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Attribution préférentielle: effets

L’attribution préférentielle constitue une modalité d’allotissement. Elle ne confère pas immédiatement la propriété du bien à l’attributaire, mais lui assure qu’il lui sera dévolu lors de la division définitive des actifs indivis. Cette intégration dans son lot s’effectue sous réserve du respect de l’équilibre du partage, ce qui peut impliquer le versement d’une soulte destinée à compenser les droits des autres indivisaires.

A) L’intégration du bien dans le lot de l’attributaire

L’attribution préférentielle constitue une modalité particulière d’allotissement permettant à un indivisaire de se voir attribuer un bien spécifique en priorité, sous réserve du respect de certaines conditions. Elle ne confère cependant pas immédiatement à son bénéficiaire la pleine propriété du bien en cause. Tant que le partage n’a pas été définitivement consommé, l’attributaire demeure soumis au régime de l’indivision, avec toutes les conséquences qui en découlent.

Ce régime transitoire implique notamment que l’attributaire ne puisse exercer sur le bien l’ensemble des prérogatives du propriétaire exclusif, qu’il s’agisse de l’administration, de la disposition ou encore de l’exploitation du bien. Toutefois, une fois le partage clôturé, l’attribution préférentielle produit un effet déclaratif qui consolide rétroactivement les droits de l’attributaire, lui reconnaissant une pleine propriété réputée acquise dès l’ouverture de l’indivision.

1. L’acquisition des droits attachés au bien

L’attribution préférentielle constitue un mode particulier d’allotissement dans le cadre du partage successoral ou de l’indivision. Son bénéficiaire ne devient pas immédiatement propriétaire du bien qui lui est attribué, mais acquiert un droit à en recevoir la pleine propriété lors de la division définitive des actifs. Tant que le partage n’est pas consommé, le bien demeure juridiquement soumis au régime de l’indivision, avec toutes les conséquences que cela implique.

Ainsi, jusqu’à la clôture des opérations de partage:

Cependant, une fois le partage définitivement consommé, l’attribution préférentielle produit un effet déclaratif et rétroactif. En vertu du principe de l’effet déclaratif du partage, le bien est réputé avoir toujours appartenu à l’attributaire depuis l’ouverture de l’indivision, sans qu’il y ait eu transmission de propriété à proprement parler (art. 883 C. civ.). 

Il s’ensuit que l’attributaire peut exercer sur le bien tous les droits attachés à la pleine propriété, sans avoir à justifier d’un titre de transfert. 

2. L’estimation des biens

L’intégration du bien dans le lot de l’attributaire suppose nécessairement une évaluation rigoureuse, visant à préserver l’égalité entre les indivisaires. L’article 832-4 du Code civil fixe à cet égard une règle fondamentale : la valeur du bien doit être déterminée à la date de la jouissance divise, qui doit être la plus proche possible du jour du partage effectif.

L’évaluation du bien repose sur plusieurs critères:

Enfin, l’évaluation du bien attribué constitue un enjeu fondamental pour l’équilibre du partage. Si la valeur du bien correspond ou est inférieure aux droits de l’attributaire dans la masse partageable, elle s’impute simplement sur sa part, sans qu’aucune compensation supplémentaire ne soit requise. En revanche, lorsque la valeur du bien excède ses droits, l’attributaire doit verser une soulte aux autres indivisaires afin de rétablir l’équité. Cette compensation s’effectue généralement en numéraire, mais elle peut également prendre la forme d’une dation en paiement, sous réserve de l’accord des parties et des conditions légales applicables.

La rigueur de cette estimation revêt une importance d’autant plus grande que des contestations peuvent surgir ultérieurement. La jurisprudence admet ainsi qu’une réévaluation du bien puisse être sollicitée, notamment lorsque la valeur retenue lors de l’attribution initiale apparaît obsolète au moment du partage effectif (Civ. 1re, 4 janv. 1980, Bull. civ. I, no 9 ; Civ. 1re, 28 avr. 1986, Bull. civ. I, no 105). Toutefois, une telle révision ne saurait être fondée sur des considérations purement spéculatives : elle suppose la démonstration de circonstances objectives ayant substantiellement modifié la valeur du bien depuis son évaluation initiale.

