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Le sinistre en assurance : régime

Le sinistre constitue le cœur battant du droit des assurances, car il est à la fois l’événement redouté par l’assuré et l’horizon d’attente qui justifie l’existence même du contrat. Son étymologie, issue du latin sinister – ce qui est défavorable – révèle déjà sa nature : il désigne la réalisation d’un aléa envisagé au moment de la souscription mais dont l’occurrence demeure incertaine. Autrement dit, le sinistre n’est pas une simple circonstance de fait ; il est l’événement juridique déclencheur de l’ensemble des mécanismes assurantiels, conditionnant la mise en œuvre de la garantie, les obligations des parties et, in fine, l’indemnisation.

Pourtant, il n’existe pas de définition unitaire du sinistre. Le Code des assurances, fidèle à une approche casuistique, préfère multiplier les définitions particulières selon la branche concernée. En matière de responsabilité civile, l’article L. 124-1-1 le définit comme « tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l’assuré, résultant d’un fait dommageable et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations ». L’assurance de responsabilité médicale (art. L. 251-2 C. assur.) ou la protection juridique (art. L. 127-2-1 C. assur.) en offrent encore d’autres déclinaisons, tandis que la jurisprudence a précisé, par exemple, qu’en matière d’accidents corporels, le sinistre réside dans la survenance de l’état d’incapacité ou d’invalidité, au jour de sa consolidation (Cass. 2e civ., 2 avr. 2009, n° 08-11.685). À côté de ces définitions légales, le juge et, plus souvent encore, le contrat d’assurance, jouent un rôle essentiel pour déterminer les contours concrets du sinistre.

Cette pluralité de définitions traduit une réalité fondamentale : il n’y a pas un sinistre, mais des sinistres. Dans les assurances de choses, le sinistre correspond à la réalisation matérielle du risque couvert — incendie, vol, explosion, dégât des eaux — pour autant que ce risque entre bien dans le champ de la garantie (v. Cass. 2e civ., 17 sept. 2009, n°08-17.726). Dans les assurances de responsabilité, le sinistre suppose l’articulation de trois éléments : un fait dommageable, un dommage causé à un tiers, et une réclamation, amiable ou judiciaire, émanant de la victime. A cet égard, l’exigence d’une réclamation, en matière de responsabilité, illustre que le sinistre ne se confond pas avec le seul fait dommageable : il suppose une construction juridique, qui combine la circonstance de fait et les conditions posées par le droit ou le contrat pour déclencher l’obligation de l’assureur.

La notion se complexifie encore lorsqu’apparaissent les sinistres sériels qui soulèvent une difficulté particulière : doit-on compter un sinistre par victime, par fait dommageable, ou regrouper l’ensemble sous une qualification unique ? Cette détermination est loin d’être théorique, car elle commande directement l’application des plafonds de garantie. Pour prévenir les litiges, le législateur a tranché en disposant, à l’article L. 124-1-, II du Code des assurances, qu’un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique doit être considéré comme un sinistre unique. Cette globalisation, d’abord prévue dans les contrats puis consacrée par la loi, vise à assurer la prévisibilité des engagements de l’assureur tout en simplifiant la gestion des sinistres.

Ainsi, la problématique du sinistre dépasse la simple détermination d’un fait déclencheur. Elle engage des enjeux systémiques : équilibre des prestations, protection de l’assuré et des victimes, maîtrise des engagements de l’assureur. Définir et qualifier le sinistre, c’est en réalité déterminer le moment à partir duquel le contrat d’assurance déploie sa pleine efficacité, en activant la chaîne des obligations corrélatives. Dès lors, trois questions essentielles structurent le régime juridique du sinistre : celle de sa déclaration, qui conditionne la mise en mouvement de l’assureur (§ 1) ; celle de sa preuve, indispensable pour établir la réalité et l’étendue du risque réalisé (§ 2) ; et celle de son indemnisation, finalité ultime de la relation assurantielle (§ 3).

§1: La déclaration du sinistre

La survenance d’un sinistre ne suffit pas, à elle seule, à mettre en jeu la garantie de l’assureur. Encore faut-il que celui-ci en soit informé. C’est l’objet de la déclaration de sinistre, prévue par l’article L. 113-2, 4° du Code des assurances, qui impose à l’assuré d’aviser son assureur « dès qu’il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat ».

Cette obligation poursuit une finalité simple mais essentielle : permettre à l’assureur d’intervenir rapidement, d’évaluer la réalité et l’ampleur du dommage, de prendre les mesures de sauvegarde nécessaires et, le cas échéant, d’organiser sa défense face aux réclamations de tiers. La déclaration du sinistre est ainsi le point de départ effectif du processus d’indemnisation.

Elle n’est pas un formalisme secondaire : elle traduit l’idée que le contrat d’assurance repose sur la coopération et la loyauté des parties. L’assuré doit informer, l’assureur doit instruire et régler. Sans déclaration, la garantie reste inerte.

D’où l’importance d’en analyser successivement l’objet — c’est-à-dire ce qui doit être déclaré (I), les modalités — qui précise comment, à qui et dans quels délais la déclaration doit être faite (II), et enfin les sanctions — qui découlent des manquements de l’assuré, qu’il s’agisse d’un retard, d’une omission ou d’une fraude (III).

I. L’objet de la déclaration

A. Principe

L’article L. 113-2, 4° C. assur. impose à l’assuré « d’aviser l’assureur, dès qu’il en a eu connaissance et au plus tard dans le délai fixé par le contrat, de tout sinistre de nature à entraîner la garantie de l’assureur ». L’objet de la déclaration n’est donc pas l’achèvement complet du dommage, mais l’événement dont les conséquences connues sont de nature à mobiliser la garantie. La Cour de cassation l’a fixé de longue date : la connaissance du sinistre s’entend à la fois de l’événement et de ses conséquences éventuellement dommageables ( Cass. 1re civ., 13 oct. 1987).

Il s’ensuit que la déclaration porte sur la réalisation d’un risque couvert tel que défini au contrat (Cass. 2e civ., 28 févr. 2013, n° 12-12.813), et qu’elle doit être intelligible pour l’assureur : une simple allusion, sans date ni lieu, ne suffit pas (Cass. 1re civ., 25 mai 1976, n°75-10.186).

Corollaire : si le risque garanti est contractuellement circonscrit, l’objet de la déclaration s’y ajuste ; mais le régime légal de la déclaration, d’ordre public, n’est pas aménageable quant à ce qui doit être déclaré (Cass. 1re civ., 20 oct. 1992, n°90-18.997 ; v. égal. art. L. 111-2 C. assur.). L’exclusion des assurances sur la vie, pour lesquelles il n’y a pas urgence, demeure (art. L. 113-2, al. fin).

B. Spécificités par branche

1. Assurance de responsabilité

En responsabilité, la loi définit le sinistre par le triptyque fait dommageable – dommage à des tiers – réclamation (art. L. 124-1-1 C. assur.). Pour la déclaration, le repère pratique est clair : au plus tard, l’obligation naît lorsque le tiers adresse une réclamation, amiable ou judiciaire (art. L. 124-1 C. assur. ; Cass. 1ère civ., 9 janv. 1973, n° 71-12.931).

Mais il ne faut pas attendre cette réclamation si des indices sérieux la rendent prévisible. Tel est le cas lorsque des conclusions d’expertise établissent la réalité du dommage (Cass. 1ère civ., 6 janv. 1993, n° 89-20.730) ou dès une assignation en référé-expertise (Cass. 1ère civ., 13 juin 1995, n° 92-13.942). Une menace crédible de mise en cause suffit également (Cass. 1ère civ., 13 oct. 1987, n° 86-10.513).

2. Assurances de choses et de personnes

Hors responsabilité, ce qui doit être déclaré, c’est la découverte fiable du dommage garanti. L’alerte est due dès que l’assuré sait, de façon suffisamment certaine, que le dommage est réalisé : en matière d’accidents corporels, la constatation médicale (radiographie, échec de la rééducation) suffit et il n’y a pas lieu d’attendre la consolidation (Cass. 1re civ., 25 mai 1976, n° 75-10.186). En pertes d’exploitation, le point de départ est le retrait de l’autorisation de mise sur le marché dès qu’il est connu de l’assuré, sans attendre la notification officielle de l’arrêté (Cass. 1re civ., 8 oct. 1996, n° 94-19.436). En un mot : on déclare quand le dommage est établi comme tel, non lorsque toutes ses suites sont fixées.

C. Degrés de « sinistralité » : avéré, éventuel, hypothétique

L’article L. 113-2, 4° C. assur. vise « tout sinistre de nature à entraîner la garantie ». Cette formule conduit, selon l’information dont dispose l’assuré, à distinguer trois situations:

La méthode est donc la suivante : apprécier ce que l’assuré sait réellement de l’événement et de ses conséquences au regard de la police ; déclarer dès que ces conséquences deviennent raisonnablement prévisibles ; s’abstenir lorsque l’on demeure au seul registre des conjectures. Cette distinction évite, d’un côté, la déclaration tardive qui priverait l’assureur d’agir utilement, et, de l’autre, une inflation de notifications sur des risques encore hypothétiques.

D. La « déclaration pour ordre »

La déclaration pour ordre est une clause aux termes de laquelle il est demandé à l’assuré de signaler en amont certains faits précurseurs (incident, anomalie, menace de réclamation), avant que le sinistre, au sens de la loi, ne soit constitué. Il s’agit d’une alerte préventive : l’assureur souhaite être informé tôt pour pouvoir observer, conserver des preuves, conseiller des mesures de sauvegarde. Cette alerte n’est pas la déclaration légale de sinistre ; elle s’y ajoute.

Sur le plan juridique, cette stipulation est purement conventionnelle. Elle n’a pas pour effet de modifier l’objet légal de la déclaration fixé par l’article L. 113-2, 4° C. assur., d’ordre public. Ce que la loi impose de déclarer, c’est l’événement dont l’assuré connaît déjà des conséquences de nature à mobiliser la garantie. Une clause contractuelle ne peut ni rétrécir ni déplacer ce périmètre : elle peut organiser une information plus précoce, mais elle ne transforme pas un fait encore incertain en « sinistre » au sens de la loi.

De cette distinction découle une chronologie claire.

Il en découle aussi un effet de droit : le manquement à l’alerte pour ordre n’ouvre pas la déchéance prévue par l’article L. 113-2 (qui vise la déclaration légale du sinistre). À ce stade, seules des conséquences de droit commun peuvent être discutées (éventuelle responsabilité contractuelle avec preuve d’un préjudice) ; la Cour de cassation veille à cette frontière (Cass. 1re civ., 5 oct. 1994, n° 92-17.487).

Exemple: Une entreprise reçoit des réclamations verbales de clients à la suite d’un lot défectueux : la clause peut imposer une information pour ordre. Si, ensuite, une lettre de mise en cause chiffrée parvient ou si un constat technique met en évidence des dommages probables couverts, l’entreprise doit déclarer le sinistre au sens légal. La première alerte prépare la gestion du dossier ; la seconde déclenche le régime du sinistre et ouvre la voie à l’instruction de la garantie.

E. Contenu minimal de la déclaration

Aucune forme n’est imposée par la loi ; en revanche, le contenu doit permettre d’identifier sans équivoque le fait déclaré. À tout le moins, la déclaration doit indiquer la date, le lieu et les circonstances essentielles de l’événement, ainsi que le contrat concerné. Une mention vague ou une simple allusion à un accident, dépourvue de ces indications, ne vaut pas déclaration (Cass. 1re civ., 25 mai 1976, n° 75-10.186).

Cette exigence de clarté n’implique pas que l’assuré chiffre immédiatement son préjudice ni qu’il produise toutes les pièces justificatives. Il lui appartient, en revanche, de fournir les repères factuels indispensables pour que l’assureur puisse ouvrir le dossier et diligenter les premières mesures utiles (constatations, expertise).

Enfin, une erreur de référence au numéro de police n’emporte pas, à elle seule, perte de garantie : si un autre contrat régulièrement souscrit couvre le risque, l’assureur doit instruire au bon titre (Cass. 2e civ., 20 déc. 2007, n° 07-10.060).

II. Les modalités de la déclaration

A. Le débiteur de la déclaration

Le débiteur de l’obligation est l’assuré au sens de l’article L. 113-2, 4° du Code des assurances. Lorsque le souscripteur n’est pas l’assuré, la charge d’exécuter l’obligation pèse, en pratique, sur la partie au contrat ; la jurisprudence admet ainsi que le souscripteur déclare au nom et pour le compte des assurés (not. en assurance pour compte) (Cass. 3e civ., 6 juin 2012, n° 11-15.567).

La déclaration peut être effectuée par mandataire : courtier, agent général ou tout représentant investi de pouvoirs suffisants (ex. l’architecte signataire de la police pour la société assurée) (Cass. 1re civ., 6 janv. 1983, n° 81-11.187). Elle peut aussi être valablement réalisée par un tiers pour le compte de l’assuré, tel l’assureur de protection juridique (Cass. 2e civ., 8 mars 2012, n° 11-15.472).

En cas de procédure collective ouverte à la faveur de l’assuré, c’est le représentant de la procédure qui agit (administrateur, puis le cas échéant mandataire-liquidateur), l’obligation s’attachant à la gestion du patrimoine assuré.

Lorsque le contrat est souscrit « pour compte », la déclaration incombe au souscripteur (ex. une association pour ses adhérents) ; le défaut de déclaration commis par le souscripteur est opposable au bénéficiaire pour compte, dès lors qu’il subit les exceptions attachées au contrat (Cass. 1re civ., 10 juin 1997, n° 95-15.813).

En cas d’aliénation de la chose assurée ou de décès de l’assuré, l’assurance continue de plein droit au profit de l’acquéreur ou de l’héritier, à charge pour eux d’exécuter toutes les obligations du contrat, dont celle de déclarer le sinistre (C. assur., art. L. 121-10).

Si le débiteur légal de l’obligation de déclaration demeure l’assuré (ou, selon les cas, le souscripteur) au sens de l’article L. 113-2, 4°, cela n’empêche pas un tiers intéressé d’informer l’assureur. En responsabilité civile, la victime peut ainsi avertir l’assureur du responsable — ne serait-ce que pour accélérer l’instruction — et elle dispose, en outre, de l’action directe contre cet assureur (C. assur., art. L. 124-3).

Cette information par un tiers n’a toutefois qu’une portée pratique : elle permet d’ouvrir le dossier et de conserver la preuve ; elle ne transfère pas au tiers l’obligation de déclarer et ne dispense pas l’assuré/souscripteur d’accomplir sa déclaration, sauf mandat exprès donné à ce tiers.

Cas particulier : assurance-vie. L’article L. 113-2, 4° n’est pas applicable aux assurances sur la vie. En pratique, le bénéficiaire informe l’assureur du décès ; parallèlement, la loi impose à l’assureur des diligences propres pour identifier les contrats en déshérence (C. assur., art. L. 132-9-3).

B. Le créancier de la déclaration

Principe. Le destinataire naturel de la déclaration est l’assureur. La déclaration lui est adressée directement, ou à son mandataire régulièrement habilité à la recevoir (agent général, mandataire ad hoc) ; dans ce cas, la déclaration est valable même si l’agent tarde ensuite à la transmettre à la compagnie, ce retard n’étant pas opposable à l’assuré (Cass. 1re civ., 7 déc. 1976).

Courtiers : vigilance. Le courtier est, en principe, le mandataire de l’assuré, non celui de l’assureur ; une déclaration remise au courtier ne vaut donc pas, à elle seule, déclaration à l’assureur, surtout si elle est transmise hors délai (Cass. 1re civ., 10 mai 1984). Deux tempéraments existent :

À défaut de mandat (exprès ou apparent), la déchéance éventuellement opposée à l’assuré en raison d’une transmission tardive ouvre la responsabilité du courtier envers son mandant, si la déclaration lui avait été remise dans les délais (Cass. 1re civ., 3 mars 1993, n°91-16.423).

Transfert de portefeuille. En cas de transfert de portefeuille, une clause d’élection de domicile pour la déclaration chez « l’assureur » vise, pour l’exécution du contrat, l’assureur cédant : l’arrêté ministériel approuvant l’opération ne modifie pas, par lui-même, le contenu des contrats transférés (Cass. 1re civ., 12 oct. 2004, n° 02-17.130).

Pluralité d’assureurs. Lorsqu’un même risque est couvert par plusieurs assureurs (cumul sans fraude), l’assuré — ou la victime exerçant son action directe — peut s’adresser à l’assureur de son choix, chacun n’étant tenu que dans les limites de sa garantie ; la contribution entre assureurs s’opère ensuite entre eux (C. assur., art. L. 121-4).

C. Forme de la déclaration

L’article L. 113-2, 4° C. assur. n’impose aucune forme particulière : il exige une déclaration à l’assureur, sans en figer le support. Cette liberté est d’ordre public : une police ne peut pas, à peine de déchéance, imposer un canal déterminé (télégramme, LRAR, etc.). Les clauses de ce type sont inopérantes (Cass. 1re civ., 5 oct. 1994, n° 92-17.487).

Aussi, la déclaration peut être faite par tout moyen : écrit (lettre simple ou recommandée, remise contre récépissé), télécopie, courriel, voire appel téléphonique – ce dernier étant valable s’il est établi par des attestations ou équivalent. La question est alors celle de la preuve, qui demeure libre et dont l’initiative revient en pratique à l’assuré ; il est donc opportun d’utiliser un mode laissant trace certaine (accusé de réception, récépissé, attestation) (v. not. Cass. 1re civ., 22 déc. 1964).

Par dérogation au principe de liberté de forme, la déclaration de sinistre en assurance dommages-ouvrage doit être faite par écrit, en application de l’article A. 243-1, annexe II du Code des assurances. Un envoi par télécopie n’y satisfait pas : il ne constitue pas l’écrit requis (Cass. 3e civ., 6 juin 2012, n° 11-15.567). Dans le même sens, la Cour de cassation rappelle que l’exigence d’un écrit ne peut être suppléée par un mode de transmission dématérialisé (Cass. com., 20 oct. 2010, n° 09-69.665).

Quelle que soit la forme retenue, la déclaration doit identifier l’événement : à défaut d’indications essentielles (au moins date, lieu, circonstances), elle ne vaut pas déclaration (Cass. 1re civ., 25 mai 1976, n°75-10.186). À l’inverse, une référence erronée au numéro de police n’anéantit pas l’alerte : si un autre contrat régulièrement souscrit couvre le risque, l’assureur doit instruire au bon titre (Cass. 2e civ., 20 déc. 2007, n° 07-10.060).

D. Délai de déclaration

1. Durée minimale

Le délai est fixé par la police, mais il ne peut jamais être inférieur à cinq jours ouvrés (art. L. 113-2, 4° C. assur.). Cette règle est d’ordre public (art. L. 111-2 C. assur.) : on peut prolonger conventionnellement le délai, non le réduire (Cass. 1re civ., 20 oct. 1992, n° 90-18.997).

En conséquence, une clause prévoyant un délai inférieur au minimum légal est inopposable à l’assuré (Cass. 2e civ., 21 janv. 2021, n° 19-13.347).

Des délais spéciaux subsistent :

En assurance sur la vie, aucun délai légal de déclaration n’est imposé (art. L. 113-2, al. fin ; v. aussi art. L. 132-27, al. 1er C. assur.).

2. Point de départ

Le délai ne part pas du jour de la survenance matérielle, mais du jour où l’assuré a connaissance du sinistre. La Cour de cassation fixe depuis longtemps le critère : la connaissance s’entend à la fois de l’événement et de ses conséquences éventuellement dommageables de nature à entraîner la garantie (Cass. 1re civ., 13 oct. 1987).

Applications:

Précisions utiles :

3. Mode de calcul

Le délai de déclaration ne part pas le jour de l’événement, mais du jour où l’assuré en a connaissance au sens juridique du terme (événement et conséquences éventuellement dommageables de nature à mobiliser la garantie). Le calcul commence le lendemain à 0 h : le dies a quo n’est pas compté (Cass. 1re civ., 21 févr. 1989, n° 87-13.223).

Il se compte en jours ouvrés lorsque la loi ou la police mentionne des « jours » au sens de l’article L. 113-2, 4° : sont exclus les samedis, dimanches et jours fériés/chômés depuis la réforme du 31 décembre 1989 (v. encore Cass. 1re civ., 21 févr. 1989, préc.). Le délai expire à minuit du dernier jour ouvré ainsi décompté. Enfin, c’est l’expédition dans le délai qui importe : la déclaration postée, télécopiée ou envoyée dans le temps utile est régulière même si l’assureur la reçoit après l’échéance (Cass. 1re civ., 21 févr. 1989, préc.).

Pour illustrer ces règles :

III. Les sanctions de la déclaration

A. Sanction de la déclaration irrégulière

La déclaration irrégulière du sinistre — qu’elle soit tardive, lacunaire ou inexacte — perturbe la bonne administration du risque : elle retarde l’instruction, altère la conservation des preuves, compromet les recours (notamment la subrogation : C. assur., art. L. 121-12) et ouvre la voie aux fraudes. Le droit positif la sanctionne donc pour protéger l’efficacité de la gestion des sinistres, mais sans rompre l’équilibre contractuel : la sanction n’est pas une peine, elle préserve un intérêt légitime de l’assureur et encourage la coopération loyale de l’assuré.

Depuis la loi du 31 décembre 1989 (entrée en vigueur le 1er mai 1990), la sanction n’est plus automatique : l’irrégularité n’emporte sanction que si le contrat l’a prévue et si l’assureur justifie d’un préjudice, la force majeure faisant écran (C. assur., art. L. 113-2, 4°). Le formalisme protège l’assuré (caractères très apparents : art. L. 112-4) et toutes les irrégularités ne se valent pas : le simple retard dans des démarches aux autorités ou dans la production de pièces n’ouvre droit qu’à une indemnité proportionnée, non à une sanction radicale (art. L. 113-11, 1° et 2°).

1. La déchéance des garanties

1.1. Principe de la déchéance

Après un sinistre, l’irrégularité la plus fréquente est la déclaration tardive. Sa sanction de principe est la déchéance de garantie : l’assuré perd son droit à indemnité parce qu’il n’a pas déclaré le sinistre dans le délai convenu ou n’a pas fourni des informations exactes et utiles à l’instruction. La doctrine décrit cette déchéance comme la perte d’un droit né du sinistre en raison d’un défaut de diligence ou de loyauté.

Avant la loi du 31 décembre 1989 (applicable au 1er mai 1990), la déclaration tardive, dès qu’elle était prévue par la police, emportait automatiquement la déchéance (anc. art. L. 113-2). Depuis cette réforme, la déchéance pour retard n’est opposable que si le contrat la stipule et si l’assureur prouve un préjudice causé par le retard ; elle est écartée en cas de force majeure (C. assur., L. 113-2, 4°). Ce régime n’est pas rétroactif : il ne s’applique pas aux sinistres antérieurs au 1er mai 1990 (Cass. 1re civ., 10 déc. 1996, n° 94-19.764).

La logique est simple : une déclaration tardive peut désorganiser l’instruction, affaiblir la preuve et faire perdre des recours, notamment la subrogation contre les tiers responsables (C. assur., L. 121-12). À l’inverse, lorsque plusieurs réclamations se rattachent à un même fait dommageable, la réglementation globalise le sinistre : considéré comme unique, il ne peut y avoir de « seconde » tardiveté (C. assur., A. 112, annexe II, 4°).

Deux conséquences immédiates découlent de ce principe. D’une part, la déchéance est une sanction conventionnelle : sans clause, elle est inopposable (Cass. 2e civ., 6 févr. 2014, n°13-11.767) ; la clause doit, en outre, respecter le délai légal minimal de cinq jours ouvrés (Cass. 2e civ., 21 janv. 2021, n° 19-13.347) et figurer en caractères très apparents (C. assur., L. 112-4). D’autre part, en assurance de responsabilité, la déchéance reste interne au couple assureur/assuré : elle est inopposable à la victime, titulaire d’un droit propre (C. assur., R. 124-1).

1.2. Conditions de la déchéances

i. Conditions de forme

La déchéance pour déclaration tardive n’est opposable que si un formalisme protecteur est respecté.

D’abord, elle doit être expressément stipulée : pas de clause, pas de déchéance. La Cour de cassation censure ainsi l’arrêt d’appel qui prononce la déchéance en se bornant à constater un préjudice sans vérifier l’existence d’une clause applicable (Cass. 2e civ., 6 févr. 2014, n° 13-11.767).

À l’inverse, si la police ne prévoit qu’une indemnisation par dommages-intérêts en cas de manquement, la déchéance est exclue (Cass. 1re civ., 3 nov. 1982, n° 81-15.552). Quant au support, la règle de principe veut que la clause figure dans la police elle-même : une clause cantonnée à un document annexe (statuts, règlement) non intégré est invalide (Cass. 1re civ., 30 oct. 1967). La jurisprudence admet toutefois que la clause soit contenue dans d’autres documents remis à l’assuré avant le sinistre, pourvu qu’ils fassent corps avec le contrat (Cass. 2e civ., 11 juin 2009, n° 08-18.778). Encore faut-il que les conditions générales comportant la clause aient été signées : à défaut, la déchéance n’est pas opposable, même en présence d’une mauvaise foi alléguée (Cass. 2e civ., 15 sept. 2022, n° 21-12.278).

Ensuite, la clause doit attirer spécialement l’attention du souscripteur : l’article L. 112-4 exige des caractères très apparents. La Cour de cassation l’a rappelé de longue date (Cass. civ., 14 mai 1946) et de manière constante (Cass. 2e civ., 27 mars 2014, n° 13-15.835). Concrètement, une simple couleur qui n’isole pas typographiquement la clause est insuffisante : la mention doit « sauter aux yeux ». À ce formalisme s’ajoute une exigence de connaissance préalable : une clause portée à la connaissance postérieurement au sinistre est inopposable (Cass. 1re civ., 21 juin 1989).

Le contenu de la stipulation doit, en outre, être conforme aux exigences légales. D’une part, la police ne peut imposer un délai de déclaration inférieur au plancher légal de cinq jours ouvrés (Cass. 2e civ., 21 janv. 2021, n° 19-13.347). D’autre part, la clause doit respecter l’économie de l’article L. 113-2, 4° : elle est inopérante si elle méconnaît la condition de connaissance et de déclenchement du délai (par ex. exigence d’une déclaration « dans les 24 mois » indépendamment de la connaissance des conséquences dommageables : Cass. 2e civ., 7 nov. 2024, n° 23-10.992). Enfin, il ne suffit pas d’exiger une déclaration dans un certain délai : la police doit préciser la sanction du non-respect ; à défaut, la déchéance ne peut être retenue (Cass. 1re civ., 9 mai 1994, n° 92-12.990).

Certaines situations sont hors champ de la déchéance par interdiction légale : l’article L. 113-11, 2° écarte toute déchéance en cas de simple retard dans la déclaration aux autorités (vol, sanitaire, etc.) ou dans la production de pièces ; seule est permise une indemnité proportionnée au préjudice de l’assureur. La Cour de cassation casse ainsi les décisions qui transforment un retard de transmission de pièces en exclusion de garantie (Cass. 1re civ., 20 mars 1984, n° 82-16.653).

Reste le cas de la déclaration frauduleuse. Historiquement, la Cour de cassation avait admis un allègement des exigences de forme (déchéance possible sans mention expresse) en présence d’une fraude caractérisée (Cass. civ., 23 déc. 1936). La ligne contemporaine en resserre toutefois l’usage : l’assureur doit prouver strictement la mauvaise foi ; l’inexactitude, à elle seule, ne suffit pas (Cass. 2e civ., 16 sept. 2021, n° 19-25.278). Cet encadrement probatoire ne dispense pas, pour le reste, du respect du formalisme lorsque l’assureur entend se prévaloir d’une déchéance fondée sur la tardiveté.

ii. Conditions de fond

Une fois la clause de déchéance valable et opposable, la sanction ne peut être appliquée que si l’assureur prouve le manquement invoqué et, s’agissant d’un retard de déclaration, un préjudice causé par ce retard ; la force majeure écarte la sanction, tandis que la fraude post-sinistre obéit à un régime distinct.

