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Civ. 2, 9 janv. 2025, n° 23-18.592 : Contentieux de la sécurité sociale et compétences respectives du juge judiciaire et du juge administratif

Les litiges nés de l’application du droit de la sécurité sociale relèvent en principe de la compétence exclusives des juridictions judiciaires. Lorsque, toutefois, la solution d’un litige dépend d’une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative (excès de pouvoir de l’administration excipé par le demandeur), le juge judiciaire initialement saisi sursoit à statuer et la transmet à la juridiction administrative compétente.

En l’espèce, une aide-soignante stagiaire en centre hospitalier est victime d’un accident reconnu imputable au service. Après que la commission départementale de réforme des agents des collectivités locales l’a déclarée dans l’impossibilité de reprendre ses fonctions, l’intéressée est licenciée. Une rente d’invalidité lui est allouée en application de l’article 6 du décret n° 77-812 du 13 juillet 1977 relatif au régime de sécurité sociale des agents stagiaires des départements, des communes et de leurs établissements n’ayant pas le caractère industriel et commercial (v. art. L. 6141-1, al. 2 c. santé publ.). Mais une erreur est commise par le centre hospitalier, qui affecte l’assiette de calcul des droits pécuniaires de la victime. La restitution d’un indu de rente est demandée. L’accipiens conteste devant le juge judiciaire la légalité de l’acte administratif portant notification de l’indu et remboursement du trop-perçu.

Saisie, la Cour d’appel de Grenoble déclare irrecevable la demande en annulation pour irrégularité formelle de la décision administrative. La cour d’appel de considérer que la notification litigieuse constituant précisément un acte administratif faisant grief, il revenait au seul juge administratif de se prononcer.

L’occasion est donnée à la Cour de cassation de préciser à nouveau le pouvoir des juges spécialement désignés pour connaître du contentieux de la sécurité sociale et d’indiquer, en négatif, la compétence résiduelle du tribunal administratif.

L’articulation fine des textes applicables à la cause est un exercice qui n’est pas évident. L’arrêt en témoigne. Tandis que la loi des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire (art. 13) et le décret du 16 fructidor an III (2 septembre 1975) interdisent au juge judiciaire d’intervenir dans les affaires de l’administration, l’article L. 142-8, 1° du Code de la sécurité sociale dispose que le juge judicaire connaît des contestations relatives au contentieux de la sécurité, lequel contentieux comprend entre autres les litiges relatifs à l’application du droit de la sécurité sociale (L. 142-1, 1° c. sécu. soc.) en l’occurrence ceux qui intéressent les modalités de calcul de la rente.

La Cour de cassation prend soin de bien rappeler la solution qui s’infère de l’application des textes sous étude (cons. n° 5) et de relever l’erreur qui a été commise par les juges du fond et très vraisemblablement par les parties à la cause (confère le moyen relevé d’office dans le cas particulier) quant à la compétence matérielle du pôle social (A. Bugada, De la difficulté de systématiser la compétence matérielle des pôles sociaux, JCP S. 2021.1120).

Le nombre de personnes concernées par ladite erreur donne à penser que la chose n’allait manifestement pas de soi. D’abord, le code de la justice administrative, qui a pu être consulté pour les besoins de la cause, dispose dans un article L. 311-1 que : « Les tribunaux administratifs sont, en premier ressort, juges de droit commun du contentieux administratif, sous réserve des compétences que l’objet du litige ou l’intérêt d’une bonne administration de la justice conduisent à attribuer à une autre juridiction administrative » (c’est nous qui soulignons). En l’espèce, la restitution de l’indu est refusée par un demandeur qui excipe un excès de pouvoir de l’administration tiré d’un vice de procédure et de forme (CE, 5 mai 1944, Veuve Trompier-Gravier et CE Ass. 23 déc. 2011, Danthony et autres. J.-F. Lachaume et alii, Droit administratif. Les grandes décisions de la jurisprudence, 19e éd., Puf, 2023, pp. 692 et s.). Dans de telles conditions, une déclaration d’irrecevabilité de la demande était à craindre dans le chef du juge judiciaire du fond. Ensuite, le Cour de cassation fait sienne une décision du Tribunal des conflits du 20 février 2008 (n° 08-03.649 publié au bulletin. V. not. Th. Tauran, La jurisprudence du Tribunal des conflits et le contentieux de la sécurité sociale, RDSS 2014.720), dont elle reprend la quasi-totalité des termes à son compte. Seulement voilà, le tribunal des conflits règle en première intention un problème de compétence des organismes du contentieux de la sécurité sociale non pas celui de la compétence des juridictions administrative et judiciaire à proprement parler, ce qui a pu interroger. Quant à la suite de la décision, le contentieux sous étude est bien attribué aux juridictions de l’ordre judiciaire, mais un chef de compétence résiduel du juge administratif est réservé (qui connaît des litiges nés du service des prestations inhérentes au statut des agents), ce qui ne facilite pas la compréhension de la résolution du conflit de compétences.

L’arrêt commenté a le mérite de préciser le sens des textes et la jurisprudence applicables à la cause. La voie intermédiaire qui a été choisie dans le cas particulier se recommande d’un principe de bonne administration de la justice pendant qu’elle tire toutes les conséquences de l’attribution de compétence du contentieux né de l’application des règles idoines – à savoir celles qui forment le livre 4 du Code de la sécurité sociale – aux termes desquelles des droits ont été ouverts à la victime.

« Lorsque la solution d’un litige dépend d’une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative », au sens de l’article L. 311-1 plus précisément. Elle sursoit à statuer jusqu’à la décision sur la question préjudicielle. C’est ce qui est attendu de la cour d’appel de renvoi (Lyon).

Il sera précisé pour terminer que la difficulté dont il est question ne peut avoir pour objet qu’une décision de caractère individuelle se rapportant exclusivement aux règles formant le droit de la sécurité sociale. Car le contentieux des actes réglementaires reste quant à lui de la compétence des tribunaux administratifs (T. confll., 22 avr. 1974, Dame Léotier et Blancher – 2 mars 1977, Confédération nationale du crédit mutuel, Lebon 668. V. not. M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la sécurité sociale, 20e éd., Dalloz, 2024, n° 1115).

(Article publié in Dalloz actualité 22 janv. 2025)

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