Dans un arrêt du 4 janvier 1980, la Cour de cassation a jugé avec rigueur que l’évaluation d’un bien attribué préférentiellement devait être stabilisée et ne pouvait faire l’objet d’une révision qu’en présence de circonstances économiques objectives ayant substantiellement modifié sa valeur depuis la première estimation (Cass. 1re civ., 4 janv. 1980, n°78-13.596). En l’espèce, une héritière sollicitait la réactualisation de la valeur d’immeubles successoraux, estimant que la fixation opérée en 1975, lors de leur attribution préférentielle, ne correspondait plus à leur valeur réelle au moment du partage. La Cour de cassation rejeta cette demande, rappelant que la valeur des biens attribués doit être déterminée à une date aussi proche que possible du partage et qu’en l’absence de disposition contraire, l’évaluation arrêtée par la décision initiale s’imposait avec l’autorité de la chose jugée.

Cette solution met en évidence une distinction essentielle :

Ainsi, une revalorisation ne peut être admise sur la seule base d’une évolution économique. Elle doit reposer sur des éléments concrets, tels qu’une évolution réglementaire modifiant la constructibilité du bien ou une altération significative de son état.

Dès lors, il appartient aux parties d’anticiper les risques liés à une fixation inadaptée de la valeur du bien, en veillant, avant la finalisation du partage, à solliciter une expertise actualisée, seule à même d’éviter les litiges ultérieurs.

3. Le paiement de la soulte

L’attribution préférentielle, en ce qu’elle permet à un indivisaire de se voir attribuer un bien spécifique en priorité, ne saurait rompre l’égalité du partage. Dès lors, lorsque la valeur du bien attribué excède les droits de l’attributaire dans la masse à partager, celui-ci se trouve redevable d’une soulte destinée à rétablir cet équilibre. Cette compensation, qui s’effectue généralement en numéraire, peut sous certaines conditions prendre la forme d’une dation en paiement.

Toutefois, les modalités de règlement de cette soulte diffèrent selon que l’attribution préférentielle revêt un caractère facultatif ou résulte d’un droit reconnu par la loi.

a. L’attribution préférentielle facultative

Lorsqu’elle revêt un caractère facultatif, l’attribution préférentielle demeure soumise à l’appréciation du juge, lequel peut, en opportunité, décider de l’accorder ou de la refuser. Conscient du risque d’atteinte à l’égalité entre copartageants, le législateur a posé une règle de principe : le paiement comptant de la soulte (art. 832-4, al. 1er C. civ.).

Cette exigence repose sur l’idée que l’attribution préférentielle ne saurait s’opérer aux dépens des autres indivisaires, lesquels doivent être indemnisés immédiatement de la perte d’un bien qui aurait pu leur revenir. Cette règle emporte plusieurs conséquences qu’il y a lieu d’examiner.

==>L’insolvabilité de l’attributaire comme obstacle à l’attribution préférentielle

L’octroi d’une attribution préférentielle ne peut être accordé sans garantie quant à la solvabilité de l’attributaire. Ainsi, le juge peut légitimement rejeter une demande lorsque le requérant ne dispose pas des ressources nécessaires pour s’acquitter de la soulte due (Cass. 1re civ., 25 mars 1997, n° 95-15.770).

Ce principe répond à une logique de protection des copartageants, lesquels ne doivent pas se voir imposer un risque d’insolvabilité. En effet, une fois l’attribution préférentielle réalisée, les copartageants ne disposent plus du bien initialement indivis et doivent compter sur la capacité financière de l’attributaire pour percevoir la compensation qui leur est due. Le juge appréciera donc l’opportunité de l’attribution en fonction des moyens du requérant, et pourra l’écarter si le paiement de la soulte apparaît incertain.