==>La preuve de la tardiveté de la déclaration

La déchéance pour déclaration irrégulière ne peut être envisagée qu’à une condition première : qu’il y ait déclaration tardive. Est tardive la déclaration faite au-delà du délai contractuel (souvent cinq jours ouvrés) qui court à compter du moment où l’assuré a connaissance d’un événement susceptible de mobiliser la garantie. L’absence totale d’avis dans ce délai équivaut à un retard. À ne pas confondre, toutefois, avec les obligations distinctes de déclaration aux autorités ou de production de pièces : leur simple retard ne peut, en principe, fonder une déchéance (C. assur., art. L. 113-11, 2°).

Une fois ce cadre posé, la preuve se joue en deux temps :

En somme, la tardiveté n’est ni présumée ni proclamée : l’assuré fixe la date, l’assureur prouve le dépassement au regard d’une clause valable. Ce n’est qu’une fois ce retard caractérisé que peuvent être discutés, au fond, le préjudice de l’assureur (en matière de retard) et les éventuelles causes d’inefficacité (force majeure, champs légalement exclus).

==>La preuve du préjudice de l’assureur

Depuis la loi du 31 décembre 1989, la déchéance fondée sur la tardiveté n’est opposable que si l’assureur prouve un préjudice causé par ce retard (C. assur., art. L. 113-2, 4°). À défaut, la déchéance échoue, quelle que soit l’ampleur du dépassement de délai (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-21.869). La logique est simple : seul un retard dommageable peut priver l’assuré de sa garantie ; un retard inoffensif n’appelle pas une peine privée.

Concrètement, le préjudice exigé n’est ni théorique ni présumé. Il doit ressortir d’un lien de causalité entre la tardiveté et une atteinte objective aux intérêts de l’assureur : impossibilité de diriger utilement la procédure (contester le principe ou le quantum), de préserver des preuves, d’engager des mesures d’enquête ou de sauvegarder un recours (subrogatoire, contractuel, délictu­el). La jurisprudence l’admet, par exemple, quand le retard a empêché l’assureur d’orienter la défense « au mieux de ses intérêts » (CA Paris, 22 mai 2001) ; elle l’écarte lorsque rien n’a été entravé ainsi, lorsque l’expertise et l’instance ont laissé tout loisir d’intervention (Cass. 2e civ., 22 nov. 2012). L’appréciation appartient aux juges du fond, qui statuent souverainement.

En pratique, la démonstration efficace suit un triptyque probatoire:

Deux précisions utiles :

==>Force majeure et cas fortuit

Le régime est clair : la déchéance pour déclaration tardive ne peut être opposée lorsque le retard est dû à un cas fortuit ou de force majeure (C. assur., art. L. 113-2, 4°). Autrement dit, si un événement extérieur à la volonté de l’assuré, imprévisible lors de la souscription et irrésistible dans ses effets, l’a objectivement empêché d’aviser l’assureur dans le délai (hospitalisation lourde, catastrophe paralysant les communications, etc.), la sanction tombe.

Deux conséquences pratiques en découlent :

À l’inverse, les difficultés ordinaires d’organisation (absence du gestionnaire, indisponibilité ponctuelle, négligence) ne caractérisent pas la force majeure : elles relèvent de la sphère de maîtrise de l’assuré et n’exonèrent pas de la clause de déchéance lorsque, par ailleurs, ses conditions sont réunies.

==>Cas particulier de la fraude

Lorsque l’irrégularité ne tient plus au retard mais à une manœuvre frauduleuse après sinistre (surévaluation volontaire des pertes, falsification de justificatifs, dissimulation consciente d’éléments aggravant la charge de l’assureur), la déchéance obéit à un schéma distinct : aucun préjudice n’a à être démontré, mais l’assureur doit établir la mauvaise foi de l’assuré. Autrement dit, la simple inexactitude, l’erreur d’estimation ou une approximation de bonne foi ne suffisent pas ; il faut une intention de tromper (Cass. 1re civ., 28 nov. 2001, n° 00-15.444).

Par ailleur, il appartient à l’assureur de rapporter la preuve d’indices graves, précis et concordants caractérisant l’intention frauduleuse : factures ou devis falsifiés, incohérences répétées entre déclarations et constatations d’expertise, reconstitution matériellement impossible des circonstances, etc. La jurisprudence rejette les déchéances fondées sur de simples divergences chiffrées ou sur une déclaration inexacte mais plausible (Cass. 2e civ., 16 sept. 2021, n° 19-25.278).

En cas de fraude avérée, la déchéance peut frapper l’ensemble du droit à garantie relatif au sinistre (et pas seulement la fraction indûment majorée) : c’est la logique traditionnelle de la « peine privée » attachée à la déloyauté post-sinistre (Cass. 1re civ., 28 nov. 2001, n° 00-15.444).

En cas de fausse déclaration post-sinistre, la Cour de cassation écarte tout examen de proportionnalité : dès lors qu’une clause prévoit la déchéance pour fausse déclaration et que la mauvaise foi de l’assuré est établie, la sanction s’applique sans qu’il y ait lieu de “moduler” au regard d’un juste équilibre. La déchéance découle de la convention (Cass. 2e civ., 15 déc. 2022, n° 20-22.836).

Un arrêt ancien (Civ., 23 déc. 1936) admettait, en présence d’une fraude, un allègement des exigences de forme. L’approche actuelle est plus stricte : le juge vérifie d’abord l’existence et l’opposabilité de la clause de déchéance, puis il exige une preuve rigoureuse de la mauvaise foi – la simple inexactitude ne suffisant pas (Cass. 2e civ., 3 nov. 2011, n° 10-30.876). Aucun préjudice n’a à être démontré dans l’hypothèse de fraude, à la différence de la tardiveté visée par l’article L. 113-2, 4°.

==>Incidence de l’irrégularité de la clause sur les conditions de fond

La déchéance pour déclaration tardive ne peut jouer que si la clause elle-même est conforme au texte légal qui gouverne le point de départ et la logique du délai. Concrètement, la clause doit rattacher le délai déclaratif à la connaissance, par l’assuré, des conséquences dommageables de nature à mobiliser la garantie. Une stipulation qui déclenche un délai abstrait, sans lien avec cette connaissance (par exemple : « toute déclaration doit intervenir dans les 24 mois » quelles que soient les circonstances), est inopposable : elle méconnaît la mécanique de l’article L. 113-2, 4° (Cass. 2e civ., 7 nov. 2024, n° 23-10.992).

Surtout, le préjudice ne “répare” pas l’irrégularité de la clause : même si l’assureur établit un dommage causé par la tardiveté, l’absence de stipulation valable interdit de prononcer la déchéance. Le préjudice prouvé et l’existence d’une clause régulière sont deux conditions cumulatives, non interchangeables (Cass. 2e civ., 4 juill. 2019, n° 18-18.444).

==>Déclarations aux autorités et production de pièces

Le législateur a fermé la porte à toute déchéance fondée sur de simples retards qui ne concernent pas la déclaration à l’assureur mais :

Dans ces hypothèses, l’article L. 113-11, 2° prévoit exclusivement une indemnité proportionnée au dommage prouvé par l’assureur. Toute clause transformant ce retard en perte de garantie est nulle, et la Cour de cassation casse les décisions qui assimilent ces manquements à une déchéance (Cass. 1re civ., 20 mars 1984, n° 82-16.653).

1.3. Effets de la déchéance

a. Dans les rapports entre les parties

La déchéance n’emporte pas disparition du contrat : elle prive l’assuré de la garantie pour le seul sinistre concerné, sans remettre en cause les indemnités versées antérieurement ni la couverture des sinistres à venir, sous réserve de la faculté de résiliation après sinistre selon le droit commun. En d’autres termes, l’effet est circonscrit à l’événement déclaré, non à la relation d’assurance.

Le régime probatoire reflète cette logique. À l’assuré, d’abord, de démontrer qu’il entrait dans la garantie et qu’il a effectué une déclaration (art. 1353, al. 1 C. civ.). À l’assureur, ensuite, qui se prétend libéré, de prouver l’existence et la teneur de la clause de déchéance, la tardiveté au regard du délai stipulé, et – en matière de retard – le préjudice exigé par l’article L. 113-2, 4° (art. 1353, al. 2 C. civ.). À défaut de préjudice caractérisé, la sanction ne peut prospérer (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997).

Plusieurs garde-fous tempèrent encore la rigueur du mécanisme. La force majeure ou le cas fortuit neutralisent la déchéance lorsque l’assuré a été objectivement empêché d’agir (L. 113-2, 4°). La renonciation de l’assureur, pourvu qu’elle soit non équivoque et faite en connaissance de cause – par exemple au travers d’actes incompatibles avec la volonté de déchoir (désignation d’un expert, conduite de la défense, offres fermes) – fait échec à la sanction ; en responsabilité civile, la prise de direction du procès fait naître une présomption de renonciation aux exceptions déjà connues (L. 113-17, al. 1 ; v. Cass. 1re civ., 27 févr. 1990). Enfin, en droit local d’Alsace-Moselle, la déchéance pour manquement post-sinistre n’est recevable qu’en cas de faute lourde ou d’inexécution intentionnelle (L. 191-5).

b. Dans les rapports avec les tiers

Le principe est celui d’une opposabilité limitée aux bénéficiaires du contrat, mais d’une inopposabilité aux titulaires d’un droit propre.

D’un côté, la déchéance est opposable au bénéficiaire d’une assurance de personnes ou d’une assurance pour compte, par le jeu des exceptions (L. 112-1, al. 2 et L. 112-6) : les décisions l’ont confirmé tant pour l’assurance-vie que pour les assurances de choses souscrites « pour compte » (Cass. 1re civ., 2 nov. 1966). Nuance importante : en assurance collective, la clause de déchéance non portée à la connaissance de l’adhérent est inopposable (Cass. 2e civ., 5 mars 2020).

De l’autre côté, la déchéance est inopposable aux victimes en responsabilité civile : leur action directe repose sur un droit propre que les manquements postérieurs de l’assuré ne sauraient entamer (construction jurisprudentielle ancienne, consacrée par R. 124-1 ; v. Cass. 1re civ., 2 avr. 1974). Il en va de même, en assurances de choses, des créanciers hypothécaires ou privilégiés qui disposent d’une action directe sur l’indemnité : la déchéance encourue par l’assuré ne leur est pas opposable. En pratique, l’assureur indemnise le tiers protégé, puis exerce son recours contre l’assuré déchu – au besoin à ses risques si l’assuré est insolvable.

Ainsi pensée, la déchéance éteint la garantie pour un sinistre déterminé dans la relation interne, tout en préservant la créance des tiers protégés ; elle opère donc comme un instrument de discipline contractuelle entre parties, mais cède devant les droits autonomes que le droit des assurances reconnaît aux victimes et aux créanciers sur l’indemnité.

2. Les mesures complémentaires

==>Mesures de sauvetage

Dès qu’un sinistre survient, deux impératifs se télescopent : endiguer l’événement (pour éviter qu’il ne s’aggrave) et instruire correctement le dossier (pour préserver les preuves et les recours). C’est dans ce contexte qu’apparaissent les mesures de sauvetage : sécuriser les lieux, alerter les secours, poser des protections provisoires, pomper, confiner, décontaminer… Elles prolongent la bonne foi et le devoir de collaboration dans l’exécution du contrat : l’assuré n’est pas seulement créancier d’une indemnité, il est aussi acteur de la maîtrise du sinistre. L’enjeu est double : limiter le coût final et éviter la perte de preuves ou de recours subrogatoires.

Il peut être observé que les mesures de sauvegarde ne doivent pas être confondues avec les mesures préventives (avant sinistre). Les prescriptions avant sinistre (alarme, entretien, règles de sécurité) relèvent d’un tout autre registre : selon la police, leur inobservation joue comme condition de garantie ou exclusion, et peut justifier un refus d’indemnisation si les conditions légales sont réunies (Cass. 2e civ., 9 juill. 2009). Elles ne doivent pas être mêlées aux mesures de sauvetage, qui interviennent après la survenance et, sauf texte ou clause, ne sont pas imposées par la loi.

==>Fondements

Contrairement à d’autres droits qui imposent un devoir général de « minimisation du dommage », le droit français ne connaît pas d’obligation générale de réduire le dommage sans texte spécial ou clause (Cass. 1re civ., 7 nov. 2000). Deux régimes particuliers nuancent toutefois ce principe :

Hors ces textes, le fondement des mesures de sauvetage est contractuel : beaucoup de polices imposent d’« agir immédiatement » pour limiter le sinistre et organisent la prise en charge (ou non) des dépenses engagées. À défaut de stipulation, l’assuré ne peut revendiquer le remboursement de ces frais que par des voies subsidiaires (gestion d’affaires, enrichissement injustifié).

==>Régime

Les mesures de sauvetage (sécuriser les lieux, alerter, poser des protections, pomper, décontaminer…) et la déclaration du sinistre servent le même objectif : permettre une gestion efficace et préserver les droits (et recours) de l’assureur. Mais leur sanction n’obéit pas au même régime.

En pratique, les polices imposent d’« agir immédiatement » pour éviter l’aggravation du sinistre et organisent la prise en charge (ou non) des frais engagés. À défaut de clause prévoyant expressément le remboursement de ces frais, ils n’entrent pas, par principe, dans la garantie d’assurance ; l’assuré ne peut alors invoquer que des fondements de droit commun (Cass. 1re civ., 30 mai 1995). Lorsque la police prévoit une sanction (par exemple l’exclusion du remboursement de certains frais si les diligences utiles n’ont pas été accomplies), cette clause doit, comme toute clause privative de droits, être mise en évidence pour être opposable (L. 112-4).

Par ailleurs, le contrat ne peut transformer un simple retard documentaire en perte de garantie : sont nulles les clauses frappant de déchéance le retard dans les déclarations aux autorités ou dans la production de pièces ; seule peut être réclamée, le cas échéant, une indemnité proportionnée au préjudice subi par l’assureur (C. assur., L. 113-11, 2° ; v. Cass. 2e civ., 30 juin 2004). Autrement dit, pour le sauvetage, le levier habituel n’est pas la déchéance de la garantie, mais la gestion contractuelle des frais (prise en charge, exclusions ciblées, réductions), sous réserve des protections posées par le Code.

B. Sanction de la déclaration frauduleuse

La déclaration de sinistre est d’abord un exercice de vérité : l’assuré doit exposer fidèlement les faits et transmettre les pièces utiles, car l’assureur instruit le dossier sur la seule base de ces éléments. Dès qu’apparaît une altération volontaire de la réalité — sinistre fictif, circonstances arrangées, surévaluation délibérée — on n’est plus dans l’approximation ou le simple retard, mais dans la fraude.

Cette qualification emporte des réponses plus fermes. Au civil, la déchéance ne peut jouer qu’en vertu d’une clause valable et opposable et suppose la preuve de la mauvaise foi ; si l’assuré a provoqué le dommage, la garantie est exclue pour faute intentionnelle. Au pénal, les mêmes faits sont susceptibles de constituer des manœuvres frauduleuses (escroquerie) ou des faux. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’examen des sanctions de la déclaration frauduleuse.

1. La réponse civile : déchéance (par clause) et défaut de garantie

==>Principe

La déchéance pour déclaration frauduleuse n’opère jamais de plein droit : c’est une sanction contractuelle. Elle ne peut jouer que si la police contient une clause de déchéance, présentée en caractères très apparents (C. assur., art. L. 112-4), et si l’assureur prouve la mauvaise foi de l’assuré. La Cour de cassation est constante : une simple inexactitude, un oubli ou une approximation ne suffisent pas ; il faut une intention de tromper (Cass. 2e civ., 5 juill. 2018, n° 17-20.491). À l’inverse, lorsque l’assuré provoque lui-même le dommage, on quitte le terrain de la déchéance post-sinistre : la garantie est exclue pour faute intentionnelle (C. assur., art. L. 113-1).

==>Preuve

La mise en œuvre suit un enchaînement simple. D’abord, l’assureur doit produire la clause et établir la fraude : altération volontaire des faits, mise en scène, surévaluation sciemment exagérée, etc. Ensuite, une fois la mauvaise foi caractérisée, la déchéance n’est pas subordonnée à la preuve d’un préjudice de l’assureur : cette exigence ne vaut que pour la tardiveté visée par l’article L. 113-2, 4° (v. Cass. 1re civ., 28 nov. 2001).

==>Absence de contrôle de proportionnalité

La Cour de cassation fixe nettement la règle : la déchéance de garantie pour fausse déclaration post-sinistre, dès lors qu’elle est librement stipulée en caractères très apparents et subordonnée à la preuve de la mauvaise foi de l’assuré, « ne saurait constituer une sanction disproportionnée » (Cass. 2e civ., 15 déc. 2022, n°20-22.836). Il n’y a donc pas lieu de conduire un contrôle de proportionnalité. En pratique : à partir du moment où l’assureur prouve la mauvaise foi, le juge n’a pas à “moduler” l’effet de la clause ; l’assureur peut s’en prévaloir. Dans l’affaire jugée, la Cour d’appel avait constaté la mauvaise foi de l’assurée et appliqué la déchéance ; la Cour de cassation approuve cette démarche, relevant qu’à bon droit la cour d’appel n’a pas examiné la proportionnalité et a rejeté le pourvoi fondé sur l’art. 1er du Protocole n° 1 CEDH.

==>Sanctions civiles complémentaires

Indépendamment — ou à défaut — de la déchéance, la fraude peut justifier la résiliation pour manquement à la bonne foi (C. civ., art. 1104 ; TGI Lyon, 11 mai 1984) et la restitution de toute somme indûment versée (responsabilité contractuelle / répétition de l’indu). L’éventuelle inscription d’incidents dans des fichiers professionnels (AGIRA) relève, pour sa part, du régime des données à caractère personnel sous le contrôle de la CNIL.

2. La réponse pénale : faux et (tentative d’)escroquerie

La réponse à une fraude commise à l’occasion d’un sinistre n’appelle pas seulement une réponse civile et plus particulièrement une sanction contractuelle, elle est également susceptible de tomber sous le coup de la loi pénale. Deux qualifications dominent. L’escroquerie (C. pén., art. 313-1) vise aussi bien la mise en scène ou la provocation délibérée du sinistre (incendie volontaire, sinistre inventé) que la tromperie sur ses circonstances ou son étendue (constat mensonger, fausses factures, surévaluation organisée) dès lors que ces manœuvres tendent à obtenir une indemnité indue. Les infractions de faux (C. pén., art. 441-1, 441-7) répriment, en parallèle ou en concours, l’altération frauduleuse de la vérité dans des écrits ou attestations utilisés pour étayer la demande d’indemnisation.

a. L’escroquerie à l’assurance

L’escroquerie suppose, d’une part, des manœuvres frauduleuses (usage d’un faux nom/qualité, abus d’une qualité vraie, mise en scène ou production de pièces falsifiées) et, d’autre part, la remise par la victime de fonds, d’un bien, d’un service ou la souscription d’un engagement (C. pén., art. 313-1).

Appliquée à l’assurance, l’infraction recouvre les situations classiques : sinistre inventé ou volontairement provoqué, constat ou attestation mensongers, factures truquées, fausse date ou majoration délibérée du dommage. Les juridictions exigent plus qu’un simple mensonge: une activité positive de tromperie (mise en scène, faux documents, déclarations coordonnées) propre à décider l’assureur à ouvrir la garantie.

Il peut être observé que la tentative d’escroquerie est punissable (C. pén., art. 313-3 et 121-5). Elle est retenue de façon pragmatique : déposer un constat amiable mensonger et solliciter l’indemnisation suffit à caractériser un commencement d’exécution, le préjudice de l’assureur résidant a minima dans les diligences engagées (ouverture de dossier, vérifications) (v. Cass. 1re civ., 30 janv. 1995, n° 93-85.513). À l’inverse, pas de tentative si l’assuré n’a accompli aucune démarche auprès de l’assureur : une plainte pour vol sans déclaration à l’assureur demeure au stade des actes préparatoires (Cass. crim., 17 déc. 2008, n°08-82.085).

L’infraction peut être commise par l’assuré seul ou avec des complices (intermédiaire, réparateur, « témoin » complaisant). Les peines de principe sont de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende (C. pén., art. 313-1), sans préjudice des peines complémentaires.

b. Les infractions de faux

Le recours à des documents falsifiés constitue à lui seul un faux et/ou un usage de faux. Est un faux, au sens de l’article 441-1 du code pénal, toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice, dans un écrit ou tout autre support (papier ou numérique). Sont typiquement en cause : devis ou factures fabriqués ou majorés, constats amiables mensongers, certificats de complaisance, rapports techniques retouchés, images ou fichiers modifiés. L’usage est consommé dès la présentation du document à l’assureur, à l’expert ou à l’intermédiaire : nul besoin d’un paiement effectif pour que l’infraction soit constituée.

Un régime spécial vise les attestations et certificats : l’article 441-7 incrimine à la fois leur établissement inexact et leur usage. Les peines encourues sont trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende (art. 441-1) et, pour les attestations/certificats inexacts, un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende (art. 441-7).

En pratique, ces infractions peuvent être poursuivies isolément (quand aucune somme n’a encore été versée) ou cumulées avec l’escroquerie (art. 313-1), les documents falsifiés constituant alors les manœuvres frauduleuses caractérisant l’escroquerie. Autrement dit, le simple dépôt d’un dossier « arrangé » suffit à faire basculer l’affaire sur le terrain pénal.

§2: La preuve du sinistre

I. La charge de la preuve

A. Principes généraux

En l’absence de dispositions spécifiques sur la preuve du sinistre dans le Code des assurances, le régime probatoire se déduit du droit commun : actori incumbit probatio. Celui qui réclame l’exécution de l’obligation d’indemniser doit établir les faits générateurs de cette obligation (C. civ., art. 1353). Concrètement, il appartient à l’assuré de démontrer la matérialité du sinistre et son rattachement au risque contractuellement garanti — la Cour de cassation l’énonce de façon constante : « il appartient à l’assuré qui réclame l’exécution du contrat d’assurance d’établir l’existence du sinistre » (Cass. 1re civ., 11 oct. 1989,). Dans certaines espèces, elle ajoute qu’il revient à l’assuré de produire la police et la preuve de la réalisation de l’événement pour prétendre à garantie (Cass. 2e civ., 22 janv. 2009, n° 07-19.532).

Une fois le sinistre établi par l’assuré (C. civ., art. 1353), il revient à l’assureur qui conteste la garantie d’en rapporter les causes d’exclusion ou d’exonération : clause d’exclusion, condition de garantie non remplie, inexistence du sinistre, faute intentionnelle ou dolosive (Cass. 1re civ., 15 oct. 1980, n° 79-17.075). Ce fardeau ne peut pas être inversé par la police : « nonobstant toute convention contraire », la preuve de l’exclusion demeure à la charge de l’assureur (Cass. 2e civ., 2 avr. 1997).

Deux textes éclairent cette solution :

Il en résulte logiquement que celui qui invoque l’exclusion — l’assureur — doit en établir les conditions de fait et la pertinence au cas concret ; l’assuré n’a pas à « prouver qu’il n’entre pas » dans le champ d’une clause dérogatoire (v. déjà Cass. 2e civ., 2 avr. 1997).

La seule hypothèse où le législateur répartit expressément la charge de la preuve concerne les sinistres liés à la guerre et aux troubles collectifs. L’article L.121-8 du Code des assurances pose, d’une part, une délimitation négative : « l’assureur ne répond pas, sauf convention contraire, des pertes et dommages occasionnés soit par la guerre étrangère, soit par la guerre civile, soit par des émeutes ou par des mouvements populaires » (C. assur., art. L.121-8). D’autre part, il organise un partage du fardeau probatoire:

Deux conséquences pratiques en découlent. Premièrement, l’assuré peut se contenter de démontrer, par tous moyens, l’absence de lien avec la guerre étrangère (il n’a pas à identifier positivement une autre cause déterminée). Deuxièmement, l’assureur doit caractériser positivement le rattachement du dommage à l’une des causes légales d’exclusion (guerre civile/émeutes/mouvements populaires), faute de quoi la garantie demeure due. Ce dispositif, d’ordre public, fixe ainsi clairement l’économie des preuves dans ces situations particulières (C. assur., art. L.121-8).

B. Mise en oeuvre

1. Assurance de personnes

En assurance-vie, la preuve du suicide obéit désormais au droit commun de la charge de la preuve. Le législateur a mis fin au régime dérogatoire antérieur :

Conséquence : en application de l’article 1353 C. civ., l’assureur qui invoque l’exclusion pour suicide doit en prouver tous les éléments, à savoir le suicide et sa survenance dans l’année suivant la souscription (C. assur., art. L.132-7). Le bénéficiaire se borne à établir le décès et la mise en jeu du contrat ; l’assureur, s’il refuse de payer, doit établir positivement l’exclusion.

La preuve du suicide est libre et peut résulter d’un faisceau d’indices convergents : préparatifs, circonstances matérielles du décès, lettres d’adieu, comportement antérieur, trajectoire volontaire, etc.. Cette méthode permet d’établir la réalité d’un suicide volontaire dans le délai d’un an, conformément à l’article L.132-7.

2. Construction – dommages-ouvrage / RC

En assurance construction, les clauses types annexées à l’article A.243-1 organisent un véritable pouvoir d’investigation : l’assuré doit laisser pratiquer toutes investigations utiles et l’expert remet un rapport exclusivement consacré aux causes, proportions et estimations du sinistre (Ann. II, A.243-1 C. assur.). Ce dispositif facilite l’instruction du dossier, mais n’emporte aucun déplacement du fardeau : la preuve d’une exclusion demeure à la charge de l’assureur (C. civ., art. 1353 ; C. assur., art. L.112-4 et L.113-1).

Ces investigations ne valent que si conduites dans le respect du contradictoire : convocation des parties, communication des pièces, libre discussion du rapport ; à défaut, le rapport n’est en principe pas opposable à la partie non appelée (CPC, art. 16). Le juge ne peut pas se fonder exclusivement sur une expertise unilatérale réalisée à la demande d’une partie (Ch. mixte, 26 sept. 2012, n°11-18.710). À l’inverse, sauf fraude, un rapport établi hors la présence de l’assureur peut lui être opposable s’il a pu en débattre contradictoirement devant le juge (Cass. 1re civ., 22 mai 2008).

Dans le même esprit, la Commission des clauses abusives a jugé abusive la clause écartant l’assuré du « procès » des recours exercés par l’assureur (CCA, avis n° 90-02, 10 nov. 1989, DO) : la recherche de la preuve ne peut se faire au prix du contradictoire.

3. Preuve de la déclaration du sinistre (à distinguer de la preuve du sinistre)

La question est autonome : il s’agit non de prouver le sinistre, mais l’exécution par l’assuré de son obligation déclarative.

C. Aménagements de la charge de la preuve

Certaines polices cherchent à aménager la charge et les modes de preuve du sinistre. Mais l’aménagement ne peut ni renverser la charge légale (C. civ., art. 1353) ni restreindre les moyens de preuve de l’assuré sous couvert de technique contractuelle (C. assur., art. L.112-4 et L.113-1). C’est tout le sens de l’arrêt de principe rendu le 10 mars 2004 : saisie d’une police « vol » subordonnant la garantie à la présence d’indices matériels prédéfinis (effraction, forcement de la direction, modification des branchements), la Cour de cassation censure la décision qui exigeait ces seuls indices et rappelle que « la preuve du sinistre, qui est libre, ne pouvait être limitée par le contrat » (Cass. 2e civ., 10 mars 2004, n°03-10.154, au visa de l’ancien art. 1315 C. civ. et de l’art. 6 § 1 CEDH). Autrement dit, l’assureur peut définir l’objet de la garantie ; il ne peut ni déplacer la charge probatoire, ni imposer un mode de preuve exclusif ou manifestement impraticable, ni réduire la liberté des moyens de preuve au point d’en vider la substance (C. assur., art. L. 112-4 et L. 113-1).

