement celles issues de conduites enterrées (Cass. 3e civ., 26 mars 2008, n°07-14.406). Ces hypothèses relèvent bien de la délimitation de l’objet assuré, et non d’une atteinte au principe d’indifférence à la gravité des fautes.

La distinction n’en demeure pas moins délicate. En matière de responsabilité civile, la tentation est grande, pour l’assureur, de soustraire certains comportements fautifs de la couverture, notamment lorsque l’assuré commet une faute lourde ou dolosive. Mais la Cour de cassation veille avec constance : une telle exclusion reviendrait à contourner le régime légal impératif. En effet, la faute intentionnelle de l’assuré constitue le seul terrain d’exclusion possible, expressément prévu par l’article L.113-1, al. 2, tandis que les fautes lourdes, dolosives ou inexcusables restent couvertes, dès lors qu’elles ne se confondent pas avec l’intention de causer le dommage.

Cette rigueur trouve sa justification dans la finalité sociale de l’assurance de responsabilité civile. En garantissant l’indemnisation des victimes, le législateur a entendu placer la réparation au cœur du mécanisme assurantiel, quitte à ce que l’assureur supporte des comportements particulièrement répréhensibles. Dans cette perspective, les exclusions conventionnelles doivent être interprétées strictement, et leur validité appréciée à l’aune d’une finalité protectrice.

L’assurance de responsabilité civile illustre ainsi l’équilibre singulier entre liberté contractuelle et ordre public : la liberté de l’assureur de délimiter sa garantie rencontre une limite absolue dès lors qu’est en cause la protection des victimes, considérées comme tiers bénéficiaires nécessaires de la couverture. Comme le rappelle la doctrine, cette spécificité confère aux exclusions en responsabilité civile une fonction particulière : elles ne peuvent servir à restreindre l’accès à l’indemnisation, mais seulement à préciser objectivement le périmètre du risque assuré.

II. Conditions de validité

Le droit positif encadre les exclusions par un triptyque désormais classique : (i) elles doivent être formelles et limitées (C. assur., art. L. 113-1, al. 1), (ii) elles doivent être mentionnées en caractères très apparents (art. L. 112-4, in fine).

A. Le caractère « formel et limité » (art. L. 113-1, al. 1)

L’article L. 113-1, alinéa 1er, du Code des assurances conditionne la validité des exclusions de garantie à leur caractère « formel et limité ». Cette formule, issue de la loi du 13 juillet 1930, constitue un instrument central de protection de l’assuré : elle empêche que la liberté contractuelle des parties ne conduise à la mise en place de clauses trop vagues, imprécises ou vidant la couverture de toute substance.

1. Formel

Le terme « formel » renvoie d’abord à l’exigence d’une clause écrite et exprimée en termes clairs, précis et non équivoques. L’assuré doit être en mesure, à la lecture du contrat, de savoir exactement dans quels cas il n’est pas garanti. Dès lors, toute stipulation dont la portée ne peut être connue qu’au prix d’une interprétation incertaine est réputée non écrite. La Cour de cassation le rappelle régulièrement : une exclusion « ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée » (Cass. 1re civ., 22 mai 2001, n° 99-10.849).

Cette exigence exclut les renvois généraux à des normes indéterminées (« règles de l’art », « lois, règlements et normes en vigueur », DTU non identifiés : Cass. 3e civ., 26 nov. 2003, n° 01-16.126), ainsi que les formulations trop floues comme « défaut d’entretien » ou «réparations indispensables », dépourvues de critères objectifs (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n° 11-22.412). Le même raisonnement vaut pour certaines notions médicales indéterminées (« troubles psychiques » : Cass. 2e civ., 2 avr. 2009, n° 08-12.587 ; « et autre mal de dos » : Cass. 2e civ., 17 juin 2021, n° 19-24.467).

L’exigence de précision impose aussi que les clauses médicales ou biologiques soient accompagnées de critères mesurables. Ainsi, la Cour de cassation distingue entre l’exclusion d’un état d’imprégnation alcoolique assorti d’un seuil légalement caractérisé (valide : Cass. 2e civ., 25 oct. 2018, n° 17-31.296) et la simple référence à une «imprégnation alcoolique » non chiffrée (invalide : Cass. 1re civ., 9 déc. 1997, n° 96-10.592).

