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Cautionnement: le devoir de mise en garde (art. 2299 C. civ.)

L’article 2299 du Code civil, issu de la réforme des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, fait peser sur les créanciers professionnels un devoir de mise en garde au profit des cautions personnes physiques.

Cette obligation n’est, toutefois pas nouvelle. Elle avait, en effet, été instituée, sous l’empire du droit antérieur, par la jurisprudence, notamment au profit des cautions non-averties.

I) Droit antérieur : la construction jurisprudentielle du devoir de mise en garde

Parce que la souscription d’un cautionnement est acte grave susceptible d’avoir de lourdes répercussions financières sur la situation de la caution, la jurisprudence a, par souci de protection des intérêts de cette dernière, progressivement cherché à mettre à la charge des établissements de crédit un devoir de mise en garde.

La reconnaissance de cette obligation ne s’est, cependant, pas faite sans mal. Il était notamment avancé par les banquiers, comme moyen de défense, qu’ils étaient soumis à un principe de non-ingérence leur interdisant de « se substituer à son client dans la conduite de ses affaires »[1].

Cet argument, bien que reposant sur un fondement juridique solide, n’a pas empêché la Cour de cassation de reconnaître, dans un premier temps, l’existence d’un devoir de conseil à la charge des établissements de crédit lequel a, dans un second temps été substitué par le devoir de mise en garde.

Envisagé à l’origine pour les opérations de crédit, ce devoir de mise en garde a, par suite, été transposé au contrat de cautionnement.

A) La découverte d’un devoir de mise en garde au profit des emprunteurs

==> L’émergence incertaine d’un devoir de conseil

Dans un arrêt rendu le 27 juin 1995, la Cour de cassation a, pour la première fois, admis la responsabilité d’une banque à laquelle il était reproché d’avoir octroyé un crédit à un emprunteur qui ne disposait pas de la capacité financière de le rembourser.

Au soutien de sa décision, elle affirme que pèse sur le banquier un « devoir de conseil à l’égard de l’emprunteur, en particulier lorsqu’il apparaît à ce professionnel que les charges du prêt sont excessives par rapport à la modicité des ressources du consommateur » (Cass. 1ère civ. 27 juin 1995, 92-19.212).

Ce qu’il y a de remarquable dans cet arrêt, c’est que la Première chambre civile reconnaît l’existence d’un devoir de conseil à la charge de la banque indépendamment de l’obligation d’information prescrite par la réglementation en vigueur.

Au titre de cette obligation, l’établissement prêteur était notamment tenu de mentionner dans l’offre de crédit un certain nombre d’informations se rapportant à la nature, à l’objet ou encore aux modalités du prêt.

Aussi, pour la haute juridiction, la conformité de l’offre de prêt aux exigences de la loi, ne dispense nullement le banquier de fournir un devoir de conseil à l’emprunteur, lequel vient donc s’ajouter à l’obligation d’information.

À cet égard, il peut être observé que les deux obligations ne se confondent pas :

À partir de la moitié des années 1990, la Première chambre civile reconnaît donc l’existence d’une obligation de conseil à la charge des établissements bancaires qui ne se confond pas avec l’obligation d’information.

Cette évolution de la jurisprudence n’a toutefois pas fait l’unanimité au sein de la Cour de cassation.

La Chambre commerciale s’est frontalement opposée à la position qui avait été prise huit ans plus tôt par première chambre civile en refusant de faire peser sur le banquier dispensateur de crédit un quelconque devoir de conseil (V. en ce sens Cass. com. 24 sept. 2003, n°00-17.517).

Pour elle, la responsabilité du banquier ne peut être engagée que dans l’hypothèse – extrêmement rare – où celui-ci « aurait pu avoir sur les capacités de remboursement de l’emprunteur ou sur les risques de l’opération financée, des informations, que par suite de circonstances exceptionnelles celui-ci aurait ignorées ».