La jurisprudence ultérieure a précisé sans infléchir la règle : des clauses peuvent décrire les circonstances matérielles déclenchant la garantie (effraction, précautions minimales) à la condition, d’une part, de ne pas renverser la charge et, d’autre part, de laisser à l’assuré la possibilité d’établir par tout moyen la réalisation du sinistre dans le cadre convenu ; corrélativement, elle écarte les lectures purement littérales et indifférenciées des stipulations lorsqu’elles aboutissent à nier l’évidence factuelle—ainsi en cas de vol avec violences, la présence de clés laissées dans le véhicule ne suffit pas à faire tomber la garantie (Cass. 2e civ., 24 mai 2006).

Lorsque l’assuré est consommateur, l’exigence se renforce : sont abusives les clauses qui renversent la charge de la preuve ou limitent les moyens de preuve (C. cons., art. L. 212-1 et R. 212-1), contrôle que le juge exerce d’office ; est ainsi critiquable la stipulation excluant la garantie « si le conducteur était en état alcoolique, sauf à l’assuré de prouver l’absence de lien causal », alors qu’en droit commun il appartient à l’assureur d’établir ce lien pour décliner sa garantie (Cass. 1re civ., 12 mai 2016, n° 14-24.698). L’orientation de la Commission des clauses abusives converge, déconseillant depuis longtemps les clauses imposant des procédés probatoires restrictifs (inventaire ou facture préalable conservée à part, effraction érigée en indice unique), analysées comme une voie détournée de refus de garantie (CCA, reco n° 85-04, 20 sept. 1985 ; reco synthèse n° 91-02, 23 mars 1990).

Enfin, s’agissant des exclusions, la Cour de cassation rappelle « nonobstant toute convention contraire » que leur preuve incombe à l’assureur, de sorte qu’aucune clause ne peut déplacer ce fardeau (Cass. 2e civ., 2 avr. 1997; C. assur., art. L. 112-4 et L. 113-1). En définitive, le contrat peut seulement définir l’étendue de la garantie ; il ne peut ni inverser la charge de la preuve ni restreindre les moyens de preuve de l’assuré. Est réputée non écrite toute clause qui impose un mode de preuve unique ou fait peser sur l’assuré la preuve d’un fait que la loi met à la charge de l’assureur (C. civ., art. 1353 ; C. assur., art. L. 112-4 et L. 113-1).

II. Les modes de preuve

A. Principe : la liberté de la preuve

Parce que le sinistre est un fait juridique, sa preuve est libre : l’assuré peut en établir la matérialité et le rattachement au risque garanti par tous moyens — présomptions et indices convergents, témoignages, courriels et écrits divers, pièces contractuelles, dossiers administratifs, certificats médicaux, etc. (C. civ., art. 1353). La pratique montre une graduation de la force probante : ainsi, la plainte pénale ou un procès-verbal peuvent suffire lorsque les circonstances l’autorisent (véhicule déclaré volé puis retrouvé incendié : CA Nancy, 1er oct. 2002), mais ils demeurent des éléments à corroborer lorsque la matérialité est contestée (Cass. 2e civ., 13 janv. 2012, n° 10-28.353). À l’inverse, des pièces simples, comme de simples copies de factures, ont déjà été admises pour caractériser un vol en hôtellerie (Cass. 2e civ., 8 oct. 2020). On retrouve, en filigrane, l’idée classique selon laquelle nul ne se constitue preuve à soi-même : un document unilatéral vaut, mais à la condition d’être replacé dans un faisceau d’indices et soumis au débat.

Cette liberté s’exerce sous deux garde-fous. D’abord, la loyauté : la preuve ne peut résulter de procédés déloyaux (v. Cass. 2e civ., 10 nov. 2010). Ensuite, le contradictoire (CPC, art. 16) : toute pièce décisive — rapports, constats, documents techniques — doit être communiquée et discutée, le juge ne pouvant fonder sa décision sur un élément non débattu (Cass. 1re civ., 11 mars 2003, n°01-01.430). Sous ces réserves, la liberté des preuves joue pleinement et permet au juge d’apprécier souverainement la convergence des éléments vers la réalité du sinistre.

B. L’expertise : pivot probatoire

1. Fonctions et cadres

Charnière entre la déclaration de sinistre (charge de l’assuré) et le règlement (obligation de l’assureur), l’expertise poursuit trois finalités : constater les dommages, rechercher causes et circonstances, évaluer le quantum. En assurance-construction, les clauses types annexées à l’article A.243-1 du Code des assurances bornent la mission à un rapport « exclusivement consacré à la description des caractéristiques techniques du sinistre et à l’établissement de [sa] cause, proportions et estimations », afin d’orienter la réparation intégrale (Annexe II, art. A.243-1). Dans ce régime, la procédure est très encadrée ; il peut être renoncé à l’expertise si le dommage est inférieur à 1 800 € ou si la garantie est manifestement injustifiée, décision notifiée à l’assuré, lequel peut la contester (Annexe II, art. A.243-1).

2. Typologie et valeur probatoire

On distingue classiquement trois formes d’expertise, dont l’autorité probatoire croît avec le degré de contradictoire qui les gouverne.

3. Contradictoire, opposabilité, délais

Le contradictoire conditionne l’opposabilité : une expertise menée sans convocation ni échanges n’est pas opposable à la partie non appelée (Cass. 1re civ., 30 mars 1994). À l’inverse, lorsque le rapport est versé aux débats et librement discuté, le contradictoire est réputé respecté (Cass. 3e civ., 5 déc. 2019, n°18-23.852). Le principe procédural est rappelé de façon générale : le juge ne peut se fonder sur un rapport établi en violation du contradictoire (CPC, art. 16 ; Cass. 1re civ., 11 mars 2003, n°01-01.430).

En assurance incendie, si l’expertise excède trois mois à compter de la remise de l’état des pertes, l’assuré peut exiger une avance égale à la moitié de l’indemnité minimale : règle d’ordre public (C. assur., art. L.122-2 ; Cass. 1re civ., 13 févr. 1996).

4. Impartialité, indépendance, responsabilité

L’expert doit conduire sa mission « avec conscience, objectivité et impartialité » (CPC, art. 236). À ces exigences générales s’ajoutent, dans certains secteurs, des incompatibilités légales – ainsi en matière automobile (C. route, art. L.326-6).

La Cour de cassation adopte un pragmatisme mesuré : ni la répétition d’interventions au bénéfice d’assureurs, ni l’existence de liens économiques ne suffisent, à elles seules, à affecter l’impartialité. Il faut des éléments précis révélant une dépendance ou un parti pris (v. notamment Cass. 3e civ., 15 févr. 2007).

Si l’expert peut, en vertu de l’article 278 CPC, solliciter l’avis d’un sapiteur, il ne peut se décharger sur celui-ci : il lui appartient de vérifier, s’approprier et assumer les constatations techniques retenues. À défaut, sa responsabilité peut être engagée et le rapport affaibli (Cass. 3e civ., 16 nov. 2017, n° 16-24.718).

Un rapport non-contradictoire (obtenu par l’assuré ou l’assureur) peut être produit et discuté, mais le juge ne peut jamais fonder sa décision exclusivement sur ce document. C’est l’enseignement de l’arrêt de chambre mixte du 26 septembre 2012 : un assureur subrogé, poursuivant le fabricant et son assureur RC après l’incendie d’un véhicule, n’invoquait qu’un rapport d’expertise établi à sa seule demande concluant à un défaut de câblage. La Cour d’appel a rejeté l’action, et la Cour de cassation a approuvé en posant la règle de principe : si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement communiquée et débattue, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande d’une seule partie (Cass., ch. mixte, 26 sept. 2012, n°11-18.710). À l’inverse, la conduite contradictoire des opérations et la libre discussion du rapport en accroissent l’opposabilité et la force probatoire.

C. Constat d’huissier et autres constatations

Le constat d’huissier, même dressé in futurum et hors la présence de l’adversaire, est recevable dès lors qu’il est régulièrement communiqué et soumis à la libre discussion : il n’est pas frappé d’irrecevabilité du seul fait de son caractère non contradictoire (Cass. 1re civ., 12 avr. 2005, n°02-15.507). Sa force probante tient alors à la qualité des constatations matérielles et à son insertion dans un débat véritablement contradictoire (CPC, art. 16).

À l’inverse, l’assuré qui fait disparaître les choses endommagées ou détruit spontanément l’objet du litige compromet la manifestation de la vérité et s’expose, faute de pouvoir établir la réalité et l’étendue des dommages, à un refus d’indemnisation. Cette exigence rejoint l’obligation générale de coopération qui pèse sur l’assuré dans l’instruction du sinistre.

Plus largement, les constatations unilatérales — plainte pénale, attestations internes, relevés établis par l’assuré — ne suffisent pas toujours : « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ». Ainsi, la seule plainte pour vol, non corroborée, a été jugée insuffisante pour établir la matérialité du sinistre (Cass. 2e civ., 13 janv. 2012), quand bien même, dans d’autres circonstances (véhicule déclaré volé puis retrouvé incendié), des juges du fond ont pu y voir, avec les éléments de contexte, un indice décisif (CA Nancy, 1er oct. 2002). À l’inverse, des pièces simples mais objectives peuvent emporter la conviction (par ex. copies de factures pour un vol en chambre d’hôtel : Cass. 2e civ., 8 oct. 2020).

Le juge ne peut pas réécrire la police pour exiger de l’assuré plus qu’elle ne prévoit. Ainsi, est censuré pour dénaturation l’arrêt qui impose à l’assuré d’apporter un document établissant la cause du dommage, alors que la clause ne lui demandait que de justifier la nature et l’importance des atteintes au moment du sinistre (Cass. 2e civ., 2 mars 2017, n° 16-15.864).

La règle est simple : la liberté des modes de preuve ne permet ni d’échapper au contradictoire, ni d’altérer l’économie contractuelle de la preuve. Autrement dit, on discute librement des pièces, mais on ne déplace pas—par décision de justice—le contenu de ce que l’assuré doit prouver lorsque la police l’a clairement circonscrit.

Enfin, au stade de l’appréciation des constats et rapports, le juge ne peut dénaturer les termes de la police, ni alourdir la charge qu’elle fait peser sur l’assuré. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 2 mars 2017 en est une illustration : à propos d’un sinistre «dommages électriques » (deux téléphones détériorés en charge), la juridiction de proximité avait refusé l’indemnisation au motif que l’assuré n’apportait pas le document justifiant la nature et la cause du dommage. Or la clause invoquée par l’assureur n’exigeait que de « justifier, au moment du sinistre, la nature et l’importance du dommage », sans mentionner la cause. La Cour de cassation censure pour dénaturation – « Vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis » – en relevant que le premier juge avait ajouté à la police une obligation qu’elle ne comportait pas (Cass. 2e civ., 2 mars 2017, n°16-15.864).

D. Enquêtes privées et filatures : droit à la preuve vs vie privée

Le recours à un huissier ou à un enquêteur privé peut être légitime pour vérifier des déclarations ou déceler une fraude, mais n’est recevable que s’il satisfait à un contrôle de proportionnalité : la recherche de la preuve ne doit pas porter une atteinte excessive à la vie privée. La Cour de cassation admet ainsi des surveillances ciblées, brèves, conduites en lieux ouverts au public et limitées à l’observation d’actes de mobilité ou d’autonomie, lorsqu’un besoin probatoire sérieux est établi. Ont ainsi été jugées admissibles des filatures constatant, en voie publique, la capacité d’un assuré à conduire et à accomplir seul des actes courants (Cass. 2e civ., 31 oct. 2012), ou une enquête privée révélant que le conducteur habituel du véhicule n’était pas l’assuré déclaré, sans intrusion dans la sphère intime (Cass. 1re civ., 5 févr. 2014).

À l’inverse, lorsque les investigations dépassent ce qui est strictement nécessaire à l’établissement du fait litigieux, elles sont écartées ou sanctionnées. Deux décisions récentes en fixent clairement les bornes. D’abord, dans l’affaire du 22 septembre 2016, un assuré mineur, blessé dans un accident, avait fait l’objet d’une filature privée mandatée par l’assureur après que l’expertise judiciaire eut relevé des discordances. Le rapport relatait non seulement des observations en lieux publics, mais aussi l’intérieur du domicile (description des personnes présentes, tentative d’identification des visiteurs) et le traçage précis des déplacements de la mère. La Cour de cassation juge que de telles opérations, «par elles-mêmes, […] sont de nature à porter atteinte à la vie privée » et qu’il faut en apprécier la proportion « au regard des intérêts en présence » ; constatant une immixtion excédant les nécessités de l’enquête, elle approuve la cour d’appel d’avoir retenu une atteinte disproportionnée et d’avoir alloué des dommages-intérêts (Cass. 1re civ., 22 sept. 2016, n° 15-24.015).

Ensuite, par un attendu de principe, la Cour de cassation rappelle que « le droit à la preuve ne peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée qu’à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi » (Cass. 1re civ., 25 févr. 2016, n° 15-12.403). Dans cette seconde affaire, quatre enquêtes privées avaient été menées « sur plusieurs années », combinant vérifications administratives, recueil d’informations auprès de nombreux tiers et filatures près du domicile et lors des déplacements. La cour d’appel avait minimisé chacune des séquences prise isolément ; la Cour de cassation casse, reprochant de n’avoir pas tiré les conséquences de ses propres constatations : considérées dans leur ensemble, ces investigations portaient une atteinte disproportionnée à la vie privée et devaient, partant, être écartées des débats.

§3: L’indemnisation du sinistre

Le contrat d’assurance se singularise par sa finalité : protéger l’assuré contre les conséquences d’un événement incertain. Tant que le sinistre n’est pas survenu, l’assureur n’est tenu qu’à une obligation abstraite de couverture, consistant à garantir le risque dans les termes fixés par la police . Mais lorsque l’événement assuré se réalise, cette obligation se mue en une obligation concrète : celle de fournir la prestation promise, qu’il s’agisse d’un service en nature ou d’un versement en argent. Depuis la réforme de l’article L. 113-5 du Code des assurances par la loi du 7 janvier 1981, le législateur ne parle plus seulement d’«indemnité», mais de la « prestation déterminée par le contrat » que l’assureur doit exécuter dans le délai convenu. Ce glissement sémantique illustre l’ampleur de l’engagement de l’assureur, désormais envisagé comme une véritable obligation de règlement.

Encore faut-il préciser ce que recouvre la notion d’indemnisation. Au sens strict, l’indemnité désigne la somme d’argent versée à l’assuré ou au bénéficiaire afin de compenser, totalement ou partiellement, les conséquences pécuniaires du sinistre. Mais la réparation ne se réduit pas à ce versement monétaire : elle peut également consister en une prestation en nature. Ainsi, en matière d’assurance de protection juridique, l’assureur prend directement en charge les frais de défense (C. assur., art. L. 127-1) ; de même, dans l’assurance assistance, il organise lui-même le rapatriement ou l’assistance matérielle de l’assuré. L’indemnisation doit donc être comprise dans une acception plus large, combinant une fonction économique — replacer l’assuré dans une situation aussi proche que possible de celle qui était la sienne avant le sinistre — et une fonction sociale, puisqu’elle participe à la solidarité et contribue à la stabilité des relations économiques.

Deux principes cardinaux gouvernent ce régime. Le premier est le principe forfaitaire, propre aux assurances de personnes. L’article L. 131-1 du Code des assurances dispose que, dans les assurances sur la vie ou contre les accidents atteignant les personnes, « les sommes assurées sont fixées par le contrat ». Le montant des prestations est donc prédéterminé, indépendamment de l’étendue réelle du préjudice subi. Il en résulte que les cumuls de prestations ne sont pas prohibés : l’assuré peut bénéficier de plusieurs couvertures simultanément, sans qu’il soit possible d’opposer le principe de non-enrichissement. La jurisprudence a cependant nuancé ce critère purement légal, en admettant que certaines prestations de prévoyance puissent revêtir un caractère indemnitaire lorsqu’elles sont directement corrélées au dommage (Cass. ass. plén., 19 déc. 2003, n°01-10.670).

Le second est le principe indemnitaire, applicable aux assurances de dommages. L’article L. 121-1 du Code des assurances précise que « l’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne peut pas dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre ». La règle est simple : l’assurance a pour objet de compenser une perte, non de procurer un gain. L’assuré doit être replacé dans la situation qui était la sienne avant la réalisation du sinistre ; il ne doit ni s’appauvrir ni s’enrichir. Ce principe, qui prolonge l’exigence de réparation intégrale en matière de responsabilité civile (« replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit » : Cass. 2e civ., 9 juill. 1981, n°80-12.142), justifie directement la prohibition de la surassurance et du cumul d’assurances, sauf exceptions prévues par la loi.

L’articulation de ces deux logiques – forfaitaire et indemnitaire – se situe au cœur même de la question de l’indemnisation en assurance. Leur coexistence révèle la double fonction du contrat d’assurance : d’un côté, un instrument de prévoyance, lorsqu’il garantit le versement d’un capital ou d’une rente déterminés à l’avance ; de l’autre, un instrument de réparation, lorsqu’il tend à replacer l’assuré dans la situation patrimoniale qui était la sienne avant le sinistre. Toutefois, si la distinction paraît nette dans les textes, elle se brouille parfois dans la pratique. La Cour de cassation l’a elle-même rappelé, en relevant que les frontières entre ces deux modèles peuvent se révéler perméables (Cass. ass. plén., 19 déc. 2003, n°01-10.670).

L’étude du régime juridique de l’indemnisation du sinistre suppose ainsi d’examiner, d’une part, l’obligation de l’assureur, quant à la détermination et l’exécution de sa prestation (I), et, d’autre part, les droits corrélatifs de l’assureur, au premier rang desquels le recours subrogatoire et la faculté de résiliation (II).

I. L’obligation de l’assureur

A. La détermination de la prestation

1. L’évaluation du sinistre

L’indemnisation d’un sinistre ne peut intervenir qu’à la condition préalable que son étendue ait été évaluée. Avant de payer, l’assureur doit connaître la nature et le montant des dommages, et l’assuré doit pouvoir discuter les bases de calcul de l’indemnité qui lui sera allouée. Cette opération d’évaluation est donc au cœur du mécanisme indemnitaire : elle assure la correspondance entre la perte subie et la prestation due, tout en prévenant les risques d’abus ou d’enrichissement injustifié.

Dans la pratique, l’évaluation se décline selon l’ampleur et la complexité du sinistre. Pour les dommages de faible importance, le règlement s’effectue souvent de gré à gré : l’assuré transmet un devis ou une estimation des réparations, et l’assureur procède au remboursement, après déduction des éventuelles franchises, dans la limite de la garantie contractuelle. Ce mode de règlement, rapide et pragmatique, illustre l’esprit de confiance et de simplification qui préside aux sinistres courants.

Mais dès que les enjeux financiers s’élèvent ou que les circonstances sont discutées, la simple évaluation bilatérale ne suffit plus. L’assureur peut mandater un inspecteur ou un technicien afin de constater les pertes, et, en cas de désaccord persistant, les parties ont recours à une expertise. Celle-ci se situe alors à la croisée des chemins entre technique et droit : en s’appuyant sur les compétences d’un spécialiste, il s’agit de déterminer la réalité des dommages, d’en chiffrer les conséquences et de fonder l’indemnisation sur une base objectivée.

Ainsi, l’évaluation du sinistre suit une progression logique : lorsque les dommages sont modestes, elle se règle le plus souvent par un simple accord entre l’assuré et l’assureur ; en revanche, lorsque les pertes sont importantes ou contestées, elle nécessite l’intervention d’un expert. L’expertise peut alors être conduite amiablement, sous le contrôle des parties, ou judiciairement, sous l’autorité du juge. Ce passage du gré à gré à l’expertise traduit une hiérarchie des modes d’évaluation, proportionnée à la gravité du sinistre et à la difficulté de chiffrer les dommages.

1.1. L’expertise amiable

a. Nature et finalité de l’expertise amiable

L’évaluation du sinistre constitue le passage obligé de tout processus indemnitaire : sans chiffrage préalable des pertes, aucune indemnité ne peut être versée. La prestation de l’assureur dépend en effet de la traduction économique du dommage subi, qu’il s’agisse d’une indemnisation à caractère indemnitaire (assurance de dommages) ou forfaitaire (assurance de personnes). Or, si certains sinistres se prêtent à une estimation simple — par exemple un dégât des eaux mineur réglé sur la base d’un devis —, d’autres, par leur ampleur ou leur complexité, requièrent l’intervention d’un technicien spécialisé.

L’expertise amiable répond à cette nécessité. Elle se définit comme une opération technique, menée à la demande des parties, destinée à apprécier les causes, la consistance et le montant des dommages. Elle se situe ainsi à la charnière entre l’obligation déclarative de l’assuré et l’obligation de règlement de l’assureur.

Sa fonction est double : d’une part, elle éclaire l’assureur sur l’étendue de la prestation due en lui fournissant une base objective de calcul ; d’autre part, elle tend à rapprocher les positions des parties et à faciliter un accord sur le règlement du sinistre, en évitant autant que possible une judiciarisation du litige.

La pratique distingue plusieurs modalités d’expertise amiable :

Ces distinctions, largement reprises par la doctrine et la jurisprudence (v. Cass. ch. mixte, 28 sept. 2012, n°11-18.710), traduisent l’importance accordée au principe du contradictoire: seule une expertise menée dans des conditions garantissant la participation des parties peut prétendre emporter l’adhésion du juge et servir de fondement probatoire suffisant.

Sur le plan juridique, la source principale de l’expertise amiable réside dans l’article L. 112-1 du Code des assurances, qui impose que les polices précisent « la procédure et les principes relatifs à l’estimation des dommages ». Autrement dit, c’est le contrat qui encadre le recours à l’expertise et en détermine les modalités pratiques (désignation de l’expert, délais, procédure de tierce expertise, etc.). De telles stipulations, loin d’être accessoires, conditionnent l’équilibre de la relation d’assurance, en ce qu’elles visent à assurer une estimation équitable des dommages et, partant, une indemnisation conforme au principe indemnitaire (art. L. 121-1 C. assur.).

En définitive, l’expertise amiable occupe une place intermédiaire : elle n’est pas une mesure judiciaire, mais elle dépasse le simple règlement de gré à gré. Elle constitue un instrument technique et probatoire destiné à rendre possible une indemnisation équitable, en conciliant les intérêts de l’assuré et de l’assureur.

b. Le statut et la mission des experts d’assurance

L’expertise amiable fait intervenir un professionnel chargé de donner une traduction technique et chiffrée du sinistre. Concrètement, il constate les causes et les circonstances de l’événement, évalue l’étendue des dommages et propose, le cas échéant, un montant d’indemnisation. Sa mission est donc d’apporter aux parties une base objective pour discuter et régler le sinistre. Mais parce que cet expert est généralement choisi et rémunéré par l’assureur, son statut, son indépendance et la portée juridique de son intervention suscitent de nombreuses interrogations.

==>La diversité des statuts

Selon les branches d’assurance, les experts mobilisés obéissent à des régimes distincts :

Ces statuts spécifiques révèlent une constante : la recherche d’une compétence technique et d’une méthodologie reconnues, destinées à garantir l’objectivité des évaluations.

==>Le débat sur l’indépendance des experts

Malgré cette exigence de compétence, l’indépendance des experts d’assureurs fait l’objet de critiques persistantes. Mandatés et rémunérés par les compagnies, ils apparaissent souvent comme économiquement dépendants d’elles, ce qui suscite la défiance des assurés et des associations de consommateurs. Plusieurs auteurs ont dénoncé cette situation de «dépendance professionnelle » et de « dépendance économique ».

Il en résulte une pratique consistant, pour certains assurés, à recourir à des experts d’assurés, dont l’intervention vise à rétablir un équilibre face aux experts de compagnies. La doctrine relève cependant que cette « dualisation » des expertises entretient une méfiance réciproque et accroît les coûts sans toujours améliorer la qualité du règlement.

==>La qualification juridique du contrat d’expertise

Le lien juridique unissant l’assureur et l’expert a également été discuté.

Traditionnellement, il est analysé comme un contrat d’entreprise au sens de l’article 1710 du Code civil : l’expert s’engage à réaliser une prestation intellectuelle contre rémunération, en toute indépendance, sans représenter son donneur d’ordre (Cass. 1re civ., 19 févr. 1968 ).

Toutefois, la pratique entretient l’ambiguïté en présentant fréquemment l’expert comme «mandaté » par l’assureur. Certaines décisions ont d’ailleurs admis, dans des circonstances particulières, l’existence d’un mandat apparent, en ce sens que l’assuré pouvait légitimement croire que l’expert agissait au nom de la compagnie (Cass. 2e civ., 7 févr. 1993).

Cette ambivalence explique certaines dérives : il n’est pas rare que l’expert fasse signer à l’assuré une « lettre d’acceptation d’indemnité », assimilable à un règlement du sinistre, alors même qu’il n’a pas juridiquement pouvoir d’engager l’assureur

c. Le régime de l’expertise amiable

i. Principes directeurs

En assurance de dommages, l’indemnité doit refléter le préjudice : avant de payer, il faut donc mesurer le dommage. Les polices doivent d’ailleurs indiquer « la procédure et les principes relatifs à l’estimation », ce qui fonde contractuellement le recours à l’expertise amiable et en encadre le déroulement (art. L.112-1 C. assur.). Les auteurs rappellent à cet égard que l’expertise amiable et contradictoire constitue un outil de gestion du sinistre, organisé par le contrat et/ou les conventions inter-assureurs, distinct de l’expertise judiciaire et soumis à ses propres règles de force et de preuve.

Trois traits structurent le régime : (i) son caractère amiable (elle naît d’un accord des parties ou d’une clause de la police), (ii) sa vocation subsidiaire par rapport au simple règlement de gré à gré (on y recourt si l’accord fait défaut ou si l’enjeu est important), et surtout (iii) son caractère contradictoire, condition essentielle de recevabilité et de valeur probatoire.

ii. Formes de l’expertise amiable et portée probatoire

==>Expertise unilatérale

Lorsqu’un expert est mandaté par une seule partie — généralement l’assureur, parfois l’assuré —, on parle d’expertise unilatérale. Le rapport qui en résulte n’est pas nul en soi : il peut être versé aux débats et discuté devant le juge. La Cour de cassation a clairement posé qu’un tel rapport ne peut être écarté d’office dès lors qu’il est régulièrement produit et soumis à la contradiction (Cass. ch. mixte, 28 sept. 2012, n°11-18.710). Mais la même décision précise qu’il ne peut à lui seul fonder une décision de justice. Autrement dit, c’est une preuve recevable, mais intrinsèquement insuffisante.

Le juge ne pourra donc l’utiliser qu’en appui d’autres éléments de preuve (témoignages, documents, présomptions). La jurisprudence illustre cette position : la Cour de cassation a admis qu’un rapport unilatéral puisse être retenu « à titre de simple renseignement », mais jamais comme pièce unique (Cass. 1re civ., 28 janv. 2010). La règle a été réaffirmée récemment (Cass. 2e civ., 21 sept. 2023, n° 22-10.698).

En pratique, cela signifie que l’expertise unilatérale reste un outil utile pour éclairer le juge, mais qu’elle ne prend véritablement sa valeur que si elle est corroborée et si les parties ont eu l’occasion d’en discuter le contenu.

==>Expertise amiable menée contradictoirement

Lorsque l’expertise se déroule en respectant le principe du contradictoire, sa portée change radicalement. Le contradictoire suppose que toutes les parties concernées soient convoquées, qu’elles puissent présenter leurs observations (« dires »), accéder aux pièces utilisées par l’expert, et recevoir communication d’un pré-rapport avant le dépôt du rapport définitif. La Cour de cassation a ainsi exigé que les éléments techniques collectés par l’expert soient discutés avant le rapport final, faute de quoi l’expertise peut être écartée (Cass. 1re civ., 1er févr. 2012).