==>L’impossibilité d’octroyer des délais judiciaires de paiement

Le caractère immédiat du paiement distingue les attributions préférentielles facultatives des attributions préférentielles de droit. Le juge est dépourvu de tout pouvoir d’accorder des délais de paiement au débiteur de la soulte, ce qui signifie que l’attributaire doit être en mesure de régler immédiatement l’intégralité de la somme due.

Cette règle s’applique avec une rigueur particulière dans le cadre du partage d’une communauté dissoute par divorce ou séparation de biens, où il a été jugé que l’attribution préférentielle, bien qu’admise, ne saurait être accompagnée d’un paiement différé (Cass. 1re civ., 11 juin 2008, n° 07-16.184).

Toutefois, bien que le juge ne puisse accorder de délai, les copartageants ont la possibilité de convenir amiablement d’un paiement différé, sous réserve d’un accord express (art. 832-4, al. 2 C. civ.). En pareil cas, les parties peuvent organiser librement les modalités du paiement et fixer, le cas échéant, un échéancier, un taux d’intérêt conventionnel ou encore des garanties spécifiques destinées à assurer le règlement des sommes dues.

==>Les modalités du paiement de la soulte

==>La production d’intérêts

Le paiement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle soulève la question de la production d’intérêts, notamment en cas de report du règlement. En l’absence de convention contraire entre les copartageants, le régime applicable repose sur une distinction entre la période antérieure et la période postérieure au partage définitif.

==>Aménagements conventionnels

Lorsque les copartageants concluent un accord amiable sur les modalités de paiement de la soulte, ils disposent d’une large liberté pour organiser l’exigibilité des intérêts. Ils peuvent notamment :

En cas de différend sur l’application des intérêts, le juge peut être amené à trancher, mais il ne peut en principe déroger aux règles posées par la loi, sauf si les parties ont expressément prévu des aménagements dans leur convention de partage.

b. L’attribution préférentielle de droit

Dans certaines hypothèses, le législateur a institué un régime favorable à l’attributaire, considérant que la pérennité de certains biens, tels qu’une exploitation agricole, une entreprise familiale ou le logement du conjoint survivant, justifie un assouplissement des contraintes financières pesant sur le partage. L’objectif est d’éviter que l’obligation de paiement immédiat de la soulte ne compromette la conservation du bien et, partant, ne conduise à sa cession forcée.

L’article 832-4, alinéa 2, du Code civil instaure ainsi un mécanisme spécifique qui permet au bénéficiaire de l’attribution préférentielle d’exiger de ses copartageants des délais de paiement pour une fraction de la soulte, dans une double limite :

Ce mécanisme repose sur plusieurs principes, qui encadrent à la fois la mise en œuvre du paiement différé et les garanties dont bénéficient les créanciers de la soulte.

==>L’aménagement légal du paiement au profit de l’attributaire

L’attribution préférentielle de droit constitue une exception au principe du paiement comptant de la soulte, en permettant à l’attributaire de différer une partie de son règlement. Cette mesure vise à préserver la transmission et la conservation de certains biens essentiels, tels que les exploitations agricoles, les entreprises ou le logement familial, en évitant qu’un endettement immédiat ne compromette leur viabilité.

Ce mécanisme, consacré par l’article 832-4, alinéa 2, du Code civil, impose aux copartageants créanciers une forme de crédit forcé. Dès lors que les conditions légales sont réunies, ils ne peuvent s’opposer à l’octroi d’un délai de paiement. Ce dernier est cependant encadré :

Cet aménagement légal vise ainsi à concilier deux exigences contradictoires : assurer la continuité de certains patrimoines tout en préservant les droits des copartageants créanciers.

==>L’exigibilité immédiate de la soulte en cas de cession du bien

Si le législateur a aménagé un cadre favorable à l’attributaire en lui accordant des facilités de paiement, il a également prévu un garde-fou essentiel : la cessation du bénéfice du paiement différé en cas de cession des biens attribués. Ce mécanisme vise à éviter que l’attributaire ne détourne l’avantage qui lui est consenti en réalisant une opération purement spéculative au détriment des autres copartageants.