Autrement dit, la banque n’engagerait sa responsabilité que dans la seule circonstance où elle détiendrait sur la situation de l’emprunteur des informations que ce dernier ignorait (hypothèse de dissymétrie d’informations).

A contrario, dès lors qu’il disposait par lui-même de tous les éléments propres à éclairer sa décision, il devient infondé, après avoir sollicité le crédit, à reprocher au prêteur de le lui avoir consenti.

En réaction à cette position divergente adoptée par la chambre commerciale, la Première chambre civile a, par suite, réaffirmé sa jurisprudence.

Dans un arrêt du 29 septembre 2004, elle a ainsi admis la responsabilité d’un établissement de crédit auquel il était reproché d’avoir octroyé un crédit excessif à une société qui ne disposait pas des capacités financières suffisantes pour le rembourser.

Les juges ont considéré, dans cette affaire, que parce qu’il était établi que le prêteur avait eu connaissance du caractère irrémédiablement compromis de la situation financière de son client, il avait manqué à son obligation de conseil et d’information en ne l’avisant pas de cette situation (Cass. 1ère civ. 29 sept. 2004, n°01-16.447).

En visant indistinctement l’obligation d’information et de conseil, la décision de la Première chambre civile n’a pas manqué d’interpeller la doctrine sur le fondement juridique de la solution retenue.

Comment fallait-il comprendre l’association des obligations d’information et de conseil qui, en principe, sont distinctes et autonomes ?

L’interrogation était d’autant plus grande qu’il est des décisions où la Première chambre civile avait admis la responsabilité d’établissements bancaires du fait de l’octroi de crédits excessifs sans pour autant viser l’obligation d’information ou de conseil dans sa motivation (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 8 juin 2004, n°02-12.185).

Cette incertitude quant au fondement juridique sur lequel la Première chambre civile entendait faire reposer la responsabilité du banquier dispensateur de crédit l’a conduite à clarifier sa position.

C’est ce qu’elle a fait, à partir de 2005 en abandonnant toute référence dans ses décisions à l’obligation de conseil à la faveur du devoir de mise en garde.

==> La substitution du devoir de conseil par le devoir de mise en garde

Animée par la volonté de clarifier sa position qui soulevait de nombreuses difficultés d’interprétation pointées par les auteurs, la Première chambre civile a, par trois arrêts de principe, rendus en date du 12 juillet 2005, redéfini les contours du fondement juridique sur lequel elle avait assis jusqu’alors la responsabilité du banquier dispensateur de crédit.

Cette évolution de sa jurisprudence s’est traduite par une substitution de l’obligation de conseil par le devoir de mise en garde.

Deux enseignements majeurs peuvent être retirés de ces trois arrêts :

Les trois arrêts rendus par la Première chambre civile ont, de toute évidence, marqué l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation quant à la recherche d’un fondement juridique à la responsabilité du banquier dispensateur de crédit.

D’un côté, elle se rallie à la position de la Chambre commerciale s’agissant des emprunteurs avertis en ce qu’ils ne peuvent rechercher la responsabilité du banquier qu’à la condition de démontrer que celui-ci avait connaissance d’informations que, eux-mêmes ignoraient, de sorte que, au jour de la conclusion de l’opération, il existait une asymétrie d’information.

D’un autre côté, elle s’en éloigne en ce que, tout en écartant l’obligation de conseil, elle reconnaît l’existence d’un devoir de mise en garde à la charge du prêteur en présence d’un emprunteur profane.

Un an plus tard, c’est au tour de la Chambre commerciale de se rallier à la position de la Première chambre civile.

Par trois arrêts rendus en date du 3 mai 2006, elle admet l’existence d’un devoir de mise en garde au profit, tantôt d’emprunteurs, tantôt de cautions, mais en tout état de cause non avertis (Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-15.517, n°02-11.211 et n°04-19.315)

Une divergence subsistera néanmoins entre les deux chambres sur les contours de ce devoir de mise en garde.