Si ces exigences sont respectées, la valeur probatoire du rapport est nettement renforcée. Le juge peut alors s’appuyer largement sur ses conclusions, sans être obligé de recourir à une expertise judiciaire complémentaire, dès lors qu’il s’estime suffisamment éclairé. En revanche, une expertise menée sans contradictoire ne peut pas être « rattrapée » simplement parce qu’elle est débattue ensuite devant le tribunal : dans ce cas, le rapport ne pourra pas suffire à lui seul pour fonder la décision.

Deux enseignements se dégagent de la jurisprudence :

Enfin, le contradictoire n’impose pas une présence constante des parties à toutes les étapes matérielles de l’expertise. Certaines vérifications peuvent être effectuées sans elles, à condition que leurs résultats soient ensuite portés à leur connaissance et puissent donner lieu à observations (Cass. 2e civ., 13 janv. 2005).

==>Expertise conjointe (expert unique accepté des deux)

Lorsque les parties s’entendent pour confier la mission d’évaluation à un expert unique, on parle d’expertise conjointe. Cette modalité demeure une expertise amiable : elle ne produit pas, en elle-même, d’effet obligatoire à l’égard des tiers ni du juge. Toutefois, sa valeur probatoire est renforcée dès lors que le déroulement de l’expertise respecte les exigences du contradictoire. Cela suppose que l’expert convoque les parties, recueille leurs observations, leur communique un pré-rapport et, in fine, rédige un rapport définitif détaillant les méthodes employées, les chiffrages retenus ainsi que les éventuels points de désaccord.

Si malgré ces garanties un désaccord persiste, les polices d’assurance prévoient souvent la mise en œuvre d’une tierce expertise. Dans ce cas, chaque partie désigne son propre expert, et ces deux experts choisissent ensemble un troisième, appelé « tiers-expert », chargé de les départager. Les trois experts travaillent alors collégialement et arrêtent leurs conclusions à la majorité des voix. Lorsque les deux premiers experts ne parviennent pas à s’entendre sur le choix du tiers, ou si l’une des parties refuse de nommer son expert, le président du tribunal judiciaire (ou du tribunal de commerce compétent) peut procéder à cette désignation sur simple requête.

iii. Le déroulement de l’expertise amiable contradictoire

Le respect du contradictoire n’est pas un principe abstrait : il se traduit concrètement par une série d’étapes destinées à garantir l’équilibre de la procédure et l’opposabilité du rapport. L’expertise amiable contradictoire suit ainsi une méthodologie bien établie, que la doctrine et la pratique professionnelle décrivent avec précision.

La première étape consiste dans la désignation des experts. Chaque partie est libre de choisir le sien, dans les conditions prévues par la police. Certains contrats prévoient même des clauses de récusation, permettant d’écarter un expert dont l’indépendance serait mise en cause. Cette faculté constitue une première garantie d’équité.

Une fois désignés, les experts procèdent à la convocation des parties intéressées. L’assuré, l’assureur, mais aussi, le cas échéant, les tiers responsables ou leurs propres assureurs, doivent être appelés à participer aux opérations. C’est à ce stade que les pièces utiles à l’évaluation sont échangées afin que chacun dispose des mêmes informations.

Vient ensuite la phase de constatation matérielle. Les experts procèdent à l’inventaire des pertes et à l’évaluation des mesures de sauvetage. Cette étape est déterminante car elle fonde le chiffrage ultérieur de l’indemnité. Elle doit se dérouler en présence des parties ou, à tout le moins, donner lieu à un compte rendu qui puisse être discuté.

L’expertise se poursuit par la formulation d’observations (souvent appelées « dires »). Chaque partie peut commenter les constats, contester certains points et apporter des précisions. L’expert est alors tenu d’y répondre de manière motivée, garantissant que le débat technique ne soit pas réduit à une formalité.

Sur cette base, les experts procèdent à l’arrêté des dommages. Ils déterminent la valeur des biens ou le montant des pertes en suivant les principes prévus par le contrat (valeur à neuf, valeur vénale, modalités de calcul des pertes d’exploitation, etc.). La police d’assurance joue ici un rôle central puisqu’elle encadre la méthode de chiffrage.

Enfin, l’ensemble des opérations est consigné dans un procès-verbal d’expertise. Ce document reprend les constats, le chiffrage retenu et, le cas échéant, les divergences subsistantes entre les experts ou les parties. Il est ensuite communiqué à tous, de manière à ce que chacun puisse en débattre.

Ce formalisme n’a rien de superflu. Il constitue la traduction concrète du contradictoire et conditionne la recevabilité du rapport devant le juge. Un rapport qui ne respecterait pas ces garanties risquerait de perdre une grande partie de sa force probatoire. À l’inverse, lorsque toutes ces étapes sont respectées, le juge peut retenir les conclusions de l’expertise amiable comme base sérieuse et suffisante pour fixer l’indemnité due.

iv. La tierce expertise

Lorsque deux experts désignés par les parties ne parviennent pas à s’entendre sur l’évaluation des dommages, la procédure prévoit le recours à une tierce expertise. Il s’agit d’un mécanisme d’arbitrage technique destiné à départager les experts et à éviter que le litige ne bascule immédiatement devant le juge.

Concrètement, chacun des deux experts nommés par les parties choisit un tiers-expert chargé de trancher les divergences. Les trois experts travaillent alors de manière collégiale et rendent une décision adoptée à la majorité des voix. Ce mode de fonctionnement vise à garantir un équilibre : aucun expert ne peut imposer seul son analyse, et la solution résulte d’une confrontation argumentée entre professionnels.

Si les deux experts ne parviennent pas à s’accorder sur le choix du tiers, ou si l’une des parties refuse de désigner son propre expert, la loi prévoit une solution : le président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent peut procéder à cette nomination sur requête de la partie la plus diligente, après mise en demeure restée infructueuse.

La question des honoraires est également encadrée par les polices d’assurance. En règle générale, chaque partie supporte les frais de son expert et les honoraires du tiers-expert sont partagés par moitié. Ce partage a pour finalité d’inciter les parties à rechercher un accord préalable et à éviter de multiplier les coûts.

Ce dispositif, bien connu dans les assurances de dommages et même intégré à certaines conventions inter-assureurs, joue un rôle d’outil de régulation. En instituant un mécanisme d’arbitrage technique, il permet souvent de trouver une solution définitive sans passer par une expertise judiciaire. Cela participe à la célérité du règlement des sinistres et contribue à limiter les contentieux, tout en renforçant la confiance dans la valeur probatoire de l’expertise amiable.

v. Les effets de l’expertise amiable

L’expertise amiable, lorsqu’elle est régulièrement menée, produit des effets à deux niveaux : dans la relation contractuelle entre l’assureur et l’assuré, et dans le cadre d’un éventuel procès judiciaire.

==>Effets dans la relation contractuelle

Entre les parties au contrat, un rapport d’expertise amiable correctement conduit exerce un poids déterminant lors de la négociation de l’indemnité. Bien qu’il n’ait pas par lui-même de caractère obligatoire, il fournit une base technique difficilement contestable, surtout lorsqu’il est contradictoire. Certaines polices prévoient même que l’indemnisation soit conditionnée à la production d’un tel rapport. L’assureur conserve toutefois une marge d’appréciation : il peut décider de suivre les conclusions de l’expert ou, dans certains cas, de les discuter s’il estime qu’elles excèdent la garantie prévue par la police. L’expertise a donc valeur de référence, sans pour autant figer absolument le règlement du sinistre.

==>Effets dans le procès judiciaire

La valeur probatoire de l’expertise amiable varie selon les conditions dans lesquelles elle a été réalisée :

Dans tous les cas, deux éléments sont décisifs pour apprécier la valeur de l’expertise amiable : d’une part, le respect des stipulations contractuelles qui organisent la procédure d’estimation (art. L. 112-1 C. assur.) ; d’autre part, la traçabilité du contradictoire (convocations, dires des parties, réponses de l’expert). Ces garanties conditionnent la recevabilité du rapport et la confiance que le juge pourra lui accorder.

d. Les modalités spécifiques de l’expertise amiable

Si le principe de l’expertise amiable est commun à toutes les assurances de dommages, sa mise en œuvre varie selon la nature du sinistre et les pratiques propres à chaque secteur. Les contrats d’assurance prévoient le plus souvent des procédures détaillées, destinées à encadrer le travail des experts et à garantir le respect du contradictoire.

i. Cadre commun

Dans la plupart des polices, chaque partie désigne un expert pour défendre ses intérêts. Les experts procèdent ensemble à l’évaluation des pertes, consignent leurs constatations dans un procès-verbal et, en cas de désaccord persistant, déclenchent une tierce expertise.

Ce mécanisme est d’ailleurs prévu par les articles 1592 et suivants du Code de procédure civile: un troisième expert est alors choisi d’un commun accord ou, à défaut, désigné par le président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce compétent. Les trois experts statuent à la majorité, et leurs conclusions fixent la base technique de l’indemnisation. Ce système vise à éviter la judiciarisation immédiate et à conférer à l’expertise amiable une autorité renforcée.

ii. Règles spéciales

==>L’expertise en matière de pertes d’exploitation

Dans les assurances couvrant les pertes d’exploitation, la mission de l’expert se déroule en plusieurs phases.

==>L’expertise en assurance dommages-ouvrage

En matière de construction, le rôle de l’expertise amiable est encadré par les clauses types imposées par l’article A. 243-1 du Code des assurances. Ces clauses fixent une procédure stricte : désignation rapide d’un expert après la déclaration du sinistre, respect de délais impératifs pour la communication des conclusions, établissement d’un rapport motivé.

L’objectif est d’assurer une indemnisation rapide du maître d’ouvrage afin que les travaux de réparation puissent être entrepris sans attendre l’issue d’un éventuel contentieux. La Cour de cassation a confirmé que l’assureur dommages-ouvrage n’est pas systématiquement tenu de désigner un expert si la mise en jeu de la garantie apparaît manifestement injustifiée (Cass. 3e civ., 17 mars 2004, n° 02-17.355).

==>L’expertise automobile

Dans le domaine de l’automobile, l’expertise occupe une place centrale. Elle est encadrée par le Code de la route (art. L. 326-1 s.) et suppose que l’expert soit inscrit sur une liste préfectorale. Sa mission ne se limite pas au chiffrage des réparations : il doit également vérifier les conditions de sécurité du véhicule et, le cas échéant, délivrer une attestation de conformité. Ici encore, le contradictoire est essentiel, notamment lorsque l’assuré conteste le montant retenu pour la valeur de remplacement.

==>L’expertise médicale

En matière de dommages corporels, l’expertise médicale obéit à des règles spécifiques. Réalisée par un médecin-expert, elle consiste à apprécier l’état de santé de la victime, les séquelles, le taux d’incapacité et les besoins éventuels en assistance. La jurisprudence exige la mise en place effective d’une procédure contradictoire : la victime doit être convoquée, assister à l’examen et avoir la possibilité de se faire assister par son propre médecin-conseil. À défaut, le rapport médical risque d’être écarté ou fortement relativisé dans sa valeur probatoire.

==>Autres domaines particuliers

Au-delà des branches classiques, l’expertise amiable connaît des déclinaisons spécifiques adaptées aux besoins de certains secteurs.

En assurance des risques industriels, la technicité des installations impose souvent la présence de plusieurs experts spécialisés, issus de disciplines différentes (ingénierie, chimie, électronique, etc.). L’évaluation se fait alors de manière collective et pluridisciplinaire, afin de cerner avec précision la nature et l’ampleur des dommages.

Certaines polices prévoient en outre la prise en charge des honoraires d’experts d’assuré. Cette stipulation vise à rétablir l’équilibre du débat contradictoire, en permettant à l’assuré de se faire assister par son propre technicien face à l’expert mandaté par la compagnie. Ce mécanisme est particulièrement utile dans les sinistres complexes ou à fort enjeu financier.

Enfin, les conventions inter-assureurs ont parfois institué des procédures d’expertise simplifiées pour le règlement de sinistres collectifs ou de masse, notamment à la suite de catastrophes naturelles. Ces dispositifs permettent de raccourcir les délais et d’assurer une indemnisation rapide des victimes, sans sacrifier pour autant le principe du contradictoire.

Ainsi, l’expertise amiable ne se présente pas comme un modèle uniforme. Ses modalités varient selon la nature du risque, l’importance des dommages et les clauses contractuelles applicables. Mais derrière cette diversité, l’objectif demeure le même : offrir une évaluation contradictoire, précise et crédible des pertes subies, afin de faciliter une indemnisation rapide et équitable, sans qu’il soit nécessaire de recourir immédiatement à l’expertise judiciaire.

1.2. L’expertise judiciaire

L’évaluation d’un sinistre constitue une étape décisive dans le processus d’indemnisation. Elle permet de fixer le montant de la prestation due par l’assureur et, le cas échéant, de déterminer l’étendue des recours contre un tiers responsable. Lorsque l’expertise amiable aboutit à un accord, le règlement intervient rapidement, sans intervention du juge. Mais cette voie amiable échoue souvent : désaccord sur l’origine du dommage, contestation du montant des pertes, incertitude sur l’application de la garantie. Dans ces situations, seule l’expertise judiciaire permet de débloquer la discussion et d’éclairer le litige.

Encadrée par le Code de procédure civile (art. 143 et 232 s.), l’expertise judiciaire présente deux caractéristiques essentielles qui la distinguent de l’expertise amiable. D’une part, la désignation de l’expert relève du juge, qui choisit un technicien inscrit sur une liste officielle établie par les cours d’appel ou la Cour de cassation. Ce mode de désignation assure un contrôle institutionnel minimal de la compétence et de l’indépendance de l’expert. D’autre part, le rapport produit bénéficie d’une portée probatoire supérieure, car il est établi sous la surveillance du magistrat et dans le respect du contradictoire. Le juge reste libre dans son appréciation, mais il peut, s’il estime le rapport complet et rigoureux, fonder sa décision exclusivement sur ses conclusions — ce qui n’est pas admis pour une expertise amiable.

L’expertise judiciaire poursuit ainsi une double finalité. Elle fournit au juge l’éclairage technique indispensable pour statuer en connaissance de cause. Elle offre aussi aux parties un cadre contradictoire où chacun peut présenter ses observations et contester les éléments adverses, de sorte que le rapport final constitue une base commune de discussion. Ce double rôle, à la fois informatif et procédural, explique la place centrale de l’expertise judiciaire dans le règlement des litiges d’assurance.

Reste à examiner les conditions de recours à cette mesure, le déroulement de la mission d’expertise et les garanties offertes aux parties, ainsi que la valeur et les effets probatoires du rapport qui en résulte.

a. Le recours à l’expertise judiciaire

i. Les cas de recours à l’expertise judiciaire

Le recours à une expertise judiciaire est susceptible d’intervenir dans trois situations:

ii. Fondements de l’expertise judiciaire et statuts des experts

L’expertise judiciaire trouve son fondement dans les articles 143 et 232 et suivants du Code de procédure civile. L’article 143 confère au juge le pouvoir d’ordonner toute mesure d’instruction « légalement admissible », tandis que l’article 232 prévoit expressément la possibilité de commettre un technicien pour éclairer le tribunal sur des éléments techniques. Le juge conserve une large liberté d’appréciation pour décider de l’opportunité d’une expertise, mais il doit définir avec précision la mission confiée à l’expert.

La qualité d’expert judiciaire est régie par la loi du 29 juin 1971 et le décret du 23 décembre 2004. Ces textes instituent un système d’inscription sur des listes d’experts tenues au niveau des cours d’appel et de la Cour de cassation. L’inscription est soumise à des conditions de compétence, de moralité et d’expérience, et elle est révisée périodiquement. Cette organisation vise à assurer le sérieux, l’impartialité et la compétence des experts appelés à intervenir dans les procédures judiciaires.

En pratique, le juge choisit l’expert sur la liste établie par la cour d’appel dans le ressort de laquelle il statue, ou sur la liste nationale tenue par la Cour de cassation. Cette inscription constitue une garantie institutionnelle : elle atteste que l’expert dispose des connaissances techniques requises et qu’il a satisfait aux exigences de compétence et de probité fixées par les textes. Toutefois, le juge conserve la faculté de désigner un expert extérieur aux listes, dès lors que les circonstances le justifient, mais cette désignation reste exceptionnelle.

L’expert judiciaire n’agit pas de manière autonome : sa mission est strictement définie par l’ordonnance de désignation. Il ne dispose pas du pouvoir de trancher le litige, mais uniquement d’éclairer le juge par des constatations, analyses et évaluations techniques. Sa fonction est donc limitée à l’information, et son rapport ne lie pas le tribunal, qui conserve toujours son pouvoir souverain d’appréciation.

b. Le déroulement de l’expertise judiciaire

i. La désignation et la mission de l’expert

L’expertise judiciaire débute par la désignation de l’expert par le juge. Cette désignation peut intervenir soit en référé, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile lorsqu’il s’agit de conserver ou d’établir une preuve avant tout procès, soit au cours de l’instance au fond, sur le fondement des articles 232 et suivants du même code. Le juge choisit en principe l’expert sur les listes établies par les cours d’appel ou par la Cour de cassation, garantissant ainsi que le technicien retenu dispose des compétences techniques et de l’expérience nécessaires.

La mission de l’expert est définie par l’ordonnance de désignation. Cette mission doit être précise et circonscrire le champ de l’intervention : constater des faits, analyser les causes du sinistre, chiffrer les dommages ou répondre à des questions techniques déterminées. L’expert n’a pas pour rôle de trancher le litige ni d’interpréter le contrat, mais uniquement de fournir au juge des éléments techniques pour éclairer sa décision. Cette limitation découle directement du principe selon lequel l’expertise est une mesure d’instruction et non un transfert de pouvoir juridictionnel.

ii. Le principe du contradictoire

Le déroulement de l’expertise judiciaire repose sur le respect scrupuleux du contradictoire, consacré par l’article 16 du Code de procédure civile. Dès sa désignation, l’expert convoque toutes les parties intéressées afin qu’elles puissent participer aux opérations et présenter leurs observations. Les pièces communiquées par une partie doivent être transmises à l’ensemble des autres, afin que chacune dispose des mêmes éléments pour débattre.

Les opérations techniques sont organisées de manière à assurer un débat effectif. Dans la pratique, l’expert procède souvent à la rédaction d’un pré-rapport dans lequel il expose ses premières constatations et propositions. Ce document est soumis aux observations des parties, qui peuvent formuler leurs “dires” par écrit. L’expert est tenu d’y répondre de manière motivée, et cette correspondance doit figurer dans le rapport final. Cette phase de discussion écrite est essentielle : elle garantit que les arguments et contestations des parties ont été entendus et examinés.

Le contradictoire s’applique également aux investigations matérielles. Si l’expert effectue seul certaines vérifications ou essais techniques, il doit ensuite en communiquer les résultats aux parties afin qu’elles puissent en débattre avant le dépôt du rapport. La jurisprudence admet que toutes les opérations ne nécessitent pas la présence constante des parties, mais impose que les résultats essentiels soient soumis à discussion contradictoire avant que le rapport ne soit remis au juge (Cass. 2e civ., 13 janv. 2005).

Focus: les dires dans l’expertise judiciaire

==>Définition et fonction

Le dire est un écrit adressé par une partie (ou son conseil) à l’expert judiciaire pendant le déroulement de l’expertise. Il s’agit d’une observation, d’une demande ou d’une contestation relative aux opérations en cours. Les dires constituent l’outil par excellence du contradictoire: ils permettent aux parties d’exprimer leurs arguments techniques ou juridiques, de réagir aux constatations de l’expert ou aux observations adverses, et d’infléchir le contenu du rapport final.

En pratique, tout ce qui n’est pas formulé dans un dire risque de ne pas apparaître dans le rapport. C’est pourquoi les praticiens considèrent qu’un dossier d’expertise se “joue” largement par la qualité et la pertinence des dires.

==>Cadre procédural

Le Code de procédure civile ne définit pas expressément le dire, mais son existence découle du principe du contradictoire (art. 16 CPC). L’expert doit recueillir les observations écrites des parties, y répondre de manière motivée, et annexer l’ensemble de ces documents à son rapport. La jurisprudence est constante : un rapport d’expertise est irrégulier si l’expert ne répond pas aux dires qui lui ont été adressés (Cass. 2e civ., 8 juin 2000).

Ainsi, le dire est un droit pour les parties et une obligation de prise en compte pour l’expert.

==>Contenu et rédaction

Un dire peut porter sur différents aspects de la mission :

Sur la forme, le dire doit être rédigé de manière claire et concise. La pratique recommande :

L’expert doit ensuite répondre point par point et annexer le dire ainsi que sa réponse au rapport.

==>Les canons d’usage en pratique

La pratique judiciaire a dégagé quelques règles implicites, qui constituent les “canons” de l’usage des dires :

iii. Le rôle du juge dans le contrôle de l’expertise

L’expert agit sous la supervision du juge, qui demeure le maître de la mesure d’instruction. Dans certaines juridictions, un magistrat est expressément désigné comme juge du contrôle des expertises. Il est chargé de veiller au bon déroulement des opérations et de statuer sur les incidents qui peuvent survenir.

Ces incidents sont variés : une partie peut demander la récusation de l’expert en cas de doute sur son impartialité, solliciter sa substitution pour cause d’empêchement, ou contester la régularité de certaines opérations. Le juge du contrôle tranche également les difficultés relatives au calendrier ou aux prorogations de délais.

La question des frais et honoraires fait également partie de la supervision du juge. Lors de la désignation, celui-ci fixe une consignation à verser à titre de provision sur la rémunération de l’expert (art. 269 C. pr. civ.). Les honoraires définitifs sont ensuite taxés par ordonnance, en fonction de la durée des opérations, de leur complexité et de l’utilité du rapport pour la solution du litige. Cette taxation peut faire l’objet d’un recours. La répartition finale des frais entre les parties relève du jugement au fond, qui peut en mettre la charge à la partie perdante ou décider d’un partage en fonction des circonstances.

c. Les sanctions en cas d’irrégularité

i. La solution dégagée par la jurisprudence

La jurisprudence a longtemps hésité sur la sanction applicable en cas d’irrégularité dans la conduite d’une expertise judiciaire. Certains arrêts retenaient que le rapport était purement inopposable à la partie qui n’avait pas pu participer aux opérations. D’autres, au contraire, considéraient qu’il devait être pris en compte comme une preuve parmi d’autres, le juge restant libre de l’apprécier.

Cette incertitude a été levée par un arrêt important rendu par la Cour de cassation, réunie en chambre mixte, le 28 septembre 2012. L’affaire concernait un assureur qui réclamait l’indemnisation d’un sinistre sur la base d’un rapport établi par l’expert qu’il avait mandaté seul. Ses prétentions reposaient uniquement sur ce document. La cour d’appel avait écarté le rapport en raison de son caractère non contradictoire.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a confirmé la décision en posant une règle désormais constante :

« si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande de l’une des parties » (Cass. ch. mixte, 28 sept. 2012, n° 11-18.710).

Cette solution écarte l’idée d’une inopposabilité automatique : un rapport unilatéral produit régulièrement aux débats et discuté contradictoirement doit être pris en considération. Mais il ne peut suffire, à lui seul, à fonder la décision du juge.

La sanction n’est donc pas l’exclusion de la pièce, mais son utilisation limitée : elle ne peut constituer le seul support de la décision. Juridiquement, l’irrégularité relève du régime des nullités de procédure prévu à l’article 175 du Code de procédure civile. Le rapport reste présent dans le débat, mais il doit être complété ou corroboré par d’autres éléments pour emporter la conviction du juge.

ii. L’exigence d’un grief pour obtenir la nullité

L’arrêt de la chambre mixte du 28 septembre 2012 a confirmé que l’irrégularité d’une expertise judiciaire n’entraîne pas automatiquement son annulation. Pour qu’une nullité soit prononcée, la partie qui la demande doit démontrer l’existence d’un grief, c’est-à-dire prouver que la violation du contradictoire a réellement porté atteinte à ses droits de défense.

La jurisprudence fournit plusieurs exemples. Lorsqu’une partie n’a pas été convoquée à une réunion d’expertise, elle est privée de la possibilité de présenter ses arguments ou de contester les constatations de l’expert : le grief est alors évident, et la nullité du rapport doit être prononcée. De même, si l’expert procède à des vérifications techniques sans en communiquer les résultats aux parties pour qu’elles puissent en débattre, le principe du contradictoire est méconnu et le rapport est frappé de nullité (Cass. 1re civ., 1er févr. 2012).

En revanche, certaines irrégularités ne suffisent pas à justifier la nullité. Un retard dans l’envoi d’une convocation, une erreur matérielle corrigée avant la réunion, ou tout autre incident sans conséquence réelle sur la possibilité de participer utilement aux opérations ne constituent pas un grief au sens de l’article 175 du Code de procédure civile. Dans ces hypothèses, le rapport reste valable et peut être pris en compte par le juge.

d. La force probante et l’opposabilité de l’expertise judiciaire

L’expertise judiciaire, ordonnée par le juge, bénéficie d’une autorité particulière. Conduite par un expert inscrit sur une liste et agissant sous le contrôle juridictionnel, elle constitue un élément de preuve essentiel. Si le juge conserve son pouvoir souverain d’appréciation, il peut, lorsqu’il estime le rapport complet et contradictoire, fonder sa décision uniquement sur ses conclusions. Cette force probante distingue l’expertise judiciaire de l’expertise amiable, dont la portée demeure limitée.

A cet égard, dans un arrêt du 19 juin 1991, la Cour de cassation a précisé que l’expertise judiciaire est opposable à l’assureur dès lors qu’il a eu connaissance du rapport et la possibilité d’en discuter les conclusions, sauf fraude. Dans cette affaire, un assureur contestait l’opposabilité d’une expertise judiciaire au motif qu’il n’avait pas été partie à la procédure ayant abouti à la désignation de l’expert. La Cour de cassation a censuré cette position et jugé que « la décision judiciaire, qui condamne un assuré à raison de sa responsabilité, constitue pour l’assureur, qui a garanti celle-ci, la réalisation, tant dans son principe que dans son étendue, du risque couvert ; il en découle que l’assureur qui, en connaissance des résultats de l’expertise dont le but était d’établir la réalité et l’étendue du sinistre, a eu la possibilité d’en discuter les conclusions, ne peut, sauf s’il y a eu fraude à son encontre, soutenir qu’elle lui est inopposable. » (Cass. 3e civ., 19 juin 1991, n°89-16.599).

Autrement dit, dès lors qu’une partie a eu la possibilité de discuter contradictoirement le rapport, elle ne peut plus contester son opposabilité. Le seul fait de ne pas avoir été formellement partie à la désignation de l’expert ne suffit pas à écarter ses conclusions.

La question se pose également lorsqu’un rapport a été réalisé dans une autre procédure (par exemple devant le juge pénal ou dans une instance civile distincte). Sur ce point, la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 22 novembre 2012, qu’une expertise ordonnée dans une autre instance peut être utilisée dans un procès ultérieur à condition d’être régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire des parties (Cass. 2e civ., 22 nov. 2012, n°10-26.198 10).

La Haute juridiction a rejeté l’argument selon lequel un tel rapport, établi dans un autre cadre procédural, serait inopposable : tant que les parties au nouveau litige peuvent le contester et débattre de ses conclusions, le juge peut s’y référer.

Cette jurisprudence a été confirmée à plusieurs reprises (Cass. 2e civ., 29 sept. 2016).

En définitive, la valeur probatoire d’une expertise judiciaire repose entièrement sur le respect du contradictoire.

2. Détermination du montant de la prestation

2.1. Les principes directeurs gouvernant la détermination du montant de la prestation

a. Le principe indemnitaire

i. Assurances de dommages vs assurances de personnes

La détermination du montant de la prestation d’assurance obéit à deux logiques radicalement différentes, selon que l’on se trouve en présence d’une assurance de personnes ou d’une assurance de dommages.