La haute juridiction a parfois admis qu’une exclusion visant une pathologie précise pouvait être jugée claire, même si la liste des affections n’était communiquée que dans un document confidentiel remis à l’assuré (Cass. 2e civ., 4 avr. 2024, n° 22-18.186). La clause litigieuse visait les « suites et conséquences éventuelles des pathologies disco-vertébrales du rachis lombo-sacré », sans que cette pathologie soit reproduite dans le certificat d’adhésion lui-même. Elle était mentionnée dans une lettre confidentielle remise à l’assuré lors de la souscription, en raison du secret médical, l’assuré reconnaissant par sa signature en avoir pris connaissance.

La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir jugé que cette clause demeurait claire et limitée, même si l’intitulé figurant au contrat ne précisait pas lui-même la pathologie concernée. Pour la Deuxième chambre civile, la clarté n’est pas ici appréciée de manière abstraite et intrinsèque à la clause : elle est combinée avec l’exigence d’accessibilité effective de l’information pour l’assuré. Dès lors que ce dernier a reçu un document explicite et compréhensible, dont il a reconnu la remise, la condition de formalisme posée par l’article L. 113-1 du Code des assurances est regardée comme remplie.

Cette solution interroge. La jurisprudence classique définissait une exclusion « formelle » comme celle qui se réfère à des critères précis, sans nécessité d’interprétation (v. not. Cass. 2e civ., 8 oct. 2009, n° 08-19.646). Ici, la Haute juridiction accepte qu’une clause soit validée alors même que son intelligibilité ne résulte pas uniquement du corps du contrat, mais d’un document extérieur, tenu confidentiel, destiné à l’assuré seul. En ce sens, l’arrêt semble déplacer le curseur du contrôle : au lieu d’exiger une transparence intrinsèque et immédiate de la clause, il admet que le critère de clarté puisse être satisfait par un mécanisme d’information contextualisé, reposant sur la preuve de la remise effective d’un écrit distinct.

Sur le plan conceptuel, cela marque une tension. L’exigence de « formalisme » tend traditionnellement à protéger l’assuré contre toute ambiguïté par la force du texte contractuel lui-même. Or, l’arrêt du 4 avril 2024 substitue à cette logique une conception plus souple, fondée sur la réception personnelle d’un document annexe, conciliant transparence contractuelle et contraintes propres au secret médical. L’exclusion demeure néanmoins «limitée » au sens de l’article L. 113-1, puisqu’elle ne vise qu’une pathologie spécifique et n’anéantit pas l’objet du contrat, lequel conserve sa substance en garantissant l’assuré contre les autres affections.

Il reste que cette jurisprudence appelle la prudence. Elle pourrait ouvrir la voie à une fragmentation de l’information contractuelle, rendant la vérification de la condition de formalisme dépendante non plus seulement de la lettre du contrat, mais de la traçabilité de documents annexes. Ce faisant, le critère protecteur d’intelligibilité immédiate de la clause d’assurance se trouve relativisé, au risque de complexifier le contrôle de validité des exclusions par les juridictions du fond.

2. Limitée

Dire qu’une exclusion doit être « limitée » revient à exiger qu’elle retranche quelques hypothèses précisément visées sans transformer la police en couverture illusoire. La Cour de cassation sanctionne ainsi les stipulations qui, par leur ampleur, vident la garantie de sa substance ou « suppriment pratiquement toutes les garanties prévues » (Cass. 1re civ., 14 janv. 1992, n° 88-19.313). Le contrôle n’est pas seulement sémantique : il est fonctionnel. Le juge vérifie in concreto l’incidence concrète de la clause sur l’économie du contrat et précise ce qui demeure garanti après son application (Cass. 2e civ., 9 févr. 2012, n° 10-31.057).

On peut tirer deux enseignements de la jurisprudence:

Au total, l’adjectif « limité » impose une double contrainte : circonscrire l’éviction à des hypothèses déterminées et préserver un champ résiduel réel de couverture. La clause est licite lorsqu’elle retrace une frontière, non lorsqu’elle efface la carte. Cette logique, propre au droit des assurances, se suffit à elle-même : la Cour de cassation l’a d’ailleurs rappelé en refusant de substituer au contrôle de l’article L. 113-1 le régime général des clauses abusives de l’article 1171 du code civil dans ce contentieux (Cass. 2e civ., 21 sept. 2023, n° 22-13.759).