Il y a là deux approches radicalement différentes du devoir de mise en garde. Tandis que l’approche retenue par la Première chambre civile est conforme à la définition classique du devoir de mise en garde, l’approche adoptée par la chambre commerciale tend plutôt à le rapprocher de l’obligation de conseil.

Pour mémoire, l’obligation de conseil vise, en principe, à orienter le choix du cocontractant de telle manière qu’il fasse ou ne fasse pas.

Le devoir de mise en garde se cantonne, quant à lui, à attirer l’attention du cocontractant sur un aspect négatif de l’opération. Il ne s’accompagne pas – et c’est là une différence majeure avec l’obligation de conseil – d’un avis dissuasif ou incitatif à conclure le contrat.

Afin de réconcilier les deux chambres et, surtout, de clarifier le domaine et l’étendue du devoir de mise en garde, la Cour de cassation décide finalement de se réunir en chambre mixte.

==> La clarification du contenu du devoir de mise en garde

Par deux arrêts rendus le 29 juin 2007, la Cour de cassation, réunie en chambre mixte, casse et annule les décisions prises par deux Cour d’appel (Dijon et Aix-en-Provence) qui avaient refusé de retenir la responsabilité d’établissements bancaires au motif :

La chambre mixte de la Cour de cassation censure les deux décisions qui lui sont soumises.

Elle reproche, sensiblement dans les mêmes termes, aux juges du fond de n’avoir pas précisé si le client « était un emprunteur non averti et, dans l’affirmative, si, conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue à son égard lors de la conclusion du contrat, la caisse justifiait avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l’emprunteur et des risques de l’endettement né de l’octroi des prêts ». (Cass. ch. Mixte, 29 juin 2007, n°05-21.104 et n°06-11673).

Deux enseignements au moins peuvent être retirés de cette décision de la chambre mixte :

B) La transposition au cautionnement du devoir de mise en garde

Les emprunteurs ne sont pas les seuls bénéficiaires du devoir de mise en garde, il profite également aux cautions.

==> Le domaine du devoir de mise en garde

Dans un arrêt du 13 février 2007, la chambre commerciale a donc transposé aux contrats de cautionnement, le devoir de mise garde qu’elle avait, à l’origine, envisagé pour les crédits.

Elle précise toutefois que cette obligation n’a vocation à jouer qu’en présence de cautions non averties.

Dans cette décision elle reproche ainsi aux juges du fond de n’avoir pas recherché si « si eu égard à la taille de la société et à leur participation dans celle-ci, les cautions, associés et parents du gérant, ne disposaient pas de tous les renseignements utiles pour apprécier l’opportunité de leurs engagements, et dès lors que ces cautions ainsi averties n’ont pas prétendu ni démontré que la caisse aurait eu sur leurs revenus, leurs patrimoines et leurs facultés de remboursement raisonnablement prévisibles en l’état du succès escompté de l’entreprise, des informations qu’elles-mêmes auraient ignorées » (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-20.884).

La question qui a lors se posait était de savoir ce que l’on devait entendre par caution non avertie.

À l’analyse, pour déterminer la qualification que devait recevoir une caution, la Cour de cassation a adopté les mêmes principes que ceux qu’elles appliquaient en matière d’emprunt.

Aussi, est-ce la casuistique qui présidait à la qualification de caution avertie ou non avertie.

On peut néanmoins déceler trois constantes dans la jurisprudence de la Cour de cassation :

La mise en œuvre de ces principes directeurs qui ont guidé la Cour de cassation dans la construction de sa jurisprudence a donné lieu à l’apparition progressive d’une ligne de départage entre les cautions non averties et les cautions averties.

==> Les conditions du devoir de mise en garde

Pour être dû, le devoir de mise en garde requiert l’existence d’un risque d’endettement excessif de la caution non-avertie (Cass. com. 3 nov. 2015, n°17-17.727).