Dans les assurances de personnes – à l’exception de l’assurance-vie qui relève d’un régime spécifique – prévaut le principe forfaitaire. L’article L. 131-1, alinéa 1er du Code des assurances dispose que « les sommes assurées sont fixées par le contrat ». Concrètement, l’assureur s’engage à verser un capital ou une rente dont le montant est déterminé dès la conclusion du contrat, sans considération du préjudice réellement subi. Ainsi, un contrat d’accident peut prévoir le versement d’un capital déterminé en cas de décès ou d’invalidité, indépendamment des pertes économiques ou patrimoniales effectivement constatées. La jurisprudence confirme cette autonomie : la prestation contractuelle ne s’impute pas sur l’indemnité réparant un dommage corporel allouée en droit commun ; elle se cumule avec celle-ci (Cass. 2e civ., 23 sept. 1999, n° 97-21.279). Certes, la Cour de cassation a admis que certaines garanties de personnes pouvaient revêtir un caractère indemnitaire, mais il s’agit d’exceptions. En principe, la prestation demeure forfaitaire : son montant est fixé par avance et non ajusté en fonction du dommage.

Les assurances de dommages obéissent, à l’inverse, au principe indemnitaire, énoncé à l’article L. 121-1 du Code des assurances : « l’assurance relative aux biens est un contrat d’indemnité ; l’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne peut pas dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre ». Ici, le contrat a pour fonction de replacer l’assuré dans la situation où il se trouvait avant le sinistre, sans gain ni perte. Le montant de l’indemnité doit donc correspondre exactement au dommage subi. La Cour de cassation veille à l’application stricte de ce principe : l’indemnité doit être limitée à la valeur réelle du bien au jour du sinistre, même si un capital déclaré ou une valeur agréée a été stipulé (Cass. 1re civ., 13 mai 1997, n°95-15.237). De même, dans les assurances en valeur à neuf, conçues pour compenser la dépréciation liée à l’usage et au temps, le versement du complément d’indemnité n’est possible que si l’assuré procède effectivement à la reconstruction ou au remplacement du bien. Ce complément n’est pas automatique : il est subordonné à la justification des travaux, généralement par la production de factures (Cass. 1re civ., 4 déc. 2001, n°98-18.766).

En définitive, deux logiques distinctes coexistent. Les assurances de personnes reposent sur un mécanisme forfaitaire : la prestation – capital ou rente – est fixée par avance, sans lien direct avec l’ampleur du dommage. À l’inverse, les assurances de dommages obéissent au principe de la réparation intégrale : l’indemnité doit replacer l’assuré dans la situation qui était la sienne avant le sinistre, ni plus ni moins. L’assuré ne peut tirer bénéfice de la réalisation du risque, mais il doit être indemnisé de l’intégralité de la perte subie, dans les limites légales et contractuelles.

C’est pourquoi la question de l’évaluation du montant de la prestation se pose avant tout en assurance de dommages. Dans les assurances de personnes, le montant est déterminé ex ante par le contrat, et il n’y a pas lieu de rechercher la correspondance avec un préjudice concret. En revanche, en assurance de dommages, l’indemnité varie nécessairement en fonction de la valeur du bien ou de l’étendue du dommage. Il faut donc fixer avec précision le moment et les modalités de cette évaluation, afin de garantir le respect du principe indemnitaire et d’éviter à la fois l’enrichissement de l’assuré et son appauvrissement injustifié.

ii. Le moment de l’évaluation

La mise en œuvre du principe indemnitaire suppose de déterminer à quel moment la valeur du dommage doit être appréciée. Cette question est centrale en assurance de dommages, puisque l’indemnité doit correspondre à la perte réellement subie, sans excéder ni réduire cette perte. Elle s’efface en revanche dans les assurances de personnes, où la prestation est fixée d’avance par le contrat, indépendamment de toute référence à un dommage concret.

En assurance de biens, le principe indemnitaire impose que l’indemnité soit calculée en fonction de la valeur de la chose au moment du sinistre. L’article L. 121-1 du Code des assurances le rappelle expressément : l’indemnité « ne peut pas dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre ».

La Cour de cassation veille à ce que cette règle soit strictement appliquée. Dans une affaire concernant le vol de pièces d’or acquises en Turquie, la Cour d’appel avait évalué l’indemnité en convertissant la valeur des factures selon le taux de change en vigueur au jour de sa décision, et non à la date du sinistre. La Deuxième chambre civile a cassé l’arrêt, en jugeant qu’« il ne pouvait être procédé à la conversion selon le taux applicable au jour de la décision » et que seule la valeur du bien au jour du sinistre devait être retenue (Cass. 2e civ., 8 juill. 2021, n° 20-10.575).

Cette solution illustre le rôle protecteur du principe indemnitaire : l’indemnité doit refléter la perte réellement subie par l’assuré au moment où le risque se réalise. La fixation par référence à un élément ultérieur, tel qu’un taux de change ou une variation de marché, revient à altérer cette correspondance et à rompre l’équilibre voulu par le législateur.

En assurance de responsabilité, la logique est différente. L’indemnité ne vise pas à compenser la perte d’un bien de l’assuré, mais à réparer le préjudice subi par un tiers du fait de l’assuré. Or ce préjudice peut évoluer dans le temps : il peut s’aggraver ou, au contraire, se consolider. Figer l’évaluation au seul jour du fait générateur reviendrait à indemniser un dommage partiel ou hypothétique.

C’est précisément ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans une affaire où le propriétaire d’un véhicule de collection détruit lors d’une tempête recherchait la garantie de l’assureur responsabilité civile du garagiste qui en avait la garde. La Cour d’appel avait limité l’indemnité à la valeur du véhicule au jour du sinistre, sur le fondement de l’article L. 121-1 du Code des assurances. La Cour de cassation a censuré cette décision : elle a jugé que, dès lors que l’action tendait à la réparation du préjudice sur le fondement de la responsabilité civile, le dommage devait être évalué au jour de la décision, et non au jour du sinistre (Cass. 2e civ., 12 mai 2010, n° 09-12.056).

Cette solution illustre la spécificité de l’assurance de responsabilité : l’indemnité doit refléter le préjudice réellement éprouvé par la victime au moment où le juge statue, conformément au principe de réparation intégrale, et non une évaluation figée à la date du fait générateur.

Ainsi, le moment de l’évaluation traduit la finalité propre de chaque type d’assurance : dans l’assurance de biens, assurer la stricte compensation d’une perte patrimoniale constatée à un instant donné ; dans l’assurance de responsabilité, indemniser un préjudice évolutif, apprécié au moment où il est définitivement reconnu par le juge.

b. Les correctifs au principe indemnitaire

Si le principe indemnitaire interdit toute indemnisation excédant la valeur réelle de la perte, son application ne se fait pas dans l’absolu. Il est encadré et modulé par un ensemble de règles qui en assurent la mise en œuvre concrète. Certaines sont d’origine légale : elles précisent par exemple si l’indemnité doit être calculée toutes taxes comprises ou hors taxes, ou encore si l’assuré est libre d’affecter les fonds perçus à l’usage de son choix. D’autres correctifs relèvent de la liberté contractuelle : plafonds de garantie, franchises ou règles proportionnelles viennent ajuster la charge de l’assureur et déterminer la part laissée à la charge de l’assuré.

Ces mécanismes, qu’ils soient légaux ou conventionnels, traduisent une même exigence : assurer le respect du principe indemnitaire en évitant tout enrichissement injustifié de l’assuré, tout en permettant aux parties d’aménager la portée de la garantie dans des limites admises par la loi.

i. Les correctifs légaux

Le principe indemnitaire, posé par l’article L. 121-1 du Code des assurances, veut que l’indemnité corresponde à la valeur du bien au moment du sinistre, sans excéder le dommage réel. Mais sa mise en œuvre pratique appelle certains ajustements, que le législateur et la jurisprudence ont précisés. Deux points principaux se dégagent : la question de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et celle du libre emploi des fonds d’indemnisation.

==>La question de la TVA

Le traitement de la TVA illustre la recherche d’un équilibre entre respect du principe indemnitaire et neutralité fiscale. L’indemnité doit refléter la dépense réelle que l’assuré devra engager pour remettre le bien en état, ce qui dépend de sa situation au regard de la TVA.

Lorsque l’assuré n’est pas assujetti à la TVA et ne peut donc pas la récupérer, l’indemnité doit être calculée toutes taxes comprises. La Cour de cassation l’a jugé dans une affaire où l’assuré n’avait pas justifié de son assujettissement : faute de preuve, l’indemnité a été fixée hors taxe (Cass. 1re civ., 15 janv. 2002, n° 98-20.945). L’assuré doit donc démontrer qu’il supporte effectivement la taxe pour obtenir une indemnité TTC.

À l’inverse, lorsque l’assuré est assujetti à la TVA, il peut la déduire ou la récupérer ; l’indemnité est alors calculée hors taxes, afin d’éviter tout enrichissement indu (Cass. 1re civ., 15 déc. 1998, n° 96-20.969).

Des situations particulières ont été précisées : si l’assuré était assujetti à la TVA au moment du sinistre mais qu’il a cessé de l’être avant le règlement de l’indemnité, celle-ci doit inclure la taxe, puisqu’il n’est plus en mesure de la récupérer (Cass. 1re civ., 1er déc. 1998, n° 96-21.278).

Pour les personnes morales de droit public, le Conseil d’État et la Cour de cassation imposent également une indemnisation TTC. En effet, le FCTVA (fonds de compensation de la TVA) ne permet pas une récupération intégrale et immédiate de la taxe. Dès lors, l’assureur doit indemniser sur la base du coût TTC des travaux (CE, 19 avr. 1991).

Enfin, dans le domaine spécifique du crédit-bail, le Conseil d’État a jugé que les indemnités versées à la société de crédit-bail pour compenser la perte de véhicules loués n’avaient pas à être soumises à la TVA. Ces indemnités ne rémunèrent pas une prestation de services, mais visent uniquement à compenser une perte patrimoniale (CE, 29 juill. 1998).

Il ressort de cette jurisprudence que le traitement de la TVA constitue un véritable correctif légal au principe indemnitaire, garantissant que l’indemnité couvre les charges réelles de l’assuré, sans constituer une source de profit.

==>Le libre emploi des fonds

Autre correctif légal : la détermination de la liberté dont dispose l’assuré dans l’usage de l’indemnité perçue. En principe, la Cour de cassation reconnaît à l’assuré une liberté totale: il n’est pas tenu de consacrer les sommes versées à la remise en état du bien endommagé, ni de justifier de l’usage des fonds. L’indemnité compense le préjudice patrimonial causé par le sinistre, mais son affectation relève du choix de l’assuré (Cass. 3e civ., 7 déc. 1994).

Cette liberté connaît toutefois des exceptions, dictées par des considérations d’ordre public :

En matière d’assurance dommages-ouvrage, l’article L. 242-1 du Code des assurances impose que l’indemnité soit affectée au financement des travaux de réparation des désordres de nature décennale. La Cour de cassation a confirmé que cette affectation obligatoire écarte la règle de libre disposition (Cass. 3e civ., 17 déc. 2003, n° 01-17.608).

En matière de dommages environnementaux, l’article L. 121-17 du Code des assurances prévoit que les indemnités perçues pour des dommages causés à un immeuble bâti doivent être utilisées pour la remise en état de l’immeuble ou de son terrain, d’une manière compatible avec l’environnement. La Cour de cassation a précisé que ce texte s’applique à toutes les assurances de dommages, et non aux seules catastrophes naturelles (Cass. 2e civ., 18 avr. 2019, n° 18-13.371). Elle a également jugé que si le versement de l’indemnité n’est pas subordonné à la réalisation préalable des travaux, l’assureur peut obtenir restitution si l’assuré n’a pas affecté les sommes aux mesures prescrites par arrêté municipal (Cass. 2e civ., 29 mars 2006, n° 05-10.841).

Ces exceptions demeurent limitées, mais elles soulignent que le principe de libre emploi cède lorsqu’il existe une exigence supérieure d’intérêt général – protection des acquéreurs d’immeubles, sécurité environnementale – qui justifie de contraindre l’assuré à affecter les fonds perçus à une finalité déterminée.

ii. Les correctifs conventionnels

Au-delà des limites fixées par la loi, le principe indemnitaire peut encore être aménagé par les stipulations contractuelles. Ces ajustements, très répandus dans la pratique, permettent d’adapter l’étendue de la couverture aux besoins de l’assuré et à la stratégie de l’assureur. Mais cette liberté n’est pas absolue : les clauses ne sont admises qu’à la condition de préserver l’essence du contrat d’indemnité, c’est-à-dire garantir la réparation du dommage subi, sans procurer à l’assuré un gain indu ni réduire la garantie à néant.

==>Les plafonds de garantie

Le plafond de garantie fixe la limite maximale d’indemnisation à la charge de l’assureur. Il peut être stipulé par sinistre ou par année d’assurance.

La jurisprudence admet la validité de ces clauses, sauf lorsque la loi en exclut expressément l’application. Ainsi, il est interdit de limiter contractuellement la garantie en assurance de responsabilité décennale des constructeurs, en raison de son caractère obligatoire et d’ordre public (Cass. 3e civ., 4 janv. 1996, n° 93-17.646).

En revanche, dans les autres assurances, le plafond joue pleinement. La Cour de cassation l’a confirmé, en jugeant que le plafond fixé au contrat constitue la limite de l’indemnisation due, quel que soit le nombre de sinistres ou de victimes (Cass. 1re civ., 23 nov. 1999, n°97-22.150). Le fait que l’assureur règle, ponctuellement, une somme excédant le plafond contractuel n’implique pas qu’il ait renoncé à se prévaloir de cette limite. La Cour de cassation a rappelé que de tels paiements, effectués dans le cadre de la gestion du sinistre, n’équivalent pas à une renonciation non équivoque au plafond stipulé (Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n° 03-13.923).

==>Les franchises

Autre outil de modulation, la franchise désigne la part du dommage laissée à la charge de l’assuré. Elle permet de responsabiliser l’assuré et de limiter la fréquence des règlements.

Les techniques sont variées :

Si ces clauses sont admises, elles doivent néanmoins respecter le principe indemnitaire: elles ne peuvent avoir pour effet de rendre illusoire la garantie consentie.

==>La règle proportionnelle de capitaux

Enfin, le principe indemnitaire trouve un prolongement dans la règle proportionnelle de capitaux, prévue à l’article L. 121-5 du Code des assurances. Lorsque la valeur réelle du bien au jour du sinistre est supérieure au capital assuré, l’assuré est réputé rester son propre assureur pour l’excédent et supporte une part proportionnelle du dommage. Ce mécanisme sanctionne la sous-assurance.

La jurisprudence a précisé que cette règle ne constitue pas une aggravation de risque et qu’elle est donc distincte de la règle proportionnelle de prime de l’article L. 113-9 (Cass. 1re civ., 8 juill. 1986, n° 84-14.714). Elle peut même être opposée au tiers lésé lorsque l’assuré est en mesure de déterminer le capital à garantir, comme en matière de responsabilité du déménageur (Cass. 1re civ., 28 juin 1989, n° 85-16.790).

Toutefois, des dérogations conventionnelles sont admises. Ainsi, lorsque les capitaux assurés ont fait l’objet d’une estimation préalable par un expert agréé, l’assureur renonce en principe à l’application de la règle proportionnelle. Dans ce cas, les biens sont indemnisés pour leur valeur déclarée, sous réserve de la vétusté et des franchises prévues au contrat.

2.2. Les méthodes d’évaluation de l’indemnité selon l’objet couvert

a. Bâtiments

S’agissant des bâtiments, l’indemnité est en principe calculée d’après la valeur de reconstruction au jour du sinistre, déduction faite de la vétusté et en incluant les honoraires d’architecte. Cette valeur, souvent qualifiée de « valeur d’usage », incarne l’application stricte du principe indemnitaire posé par l’article L. 121-1 du Code des assurances.

Toutefois, de nombreux contrats prévoient une couverture en valeur à neuf, destinée à replacer l’assuré dans la situation la plus proche possible de celle qui aurait été la sienne si le sinistre n’avait pas eu lieu. Dans ce cas, le versement du complément entre la valeur d’usage et la valeur à neuf est subordonné à la reconstruction effective du bien, qui doit être justifiée par la production de factures. La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé que, faute de reconstruction, l’assuré ne pouvait prétendre qu’au montant vétusté déduite (Cass. 1re civ., 4 déc. 2001, n° 98-18.766). En pratique, ce complément est souvent plafonné : il se limite à la valeur d’usage majorée d’un pourcentage fixé par le contrat, le plus souvent 25 %. Ainsi, seuls les immeubles dont la vétusté est inférieure à ce seuil seront intégralement indemnisés « à neuf ».

La question de la reconstruction se heurte parfois aux contraintes d’urbanisme. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la simple inconstructibilité d’une zone ne fait pas obstacle, en soi, à la reconstruction à l’identique d’un bâtiment détruit par un sinistre. Seules des dispositions expresses de la réglementation locale, justifiées par des motifs impérieux – notamment de sécurité publique – peuvent légalement interdire la reconstruction (CE, 8 nov. 2017). En outre, certaines polices prévoient une garantie des frais de reconstitution, destinée à compenser l’écart de coût résultant de l’inflation entre la date du sinistre et celle des travaux. Ce mécanisme, qui dépasse la stricte logique indemnitaire, est toutefois plafonné : l’indemnité ne peut excéder un pourcentage de la valeur à neuf au jour du sinistre, souvent limité à 30 %.

b. Mobilier personnel

Pour ce qui concerne le mobilier personnel, l’évaluation après sinistre se fait d’ordinaire à la valeur de remplacement au jour du sinistre, vétusté déduite. Là encore, une option de couverture « en valeur à neuf » peut être souscrite, soit au jour du sinistre, soit au jour de la reconstitution, afin de prendre en compte l’évolution ultérieure des prix.

Sur le terrain probatoire, la Cour de cassation a jugé que l’assureur ne pouvait exiger la production de factures d’achat lorsque le contrat n’imposait pas une telle formalité (Cass. 2e civ., 7 févr. 2019, n° 17-31.256). Quant aux objets précieux – bijoux, tableaux, collections – ils peuvent être couverts sur la base d’une valeur agréée. L’assuré fait alors établir une expertise préalable, généralement valable trois ans, qui fixe par avance le montant de l’indemnité en cas de sinistre total. En cas de sinistre partiel, la moins-value est déterminée soit par les mêmes experts, soit de gré à gré entre les parties, mais toujours sous le contrôle du principe indemnitaire, qui interdit de dépasser la valeur réelle du bien au jour du sinistre.

c. Matériel (professionnel)

S’agissant du matériel professionnel, la règle est comparable à celle du mobilier: l’indemnisation correspond à la valeur de remplacement par un matériel d’état et de rendement identiques, frais de transport et d’installation inclus. Le contrat peut également prévoir une couverture en valeur à neuf, au jour du sinistre ou au jour de la reconstitution. Ce type de clause vise à protéger l’entreprise contre les effets de l’obsolescence technique et à lui permettre de maintenir la continuité de son exploitation.

d. Marchandises

Pour les marchandises, le mode d’évaluation varie selon leur nature et leur état de transformation. Les matières premières, les emballages et les approvisionnements sont indemnisés d’après leur prix d’achat, apprécié au dernier cours précédant le sinistre, frais de transport et de manutention compris. Les produits semi-ouvrés, en cours de fabrication ou achevés sont, quant à eux, évalués sur la base de leur coût de production, lequel inclut le prix des matières et composants utilisés, les frais de fabrication déjà engagés et une quote-part des frais généraux de production, à l’exclusion toutefois des frais de distribution.

e. Appareils électriques et électroniques (risques industriels, artisanaux, commerciaux)

Les appareils électriques et électroniques, utilisés dans un cadre industriel, artisanal ou commercial, obéissent à une logique particulière. La garantie s’étend aux machines, moteurs et canalisations électriques (à l’exception des réseaux enterrés).

En cas de destruction totale, le dommage est évalué à la valeur de remplacement à neuf par un matériel équivalent, mais diminuée d’un abattement pour vétusté calculé selon un barème forfaitaire par année écoulée depuis la sortie d’usine ou l’installation. Il convient encore de retrancher la valeur de sauvetage. Les contrats comportent fréquemment des exclusions, notamment pour les dommages internes aux machines, ceux liés aux intempéries sur les toitures, ou encore pour les véhicules et objets dont la valeur ne s’amoindrit pas avec le temps, tels que bijoux ou œuvres d’art.

f. Espèces, titres et autres valeurs

S’agissant des espèces, titres et autres valeurs, la couverture est strictement encadrée. Elle suppose en principe que ces biens soient conservés dans des meubles réfractaires agréés et elle est plafonnée au capital fixé aux conditions particulières. Les règles d’évaluation dépendent de la nature du support : pour les titres cotés, l’indemnisation se fait aux cours officiels de la dernière séance boursière précédant le sinistre ; pour les titres nominatifs, elle porte essentiellement sur les frais d’opposition et de remplacement, ainsi que sur les pertes d’intérêts liées à un ajournement.

Pour les autres valeurs, la garantie est limitée aux frais de procédure de remplacement. Dans tous les cas, l’assuré doit établir l’existence et la valeur des biens détruits ou volés, et l’assureur n’est tenu de verser l’indemnité qu’après preuve de l’échec des procédures d’opposition ou de publication. La jurisprudence précise que la règle proportionnelle de capitaux prévue à l’article L. 121-5 du Code des assurances n’est pas applicable à ce type de garantie, ce qui illustre son caractère spécifique.

g. Supports d’information (documents, données)

Les supports d’information, qu’il s’agisse de documents ou de données, sont indemnisés sur la base des justificatifs de reconstitution ou de remplacement (factures, mémoires), dans un délai qui ne peut excéder deux ans à compter du sinistre. Des acomptes peuvent être versés au fur et à mesure des opérations de reconstitution, mais à la condition que l’assuré en rapporte la preuve.

h. “Valeur à dire d’expert” / Valeur agréée (régime général)

En raison de la difficulté d’évaluer certains biens, la pratique a développé le mécanisme de la valeur agréée, dite « à dire d’expert ». Une expertise préalable est alors réalisée, donnant lieu à un état descriptif annexé au contrat et signé par les parties, généralement valable pour une durée de trois ans. Lorsque le bien est détruit ou perdu, la valeur fixée lors de cette expertise détermine directement le montant de l’indemnité, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle estimation. En cas de dommage partiel, la moins-value est en principe arrêtée par les mêmes experts ; à défaut d’accord, elle peut être fixée par d’autres experts ou, en dernier ressort, par le juge.

Certains contrats vont encore plus loin en prévoyant que, même en cas d’atteinte limitée, l’assureur verse la valeur totale prévue à l’inventaire, à la condition que l’assuré lui transfère la propriété de l’objet endommagé. Si l’assuré préfère conserver le bien, l’indemnité se limite alors à la moins-value convenue avec l’assureur.

Quoi qu’il en soit, la valeur agréée reste enfermée dans les limites du principe indemnitaire : elle ne peut jamais conduire à une indemnisation supérieure à la valeur réelle du bien au jour du dommage (Cass. 1re civ., 13 mai 1997, n° 95-15.237).

i. Postes complémentaires liés au sinistre

L’indemnisation ne se limite pas à la seule réparation des biens sinistrés : elle peut également couvrir des postes complémentaires. C’est le cas, tout d’abord, des honoraires d’expert engagés par l’assuré, dont le remboursement est prévu par de nombreux contrats, sous réserve des conditions générales applicables. S’ajoutent les frais techniques rendus nécessaires par la reconstruction : honoraires d’architectes, de décorateurs, de bureaux d’études, d’ingénierie ou de contrôle technique, à condition que leur intervention soit jugée indispensable « à dire d’expert ». Ces remboursements peuvent toutefois être plafonnés par le contrat.

À cela s’ajoute, dans certaines hypothèses, la prise en charge de la prime d’assurance dommages-ouvrage rendue obligatoire par les articles L. 242-1 et L. 242-2 du Code des assurances. Lorsque des travaux sont imposés par le sinistre, cette prime peut être remboursée à l’assuré, sous réserve qu’elle ait été effectivement payée, et dans la limite fixée contractuellement.

j. Pertes de loyers

Les contrats couvrent parfois la perte de loyers résultant de l’inoccupation temporaire des locaux sinistrés. L’indemnité est alors calculée d’après le temps nécessaire à la remise en état, déterminé « à dire d’expert », et dans la limite d’une durée généralement fixée à une année. La garantie n’inclut pas le défaut de location après achèvement des travaux et n’est exigible qu’une fois les locaux remis en état. L’indemnisation est en outre plafonnée à la somme prévue aux conditions particulières. Si, au jour du sinistre, la valeur locative annuelle excède le capital assuré, la règle proportionnelle de capitaux prévue à l’article L. 121-5 s’applique, réduisant l’indemnité en proportion du défaut d’assurance.

k. Pertes indirectes

Peuvent également être indemnisées les pertes indirectes subies par l’assuré. Deux modalités coexistent. Dans la formule forfaitaire, l’assureur verse une somme correspondant à un pourcentage de l’indemnité allouée pour les biens endommagés (bâtiments, matériel, marchandises). Ce mécanisme cesse de plein droit en cas de chômage ou de cessation d’activité, l’assuré étant alors remboursé de la portion de prime afférente à la période non couverte, sauf s’il maintient le paiement de son personnel pendant une période n’excédant pas trente jours. Dans la formule fondée sur justificatifs, l’assuré doit établir la réalité et le montant des pertes au moyen de factures, devis, mémoires ou bulletins de salaire, l’indemnité correspondant alors aux frais effectivement supportés.

l. Spécificités utiles de chiffrage (rappels jurisprudentiels)

La jurisprudence est venue préciser certaines règles de chiffrage. La Cour de cassation rappelle que l’indemnité doit être fixée à la valeur des biens au jour du sinistre, et non à celle constatée au jour de la décision judiciaire (Cass. 2e civ., 8 juill. 2021, n° 20-10.575). Lorsque le bien a été acquis à l’état d’épave puis réparé, la valeur augmentée par les travaux effectués doit être prise en compte pour le calcul de l’indemnité (Cass. 2e civ., 11 sept. 2008, n° 07-15.171). Enfin, s’agissant d’un fonds de commerce, la garantie doit être appréciée en fonction de sa valeur réelle au moment du sinistre, dans la limite du capital déclaré au contrat (Cass. 1re civ., 13 mai 1997, n° 95-15.237).

m. Capitaux assurés et indexation (impact sur l’assiette)

Enfin, dans les polices indexées, l’assiette de l’indemnisation évolue automatiquement en fonction d’un indice choisi par les parties. Les capitaux assurés, les franchises, les limitations contractuelles et même les primes sont ainsi révisés à chaque échéance. Les capitaux à retenir au jour du sinistre sont ceux figurant dans le dernier avenant ou, à défaut, dans la police initiale, actualisés selon la valeur de l’indice mentionnée sur la dernière quittance intervenue avant le sinistre. Ce mécanisme permet de maintenir l’équilibre du contrat face à l’érosion monétaire et fixe le plafond maximal de l’indemnité, avant application des autres mécanismes de limitation comme les franchises ou la règle proportionnelle.

B. L’exécution de la prestation

L’assurance ne prend tout son sens qu’au stade de son exécution. La promesse de garantie donnée lors de la conclusion du contrat doit, au moment du sinistre, se traduire par le versement effectif de la prestation due. C’est à ce stade que se mesure l’utilité économique du mécanisme assurantiel : assurer la réparation rapide et certaine des conséquences du risque garanti.

Le Code des assurances fixe un cadre général. L’article L.113-5 impose à l’assureur d’exécuter son obligation « dans le délai convenu ». À défaut de précision contractuelle, la jurisprudence et certaines dispositions spéciales (incendie, catastrophes naturelles, dommages-ouvrage, etc.) viennent encadrer la date d’exigibilité.