B. La mention « en caractères très apparents » (art. L. 112-4, in fine)

La validité d’une exclusion de garantie ne dépend pas seulement de sa clarté (formelle) et de sa portée (limitée). Elle suppose encore qu’elle soit portée à la connaissance de l’assuré dans des conditions de visibilité renforcée. Le législateur impose en effet que toute clause d’exclusion soit rédigée « en caractères très apparents » (C. assur., art. L. 112-4, al. 2), afin d’assurer une véritable vigilance de l’assuré au moment de la conclusion du contrat. Cette exigence, de nature préventive, traduit une logique protectrice : le consentement de l’assuré ne saurait être éclairé si les clauses qui réduisent la portée de la garantie lui sont dissimulées dans la masse des conditions générales.

La jurisprudence a toujours adopté une approche concrète. Le simple fait que la clause soit rédigée en caractères gras ne suffit pas si, replacée dans son contexte, elle ne ressort pas véritablement de l’ensemble du document contractuel. Ainsi, la Cour de cassation a censuré une cour d’appel qui s’était bornée à relever que la clause litigieuse était rédigée en «caractères lisibles et gras », sans vérifier si, dans la typographie et la mise en page globale, elle apparaissait effectivement de manière saillante (Cass. 2e civ., 14 oct. 2021, n° 20-11.980). De même, une clause imprimée en gras mais noyée parmi d’autres stipulations présentées en rouge a été jugée non conforme, faute d’attirer suffisamment l’attention de l’assuré (Cass. 1re civ., 1er déc. 1998, n° 96-18.993).

Inversement, la Haute juridiction fait preuve de souplesse lorsque la présentation globale assure effectivement la visibilité de la clause. Elle admet, par exemple, que le renvoi opéré par une convention spéciale vers des conditions générales soit valable, dès lors que ces dernières contiennent l’exclusion en caractères très apparents (Cass. 2e civ., 26 nov. 2020, n° 19-16.797). Le critère n’est donc pas purement formel : il s’agit d’un contrôle pragmatique de la lisibilité réelle de l’exclusion par l’assuré.

Ce contrôle dépasse d’ailleurs le seul support contractuel. La Cour de cassation a étendu l’exigence de présentation claire et saillante aux documents accessoires qui concourent à l’information précontractuelle ou à l’adhésion : notice d’information en assurance de groupe, note de couverture, voire documents publicitaires lorsque leur présentation est susceptible d’induire l’assuré en erreur (Cass. 1re civ., 20 juin 2000, n° 98-11.212). La finalité est ici de garantir que l’assuré n’est pas trompé, même indirectement, sur l’étendue réelle de la couverture.

Enfin, il convient de rappeler une limite essentielle : l’exigence de l’article L. 112-4, al. 2, ne concerne que les clauses d’exclusion de garantie. Elle ne s’étend pas aux stipulations qui définissent l’objet même de l’assurance, c’est-à-dire la délimitation initiale du risque couvert. La Cour de cassation a ainsi jugé que la définition du risque assuré échappait à l’article L. 112-4 (Cass. 1re civ., 27 nov. 1990, n° 88-12.964). Cette distinction est capitale, car elle conditionne la frontière entre la liberté de l’assureur de fixer l’objet de la garantie et l’encadrement strict des exclusions qui en réduisent la portée.

III. Typologie des exclusions conventionnelles

La validité d’une clause d’exclusion ne dépend pas de sa nature (cause du sinistre, circonstances de survenance, comportement de l’assuré), mais de son respect des exigences de forme (art. L. 112-4 C. assur.) et de fond (art. L. 113-1 C. assur.) : formelle, limitée, très apparente. Aussi, trois grandes catégories peuvent être distinguées selon le fondement de l’exclusion : la cause du sinistre, les circonstances ou le lieu de sa réalisation, et le comportement de l’assuré.

==>Les exclusions fondées sur la cause du sinistre

L’article L. 113-1 du Code des assurances pose que « les exclusions conventionnelles de garantie doivent être formelles et limitées ». Cette exigence implique que la clause soit rédigée en des termes suffisamment précis pour ne pas prêter à interprétation, et qu’elle ne prive pas la garantie de son objet essentiel.

C’est dans ce cadre que la Cour de cassation exerce un contrôle de légalité strict. L’arrêt du 8 octobre 2009 en fournit une illustration marquante (Cass. 2e civ., 8 oct. 2009, n° 08-19.646).

Dans cette affaire, l’assureur avait opposé à l’assuré une exclusion rédigée de la manière suivante : « sont toujours exclus les dommages qui résultent, sauf cas de force majeure (…) de l’insuffisance, soit d’une réparation soit d’une modification indispensable, notamment à la suite d’une précédente manifestation d’un dommage, des locaux ou installations dont l’assuré est propriétaire ou occupant, plus généralement des biens assurés».