L’article 832-4, alinéa 3, du Code civil distingue deux hypothèses :

L’objectif de cette règle est d’assurer l’équilibre du partage et de prévenir tout abus du paiement différé. Elle protège ainsi les copartageants créanciers contre le risque d’un retard prolongé dans la perception des sommes qui leur reviennent, tout en maintenant une certaine souplesse pour l’attributaire dans la gestion de son lot.

==>La revalorisation de la soulte en cas d’évolution de la valeur du bien

Le législateur a également introduit un mécanisme de réévaluation du montant de la soulte en fonction des fluctuations de la valeur du bien attribué. L’article 828 du Code civil prévoit ainsi que si la valeur du bien a varié de plus de 25 % depuis le partage en raison de circonstances économiques objectives, la soulte est ajustée en conséquence.

Ce dispositif répond à une logique d’équité :

Cette revalorisation repose sur une appréciation objective des conditions économiques et exclut les plus-values résultant d’améliorations apportées par l’attributaire ou les moins-values liées à une dégradation fautive de sa part. En revanche, elle peut résulter de facteurs exogènes tels que l’évolution du marché immobilier, des modifications du plan local d’urbanisme ou encore des évolutions réglementaires impactant la valorisation du bien.

==>Aménagements conventionnels

Si la loi fixe les principes directeurs du paiement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle de droit, les copartageants disposent d’une marge de manœuvre pour en aménager les modalités. Ils peuvent ainsi :

Ces ajustements conventionnels doivent faire l’objet d’une clause expresse dans l’acte de partage, afin d’éviter toute contestation ultérieure.

B) Le partage des autres biens

L’attribution préférentielle, en concentrant la propriété d’un bien déterminé entre les mains d’un seul indivisaire, modifie nécessairement l’équilibre du partage. Afin de rétablir l’égalité entre les copartageants, la compensation de cette attribution s’effectue selon un ordre de priorité, qui repose d’abord sur l’allotissement en nature, avant de recourir, si nécessaire, au paiement d’une soulte. À défaut de solution satisfaisante, la licitation du bien peut être envisagée en dernier recours.

1. L’allotissement prioritaire des copartageants

L’attribution préférentielle constitue un mode particulier d’allotissement et non un prélèvement effectué avant le partage. Dès lors, sa mise en œuvre modifie nécessairement la répartition des biens indivis et impose un rééquilibrage au bénéfice des autres copartageants. Cette opération repose sur trois principes:

2. La licitation en dernier recours

L’attribution préférentielle constitue un mode de partage privilégié permettant à un indivisaire d’obtenir un bien en compensation de ses droits indivis. Toutefois, lorsque cette attribution bouleverse trop fortement l’équilibre du partage ou que les modalités de compensation ne permettent pas de garantir une répartition équitable, la licitation apparaît comme une solution nécessaire.

La licitation consiste en la mise en vente du bien indivis, dont le produit est ensuite réparti entre les copartageants au prorata de leurs droits. Ce mécanisme, bien que subsidiaire, répond à plusieurs objectifs : assurer l’égalité entre les indivisaires, mettre fin aux situations de blocage et éviter que l’attribution préférentielle ne soit source d’injustice pour les copartageants évincés.

Le recours à la licitation peut revêtir plusieurs formes, en fonction des circonstances et du degré d’accord entre les indivisaires :

La licitation n’est pas une option systématique, mais elle peut s’imposer dans plusieurs situations où l’attribution préférentielle perturbe l’équilibre du partage ou se heurte à des difficultés pratiques.

Au total, si l’attribution préférentielle constitue une modalité de partage favorisée par le législateur, elle ne peut se faire au détriment des droits des autres indivisaires.

Ainsi, lorsque l’attribution d’un bien en nature est incompatible avec le principe d’égalité entre copartageants, le recours à la licitation apparaît comme la seule issue permettant de garantir un partage juste et équilibré. Cette solution, bien que perçue comme une contrainte, reste une garantie pour l’ensemble des indivisaires et évite que l’un d’eux ne soit lésé par une répartition inéquitable des biens.

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