L’exécution soulève plusieurs questions pratiques : qui est débiteur et qui est créancier de la prestation ? À quel moment l’indemnité devient-elle exigible ? Peut-on en obtenir une partie par provision, avant la liquidation définitive du sinistre ? Quelles sont les conséquences d’un retard de paiement, en termes d’intérêts moratoires ou de dommages-intérêts ? Enfin, quels événements peuvent retarder ou empêcher le règlement ?

C’est autour de ces interrogations que s’organise l’analyse de l’exécution de la prestation d’assurance.

1. Les parties intéressées au paiement de l’indemnité

a. Le débiteur de la prestation

Le débiteur naturel de l’indemnité d’assurance est l’assureur. La loi lui impose d’exécuter sa prestation « dans le délai convenu » (C. assur., art. L.113-5), délai qui doit être expressément prévu par la police (art. R.*112-1). Cette obligation se déclenche lors de la réalisation du risque ou à l’échéance prévue du contrat. Elle est toutefois strictement bornée: l’assureur n’est jamais tenu au-delà des limites fixées par la convention, notamment les plafonds de garantie stipulés.

La situation se complexifie lorsque plusieurs assureurs sont engagés sur un même risque. En cas de coassurance, chacun d’eux n’est tenu que pour la part qu’il a acceptée, sans solidarité entre eux (Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-18.399). L’assureur dit « apériteur » cumule deux fonctions : il reste engagé comme assureur pour sa propre ligne et agit, en outre, comme mandataire des coassureurs afin de centraliser et répartir les règlements. Il ne peut en principe être condamné à payer au-delà de sa quote-part (Cass. com., 4 juill. 1995, n° 93-11.963). Une limite importante existe néanmoins : si l’assureur ne démontre pas que l’assuré a été informé, lors de la souscription, de la répartition des engagements entre coassureurs, il peut être tenu d’indemniser le sinistre dans son intégralité (Cass. 2e civ., 8 févr. 2006, n° 04-20.420).

La preuve du paiement est traditionnellement apportée par la signature d’une quittance. Celle-ci fait présumer que l’indemnité a bien été réglée, mais la présomption n’est pas irréfragable : elle peut être renversée par tout moyen, en particulier lorsque l’assureur a la qualité de commerçant. Pour éviter les confusions nées des « quittances » signées par anticipation, la pratique conseille de recourir à un document intitulé « accord de règlement » (Cass. 1re civ., 21 févr. 1984).

b. Le créancier de la prestation

Le créancier naturel de l’indemnité est celui qui, au terme du contrat ou de la loi, justifie d’un droit à percevoir la prestation d’assurance. Mais cette qualité, apparemment simple, se révèle multiple et parfois conflictuelle : elle peut concerner l’assuré lui-même, ses ayants-cause, la victime d’un dommage, ou encore les créanciers privilégiés du bien sinistré.

i. Le bénéficiaire désigné ou ses ayants-cause

En principe, l’indemnité est versée directement au bénéficiaire de la garantie, à charge pour lui d’établir ses droits. Pour un immeuble, la production d’un titre de propriété suffit, le droit commun de la preuve immobilière étant applicable (Cass. 3e civ., 20 juill. 1988, n°87-10.998). Pour un meuble, c’est la règle « en fait de meubles, possession vaut titre » qui s’applique : l’assureur peut se libérer entre les mains du propriétaire apparent. En cas de vente d’un immeuble assuré, l’acquéreur recueille l’intégralité des droits nés du contrat et peut obtenir l’indemnité même pour un sinistre survenu avant le transfert (Cass. 3e civ., 7 mars 2019, n° 18-10.973). Dans l’hypothèse d’un risque locatif, l’indemnité doit revenir au propriétaire, sauf convention permettant un paiement direct au locataire pour exécuter les réparations ; mais si ce dernier ne procède pas aux travaux, l’assureur est fondé à exiger la restitution des sommes versées (Cass. 1re civ., 11 oct. 1994, n° 92-13.043).

L’assuré peut aussi céder sa créance d’indemnité à un tiers, par exemple au garagiste chargé de réparer le véhicule sinistré. Cette cession n’est toutefois opposable à l’assureur qu’à condition de respecter les formalités requises : à défaut, le paiement opéré à l’assuré reste valable, et le cessionnaire ne peut rien exiger de l’assureur (Cass. 1re civ., 19 févr. 2013, n° 11-24.373).

Il existe encore des contrats souscrits « pour compte de qui il appartiendra » (C. assur., art. L.112-1). Une telle clause permet au souscripteur d’assurer non seulement son propre intérêt, mais aussi celui d’autrui, le contrat valant alors stipulation pour autrui. La jurisprudence a même admis que, selon l’intention commune des parties, une assurance de choses souscrite pour compte pouvait se transformer en assurance de responsabilité (Cass. 1re civ., 5 févr. 1974, n° 72-12.980). Mais ce mécanisme ne joue jamais de plein droit : il suppose une volonté claire, faute de quoi le bénéficiaire ne peut se prévaloir d’un droit propre (Cass. 2e civ., 5 mars 2020, n° 19-10.201).

À travers toutes ces hypothèses, un principe demeure : avant de régler son assuré, l’assureur doit vérifier, autant que possible, que les véritables lésés ont été indemnisés. Ainsi, une juridiction ne peut condamner un assureur à payer un locataire responsable d’un incendie sans s’assurer que le propriétaire avait été désintéressé (Cass. 1re civ., 7 janv. 1982, n° 80-14.793).

Enfin, la réception de l’indemnité par le bénéficiaire peut passer par un intermédiaire. Lorsque l’assureur verse les fonds à un courtier, le paiement n’est libératoire que si ce dernier dispose d’un mandat d’encaissement régulier ; à défaut, l’assuré ou le bénéficiaire reste en droit d’exiger un second paiement (Cass. 1re civ., 13 oct. 1999, n° 97-17.684). À l’inverse, si le courtier mandaté a reçu un chèque et l’a expédié par courrier simple, la perte du titre de paiement engage sa responsabilité personnelle, et non celle de l’assureur, qui demeure réputé libéré (Cass. 1re civ., 9 mai 1994, n° 91-21.876).

L’hypothèse du paiement indu doit également être évoquée. Lorsqu’il verse une indemnité qui n’était pas due, l’assureur peut en demander la restitution sur le fondement du droit commun (C. civ., art. 1302 et 1302-1). Cette action échappe au délai biennal de l’article L.114-1 du Code des assurances, car elle ne dérive pas du contrat (Cass. 1re civ., 27 févr. 1996, n° 94-12.645). Elle demeure ouverte même si le paiement indu procède d’une fraude, comme dans le cas d’un incendie volontaire. Les négligences éventuelles de l’assureur ne font que fonder une demande de dommages-intérêts venant s’imputer sur la créance de restitution (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-12.239).

ii. Le bénéficiaire titulaire d’un droit propre

En matière de responsabilité civile, la victime dispose d’un droit propre et exclusif à l’encontre de l’assureur du responsable (C. assur., art. L.124-3). Tant qu’elle n’a pas été désintéressée, l’assureur ne peut valablement régler une autre personne. Cette action directe peut être exercée indépendamment de toute mise en cause de l’assuré (Cass. 3e civ., 1er déc. 2004, n°03-14.309), et la victime peut même rechercher la responsabilité délictuelle de l’assureur en cas de manœuvres dilatoires lui causant un préjudice (Cass. 2e civ., 10 mai 2007, n°06-13.269).

Les créanciers privilégiés et hypothécaires bénéficient eux aussi d’un droit propre. L’article L.121-13 du Code des assurances attribue de plein droit l’indemnité d’assurance au profit de ces créanciers, dans la limite de leur créance certaine, liquide et exigible (Cass. 1re civ., 7 avr. 1992, n° 89-12.247). Ce droit est opposable dès la demande de paiement adressée à l’assureur (Cass. 1re civ., 29 févr. 2000, n° 97-21.099). L’assureur n’a certes pas à rechercher spontanément l’existence d’hypothèques, mais il engage sa responsabilité s’il règle son assuré malgré une opposition formée ou en connaissance de cause (Cass. 2e civ., 22 nov. 2018, n° 17-20.926). L’attribution légale investit ces créanciers d’un droit propre et d’une action directe. Ainsi, un créancier gagiste est recevable à agir contre l’assureur (Cass. 1re civ., 30 mars 1978, n° 76-14.784), et l’assureur qui règle son assuré malgré opposition du gagiste peut voir sa responsabilité engagée (Cass. 1re civ., 10 juin 1997, n° 94-20.773). Le créancier dont l’indemnité n’entre pas dans le patrimoine du débiteur peut même former tierce opposition contre un jugement (Cass. 1re civ., 21 janv. 1997, n° 94-16.157). Enfin, en cas de procédure collective, la victime n’est pas soumise à la vérification des créances pour agir contre l’assureur du responsable (Cass. com., 25 mars 1997, n° 95-10.062).

Le droit local d’Alsace-Moselle renforce encore la position des créanciers hypothécaires et privilégiés (C. assur., art. L.192-3 à L.192-7). Leur protection se manifeste par le maintien de la garantie malgré certaines causes d’extinction, l’information obligatoire de l’assureur, la faculté de payer la prime à la place de l’assuré, ou encore le droit de s’opposer au paiement de l’indemnité lorsque le contrat impose la reconstruction. À cela s’ajoute un avantage financier : l’indemnité porte intérêt de plein droit au taux légal un mois après la déclaration du sinistre, et une provision peut être demandée si le dommage n’est pas intégralement chiffré, sauf retard imputable à l’assuré (art. L.191-7).

Dans tous les cas, l’assureur doit se montrer attentif aux droits concurrents. Il ne peut régler son assuré sans avoir vérifié la situation des victimes ou des créanciers privilégiés. De même, il ne peut opposer à la victime l’exception de compensation entre l’indemnité due et la prime impayée par l’assuré : cette compensation est inopposable aux tiers titulaires d’un droit propre (C. civ., art. 1347 ; C. assur., art. L.112-6 ; Cass. 1re civ., 31 mars 1993, n° 91-13.637).

2. La date d’exigibilité de la prestation

L’exigibilité de la prestation d’assurance revient à déterminer le moment précis où l’assureur est tenu de verser les sommes dues. Cette question, essentielle pour l’assuré comme pour ses créanciers, est gouvernée par un principe simple mais dont l’application appelle plusieurs nuances.

En droit commun, l’article L.113-5 du Code des assurances prévoit que l’assureur doit s’exécuter « dans le délai convenu ». Le texte renvoie donc au contrat le soin de fixer le calendrier du règlement, et l’article R.*112-1 impose que cette stipulation figure expressément dans la police. En pratique, les conditions générales prévoient que l’indemnité est payable après déclaration du sinistre et, souvent, après remise des justificatifs requis ou achèvement de l’expertise. La liberté contractuelle joue donc à plein, sous réserve que l’assureur n’abuse pas de cette marge en multipliant les exigences dilatoires.

La loi encadre toutefois cette liberté dans certaines branches où l’urgence commande une protection particulière. Ainsi, en matière d’assurance incendie, l’article L.122-2 organise un calendrier impératif : si l’expertise n’est pas terminée dans les trois mois de l’état des pertes, l’assuré peut mettre en demeure son assureur et faire courir les intérêts ; passé six mois, chacune des parties peut saisir le juge. D’autres régimes spéciaux fixent des délais identiques ou analogues : dix jours pour l’assurance catastrophes naturelles (art. L.125-2), trois mois pour les catastrophes technologiques (art. L.128-2), soixante jours pour les assurances de dommages-ouvrage (art. L.242-1). Dans ces hypothèses, la date d’exigibilité est déterminée par la loi elle-même, de manière impérative, afin d’assurer la célérité du règlement.

La jurisprudence, enfin, joue un rôle correcteur. Elle rappelle que l’assureur doit collaborer loyalement aux opérations d’expertise et que celles-ci ne peuvent être instrumentalisées pour différer indéfiniment le paiement. Lorsqu’un délai légal ou contractuel est dépassé sans justification valable, l’assureur s’expose à devoir des intérêts moratoires, voire des dommages-intérêts en cas de résistance abusive.

3. Le paiement par provision

Le temps de l’expertise ou des discussions sur la garantie ne doit pas condamner l’assuré ou la victime à l’attente. Pour éviter qu’un différé de règlement ne les prive des ressources indispensables, le droit a organisé un mécanisme d’anticipation : la provision. Elle permet le versement partiel d’une indemnité, lorsque le principe de l’obligation de l’assureur ne prête pas sérieusement à discussion.

a. Les conditions d’octroi de la provision

La possibilité d’obtenir une provision repose sur l’article 835, alinéa 2 du Code de procédure civile (ancien art. 809, al. 2), qui autorise le juge des référés à accorder une somme à valoir « lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable ».

Le juge de la mise en état dispose d’une compétence parallèle (ancien art. 771, al. 2 CPC). La jurisprudence a toujours rappelé que cette notion est centrale : si le litige soulève une réelle difficulté, la provision doit être refusée. Ainsi, la Cour de cassation a jugé que la question d’une suspension de garantie en cas de vente de véhicule constituait une contestation sérieuse, excluant toute provision (Cass. 1re civ., 13 nov. 2002, n° 00-11.722). À l’inverse, elle a considéré que le refus de garantie fondé sur une exclusion figurant dans un document séparé et non signé ne pouvait être retenu comme contestation sérieuse (Cass. 1re civ., 15 juin 1982).

b. Régimes spéciaux

En matière d’assurance de choses, la provision est particulièrement utile lorsque le dommage est certain mais que le montant n’est pas encore arrêté. Le législateur a d’ailleurs renforcé cette exigence en assurance incendie : si l’expertise n’est pas achevée dans les trois mois de la déclaration des pertes, l’assuré peut faire courir les intérêts par simple sommation, et passé six mois, il est libre de saisir le juge (C. assur., art. L.122-2). La Cour de cassation a précisé que l’assureur est tenu de se prêter loyalement aux opérations d’expertise, et qu’à défaut, le juge peut ordonner lui-même les mesures nécessaires (Cass. 1re civ., 10 mai 1984, n° 83-10.259). Le caractère d’ordre public de ce régime interdit toute clause dérogatoire (Cass. civ., 24 oct. 1951).

L’assurance dommages-ouvrage va plus loin encore. L’assureur doit notifier sa position sur la garantie dans les soixante jours suivant la déclaration, puis présenter une offre dans les quatre-vingt-dix jours, laquelle peut être provisionnelle (C. assur., art. L.242-1). Le paiement doit intervenir dans les quinze jours de l’acceptation. S’il manque à ces délais, l’assuré peut engager les travaux et l’indemnité est majorée de plein droit d’intérêts au double du taux légal. La Cour de cassation a jugé que ce régime spécial est exclusif et limitatif : un assuré ne peut obtenir une réparation complémentaire, par exemple au titre d’une perte de loyers, en dehors du mécanisme prévu par la loi (Cass. 3e civ., 7 mars 2007, n° 05-20.485).

En responsabilité civile, la provision peut profiter non seulement à l’assuré mais aussi à la victime, grâce à l’action directe prévue à l’article L.124-3 du Code des assurances. La jurisprudence a admis que le juge des référés condamne l’assureur du responsable à verser une provision à la victime, sans que l’assuré ne soit nécessairement mis en cause, lorsque la responsabilité n’est pas sérieusement contestée (Cass. com., 30 janv. 1990, n°88-12.447). Déjà, un arrêt ancien avait reconnu que l’assuré pouvait être écarté si l’assureur reconnaissait la responsabilité ou si une condamnation était intervenue (Cass. civ., 13 déc. 1938).

Il appartient toutefois au juge des référés d’apprécier le sérieux des moyens d’exonération soulevés par l’assureur ; leur invocation peut suffire à bloquer l’allocation d’une provision (Cass. 2e civ., 4 juin 2015, n° 14-13.405). Lorsque la responsabilité dépend de la juridiction administrative, le juge judiciaire doit surseoir tant que celle-ci ne s’est pas prononcée, sauf reconnaissance expresse par l’assureur (Cass. 1re civ., 7 mars 1995, n° 92-21.988).

En assurance automobile, la loi a institué un véritable système de provision légale au profit des victimes de dommages corporels. L’assureur est tenu de présenter une offre dans les huit mois de l’accident, laquelle peut être provisionnelle si l’état de la victime n’est pas consolidé (C. assur., art. L.211-9). En cas de manquement, la sanction est automatique : l’indemnité allouée produit intérêts de plein droit au double du taux légal (C. assur., art. L.211-13 ; Cass. 2e civ., 20 avr. 2000, n° 98-11.540).

c. Effets procéduraux

La demande de provision produit des effets procéduraux importants. Elle interrompt la prescription biennale applicable aux actions dérivant du contrat d’assurance (C. civ., art. 2241). Si la décision de référé est ensuite infirmée au fond, l’assureur peut réclamer restitution des sommes versées. Mais les intérêts attachés à cette restitution ne courent qu’à compter de la notification de la décision ouvrant droit au remboursement, et non rétroactivement.

4. Le retard de paiement

Lorsque l’assureur tarde à s’exécuter, l’équilibre contractuel est rompu. La garantie promise au moment de la souscription n’a de valeur que si elle se concrétise rapidement en espèces. Le retard dans le règlement n’est donc pas neutre : il entraîne l’obligation de payer des intérêts, et, dans certaines circonstances, peut justifier l’allocation de dommages-intérêts complémentaires.

a. Les intérêts moratoires

En matière d’obligation pécuniaire, le droit commun est clair : « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal » (C. civ., art. 1231-6, anc. art. 1153). L’assureur qui ne règle pas dans le délai convenu se trouve donc redevable d’intérêts moratoires, indépendamment de toute démonstration de préjudice. Ceux-ci ne sont pas une indemnité nouvelle, mais la sanction du temps perdu.

La question la plus délicate concerne leur point de départ.

Ces intérêts moratoires échappent à la logique contractuelle de la garantie. Ils constituent une dette autonome : la Cour de cassation l’a clairement affirmé en jugeant que ni le principe indemnitaire, ni le plafond de garantie stipulé au contrat ne peuvent limiter leur cours (Cass. 1re civ., 14 nov. 2001, préc.). En d’autres termes, le retard se paie en plus de l’indemnité, sans restriction.

Certaines particularités doivent être relevées. Lorsque la somme est consignée sur décision judiciaire en raison d’un doute sur l’identité du bénéficiaire, le cours des intérêts est suspendu jusqu’à ce que la somme consignée soit remise au véritable créancier (Cass. 1re civ., 25 nov. 2003, n° 98-12.734). La capitalisation des intérêts n’est possible qu’à compter d’une demande formelle (C. civ., art. 1343-2 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 2009, n° 08-12.954). Enfin, il faut distinguer les intérêts moratoires, dus pour le retard, de l’actualisation contractuelle du montant de l’indemnité, qui répare un autre aspect du préjudice : les deux peuvent donc se cumuler (Cass. 1re civ., 16 mai 1995, n° 92-15.376).

b. Les dommages-intérêts compensatoires

Les intérêts moratoires sont automatiques, mais ils n’épuisent pas la réparation possible. L’article 1231-6, alinéa 3 du Code civil prévoit que le créancier peut obtenir des dommages-intérêts complémentaires lorsqu’il démontre un préjudice distinct du simple retard et une mauvaise foi de son débiteur.

En assurance, cela vise l’hypothèse où l’assureur adopte une attitude dilatoire, refuse de coopérer aux opérations d’expertise ou conteste abusivement sa garantie. Les préjudices réparés sont variés : frais supplémentaires de relogement, pertes d’exploitation aggravées par l’absence de trésorerie, coûts de déplacement ou de location pour poursuivre l’activité. La jurisprudence en fournit des illustrations : elle a retenu la responsabilité de l’assureur qui, par sa résistance abusive, a causé un dommage autonome à son assuré (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997).

La victime d’un dommage peut elle-même se prévaloir de ce mécanisme lorsqu’elle agit par voie d’action directe. La Cour de cassation a admis qu’elle pouvait rechercher la responsabilité délictuelle de l’assureur pour avoir, par ses manœuvres, aggravé sa situation (Cass. 2e civ., 10 mai 2007, n° 06-13.269).

À l’inverse, aucun manquement n’est retenu lorsque l’assureur a formulé rapidement une offre sérieuse, mais que c’est l’assuré qui a choisi d’engager un contentieux long et coûteux (Cass. 2e civ., 5 mars 2020, n° 19-14.061).

c. Les régimes spéciaux

Plusieurs branches d’assurance connaissent des sanctions légales spécifiques, plus sévères que le droit commun.

En assurance dommages-ouvrage, le dépassement des délais légaux ou la présentation d’une offre manifestement insuffisante entraîne, de plein droit, le paiement d’intérêts au double du taux légal (C. assur., art. L.242-1). La Cour de cassation a précisé que ce régime est exclusif : l’assuré ne peut obtenir d’indemnité complémentaire, par exemple pour perte de loyers, en dehors du mécanisme légal (Cass. 3e civ., 7 mars 2007, n° 05-20.485).

En assurance automobile, l’article L.211-13 prévoit que le défaut d’offre dans le délai entraîne la même sanction : les intérêts au double du taux légal courent sur la totalité de l’indemnité, y compris sur les provisions déjà versées (Cass. 2e civ., 20 avr. 2000, n° 98-11.540).

En assurance incendie, le régime d’ordre public de l’article L.122-2 permet de faire courir les intérêts par sommation trois mois après l’état des pertes, et ouvre l’action judiciaire au bout de six mois.

5. Les empêchements au paiement

Le paiement de l’indemnité n’est jamais inconditionnel. Même lorsque la garantie paraît acquise, l’assureur conserve la possibilité d’opposer certaines limites ou exceptions, issues tant du contrat que de la loi. Ces empêchements, qui visent à préserver l’équilibre du rapport d’assurance, obéissent à un régime complexe : ils traduisent la règle selon laquelle le droit de l’assuré, ou celui du tiers qui invoque le bénéfice de la police, ne peut excéder ce qui a été effectivement promis.

a. L’opposabilité des exceptions contractuelles et légales

L’article L.112-6 du Code des assurances pose le principe : l’assureur peut opposer au souscripteur, comme au tiers qui se prévaut du contrat, les exceptions qu’il aurait pu invoquer contre l’assuré originaire. Ce texte, combiné à l’article L.124-3, consacre l’idée que la victime n’a pas un droit absolu, mais un droit mesuré par l’étendue de la garantie souscrite (Cass. 1re civ., 28 juin 1989, n° 85-16.790).

Encore faut-il distinguer selon le moment où l’exception est invoquée. Seules celles qui sont antérieures au sinistre sont opposables à la victime : les déchéances ou exclusions fondées sur un comportement postérieur à l’accident ne sauraient limiter son action directe (Cass. 1re civ., 28 janv. 1975, n° 73-13.284). En revanche, peuvent lui être opposées notamment:

Toutefois, c’est à l’assureur de prouver le bien-fondé de l’exception en produisant le contrat. Faute de communiquer les conditions particulières de la police, il ne peut opposer aucune limitation à la victime (Cass. 1re civ., 7 juill. 1998, n° 96-16.360). Inversement, la victime ne saurait contester la validité intrinsèque d’une clause d’exclusion : seul l’assuré est recevable à le faire (Cass. 3e civ., 28 oct. 2003, n° 01-13.490).

b. La renonciation par la direction du procès

L’article L.113-17 introduit une limite majeure au droit de l’assureur : celui qui prend la direction d’un procès intenté à son assuré est réputé avoir renoncé aux exceptions dont il avait connaissance à ce moment. Ainsi, l’assureur qui assure la défense de son assuré sans réserve ne peut ultérieurement invoquer une nullité ou une exclusion dont il savait l’existence (Cass. 1re civ., 18 mai 2004, n° 01-14.964).

Cette renonciation est toutefois strictement limitée : elle ne porte pas sur la nature du risque garanti ni sur le montant de la garantie. L’assureur conserve donc la faculté d’opposer un plafond contractuel ou une franchise, même après avoir pris en charge la défense (Cass. 2e civ., 20 janv. 2022, n° 20-17.649). De même, il peut toujours refuser sa garantie lorsque la personne mise en cause n’a pas la qualité d’assuré (Cass. 2e civ., 22 févr. 2007, n°05-18.162).

La jurisprudence veille cependant à vérifier que l’assureur a effectivement dirigé le procès. Lorsque l’assuré conserve une autonomie réelle dans sa défense, l’article L.113-17 ne joue pas (Cass. 1re civ., 23 mars 1999, n° 97-13.194).

C. L’action en restitution des paiements indus

Un autre empêchement tient au cas où l’assureur a déjà versé une indemnité qu’il n’aurait pas dû. Le droit commun lui reconnaît la possibilité d’en obtenir la restitution (C. civ., art. 1302 et 1302-1). La jurisprudence a clairement affirmé que cette action échappe à la prescription biennale de l’article L.114-1 du Code des assurances, car elle ne dérive pas du contrat d’assurance (Cass. 1re civ., 27 févr. 1996, n° 94-12.645).

La répétition est admise même lorsque le paiement procède d’une fraude de l’assuré, par exemple un incendie volontaire : dans ce cas, l’absence d’assurance est opposable à tous, et les fautes commises par l’assureur n’y font pas obstacle, sauf à justifier des dommages-intérêts imputables sur la restitution (Cass. 2e civ., 20 mai 2020, n° 19-12.239). Elle est également ouverte lorsque l’assureur a payé en vertu d’une décision de justice ultérieurement réformée (Cass. 1re civ., 20 janv. 1998, n° 96-11.176).

La limite réside dans le cas des provisions judiciaires : lorsqu’elles sont allouées par un juge des référés, leur restitution relève de la prescription biennale, car elles dérivent directement du contrat d’assurance (Cass. 2e civ., 28 juin 2007, n° 06-14.428). Enfin, la répétition ne peut être exercée que contre le véritable bénéficiaire de l’indemnité indue : si l’assureur a indemnisé une victime au-delà de la garantie, il ne peut agir en restitution contre elle, mais seulement contre son assuré, bénéficiaire réel de la couverture (Cass. 1re civ., 22 sept. 2011, n° 10-14.871).

II. Les droits de l’assureur

Si le sinistre déclenche d’abord une obligation pour l’assureur — celle d’indemniser son assuré conformément au contrat —, il ouvre symétriquement des prérogatives qui tempèrent cette charge. L’assurance n’est pas un mécanisme à sens unique : elle repose sur un équilibre. L’assureur, tenu de verser l’indemnité, doit pouvoir, en retour, préserver ses intérêts et rétablir la charge définitive du dommage là où elle doit revenir.

Cette contrepartie s’exprime principalement à travers deux droits reconnus à l’assureur. Le premier est le recours subrogatoire, par lequel l’assureur, après paiement, se substitue à l’assuré pour agir contre le responsable du sinistre. Le second est le droit de résiliation, qui permet, dans certaines hypothèses, de mettre fin au contrat après sinistre afin de maîtriser le risque et d’éviter une aggravation future.

Ces prérogatives, différentes dans leur objet mais complémentaires dans leur fonction, rappellent que l’équilibre du rapport assurantiel ne réside pas seulement dans l’obligation d’indemniser : il suppose aussi que l’assureur conserve les moyens de limiter l’exposition au risque et de répercuter la charge du dommage sur son véritable débiteur.

A. Le recours subrogatoire de l’assureur

La question centrale est simple : qui doit, en définitive, porter le poids d’un dommage ? En pratique, c’est l’assureur qui intervient le premier, en exécutant la garantie due à son assuré. Mais cette intervention n’a pas pour objet de créer un gain chez la victime, ni d’effacer la dette du responsable. Le droit cherche donc à organiser le passage de la charge du dommage de celui qui a payé — l’assureur — vers celui qui devait répondre du sinistre — l’auteur ou son assureur de responsabilité.

C’est précisément la fonction du recours subrogatoire. Par ce mécanisme, l’assureur qui a indemnisé son assuré se trouve investi, à due concurrence de son paiement, des droits et actions que celui-ci détenait contre le tiers responsable. La subrogation ne crée pas une créance nouvelle, elle transfère une créance existante : la dette reste identique dans son objet et sa mesure, seul change le titulaire.