La cour d’appel, pour écarter la garantie, avait cru devoir interpréter cette stipulation au regard du comportement de l’assuré, considérant qu’il avait manqué de diligence après deux tentatives d’incendie, en ne mettant pas en œuvre les mesures de protection préconisées par les autorités.

La Cour de cassation censure ce raisonnement : en ce qu’elle nécessitait une interprétation pour déterminer sa portée, la clause litigieuse n’était pas formelle ; et en raison de son caractère trop général, elle ne pouvait pas non plus être considérée comme limitée. La Haute juridiction en conclut que l’arrêt d’appel a violé l’article L. 113-1.

Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt:

En creux, la Cour de cassation suggère ainsi ce qui fonde la validité des exclusions relatives à la cause du sinistre : elles doivent viser des hypothèses précises et objectivement identifiables. À titre d’exemple, la jurisprudence admet des clauses excluant les dommages consécutifs à une cause particulière, telle qu’une explosion d’explosifs (v. Cass. 1re civ., 6 janv. 1993, n° 89-20.730), dès lors que l’assuré peut identifier sans ambiguïté le risque écarté et que la garantie conserve son efficacité pour les autres événements.

À l’inverse des exclusions qui visent une cause déterminée et objectivement identifiable, sont réputées non écrites celles qui renvoient à des catégories trop générales, indéterminées ou dépourvues de bornes claires.

La Cour de cassation, sur le fondement de l’article L. 113-1 du Code des assurances, rappelle que les exclusions doivent être « formelles et limitées de façon à permettre à l’assuré de connaître exactement l’étendue de la garantie convenue ». L’exigence de formalisme proscrit les renvois à des notions vagues ou équivoques, tandis que l’exigence de limitation interdit les clauses susceptibles de vider la garantie de sa substance en raison de leur généralité excessive.

L’arrêt du 13 décembre 2012 illustre avec netteté cette exigence (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n° 11-22.412). La Cour de cassation y censure une clause visant les « trombes, cyclones, inondations, tremblements de terre et autres phénomènes à caractère catastrophique », considérant qu’elle n’était ni formelle ni limitée : en se référant à une catégorie générale et indéterminée (« autres phénomènes à caractère catastrophique »), la clause ne permettait pas à l’assuré de connaître exactement l’étendue de la garantie.

Cet arrêt s’inscrit dans la ligne de celui du 8 octobre 2009 (Cass. 2e civ., 8 oct. 2009, n° 08-19.646), où la Haute juridiction avait déjà censuré une exclusion rédigée en termes trop vagues (« réparations ou modifications indispensables »), faute de précision suffisante. Dans les deux hypothèses, la Cour de cassation sanctionne la même dérive : l’emploi de formules générales qui confèrent à l’assureur une marge d’interprétation excessive et privent l’assuré d’une lecture claire et prévisible de sa couverture.

Cette jurisprudence met ainsi en lumière la fonction protectrice de l’article L. 113-1 du Code des assurances. En imposant que les exclusions soient formelles et limitées, le législateur confère à la Cour de cassation un rôle de gardien de l’intelligibilité contractuelle. La règle ne se borne pas à une exigence de style ou de technique rédactionnelle : elle traduit une exigence matérielle de prévisibilité de la couverture, corollaire de la sécurité juridique et de l’équilibre contractuel entre assureur et assuré.

Il ne s’agit pas seulement d’écarter les clauses rédigées en termes volontairement obscurs ou ambigus, mais plus largement d’empêcher toute rédaction qui, par son indétermination, autoriserait l’assureur à moduler a posteriori l’étendue de la garantie. La prohibition vise donc à éviter que l’assuré, confronté à des formules telles que « réparations ou modifications indispensables » (Cass. 2e civ., 8 oct. 2009, n° 08-19.646) ou « autres phénomènes à caractère catastrophique » (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n° 11-22.412), se retrouve dans une situation de dépendance interprétative vis-à-vis de l’assureur.

La doctrine a justement souligné que cette ligne jurisprudentielle exprime un souci constant de préserver l’efficacité économique et sociale du contrat d’assurance. Un contrat dont les exclusions seraient rédigées en termes trop généraux manquerait à sa finalité première: offrir une protection effective contre des risques déterminés. À cet égard, la Cour de cassation impose un véritable contrôle de proportionnalité entre la liberté contractuelle de l’assureur et la nécessité de maintenir une couverture identifiable et exploitable par l’assuré.