Lorsque, en revanche, ce risque fait défaut, la Cour de cassation considère qu’aucun devoir de mise en garde ne pèse sur le créancier (Cass. com. 12 mai 2009, n°08-15.253).

La question qui a lors se posait était de savoir comment apprécier le risque d’endettement excessif de la caution.

À l’analyse, il peut résulter :

Pendant longtemps, il est ressorti de la jurisprudence que le devoir de mise en garde pouvait jouer dans l’un ou l’autre cas.

Dans un arrêt du 26 janvier 2010, la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait débouté un couple de cautions de leur action en responsabilité contre leur créancier au motif qu’elle aurait dû rechercher « si conformément à leur devoir de mise en garde auquel les banques étaient tenues lors de la conclusion des contrats, celles-ci justifiaient avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières des cautions et des risques de l’endettement né de l’octroi des prêts » (Cass. com. 26 janv. 2010, n°08-70.423).

Dans un arrêt du 14 octobre 2015, la Première chambre civile a, de son côté, affirmé que « la banque est tenue, à l’égard des cautions considérées comme non averties, d’un devoir de mise en garde à raison de leurs capacités financières et de risques de l’endettement né de l’octroi du prêt et que cette obligation n’est donc pas limitée au caractère disproportionné de leur engagement au regard de leurs biens et ressources » (Cass. 1ère civ. 14 oct. 2015, n°14-14.531).

Progressivement, les auteurs se sont interrogés sur la combinaison des deux critères d’appréciation du risque d’endettement excessif.

Plusieurs situations sont susceptibles de se présenter :

À l’analyse, les deux premières situations ne soulèvent pas de difficulté particulière : dès lors que l’engagement souscrit par la caution est disproportionné au regard de sa capacité financière, cela justifie l’application du devoir de mise en garde, peu importe que l’obligation souscrite par le débiteur principal soit ou non en adéquation avec sa situation financière.

La troisième situation n’appelle pas non plus d’observation particulière. Et pour cause, les engagements souscrits, et par la caution, et par le débiteur principal sont adaptés au regard de leur capacité financière. Faute de risque d’endettement excessif, le devoir de mise en garde ne pourra donc pas jouer.

Quant à la dernière hypothèse, elle est celle qui a donné naissance à un débat en doctrine.

La question s’est en effet posée de savoir si l’on pouvait raisonnablement admettre qu’un devoir de mise en garde pèse sur le créancier alors que le risque d’endettement excessif de la caution résulte, non pas de la disproportion de l’engagement de la caution au regard de sa capacité financière, mais de l’inadéquation de l’obligation souscrite par le débiteur principal avec sa situation financière ?

Certains auteurs ont avancé qu’il y avait lieu de répondre par la négative à cette question, l’application du devoir de mise en garde ne pouvant trouver sa cause que dans le rapport existant entre le créancier et la caution.

La Cour de cassation a fini par trancher la question dans un arrêt rendu en date du 15 novembre 2017 (Cass. com. 15 nov. 2017, n°16-16.790).

L’enseignement qu’il y a lieu de retirer de cette décision c’est que, quand bien même l’engagement souscrit par la caution est proportionné au regard de ses facultés contributives personnelles, le devoir de mise en garde reste dû dès lors que l’obligation souscrite par le débiteur principal est inadaptée à sa capacité financière.

La Cour de cassation admet ainsi que la banque peut manquer à son devoir de mise en garde sans pour autant contrevenir au principe de proportionnalité.

Cette solution sera reconduite par la Première chambre civile dans un arrêt du 16 mai 2018 (Cass. 1ère civ. 16 mai 2018, n°17-16.782).

Dans un arrêt du 26 janvier 2016, la Chambre commerciale a précisé de son côté, que c’est à la caution qu’il appartient de démontrer l’existence d’un risque d’endettement excessif et que donc un devoir de mise en garde pèse sur l’établissement bancaire (Cass. com. 26 janv. 2016, n°14-23.462).