En cela, le recours subrogatoire exprime une double exigence : protéger l’assuré, indemnisé sans attendre, et rétablir l’équilibre en faisant peser, in fine, la charge sur le véritable débiteur. Il s’inscrit dans une architecture plus large, où coexistent d’autres instruments de réallocation — action directe, appel en garantie, contribution entre coresponsables — mais il occupe une place singulière : celle de l’« après-paiement », lorsque l’assureur prend la relève de son assuré pour rétablir la juste répartition des responsabilités.

1. Fondements et principes généraux du recours subrogatoire

a. Principe du recours subrogatoire

Née du latin subrogare, la subrogation dit l’idée de remplacement. Le droit en connaît deux visages : réelle, lorsqu’une chose en remplace une autre dans un patrimoine ; personnelle, lorsqu’une personne se substitue à une autre dans un rapport d’obligation. C’est cette dernière qui intéresse l’assurance : elle permet que celui qui a payé pour autrui prenne la place du créancier et poursuive le véritable débiteur.

En assurance de dommages, le mécanisme est d’une grande simplicité (C. assur., L.121-12). Dès qu’il a versé l’indemnité, l’assureur est subrogé “à concurrence du paiement” dans les droits et actions de l’assuré contre le tiers responsable (C. assur., L.121-12). Concrètement : le paiement éteint la dette de l’assureur envers son assuré ; dans le même temps, la créance que l’assuré détenait contre le responsable est transférée à l’assureur, avec ses accessoires (sûretés, prescriptions, etc.), et seulement dans la limite des sommes réglées (C. civ., 1346 s.).

Face à l’assureur subrogé, le tiers répond comme il répondrait à l’assuré : mêmes défenses, mêmes limites, rien de plus, rien de moins (C. civ., art. 1346-5). Il peut ainsi discuter le quantum, opposer la compensation, invoquer un partage de responsabilité et toutes exceptions inhérentes à la dette. Symétriquement, l’assuré indemnisé perd qualité à agir pour la part payée ; il ne conserve que le reliquat (franchise, insuffisance d’indemnité). En cas de paiement partiel, la loi protège le créancier d’origine : nul n’est censé s’être subrogé contre soi (nemo contra se subrogare censetur) ; l’assuré exerce par préférence ses droits pour ce qui lui reste dû, l’assureur venant après lui (C. civ., art. 1346-3).

Parce qu’elle n’est que l’accessoire d’un paiement, la subrogation ne transmet la créance qu’à due concurrence des sommes réglées ; les intérêts dus au subrogé obéissent, en principe, au taux légal à compter d’une mise en demeure, sauf convention nouvelle (C. civ., art. 1346-4). Pour le débiteur, la subrogation devient opposable lorsqu’il en a été notifié ou qu’il en a pris acte ; pour les tiers, elle produit effet dès le paiement (C. civ., art. 1346-5). Tout l’équilibre tient là : préserver le débiteur contre une aggravation de sa situation, sans frustrer l’équité qui commande que le payeur final ne soit pas celui qui n’était pas responsable.

Il importe, enfin, de ne pas confondre. la cession de créance transporte la créance comme on passe un flambeau. Elle n’attend aucun paiement préalable : le cessionnaire devient créancier pour le montant nominal, quel qu’ait été le prix de cession. Rien ne change pour le débiteur, sinon le nom de celui qui frappe à sa porte.

La délégation emprunte une autre voie. C’est un accord à trois voix où le débiteur présente un tiers au créancier ; ce tiers s’oblige directement envers lui. Nulle transmission de la créance initiale : on crée une dette nouvelle, parfois à côté de l’ancienne, parfois à sa place.

La subrogation, elle, ne vit qu’au rythme du paiement. Parce que quelqu’un a payé, il prend la place du créancier dans la même créance, avec ses accessoires, et à due concurrence seulement (C. civ., art. 1346 s. ; C. assur., L.121-12). La dette ne change ni d’objet ni de mesure ; seul le créancier change. Voilà pourquoi la subrogation n’est pas une simple technique de transfert, mais l’ombre portée d’un règlement : elle naît du paiement, elle se limite au paiement, elle suit le paiement.

L’action directe ne lui ressemble pas davantage. C’est un droit propre de la victime contre l’assureur du responsable : elle s’exerce sans qu’un paiement préalable ait été fait au profit de la victime par son propre assureur, et sans passer par la créance de celle-ci.

Quant à l’appel en garantie, il relève de la précaution d’avant-paiement : on appelle le garant pour qu’il prenne le relais si la condamnation survient. Le recours subrogatoire, au contraire, est un après-coup : il ne s’ouvre qu’une fois le règlement effectué, lorsque le payeur légitime vient chercher, chez le véritable débiteur, la charge finale du dommage.

b. Fondements

i. Genèse

Avant 1930, l’assureur ne disposait d’aucun recours automatique contre l’auteur du dommage. La Cour de cassation l’écartait au nom de l’effet relatif des conventions : le contrat d’assurance ne liait que l’assureur et l’assuré, le tiers responsable restant étranger au pacte (Cass. civ., 6 janv. 1914). La loi du 13 juillet 1930 a rompu avec cette position. Son article 36 — aujourd’hui codifié à l’article L. 121-12 du Code des assurances — dispose que l’assureur qui a payé l’indemnité est de plein droit subrogé, à concurrence de ce paiement, dans les droits et actions de l’assuré contre le tiers responsable. Autrement dit, le paiement opéré par l’assureur déclenche la subrogation et en fixe la mesure : l’assureur prend la place de l’assuré, mais seulement pour les sommes réglées.

Conçu d’abord pour l’assurance de dommages, ce mécanisme a été étendu par des textes spéciaux qui en ont reproduit la logique : en transport (C. assur., art. L. 172-29), en assurance aérienne et aéronautique (art. L. 175-29) et en assurance spatiale (art. L. 176-1). S’agissant des assurances de personnes, la subrogation n’a été admise que pour les prestations présentant un caractère indemnitaire, à la suite de la loi du 16 juillet 1992 désormais inscrite à l’article L. 131-2 du Code des assurances.

La jurisprudence a précisé, par étapes, la frontière entre prestations forfaitaires (sans subrogation) et prestations indemnitaire (ouvrant la subrogation). Par un arrêt du 17 mars 1993 (Cass. 1re civ., 17 mars 1993, n°91-11.665), la Cour de cassation décide que les prestations servies en exécution d’un contrat d’assurance de personnes « revêtent un caractère forfaitaire et non pas indemnitaire, dès lors qu’elles sont calculées en fonction d’éléments prédéterminés par les parties indépendamment du préjudice subi ». En l’espèce, la garantie de ressources complétait, à concurrence de 100 % du salaire de base défini par le contrat, les prestations de sécurité sociale ou les fractions de salaire : la Cour d’appel avait pu en déduire, sans dénaturation, qu’il s’agissait d’une assurance de personnes à logique non indemnitaire, excluant la subrogation.

Cette approche a été nuancée par l’Assemblée plénière le 19 décembre 2003 (Ass. plén., 19 déc. 2003, n°01-10.670). La Cour de cassation énonce dans cet arrêt d’abord que le seul mode de calcul en fonction d’éléments prédéterminés ne suffit pas, à lui seul, à exclure le caractère indemnitaire. Mais, au vu du contrat jugé, elle constate deux points : (i) le contrat de prévoyance de groupe ne comportait aucune disposition spécifique pour le cas d’accident de la circulation ; (ii) les prestations versées au titre de l’incapacité temporaire totale et de l’incapacité permanente partielle étaient indépendantes, dans leurs modalités de calcul et d’attribution, des règles de la réparation du préjudice selon le droit commun. De ces constatations, l’Assemblée plénière déduit que ces prestations n’avaient pas de caractère indemnitaire et rejette le pourvoi : pas de subrogation dans ce cas.

Il s’en déduit une méthode simple : la qualification est in concreto. L’étiquette (« forfaitaire »/« indemnitaire ») ou l’existence d’un barème prédéterminé ne décident pas à elles seules. Ce qui importe, c’est de savoir si, par ses modalités de calcul et d’attribution, la prestation est arrimée aux règles de réparation du droit commun et répare effectivement un dommage objectivable : dans ce cas, elle est indemnitaire et peut ouvrir la subrogation (en assurances de personnes, C. assur., art. L. 131-2). À l’inverse, si la prestation demeure indépendante de cette logique de réparation, elle reste forfaitaire et n’ouvre pas droit à la subrogation.

Enfin, on rappelle le cadre général : la subrogation de l’assureur est une institution d’origine légale et spéciale (loi du 13 juillet 1930, aujourd’hui C. assur., art. L. 121-12), généralisée dans plusieurs branches (transports : L. 172-29 ; aérien/aéronautique : L. 175-29 ; spatial : L. 176-1). Elle suppose toujours un paiement préalable par l’assureur et se mesure à concurrence de ce paiement (L. 121-12), tandis qu’en assurances de personnes elle n’est ouverte que pour les prestations à caractère indemnitaire (L. 131-2).

ii. Ratio legis

La subrogation de l’assureur a pour finalité d’assurer l’effectivité du principe indemnitaire : l’assuré ne doit pas cumuler l’indemnité d’assurance avec la réparation due par l’auteur du dommage et le responsable ne doit pas tirer avantage de l’intervention de l’assureur. En d’autres termes, une fois l’indemnité versée, la charge finale du dommage doit revenir à celui qui l’a causé, conformément à la logique de l’article L. 121-1 du Code des assurances.

Pour atteindre ce résultat, la loi organise une substitution de créancier qui déroge à l’effet relatif des contrats. Après paiement, l’assureur est de plein droit subrogé dans les droits et actions de l’assuré contre le tiers responsable, et ce uniquement à concurrence des sommes réglées (C. assur., art. L. 121-12 ; C. civ., art. 1346). Cette substitution n’opère aucune novation : l’obligation du débiteur reste identique dans son objet, sa mesure et ses accessoires, seul change le titulaire de la créance. Le débiteur peut opposer à l’assureur subrogé toutes les exceptions qu’il pouvait opposer à l’assuré, ce que consacre l’article 1346-5 du Code civil.

La subrogation redistribue ainsi les rôles. L’assuré, indemnisé, perd qualité à agir pour la part déjà payée et ne conserve que son reliquat ; en cas de paiement partiel, il est payé par préférence pour ce reliquat, l’assureur venant ensuite, conformément à l’article 1346-3 du Code civil. Sur le plan probatoire, l’assureur justifie son droit à subrogation par la production du contrat et la preuve du paiement, sans qu’une cession ni une quittance subrogative ne soient nécessaires, la jurisprudence l’ayant clairement admis sous l’empire de l’article L. 121-12.

iii. Sources

Le fondement principal du recours subrogatoire de l’assureur réside à l’article L. 121-12 du Code des assurances. La subrogation naît du paiement de l’indemnité et elle opère de plein droit. L’assureur n’a pas à procéder à une cession de créance ni à faire signer une quittance subrogative pour exercer le recours. La Cour de cassation l’a admis de longue date (Cass. 1re civ., 5 avr. 1978), et le Conseil d’État a confirmé que l’administration ne peut pas exiger une quittance pour reconnaître la subrogation (CE, 23 déc. 2011, n° 335946). En pratique, la preuve est simple : la production du contrat et la justification du paiement suffisent (Cass. 2e civ., 9 févr. 2012, n° 10-26.362). Le Conseil d’État a également jugé que ce droit de subrogation s’exerce quelle que soit la cause du dommage, y compris lorsque l’état de catastrophe naturelle a été déclaré, et sans que la présence d’une réassurance y fasse obstacle (CE, 31 mai 2021, n° 434733).

En dehors du droit spécial des assurances, la subrogation peut résulter du droit commun. L’article 1346 du Code civil prévoit une subrogation légale lorsque celui qui paie a intérêt à le faire et entend reprendre la créance contre le débiteur final. La Cour de cassation a ainsi admis qu’un assureur, ayant désintéressé le créancier, puisse se retourner contre la personne sur qui doit peser la charge définitive de la dette sur le fondement de l’ancien article 1251, devenu l’article 1346 (Cass., 1ère civ. 27 nov. 2013, n°12-25.399). L’article 1346-1 du Code civil autorise, en outre, la subrogation conventionnelle : l’assureur peut recueillir une quittance subrogative. Cette quittance n’est pas une condition de la subrogation légale de l’article L. 121-12, mais elle renforce la sécurité juridique du recours lorsque l’assureur souhaite, au besoin, cumuler les fondements.

A cet égard, ’assureur peut choisir le fondement le plus approprié à la situation (droit spécial, droit commun légal, ou subrogation conventionnelle). Il peut, en cause d’appel, invoquer un autre fondement juridique poursuivant les mêmes fins sans encourir l’irrecevabilité pour prétention nouvelle, dès lors que la demande tend au même résultat au sens de l’article 565 du Code de procédure civile (Cass. 2e civ., 5 juin 2025, n° 23-12.593). Le droit né du paiement peut aussi être exercé à un stade procédural ultérieur : l’assureur peut se substituer à son assuré en appel ou agir dans une instance distincte lorsque les conditions de la subrogation sont réunies.

c. Domaine

i. Les situations qui ouvrent droit à la subrogation

La subrogation naît d’abord du paiement effectué par l’assureur et elle opère de plein droit en assurance de dommages sur le fondement de l’article L. 121-12 du Code des assurances; la production de la police et la preuve du paiement suffisent à l’établir, sans qu’une cession de créance ni une quittance subrogative ne soient nécessaires (Cass. 1re civ., 5 avr. 1978)

Des textes spéciaux couvrent ensuite des domaines matériels où la subrogation s’applique de la même façon. En assurance maritime, l’article L. 172-29 prévoit que l’assureur acquiert, à concurrence de son paiement, tous les droits de l’assuré nés des dommages garantis ; des textes identiques existent en assurance aérienne et aéronautique (art. L. 175-29) et en assurance spatiale (art. L. 176-1), tandis que les risques de catastrophes technologiques donnent également lieu à subrogation légale au profit de l’assureur intervenant (art. L. 128-3). En assurance des véhicules terrestres à moteur, la loi organise un cas particulier de subrogation lorsque la garde ou la conduite ont été obtenues contre le gré du propriétaire, ce qui impose de démontrer la soustraction frauduleuse du véhicule ou l’absence d’autorisation (C. assur., art. L. 211-1, al. 3 ; v. notamment Cass. 1re civ., 9 juin 1993).

Le mécanisme joue aussi en assurance de responsabilité. L’assureur de responsabilité qui a indemnisé la victime est subrogé dans ses droits contre les autres tiers responsables, à proportion de leur part, et il n’a pas besoin d’une décision préalable établissant la faute de son assuré pour exercer son action contre ces tiers (Cass. 3e civ., 25 avr. 2007, n°05-17.839). Plus largement, la Cour de cassation rappelle que même le débiteur qui s’acquitte d’une dette personnelle peut prétendre à la subrogation, légale ou conventionnelle, s’il a libéré, envers le créancier commun, celui sur qui doit peser la charge définitive de la dette (Cass. 1re civ., 24 oct. 2000, n° 98-22.888). Le Conseil d’État admet, dans la même logique, la possibilité d’une double subrogation au profit de l’assureur, à la fois dans les droits de la victime sur le fondement de l’article 1346 du Code civil et dans les droits de son assuré sur le fondement de l’article L. 121-12 (CE, 20 déc. 2022, n° 445319).

En assurances de personnes, la subrogation est ouverte lorsque les prestations présentent un caractère indemnitaire au sens de l’article L. 131-2 du Code des assurances ; c’est aussi le cas lorsque l’assureur intervient comme tiers payeur au sens des articles 29 et 30 de la loi du 5 juillet 1985, pour les frais médicaux et de rééducation, les indemnités journalières, les prestations d’invalidité et les salaires maintenus qui sont alors subrogatoires de plein droit. L’assurance dite « d’avance sur recours », prévue par l’article L. 131-2, alinéa 2, combiné avec l’article L. 211-25, ouvre également le recours subrogatoire contre le tiers responsable dans la limite du solde subsistant après les paiements des tiers payeurs de la loi de 1985 ; la subrogation demeure ainsi possible lorsque la prestation est véritablement indemnitaire dans sa logique de calcul et d’attribution.

D’autres acteurs bénéficient d’un droit de subrogation légal, ce qui étend encore le domaine. Le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (art. L. 421-9 à L. 421-13), le Fonds de garantie des assurés contre la défaillance d’entreprises d’assurance de personnes (art. L. 423-1 et s.) et le FIVA (loi du 23 décembre 2000, art. 53, VI) sont subrogés à due concurrence des prestations servies ; la juridiction administrative admet que cette action s’exerce aussi contre des personnes publiques lorsqu’aucune disposition n’y fait obstacle (CAA Versailles, 13 mars 2007). En coassurance, la société apéritrice est présumée investie d’un mandat général de représentation et peut agir par subrogation pour la totalité de l’indemnité, sous réserve d’établir la coassurance, sa qualité d’apériteur et la quittance subrogative mentionnant le règlement par tous les coassureurs (Cass. com., 21 nov. 2018, n° 17-23.598). Lorsque plusieurs lignes de garantie interviennent, le bénéfice du recours revient par priorité à l’assureur de seconde ligne dans la limite de ce qu’il a versé, le solde revenant à la première ligne (Cass. 1re civ., 28 nov. 1995, n° 93-12.904). En protection juridique, les frais engagés pour la défense des intérêts de l’assuré peuvent être recouvrés contre le tiers responsable sur le fondement de l’article L. 121-12 (Cass. 3e civ., 23 févr. 2017, n°16-11.740). En assurance-crédit, l’article L. 121-12 est applicable par renvoi légal (L. n° 72-650, 11 juill. 1972, art. 22), et en assurance-caution, l’article L. 443-1 autorise, par référence à l’article 1346 du Code civil, un recours subrogatoire contre le donneur d’ordre, ses coobligés et les autres cautions, ce texte ayant un caractère interprétatif confirmé par la jurisprudence (Cass. 2e civ., 13 déc. 2018, n° 17-22.624).

Enfin, lorsque l’assureur n’a pas lui-même la qualité d’assureur au sens de L. 121-12 (par exemple un GIE gestionnaire), la subrogation demeure ouverte sur le terrain conventionnel si une quittance subrogative a été donnée et si les contrats gérés sont produits pour établir l’étendue des garanties ; à défaut, l’article L. 121-12 est inapplicable en tant que tel, mais l’article 1346-1 du Code civil permet de fonder le recours (Cass. 1re civ., 2 oct. 2001, n°99-15.828).

ii. Les situations qui n’ouvrent pas droit à la subrogation

La subrogation ne s’exerce jamais contre l’assuré lui-même lorsque l’assureur lui a versé des prestations au titre d’une atteinte à la personne ; la seule action ouverte est l’action subrogatoire contre le tiers responsable ou son assureur, et non une action directe en remboursement contre l’assuré, sous peine de contourner la règle de priorité des tiers payeurs et la limite posée à l’article L. 211-25 (Cass. 2e civ., 23 oct. 2008, n°07-18.234). De manière plus générale, l’article L. 121-12, en son alinéa 1er, limite le périmètre personnel du recours « contre les tiers », ce qui exclut l’idée d’un recours de l’assureur contre son propre cocontractant au titre des sommes versées en exécution de la garantie.

La loi institue ensuite une immunité familiale qui fait obstacle au recours contre certaines personnes : l’assureur n’a aucun recours contre les enfants, descendants, ascendants, alliés en ligne directe, préposés, employés, ouvriers ou domestiques et, plus largement, contre toute personne vivant habituellement au foyer de l’assuré, sauf malveillance (C. assur., art. L. 121-12, al. 3). Cette immunité ne s’étend pas à l’assureur de la personne protégée, de sorte qu’un recours demeure possible contre l’assureur de responsabilité de celle-ci, ce qu’a jugé la Cour de cassation en 2012 ; la jurisprudence admet en outre une articulation avec l’article L. 121-2 (garantie des personnes dont l’assuré répond), sous réserve de l’exclusion légale de l’article L. 121-8 en cas d’émeutes ou de mouvements populaires, qui prévaut sur l’ordre public de L. 121-2 (Cass. 2e civ., 8 mars 2006). La malveillance, longtemps définie par l’intention de nuire à la victime, a été précisée par l’Assemblée plénière afin d’éviter de vider la garantie de sa substance en présence d’actes volontaires de mineurs (Ass. plén., 13 nov. 1987, n°86-17.185).

La subrogation n’est pas davantage recevable devant la juridiction répressive puisque l’assureur ne dispose d’aucun recours subrogatoire devant le juge pénal ; le recours doit être exercé devant la juridiction civile compétente (Cass. crim., 9 févr. 1994, n°93-83.047). Elle peut encore échouer lorsque, par le fait de l’assuré, elle ne peut plus s’opérer ; la loi prévoit alors une sanction consistant à décharger l’assureur de tout ou partie de sa garantie (C. assur., art. L. 121-12, al. 2), hypothèse illustrée lorsque le comportement de l’assuré fait perdre le droit au recours, par exemple par une déclaration tardive ayant empêché l’exercice utile de l’action.

En assurances de personnes, la subrogation n’est pas ouverte lorsque les prestations servies sont véritablement « forfaitaires » au sens où leur calcul est indépendant du préjudice subi ; dans ce cas, elles ne relèvent pas de la logique indemnitaire visée par l’article L. 131-2 et ne peuvent fonder un recours subrogatoire, en dehors des cas où la loi l’organise comme tiers payeur (loi du 5 juillet 1985, art. 29 et 30) ou au titre de l’« avance sur recours » strictement encadrée par l’article L. 211-25. À l’inverse, si la prestation est indemnitaires dans ses modalités de calcul et d’attribution, la subrogation redevient possible, mais elle reste limitée par la priorité des tiers payeurs et par l’interdiction faite à l’assureur d’agir contre son assuré, même lorsque le contrat parle d’« avance ».

Des limites existent également du côté de l’assureur de responsabilité. Lorsqu’il exerce son recours contre un co-responsable, il doit conserver à sa charge la part de responsabilité imputable à son assuré dans la dette solidaire envers la victime ; il ne peut se subroger au-delà de ce que l’assuré devait supporter in fine (Cass. 2e civ., 24 oct. 2013, n°12-21.861). De plus, l’article L. 121-12 ne profite qu’aux véritables assureurs et non aux structures de gestion ; un GIE ne peut donc pas invoquer la subrogation légale spéciale et doit, à défaut, se placer sur le terrain de la subrogation conventionnelle, sous réserve d’en rapporter la preuve utile (Cass. 1re civ., 2 oct. 2001, n° 99-15.828).

La renonciation contractuelle au recours constitue enfin une cause d’exclusion volontaire de la subrogation. L’assureur peut valablement renoncer, par convention avec l’assuré, à exercer son recours contre le responsable, y compris lorsque la responsabilité encourue est délictuelle ou quasi délictuelle ; toutefois, sauf stipulation contraire, cette renonciation n’emporte pas renonciation à agir contre l’assureur de responsabilité de ce responsable, la jurisprudence ayant abandonné l’ancienne solution plus stricte (Cass. 1re civ., 26 mai 1993, n°91-11.362 et 91-11.770).

2. Conditions d’exercice du recours subrogatoire

a. L’indemnisation préalable de l’assuré

?Droit commun

La subrogation personnelle procède du paiement : elle naît du règlement qui désintéresse le créancier et ne peut, par définition, intervenir ni avant—faute de fait générateur—ni après, l’obligation étant alors éteinte par le paiement (C. civ., art. 1346-4). En sa forme légale, elle suppose que le tiers solvens justifie d’un intérêt légitime et que son paiement libère, envers le créancier, celui sur qui doit peser la charge définitive de la dette (C. civ., art. 1346). En sa forme conventionnelle, elle exige la concomitance de l’acte subrogatoire et du paiement, sauf manifestation antérieure de volonté permettant que la subrogation prenne effet « au moment du paiement » ; une subrogation annoncée avant le règlement relève de la cession de créance, tandis qu’une subrogation postérieure est sans objet (C. civ., art. 1346-1 ; Cass. com., 29 janv. 1991). Dans tous les cas, la subrogation se mesure au paiement : elle transmet au subrogé la créance telle qu’elle existe, avec ses accessoires, dans la limite des sommes effectivement versées (C. civ., art. 1346-4). Si le paiement est partiel, la subrogation est partielle ; le créancier originaire conserve par préférence le reliquat, conformément à l’article 1346-3 du Code civil, expression de l’adage nemo contra se subrogare censetur. Enfin, la subrogation n’emporte pas, par elle-même, transfert des intérêts conventionnels attachés au rapport initial : sauf stipulation nouvelle, le subrogé ne peut prétendre qu’aux intérêts au taux légal et à compter de la mise en demeure (C. civ., art. 1346-4).

L’opposabilité de la subrogation obéit à une logique binaire. À l’égard des tiers, elle est acquise dès le paiement, de sorte que la date du règlement fixe la priorité en cas de concours (C. civ., art. 1346-5, al. 3). À l’égard du débiteur, elle ne peut être invoquée par le subrogé qu’à la condition d’une notification ou d’une prise d’acte ; tant que cette exigence n’est pas satisfaite, le débiteur demeure fondé à opposer au subrogé toutes les exceptions inhérentes à la dette, ainsi que celles nées de ses rapports avec le subrogeant antérieurement à l’opposabilité (C. civ., art. 1346-5, al. 1 et 2). La preuve des conditions de la subrogation, au premier rang desquelles le paiement libératoire, relève du régime probatoire des faits juridiques : elle est libre. Peuvent être produits des relevés bancaires, des écritures comptables, une quittance subrogative ou une transaction ; la jurisprudence admet également des équivalents probatoires qui établissent le rattachement causal du règlement à la dette éteinte, tel un rapport d’expertise circonstancié (CE, 25 nov. 2021) ou une traçabilité informatique fixant la réalité et la date de l’ordre de paiement (Cass. 3e civ., 4 juill. 2024). Il s’ensuit que la destination matérielle des fonds est indifférente dès lors que le créancier est valablement désintéressé : la subrogation opère si le paiement, effectué pour le compte du subrogeant, a libéré la dette, la condition d’existence tenant au paiement lui-même et la condition d’opposabilité tenant à sa portée à l’égard du débiteur et des tiers.

==>Droit des assurances

En assurance de dommages, la subrogation légale n’existe qu’à la condition d’un paiement indemnitaire préalable effectué en exécution de la garantie. Elle naît du règlement opéré par l’assureur et se mesure strictement à ce règlement : la créance transmise est celle de l’assuré, avec ses accessoires, mais dans la limite des sommes effectivement versées. Il appartient donc à l’assureur d’établir que le versement a la qualité d’indemnité d’assurance, ce qui résulte en principe de la production de la police et des justificatifs de règlement ; d’autres pièces peuvent compléter ces éléments probatoires lorsqu’il s’agit de prouver le rattachement du paiement à la garantie (par exemple, un rapport d’expertise circonstancié ou la traçabilité d’un ordre de paiement : CE, 25 nov. 2021 ; Cass. 3e civ., 4 juill. 2024). À l’inverse, un versement hors garantie — geste gracieux, arrangement commercial, indemnité payée malgré une exclusion opposable, avenant non souscrit, restitution de la chose volée — n’ouvre aucun recours subrogatoire (v. not. Cass. 1re civ., 23 sept. 2003). La destination du paiement est indifférente dès lors que le créancier est valablement désintéressé : qu’il soit versé à l’assuré, à un prestataire ou directement à la victime en responsabilité civile, l’effet subrogatoire joue pourvu que le règlement éteigne la dette d’assurance (Cass. 2e civ., 31 mars 2022). La mesure du recours s’en déduit immédiatement : d’une part, l’assureur ne peut recouvrer que les sommes effectivement payées (il ne peut réclamer une « valeur à neuf » non réglée) ; d’autre part, le recouvrement reste plafonné par la dette du responsable envers l’assuré, de sorte que l’assureur ne peut exiger davantage que ce que le tiers devait à ce dernier. Enfin, l’assuré, une fois indemnisé, perd qualité pour agir à hauteur de la fraction payée — sauf mandat spécial — mais demeure recevable pour son reliquat : la subrogation suit le paiement et ne le dépasse jamais.