Enfin, cette exigence contribue à distinguer les délimitations de l’objet du contrat – qui fixent positivement le périmètre de la garantie – des clauses d’exclusion – qui en retranchent certains événements. Les premières échappent à l’exigence de formalisme et de limitation, car elles définissent le risque assuré ; les secondes, en revanche, doivent se soumettre à ce double contrôle, faute de quoi elles sont réputées non écrites. La sanction est donc particulièrement rigoureuse : loin d’une simple nullité relative, c’est une véritable disparition de la clause du contrat, sans possibilité de régularisation, ce qui renforce son caractère d’ordre public de protection.

==>Les exclusions fondées sur les circonstances ou le lieu du sinistre

Lorsqu’elles sont précises, ces exclusions sont admises. Par exemple, une clause excluant « les dommages survenus hors des locaux déclarés situés à […] » opère une simple délimitation de la couverture, sans vider la garantie de sa substance (Cass. 1re civ., 6 janv. 1993, n° 89-20.730).

En revanche, une exclusion visant les dommages résultant d’un « défaut d’entretien » sans préciser de critères objectifs ou sans lister les hypothèses concernées est écartée comme imprécise et contraire à l’exigence de formalisme et de limitation (Cass. 2e civ., 12 déc. 2013, n° 12-29.862).

==>Les exclusions fondées sur le comportement de l’assuré

La Cour de cassation valide les exclusions qui se réfèrent à des critères légaux ou médicaux objectifs. Ainsi, une clause excluant « les conséquences d’un acte effectué dans un état d’imprégnation alcoolique caractérisé par un taux supérieur à la limite fixée par le code de la route » est jugée régulière, car elle s’appuie sur un seuil chiffré prévu par la loi (Cass. 2e civ., 25 oct. 2018, n° 17-31.296).

À l’inverse, une clause excluant « les dommages causés par l’inobservation des règles de l’art » est inopérante lorsque lesdites règles ne sont pas définies ni identifiées, l’assuré n’étant pas en mesure de connaître avec précision l’étendue de la garantie (Cass. 3e civ., 26 nov. 2003, n° 01-16.126).

Un garde-fou demeure en matière de responsabilité civile (art. L. 121-2 C. assur.). Même rédigée de manière précise, une clause qui aurait pour effet de moduler la couverture en fonction de la gravité d’une faute imputée à l’assuré ou à ses préposés est prohibée, car elle contreviendrait au principe légal selon lequel l’assureur est garant des dommages causés par les personnes dont l’assuré répond, quelles que soient la nature et la gravité de leurs fautes (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-16.420).

En revanche, une simple délimitation de l’objet du risque est admise, comme dans l’hypothèse d’une police de responsabilité civile excluant les dommages aux biens confiés : la couverture demeure effective pour les autres dommages et ne se trouve pas anéantie.

IV. Contrôle judiciaire des exclusions

Le contrôle des exclusions de garantie s’articule autour de la double exigence de l’article L. 113-1 du Code des assurances : elles doivent être formelles (claires, précises, non équivoques) et limitées (ne pas vider la garantie de sa substance). Dans cette perspective, la Cour de cassation impose une interprétation stricte des exclusions : une clause dont la portée ne peut être déterminée sans interprétation n’est pas « formelle » et ne peut recevoir application (Cass. 3e civ., 27 oct. 2016, n° 15-23.841).

Le juge ne s’arrête pas à la seule clarté du libellé : il apprécie in concreto si la stipulation laisse subsister une couverture réelle au regard de la nature du contrat, de l’objet de la garantie et des circonstances du sinistre. Sont ainsi censurées les exclusions qui, par leur généralité, anéantissent la garantie (Cass. 2e civ., 2 oct. 2008, n° 07-15.810). À l’inverse, demeurent valables les clauses précises qui bornent la couverture sans l’abolir : par exemple, l’exclusion du coût de réfection du produit en assurance RC « produits livrés », la garantie restant ouverte pour les dommages causés aux tiers (Cass. 2e civ., 19 nov. 2015, n° 14-18.009).

Cette méthode a été réaffirmée dans le contentieux des pertes d’exploitation liées au Covid-19 : validation des clauses AXA excluant l’épidémie/pandémie, la garantie demeurant pour d’autres fermetures administratives (Cass. 2e civ., 1er déc. 2022, n° 21-15.392) ; censure, en revanche, d’une clause rendue ambiguë par l’usage de « lorsque », jugée non formelle (Cass. 2e civ., 25 janv. 2024, n° 22-14.739). Dans le dossier des hôteliers, la Cour de cassation a encore précisé que la référence à la « mise en quarantaine » relevait de la définition du risque garanti et non d’une exclusion : faute de quarantaine individuelle, la garantie ne se déclenchait pas (Cass. 2e civ., 30 mai 2024, n° 22-21.574).

