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Exclusions de garantie dans le contrat d’assurance : fondements et finalités des exclusions légales

==>Préservation de l’aléa et de la mutualité

Le contrat d’assurance n’existe que par et pour l’aléa : l’événement redouté doit demeurer incertain, sous peine de dissoudre la mutualisation et de fausser le calcul de la prime. Les exclusions légales s’inscrivent d’abord dans cette logique technique. La plus structurante est celle de la faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré, posée par l’article L. 113-1, alinéa 2 du Code des assurances. L’idée est simple et décisive : lorsque l’assuré veut le dommage ou agit délibérément avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences, l’aléa disparaît, et avec lui la justification économique de la garantie.

La Cour de cassation a consolidé ce critère en précisant que la faute dolosive est autonome et suppose un acte volontaire accompli avec la conscience que le dommage surviendra inéluctablement, ce qui fait « perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire » (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-11.538). La prohibition ne se confond pas avec une peine privée : elle protège la technique assurantielle elle-même, en empêchant que l’assurance finance la certitude au lieu de couvrir le risque (v. déjà l’analyse de la doctrine sur la distinction entre hasard et certitude, et sur la nécessité d’une « dose de hasard » pour que la probabilisation soit possible).

Cette exigence irrigue également d’autres exclusions prévues par la loi en assurances de dommages : le vice propre de la chose (C. assur., art. L. 121-7) et la guerre (art. L. 121-8) traduisent, sous un autre angle, le soupçon qui pèse sur des situations où l’aléa est insuffisant ou radicalement perturbé. La loi tolère d’ailleurs que ces deux exclusions fassent l’objet d’aménagements contractuels lorsque l’assureur accepte, en connaissance de cause, de reprendre du risque (les textes ont un caractère supplétif en dommages : possibilité d’écarter l’exclusion par stipulation contraire, comme le rappelle la doctrine). En assurances de personnes, le traitement du suicide et du meurtre de l’assuré par le bénéficiaire (C. assur., art. L. 132-7 et L. 132-24) procède de la même logique de tri de l’assurable : on écarte l’événement voulu qui ruinerait l’aléa au profit d’un gain assuré.

À travers ces exclusions légales, se dessine aussi la fonction régulatrice de l’obligation de couverture : délimitée par la loi et par la police, elle justifie, en miroir, les mécanismes d’équilibre économique du contrat (adéquation prime/risque, divisibilité de la prime, suspension de garantie en cas d’impayé), et distingue nettement la couverture du risque de l’obligation de règlement après sinistre (C. assur., art. L. 113-5), distinction mise en lumière par la doctrine et la jurisprudence contemporaines.

==>Protection de l’ordre public et prévention des abus

Les exclusions légales ont, ensuite, une portée éthique et institutionnelle. Elles marquent les limites au-delà desquelles l’assurance ne doit pas devenir un paravent des transgressions. La prohibition de la faute intentionnelle ou dolosive exprime ce souci de non-instrumentalisation de l’assurance : nul n’est fondé à s’enrichir de son propre forfait ni à organiser, aux frais de la mutualité, les effets d’un acte voulu. La Cour de cassation l’a rappelé lorsqu’elle rattache la faute dolosive à la disparition de l’aléa et, corrélativement, à l’incompatibilité avec la finalité du contrat (Cass. 2e civ., 14 mars 2024, n° 22-18.426).

La même logique de sauvegarde de l’ordre public se retrouve lorsqu’il s’agit de risques illicites ou activités prohibées : si la matière des peines relève plus directement des interdictions de garantir au sens strict, la jurisprudence rappelle, de manière convergente, l’impossibilité de faire prospérer par l’assurance des comportements contraires à l’ordre public, par exemple l’exercice illégal de la médecine, dont l’assurance en responsabilité a été tenue pour nulle (Cass. 1re civ., 5 mai 1993, n° 91-15.401).

Cette dimension d’ordre public éclaire aussi les périmètres indérogeables de la solidarité assurantielle : ainsi, en assurances de dommages, l’article L. 121-2 impose que l’assureur reste garant des pertes et dommages causés par les personnes dont l’assuré est civilement responsable, « quelles que soient la nature et la gravité des fautes de ces personnes ». La règle, d’ordre public, interdit que l’on creuse conventionnellement la garantie au détriment des victimes par le jeu d’exclusions visant les préposés ; elle participe de la prévention des abus en assurant le maintien d’un socle de protection.

Au total, les exclusions légales remplissent une double finalité. Elles préservent l’aléa et, ce faisant, la mutualité qui fonde économiquement le contrat ; elles protègent l’ordre public en empêchant que l’assurance serve d’écran à la volonté de nuire ou à l’illicite. Loin d’appauvrir la promesse assurantielle, elles en dessinent la forme légitime : couvrir le risque et non la certitude, réparer le hasard et non subventionner l’abus. Cette architecture légale offrira, dans les développements qui suivent, le cadre d’analyse de chaque exclusion posée par les textes, en articulation avec la jurisprudence récente et la doctrine qui en éclairent la raison d’être.

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