La subrogation produit ses effets à la date du paiement, qui fixe la naissance du droit transféré et la priorité en cas de concours ; la créance subrogée passe avec ses accessoires (sûretés, réserve de propriété), à l’exclusion des droits attachés à la personne. Les intérêts du recours subrogatoire ne courent qu’à compter de la mise en demeure du débiteur, sauf convention nouvelle. À l’égard du débiteur, l’invocation de la subrogation par l’assureur suppose, pour son opposabilité, notification ou prise d’acte ; à défaut, le débiteur peut opposer au subrogé les exceptions qu’il tenait du rapport antérieur. Un aménagement est toutefois admis en dommages-ouvrage : pour éviter l’« effet ciseau » des délais, l’assureur DO peut assigner avant d’avoir réglé, à la condition déterminante d’avoir effectivement payé avant que le juge du fond statue (Cass. 3e civ., 9 juill. 2003). Cet assouplissement ne modifie pas les conditions d’existence du droit : la subrogation naît du paiement ; le procès peut s’ouvrir plus tôt, mais le droit d’agir en qualité de subrogé n’advient qu’au règlement effectif qui éteint la dette d’assurance et transfère, à due concurrence, la créance de l’assuré contre le tiers.

b. L’existence d’un tiers responsable

==>La détermination de la qualité de tiers

Le recours subrogatoire n’est ouvert qu’à l’encontre d’un tiers au regard du contrat d’assurance. Il est, en revanche, irrecevable contre toute personne qui, au sens matériel de la police, bénéficie de la garantie. La jurisprudence a, à maintes reprises, rappelé cette exclusion. Ne peut être poursuivi à ce titre le conducteur ou gardien d’un véhicule lorsqu’il est couvert par une police de responsabilité automobile ; le copropriétaire garanti par une police d’immeuble ; l’officier ministériel assuré pour compte ; l’intervenant à l’acte de construire inclus dans une police « tous risques chantier » ; ou encore l’installateur bénéficiant d’une stipulation pour compte. Dans toutes ces hypothèses, l’intéressé n’est pas un tiers mais un assuré au sens de la police : l’assureur de dommages est donc privé de recours à son encontre. La solution demeure la même même lorsqu’une clause stipule que «les assurés ont qualité de tiers entre eux » : une telle stipulation est réputée inopérante à l’égard du recours subrogatoire, car elle ne modifie pas la qualité d’assuré que confère la police et ne peut pas contourner la règle d’irrecevabilité.

Cette qualification s’apprécie concrètement au regard du bénéfice effectif de la garantie au jour du sinistre, et non en fonction du seul libellé des parties. En pratique, il incombe donc à l’assureur qui envisage un recours de démontrer positivement la qualité de tiers de la personne mise en cause. Cette vérification doit être conduite police en main, en tenant compte non seulement des stipulations expresses mais aussi des assurances « pour compte » et des garanties par extension. Ainsi, en matière automobile, toute personne ayant la garde ou la conduite du véhicule est réputée assurée et ne peut être poursuivie par l’assureur. De même, les polices « tous risques chantier » intègrent dans leur périmètre l’ensemble des intervenants à l’acte de construire, ce qui ferme le recours à l’assureur contre eux. Cette cartographie préalable est décisive : elle permet d’écarter les cibles irrecevables et d’orienter l’action vers un véritable débiteur du dommage.

Lorsqu’une personne est reconnue extérieure au cercle des assurés, elle peut être tenue pour tiers débiteur au sens de l’article L. 121-12 du Code des assurances. Le recours devient alors recevable, qu’il s’agisse d’un cocontractant de l’assuré — par exemple un dépositaire tenu à restitution —, d’un sous-traitant intervenu dans l’exécution de l’ouvrage, ou encore d’une personne publique susceptible d’engager sa responsabilité sur le terrain administratif, notamment en cas de défaut d’entretien normal ou d’attroupements et rassemblements (CGCT, art. L. 2216-3). La jurisprudence insiste toutefois sur l’exigence de diligence lorsque le recours est exercé contre un sous-traitant : l’assureur doit agir sans retard, sous peine de voir son action paralysée.

Enfin, si le recours direct contre la personne assurée est fermé, il demeure la possibilité, lorsque le régime applicable l’autorise, d’agir contre l’assureur de responsabilité de cette personne (v. Cass. 3e civ., 17 déc. 2003). Mais quelle que soit la cible, l’assureur n’est subrogé que dans les droits dont son assuré disposait à la date du paiement : il agit dans les mêmes limites, supporte les mêmes exceptions, et ne peut revendiquer des prérogatives que l’assuré n’aurait pas eues (C. assur., art. L. 121-12 ; C. civ., art. 1346-4 et 1346-5).

En définitive, la reconnaissance de la qualité de tiers constitue la condition décisive de l’ouverture du recours subrogatoire. Si la personne bénéficie de la garantie, l’action lui est définitivement fermée ; si elle en est exclue, l’assureur peut valablement exercer son recours, dans les conditions et limites que connaissait déjà son assuré.

==>Conditions d’exercice du recours contre le tiers

Dès lors que la personne visée est tiers au contrat, l’article L. 121-12 du Code des assurances ouvre le recours quelle que soit la source de responsabilité invoquée: contractuelle, délictuelle, quasi-délictuelle ou administrative. A cet égard; la Cour de cassation rappelle que l’assureur n’a pas à démontrer, préalablement, un « rôle causal fautif » selon les canons du droit commun pour être recevable à agir : il suffit d’établir que le fait du tiers a causé le dommage pour engager l’action, le fondement juridique étant discuté au fond. La pratique en fournit des illustrations classiques : action contre le dépositaire bijoutier en raison de l’obligation de restitution (Cass. 1re civ., 10 juin 1997) ; action contre un sous-traitant, à la condition d’agir avec diligence ; action contre des personnes publiques selon les règles de la responsabilité administrative (défaut d’entretien, attroupements : CGCT, art. L. 2216-3), sous réserve des régimes spéciaux. Un régime particulier mérite toutefois d’être isolé : en matière de vol, la protection du possesseur de bonne foi (C. civ., art. 2276) interdit à l’assureur d’exercer une action en revendication sur le seul fondement de L. 121-12 lorsque le bien est retrouvé entre ses mains (Cass. 1re civ., 19 janv. 1994). L’automobile connaît ici une correction par l’article L. 211-1, al. 3 : lorsque la garde ou la conduite du véhicule a été obtenue contre le gré du propriétaire, l’assureur, après indemnisation, est subrogé pour agir contre la personne responsable – typiquement le gardien ou le conducteur non autorisé –, indépendamment de toute revendication ; la preuve du vol ou de l’absence de consentement pèse sur l’assureur et se trouve facilitée en cas de poursuites pénales, ainsi que le retient la jurisprudence citée dans vos sources. Quant à la mesure du recours, elle obéit à un double plafonnement, constant en jurisprudence : d’une part, les sommes effectivement versées par l’assureur (il n’est pas possible de recouvrer une « valeur à neuf » non payée) ; d’autre part, la dette du responsable envers l’assuré, l’assureur ne pouvant exiger plus que ce que le tiers devait à ce dernier. En présence d’un partage de responsabilité, l’opération s’effectue sur le préjudice de l’assuré et non sur l’indemnité d’assurance, ce qu’a encore rappelé le juge administratif (CE, 12 avr. 2023). Enfin, les incidences procédurales demeurent alignées sur l’action de l’assuré : l’objet, la compétence et la prescription se calquent sur son droit propre ; l’assignation engagée par l’assuré dans le délai peut profiter au subrogé ; après paiement, l’assuré perd qualité pour la fraction indemnisée (sauf mandat), et l’assureur a tout intérêt à notifier la subrogation au débiteur afin d’en assurer l’opposabilité et de prévenir tout paiement ou compensation postérieurs (C. civ., art. 1346-5).

En définitive, l’ouverture du recours subrogatoire dépend entièrement de la qualité de la personne visée. Lorsqu’elle bénéficie de la garantie d’assurance, elle ne peut en aucun cas être considérée comme un tiers et l’action de l’assureur est irrecevable. En revanche, si elle n’est pas couverte par la police, elle entre dans la catégorie des tiers débiteurs : l’assureur peut alors exercer son recours contre elle, mais uniquement dans les limites et aux conditions que connaissait déjà son assuré.

3. Effets du recours subrogatoire

a. Les effets à l’égard de l’assureur

Dès qu’il a versé l’indemnité, l’assureur est subrogé de plein droit dans les droits et actions de l’assuré contre le tiers responsable, à concurrence du paiement (C. civ., art. 1346-4 ; C. assur., art. L. 121-12). Il s’agit d’un mécanisme légal qui n’exige ni cession de créance ni quittance subrogative. La jurisprudence l’énonce avec constance : la simple production de la police et la preuve du règlement suffisent à établir la subrogation (Cass. 1re civ., 5 avr. 1978). Le transfert opère à la date du paiement et porte sur la créance telle qu’elle existait dans le patrimoine de l’assuré, avec ses accessoires, qu’il s’agisse des sûretés ou des clauses qui en renforçaient l’efficacité.

Depuis l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil encadre en outre l’opposabilité de la subrogation au débiteur. L’article 1346-5 dispose qu’elle ne produit ses effets à l’égard du tiers responsable qu’à condition qu’il en ait été informé, soit par une notification de l’assureur, soit parce qu’il a lui-même reconnu cette subrogation. Tant que cette information n’a pas été notitfiée, le tiers reste légitimement fondé à considérer que son seul créancier est l’assuré. Dans ce cas, il peut valablement s’acquitter entre ses mains, sans craindre d’être exposé à une nouvelle demande de l’assureur. Il pourrait même invoquer la compensation entre sa dette envers l’assuré et une créance qu’il détient sur lui, si les conditions étaient réunies avant qu’il n’ait eu connaissance de la subrogation (Cass. com., 23 juin 1992). C’est pourquoi il est essentiel, en pratique, que l’assureur avertisse sans délai le tiers responsable de son paiement, afin de sécuriser l’action récursoire et d’écarter toute extinction de la dette par un règlement intervenu directement entre les mains de l’assuré.

Le transfert de droits opéré par la subrogation ne se limite pas à la créance principale. Il englobe aussi ses accessoires, « à l’exception des droits exclusivement attachés à la personne » (C. civ., art. 1346-4). Sont ainsi transmis, outre l’action en responsabilité, les sûretés réelles ou personnelles attachées à la créance et les stipulations qui en garantissent l’exécution. La question des intérêts moratoires illustre bien cette extension. Dans un premier temps, la Cour de cassation a retenu, par un arrêt d’Assemblée plénière du 7 février 1986, que ces intérêts couraient à compter de la date d’émission de la quittance subrogative. Elle est ensuite revenue sur cette position pour appliquer la règle de droit commun, désormais posée par l’article 1231-6 (ancien art. 1153) du Code civil, selon laquelle les intérêts au taux légal ne courent qu’à compter de la mise en demeure adressée au débiteur (Cass. 1re civ., 7 mai 2002). Cela impose, en pratique, d’adresser rapidement une mise en demeure au tiers responsable ou à son assureur, afin de faire courir utilement les intérêts.

La mesure du recours suit par ailleurs exactement celle de l’indemnisation versée. Ainsi, en assurance incendie, la subrogation porte non seulement sur le montant des dommages matériels mais aussi sur les garanties annexes comme les frais de nettoyage ou les honoraires de l’expert d’assuré, dès lors qu’ils ont été effectivement réglés par l’assureur (Cass. 2e civ., 25 janv. 2024). À l’inverse, ne sont pas récupérables les sommes qui ne correspondent pas à la dette du responsable, telles que des débours sans cause ou des dommages-intérêts autonomes qui ne trouvent pas leur origine dans le sinistre indemnisé.

S’agissant des limites du recours, le principe directeur demeure classique : le subrogé n’a pas plus de droits que le subrogeant. L’assureur ne peut donc prétendre ni à une indemnisation supérieure à celle que l’assuré pouvait obtenir du tiers, ni à des droits que ce dernier n’avait pas (CE, 16 oct. 1995). Le recours est ainsi doublement borné : d’une part par le montant effectivement payé à l’assuré (C. civ., art. 1346-3 ; v. Cass. 1re civ., 21 févr. 2006, censurant un arrêt qui avait condamné le tiers à plus que le montant versé), d’autre part par l’assiette de la dette du responsable, l’assureur ne pouvant récupérer au-delà du préjudice juridiquement imputable au tiers (Cass. 2e civ., 5 avr. 2007). Parce qu’il reprend la position juridique de son assuré, l’assureur subrogé est également tenu par les stipulations qui liaient ce dernier au responsable : ainsi, une clause compromissoire convenue entre eux s’impose à l’assureur (Cass. 1re civ., 16 mars 2004). De même, si la responsabilité était partagée ou si une limitation contractuelle venait réduire le droit de l’assuré, le recours de l’assureur s’en trouve affecté (Cass. 2e civ., 24 oct. 2013).

L’exercice de ce recours obéit enfin à certaines règles procédurales. L’assureur peut agir seul, indépendamment de l’assuré, et choisir le moment pour se substituer à lui, y compris en intervenant en appel ou en introduisant une nouvelle instance après le paiement (Cass. 2e civ., 4 févr. 2010 ). Il n’a pas à attendre que la responsabilité de l’assuré ait été judiciairement constatée : le recours subrogatoire peut être exercé en l’absence de décision préalablement rendue (Cass. 3e civ., 25 avr. 2007). Mais la charge de la preuve pèse intégralement sur lui : il doit démontrer la responsabilité du tiers, établir l’existence du sinistre et son lien causal, et justifier du paiement, la simple mention « assureur subrogé » ne suffisant pas (Cass. 1re civ., 27 févr. 2001). En matière de coassurance, l’apériteur est présumé mandaté pour agir au nom de l’ensemble des coassureurs et peut réclamer le remboursement de la totalité de l’indemnité versée, sous réserve de produire la police ou son avenant mentionnant la coassurance et la quittance précisant la part de chacun (Cass. com., 21 nov. 2018). En revanche, la réassurance demeure sans incidence : elle ne fait pas obstacle au recours, l’assureur direct restant seul créancier et seul responsable à l’égard de l’assuré comme des tiers (CE, 31 mai 2021). Enfin, dans certaines hypothèses, notamment en assurance de responsabilité, l’assureur peut articuler la subrogation prévue à l’article L. 121-12 du Code des assurances avec celle de l’article 1346 du Code civil (ancien art. 1251, 3°), en se plaçant non seulement dans les droits de son assuré, mais aussi dans ceux de la victime. La jurisprudence administrative admet expressément cette double subrogation et considère que l’assureur exerce alors une action fondée sur les droits de la victime, avec toutes les exceptions qui auraient pu être opposées à celle-ci (CE, 20 déc. 2022).

b. Les effets à l’égard de l’assuré

La subrogation produit un effet immédiat : dès que l’assureur verse l’indemnité, l’assuré est dessaisi de ses droits contre le tiers responsable. Ceux-ci sont transmis à l’assureur, mais uniquement à hauteur de la somme payée (C. civ., art. 1346-4 ; C. assur., art. L. 121-12). L’assuré n’a donc plus la possibilité d’exercer une action personnelle contre l’auteur du dommage pour la part déjà indemnisée (Cass. 1re civ., 1er déc. 2009, n° 08-20.656). Cette règle répond à une exigence simple : éviter une double réparation d’un même préjudice, qui résulterait d’un cumul entre l’indemnité d’assurance et une action directe de la victime contre le responsable.

Ce dessaisissement n’est toutefois pas absolu. La jurisprudence et la doctrine ont reconnu plusieurs tempéraments qui permettent à l’assuré de conserver, dans certaines hypothèses, une capacité d’action résiduelle. Ainsi, l’assuré peut continuer à agir en justice, non pas en son nom propre, mais au nom de l’assureur subrogé, dès lors qu’une convention expresse ou tacite le prévoit. La Cour de cassation a admis qu’il puisse introduire ou poursuivre une action dans l’intérêt de son assureur, à condition d’établir l’existence d’un mandat ou d’une ratification (Cass. 1re civ., 29 avr. 1975). Ce mécanisme permet d’éviter les interruptions ou toutes autres difficultés procédurales qui pourraient survenir si l’assureur choisissait de ne pas agir lui-même.

De la même manière, tant que l’assureur n’a pas versé l’indemnité, l’assuré conserve ses droits contre le tiers responsable. La subrogation suppose un paiement préalable ; elle ne peut donc intervenir que pour les droits non encore exercés. La Cour administrative d’appel de Bordeaux a ainsi jugé que l’assureur ne saurait se substituer à l’assuré lorsque celui-ci a déjà engagé une action contre le responsable (CAA Bordeaux, 16 oct. 2001).

Une troisième hypothèse doit être envisagée : celle du paiement partiel. Lorsque l’assureur n’indemnise que partiellement le dommage, l’assuré conserve le droit d’agir pour la part non réglée. La subrogation ne s’exerce alors que dans la mesure exacte du paiement (C. civ., art. 1346-3). La Cour de cassation l’a rappelé avec fermeté, soulignant que l’assuré peut conserver un droit d’action pour le reliquat de sa créance (Cass. 1re civ., 27 févr. 2007). Dans cette situation, les actions de l’assuré et de l’assureur coexistent, chacune pour sa part, ce qui suppose parfois une coordination procédurale afin d’éviter les doublons et les contradictions.

En sens inverse, certaines situations peuvent compromettre les recours de l’assureur du fait même du comportement de l’assuré. L’article L. 121-12, alinéa 2 du Code des assurances prévoit d’ailleurs que l’assureur peut être privé de son recours si l’assuré a rendu la subrogation impossible. Il est de nombreuses illustrations de l’application de cette règle en jurisprudence. Ainsi, une déclaration tardive du sinistre peut empêcher l’assureur d’agir efficacement contre le responsable et entraîner la perte de son recours (Cass. 3e civ., 8 févr. 2018). De même, si l’assuré renonce contractuellement à tout recours au profit du tiers responsable, l’assureur est définitivement privé de toute action subrogatoire (Cass. 1re civ., 3 nov. 1993). La solution est identique lorsque l’assuré a reconnu sa propre responsabilité : cette reconnaissance lie l’assureur dans ses rapports avec le tiers et neutralise son recours. Enfin, la prescription acquise du droit d’agir contre le tiers s’impose également à l’assureur, qui ne dispose jamais d’un délai supérieur à celui dont aurait bénéficié son assuré (Cass. 2e civ., 17 déc. 2020).

c. Les effets à l’égard du tiers

La subrogation est sans incidence sur la situation du tiers responsable. Par un effet de stricte symétrie, le tiers peut opposer à l’assureur subrogé toutes les exceptions et moyens de défense qu’il aurait pu soulever à l’encontre de l’assuré. La Cour de cassation l’a rappelé à plusieurs reprises : l’assureur agit dans les droits de son assuré et ne saurait être investi de prérogatives supérieures (Cass. 1re civ., 12 déc. 1977).

Cette règle permet notamment au tiers d’invoquer la compensation (Cass. com., 14 janv. 1997), la prescription (Cass. 1re civ., 18 nov. 2003), ou encore les clauses contractuelles opposables à l’assuré. Ainsi, lorsqu’un contrat conclu entre l’assuré et le tiers comportait une clause compromissoire, celle-ci lie également l’assureur subrogé, qui doit respecter la voie de règlement des différends choisie par son assuré (Cass. 1re civ., 16 mars 2004). L’assureur ne peut donc se soustraire aux limites conventionnelles qui pesaient sur l’assuré.

Au-delà des exceptions procédurales ou substantielles, le tiers dispose également d’un droit de contestation du montant de la créance subrogatoire. Devant le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, l’auteur du dommage peut contester la somme réclamée dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure (C. assur., art. R. 421-16).

Dans son arrêt du 29 mai 2009, l’Assemblée plénière a posé un principe essentiel : “constitue un droit fondamental, en vue d’un procès équitable, le droit d’être pleinement informé de la faculté de contester devant un juge une transaction opposée à celui qui n’y était pas partie” (Cass. ass. plén., 29 mai 2009, n°08-11.422).

L’affaire concernait un conducteur non assuré, assigné par le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) après que celui-ci eut indemnisé la victime d’un accident. Pour justifier sa demande, le Fonds avait adressé au responsable deux lettres recommandées mentionnant que le remboursement était demandé « conformément aux articles L. 421-3 et R. 421-16 du Code des assurances ». Toutefois, ces lettres se bornaient à citer les textes sans mentionner explicitement l’existence d’une transaction, ni préciser le droit de contester, le délai imparti pour le faire et le point de départ de ce délai.

La Cour de cassation a jugé que cette information était insuffisante. En l’absence de notification claire et complète, la transaction conclue entre le Fonds et l’assureur de la victime ne pouvait être opposée au responsable non assuré. En d’autres termes, ce dernier ne pouvait être tenu par un accord auquel il n’avait pas participé et dont il n’avait pas été informé de manière effective.

Pour autant, l’Assemblée plénière a rappelé que cette inopposabilité n’empêchait pas le Fonds d’agir sur un autre fondement : en vertu de l’article L. 421-3 du Code des assurances, le FGAO demeure subrogé dans les droits du créancier de l’indemnité contre l’auteur de l’accident. Même si la transaction ne lui était pas opposable, le recours subrogatoire subsistait et devait être examiné par le juge du fond.

Un raisonnement similaire s’applique au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). Dans ce cadre, l’auteur de l’infraction peut contester le montant de l’indemnité réclamée par le fonds, dans la mesure exacte des droits qu’il aurait pu opposer à la victime subrogeante (Cass. crim., 11 janv. 2002). À défaut d’exercer cette faculté dans les délais prévus, il s’expose toutefois à la forclusion, ce qui confère au recours du fonds une force particulière.

Enfin, le tiers peut également faire valoir que la responsabilité de l’assuré-victime est engagée dans la réalisation du dommage. Cette circonstance réduit corrélativement le droit à remboursement de l’assureur subrogé. En effet, si la victime était partiellement responsable, l’assureur ne peut réclamer au tiers que la part correspondant à la responsabilité imputable à celui-ci, et doit supporter la réduction corrélative (Cass. 2e civ., 24 oct. 2013). La logique indemnitaire commande ainsi que le recours de l’assureur ne puisse excéder ce que la victime elle-même aurait pu obtenir après application des règles de partage de responsabilité.

B. Le droit à résiliation de l’assureur

La survenance d’un sinistre constitue l’événement central de l’opération d’assurance : elle déclenche le droit à indemnité pour l’assuré et mobilise la prestation de l’assureur. Mais cet événement, révélateur de la réalisation du risque, peut également marquer un tournant dans la relation contractuelle. Le législateur a en effet prévu la possibilité, pour l’assureur comme pour l’assuré, de mettre un terme au contrat après la survenance d’un sinistre. Cette faculté, prévue par l’article R. 113-10 du Code des assurances, permet à l’assureur de mettre fin au contrat après un sinistre, lorsqu’il estime que la réalisation du risque révèle une aggravation du risque futur. En contrepartie, le texte accorde à l’assuré le droit de résilier ses autres contrats souscrits auprès du même assureur.

Le dispositif repose sur des règles générales valables pour l’ensemble des contrats d’assurance, mais il est assorti d’exceptions, en particulier pour l’assurance automobile obligatoire. Dans ce domaine, la résiliation n’est admise qu’en présence de comportements fautifs graves du conducteur, tels que l’alcoolémie, la consommation de stupéfiants ou certaines infractions routières (art. A. 211-1-2 C. assur.). L’objectif est double : protéger les victimes en garantissant la continuité de l’assurance, tout en permettant à l’assureur de se dégager lorsqu’un sinistre révèle un risque aggravé.

C’est dans ce cadre qu’il convient d’examiner les fondements, le champ d’application, les conditions de mise en œuvre et les effets de la résiliation du contrat d’assurance après sinistre.

1. Principe

La faculté de résiliation consécutive à un sinistre trouve son fondement dans l’article R. 113-10 du Code des assurances, qui permet à l’assureur de stipuler dans la police une clause l’habilitant à mettre fin au contrat après la survenance d’un sinistre. Cette faculté repose sur l’idée que la réalisation du risque peut révéler une aggravation du risque futur, rendant légitime une rupture anticipée de la relation contractuelle.

Toutefois, l’exercice de ce droit n’est pas absolu. Dans un arrêt du 18 janvier 2018, la Cour de cassation a censuré une cour d’appel qui avait écarté tout contrôle sur les motifs de la résiliation en se bornant à relever que le sinistre était de nature à engager la garantie de l’assureur. Elle a jugé qu’il incombait aux juges du fond de rechercher si la résiliation n’avait pas été exercée de manière abusive, par exemple dans le seul but de se libérer prématurément de ses obligations et d’assainir un portefeuille en vue de sa cession à un autre assureur (Cass. 2e civ., 18 janv. 2018, n°16-26.494). La résiliation après sinistre doit donc être mise en œuvre dans le respect des exigences de bonne foi et de proportionnalité.

Ce droit n’est pas sans contrepartie. En effet, l’article R. 113-10 prévoit qu’en cas de résiliation du contrat sinistré par l’assureur, l’assuré dispose à son tour, dans le délai d’un mois suivant la notification, de la faculté de mettre fin aux autres contrats souscrits auprès du même assureur. L’équilibre contractuel est ainsi préservé : la résiliation post-sinistre ne profite pas exclusivement à l’assureur, mais s’accompagne d’un droit équivalent reconnu à l’assuré.

Enfin, à côté de ce dispositif général, l’article A. 211-1-2 du Code des assurances introduit un régime particulier pour l’assurance automobile obligatoire. Dans ce domaine, la résiliation n’est admise qu’en présence de comportements fautifs graves du conducteur, tels que la conduite en état alcoolique, sous l’emprise de stupéfiants ou la commission d’une infraction routière ayant conduit à une suspension ou à une annulation du permis de conduire. L’objectif est ici de concilier la liberté contractuelle de l’assureur avec l’exigence d’ordre public de protection des victimes de la circulation.

2. Domaine d’application

a. Le principe

En théorie, le droit de résiliation post-sinistre n’est pas limité aux assurances facultatives : il concerne indistinctement tous les types de contrats d’assurance. La Cour de cassation a d’ailleurs jugé que l’article R. 113-10 s’applique même aux assurances obligatoires, dès lors que la clause figure expressément dans la police (Cass. 1re civ., 5 juin 1985).

b. Les exceptions

Cette extension connaît toutefois une limite notable en matière d’assurance automobile obligatoire. L’article A. 211-1-2 du Code des assurances circonscrit le droit de résiliation de l’assureur aux hypothèses où le sinistre a été causé :

Cette restriction répond à un double objectif : protéger la victime en évitant les situations d’absence de couverture, et sanctionner les comportements particulièrement fautifs du conducteur.

3. Modalités d’exercice

4. Effets

a. Date de prise d’effet

La résiliation prend effet un mois après la notification, que l’initiative provienne de l’assureur ou de l’assuré. Ce délai d’un mois joue le rôle de préavis minimal, destiné à permettre à l’assuré de se réassurer et d’éviter une rupture brutale de couverture.

b. Dénouement du contrat

La résiliation entraîne la restitution des primes afférentes à la période non courue. Ce principe est explicitement consacré par l’article R. 113-10 et traduit la logique indemnitaire de l’assurance : l’assureur ne peut conserver une prime correspondant à un risque qu’il n’assume plus.

5. Régimes spéciaux

Dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, l’article L. 191-6 du Code des assurances prévoit un régime particulier : chaque partie peut résilier dans le délai d’un mois suivant la conclusion des négociations relatives à l’indemnité.

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