Au-delà du contentieux du Covid-19, la jurisprudence demeure constante : sont écartées les clauses qui renvoient globalement aux « lois, règlements et normes » ou aux DTU non identifiés (Cass. 2e civ., 2 oct. 2008, n° 07-15.810), celles formulées en termes flous tels que « réparations » ou « modifications indispensables » (Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n°11-22.412), ou encore le « défaut d’entretien » non défini par des critères objectifs (Cass. 2e civ., 15 janv. 2015, n° 13-19.405). À l’inverse, une clause ciblant « le défaut de réparation ou d’entretien indispensable… sauf cas de force majeure » a été tenue formelle et limitée, car suffisamment bornée et non dénaturante de la garantie (Cass. 2e civ., 3 oct. 2013, n° 12-23.684).

Se dessine ainsi une ligne jurisprudentielle claire : interprétation stricte pour écarter les clauses équivoques, et contrôle de proportionnalité pour prévenir toute atteinte à la substance de la garantie. C’est dans cette dialectique que s’exprime le pouvoir du juge, garant de la cohérence du régime légal et de l’équilibre du contrat d’assurance.

V. Renonciation et inopposabilité

A. Renonciation de l’assureur

La question de la renonciation par l’assureur à une exclusion de garantie – ou, plus largement, à une déchéance – se situe à l’intersection du droit des assurances et du droit commun des obligations. Elle met en jeu une difficulté bien connue : celle de la cohérence entre les droits que l’assureur revendique et la conduite qu’il adopte dans l’exécution du contrat. Peut-il, après avoir eu un comportement de nature à laisser croire à l’assuré que la garantie sera mobilisée, revenir en arrière pour opposer une exclusion ? Autrement dit, jusqu’où s’étend la faculté pour l’assureur d’invoquer ses clauses, et à partir de quel moment ses propres actes l’en empêchent-ils ?

L’enjeu est double. Sur le plan pratique, il tient à la sécurité juridique de l’assuré, qui doit pouvoir s’appuyer sur la position prise par son cocontractant. Sur le plan théorique, il concerne la liberté contractuelle de l’assureur, que l’on ne saurait priver, sans justification suffisante, du bénéfice des stipulations qu’il a insérées dans la police.

En droit positif, la renonciation est définie comme l’acte par lequel une partie renonce à un droit qu’elle tient du contrat. Appliquée aux assurances, elle se traduit par l’abandon de la faculté pour l’assureur d’invoquer une clause d’exclusion ou de déchéance. Cette renonciation peut être expresse ou tacite. Elle est expresse lorsque l’assureur déclare sans ambiguïté qu’il n’entend pas se prévaloir de la clause litigieuse, par exemple dans une lettre de garantie adressée à l’assuré. Elle est tacite lorsqu’elle résulte d’actes positifs incompatibles avec la volonté d’opposer ultérieurement l’exclusion.

La jurisprudence se montre toutefois exigeante. Elle affirme de manière constante que la renonciation ne se présume pas et doit résulter d’actes clairs et non équivoques. Ainsi, la simple désignation d’un avocat ou d’un expert, même en connaissance des circonstances du sinistre, ne suffit pas à établir une renonciation, dès lors que ces diligences s’inscrivent dans le cadre normal de l’instruction du dossier. De même, le fait pour l’assureur de prendre position sous réserve expresse de ses droits ne peut être assimilé à une renonciation : les «réserves » claires et explicites ne sont pas considérées comme de simples clauses de style. À l’inverse, une gestion du sinistre sans réserve, le paiement volontaire d’une indemnité ou encore des actes de défense en justice qui reconnaissent la garantie de manière non équivoque sont de nature à caractériser une renonciation tacite.

La ligne directrice est claire : la renonciation exige un comportement positif et incompatible avec la volonté de se prévaloir de l’exclusion. Elle repose sur l’idée qu’un assureur ne peut adopter un comportement contradictoire, en donnant à l’assuré la conviction que la garantie est acquise, pour ensuite invoquer une exclusion. Cette exigence traduit l’influence croissante du principe de bonne foi contractuelle, désormais consacré à l’article 1104 du Code civil, sur le droit des assurances.

B. Inopposabilité des exclusions de garantie

La question de l’inopposabilité des exclusions de garantie renvoie à une problématique centrale : dans quelle mesure des tiers, bénéficiaires de droits propres contre l’assureur, peuvent-ils se voir opposer les stipulations du contrat souscrit entre l’assureur et l’assuré ? Autrement dit, faut-il protéger la victime – tiers au contrat – contre les manquements de l’assuré ou contre l’effet de clauses restrictives de la garantie ? La réponse du droit positif repose sur un équilibre délicat entre deux impératifs : la protection des victimes, qui justifie d’écarter certaines exceptions, et le respect de l’économie contractuelle, qui commande de maintenir l’effet des clauses objectives délimitant la garantie.

==>L’action directe de la victime (art. L. 124-3 C. assur.)

L’article L. 124-3 du Code des assurances reconnaît à la victime d’un dommage un droit autonome contre l’assureur du responsable. Cette action directe ne procède pas d’une cession de créance : elle confère à la victime un titre propre, indépendant des droits de l’assuré. C’est précisément dans ce cadre que la Cour de cassation a tracé une frontière nette entre, d’une part, les défenses que l’assureur peut légitimement opposer à la victime et, d’autre part, celles qui lui sont interdites.

Ainsi, les clauses qui relèvent de la définition même de la garantie – exclusions valablement stipulées au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances, plafonds ou franchises – demeurent opposables au tiers, car elles déterminent l’objet du risque couvert (v. notamment Cass. 1re civ., 28 mars 1995, n° 93-15.226).

À l’inverse, les exceptions purement personnelles à l’assuré, telles que les déchéances fondées sur un manquement postérieur au sinistre, ne sauraient priver la victime de son indemnisation : elles ne touchent pas à l’objet du contrat mais sanctionnent un comportement contractuel de l’assuré. Le principe est ainsi clair : la victime ne doit pas supporter les conséquences des négligences procédurales ou fautes contractuelles de l’assuré, dès lors qu’elles sont extérieures à la délimitation objective de la couverture.

==>L’assurance automobile obligatoire (art. L. 211-6 C. assur.)

Parallèlement, cette logique protectrice connaît en assurance automobile un régime d’inopposabilité renforcée. L’article L. 211-6 du Code des assurances fait obstacle à ce que les déchéances et certaines exclusions soient opposées aux victimes d’accidents de la circulation : l’assureur doit les indemniser, la discussion sur les manquements contractuels éventuels relevant des rapports internes avec son assuré.

Mais la Cour de cassation en cantonne strictement la portée : l’inopposabilité profite aux seules victimes tierces et ne permet pas à l’assuré d’éluder, pour ses propres dommages relevant d’une garantie facultative, les limites convenues du contrat. Le droit positif l’énonce clairement : plusieurs exclusions légalement prévues demeurent opposables à l’assuré tout en étant inopposables aux victimes — ainsi, par exemple, celles tenant au défaut de permis (C. assur., art. R. 211-10 et R. 211-13) — et toute extension contractuelle du champ des exclusions au-delà de ce que la loi autorise est censurée (Cass. 2e civ., 5 juil. 2018, n°16-21.776). Hors de ce périmètre d’ordre public, les clauses objectives délimitant la garantie conservent leur plein effet, y compris à l’égard des tiers (v. déjà, pour principe, Cass. 1re civ., 28 mars 1995, n° 93-15.226 ; et en RC pro, l’opposabilité d’une exclusion au tiers malgré son absence sur l’attestation : Cass. 3e civ., 13 févr. 2020, n° 19-11.272).

VI. Preuve

L’exclusion de garantie n’est jamais qu’un outil de délimitation de l’engagement de l’assureur. Mais sa force juridique ne tient pas qu’à sa rédaction : elle dépend tout autant de la preuve. Trois enjeux s’entrecroisent alors : (i) l’équilibre contractuel — ne pas libérer trop aisément l’assureur d’une obligation promise ; (ii) la prévisibilité pour l’assuré — savoir, ex ante, ce qui est couvert ; (iii) la protection des tiers victimes — en action directe, ne pas faire peser sur elles des fautes contractuelles étrangères à la définition objective de la garantie (C. civ., art. 1353 ; C. assur., art. L. 113-1 et L. 112-4 ; sur l’action directe, art. L. 124-3). Dans cette perspective, la charge et l’objet de la preuve, comme son intensité, deviennent décisifs.

A. Qui doit prouver ?

Le droit commun trace la ligne : à celui qui réclame l’exécution de prouver l’obligation ; à celui qui s’en prétend libéré de justifier le fait extinctif (C. civ., art. 1353). Transposé à l’assurance, cela signifie :

Cette répartition n’est pas neutre : elle arme la protection de l’assuré (et, par ricochet, de la victime) en empêchant qu’une exclusion « flottante » ou invérifiable ne détruise, par simple allégation, l’équilibre contractuel.

B. Quoi prouver ?

==>Les conditions de l’exclusion

La preuve doit coller à la lettre de la clause : c’est à l’assureur de démontrer que les circonstances du sinistre entrent exactement dans l’hypothèse envisagée. Lorsque l’exclusion requiert un lien causal qualifié, celui-ci doit être établi et non présumé.

Ainsi, s’agissant d’une clause « alcoolémie », l’assureur doit prouver non seulement l’imprégnation alcoolique mais encore que celle-ci est cause exclusive de l’accident lorsque le texte le commande (Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, n° 08-11.158). De même, lorsque l’exclusion vise une circonstance de sécurité (ex. non-port de la ceinture) comme condition d’écartement ou de réduction de garantie, la causalité exigée par la clause doit être établie (Cass. 2e civ., 2 juill. 2015, n° 14-15.517).

À l’inverse, des présomptions générales ou indices vagues ne suffisent pas : la Cour rappelle régulièrement l’exigence d’éléments objectifs (procès-verbaux, analyses, expertises) et censure les motifs imprécis (Cass. 2e civ., 8 janv. 2009, n° 08-10.016).

==>L’opposabilité de la clause d’exclusion

Preuve des faits, certes ; mais aussi preuve du droit applicable entre les parties. L’assureur doit établir que la clause qu’il invoque figure bien dans la police applicable et qu’elle a été portée à la connaissance de l’assuré en temps utile, dans le respect du formalisme propre aux exclusions : caractère formel et limité (C. assur., art. L. 113-1) et présentation en caractères très apparents (C. assur., art. L. 112-4).

À défaut de production de la police opposable (ou si ne circule qu’un extrait incertain), l’exclusion est écartée (Cass. 2e civ., 25 oct. 2012, n° 11-25.490). Il lui incombe pareillement de démontrer que la clause a été effectivement communiquée à l’assuré au moment de la souscription, ou à tout le moins avant le sinistre (Cass. 1re civ., 7 nov. 2000, n° 98-10.706).

Pour mémoire, s’agissant de la présentation, les juridictions exigent un véritable « signal visuel » : une typographie ou une mise en page qui attire spécialement l’attention (Cass. 1re civ., 11 déc. 1990, n° 89-15.248).

C. Comment prouver ?

Deux idées gouvernent les modalités de la preuve.

a. La rigueur de l’exigence de preuve à l’égard de l’assureur

Parce qu’une exclusion réduit la promesse d’assurance, la preuve exigée est resserrée : elle ne supporte ni approximations rédactionnelles ni « raccourcis » sémantiques. Une clause ambiguë ou générale, qui appelle interprétation pour recevoir application, est réputée non écrite au regard de l’article L. 113-1 (ex. notions médicales ou techniques floues ; listes non limitatives ; renvoi global à des « règles en vigueur ») — la Cour de cassation censure alors les validations de clause trop indulgentes (Cass. 2e civ., 8 oct. 2009, n° 08-19.646).

Corrélativement, lorsque la clause est claire et précise, le juge n’a pas à l’« améliorer » par interprétation extensive : il doit s’en tenir à ses termes, ni plus ni moins (v. par ex. Cass. 2e civ., 2 févr. 2017, n° 16-12.266). Dans tous les cas, la preuve de la réunion de l’ensemble des conditions d’exclusion reste à la charge de l’assureur (Cass. 2e civ., 9 nov. 2023, n°22-11.570).

b. Le pouvoir souverain d’appréciation du juge du fond

Les juges du fond apprécient la valeur des éléments produits ; la Cour de cassation veille à la bonne répartition des charges probatoires, au respect des exigences de forme (L. 112-4) et à la qualité juridique de la clause (exclusion « formelle et limitée » au sens de L. 113-1).

Elle censure ainsi : tantôt l’insuffisance d’apparence typographique (Cass. 1re civ., 11 déc. 1990, n° 89-15.248), tantôt l’application d’une exclusion sujette à interprétation (Cass. 2e civ., 16 juill. 2020, n° 19-15.676).

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