==> Moyens de défense du créancier

Pour faire échec à la demande de dommages et intérêts formulée par la caution au titre du devoir de mise en garde, le débiteur de cette obligation n’est pas démuni.

Il peut notamment opposer à la caution sa déloyauté en ce qu’elle lui aurait dissimulé sciemment des informations nécessaires à l’appréciation du risque d’endettement ou lui aurait communiqué des informations erronées sur sa situation (Cass. com., 23 sept. 2014, n°13-22.475).

Dans un arrêt du 11 décembre 2012, la Cour de cassation a, par exemple, refusé de retenir la responsabilité d’une banque au motif que « l’emprunteur ne l’avait pas mise en mesure de constater l’existence d’un risque caractérisé né de l’octroi des crédits, ce dont il résultait que la caisse n’était pas tenue d’un devoir de mise en garde à l’égard de ce dernier » (Cass. com. 11 déc. 2012, n°11-25.876).

Enfin, s’agissant du délai de prescription de l’action en responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde son point de départ n’est pas le jour de la conclusion du contrat de cautionnement.

Dans un arrêt du 13 décembre 2016, la Cour de cassation a jugé que ce délai courait à compter du « jour où la caution a su, par la mise en demeure qui lui était adressée, que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal » (Cass. com. 14-28.097).

==> La sanction du devoir de mise en garde

Le devoir de mise en garde est sanctionné sur le fondement de la responsabilité contractuelle ce qui, comme relevé par des auteurs, « est tout à fait discutable au cours de la période précontractuelle »[3].

Parce que cette obligation mise à la charge des établissements bancaires n’est pas constitutive d’une réticence dolosive, la caution ne saurait solliciter la nullité du cautionnement (V. en ce sens Cass. com. 9 févr. 2016, n°14-23.210).

Tout au plus, elle pourra demander l’octroi de dommages et intérêts, à supposer qu’elle soit en capacité de justifier d’un préjudice.

Dans un arrêt du 20 octobre 2009, la Cour de cassation a affirmé que « le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s’analyse en la perte d’une chance de ne pas contracter » (Cass. com. 20 oct. 2009, n°08-20.274).

Il en résulte que les dommages et intérêts alloués à la caution ne sauraient égaler le montant de l’engagement souscrit par cette dernière. Ils doivent être proportionnels à la probabilité que l’opportunité de ne pas conclure le cautionnement se réalise.

Faut d’être déchargée de son engagement, la caution sera titulaire d’une créance de dommages et intérêts à l’encontre du créancier susceptible de se compenser avec la créance née du cautionnement.

Dans un arrêt du 3 novembre 2010, la Cour de cassation a estimé que la compensation devait s’analyser en un paiement de la dette de caution à due concurrence des dommages et intérêts devant lui être versés par le créancier (Cass. com. 3 nov. 2010, n°09-16.173).

Compte tenu de ce que la caution était alors réputée avoir exécuté son obligation à l’égard du créancier, il s’en déduisait qu’elle était autorisée à exercer ses recours contre le débiteur principal à hauteur du montant de la dette compensée.

Bien que conforme aux principes régissant le mécanisme de la compensation, cette situation a été vivement critiquée par la doctrine.

Elle conduisait, en effet, à permettre à la caution de poursuivre le débiteur principal en paiement, alors même que, pratiquement, elle n’avait versé aucune somme d’argent au créancier. Cette situation était ainsi de nature à procurer à la caution un enrichissement injustifié.

Sensible aux arguments avancés par les auteurs, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence dans un arrêt rendu en date du 13 mars 2012.

Aux termes de cette décision, elle a estimé « qu’il résulte de la combinaison des articles 1234, 1294, alinéa 2, et 2288 du code civil que la compensation opérée entre une créance de dommages-intérêts, résultant du comportement fautif du créancier à l’égard de la caution lors de la souscription de son engagement, et celle due par cette dernière, au titre de sa garantie envers ce même créancier, n’éteint pas la dette principale garantie mais, à due concurrence, l’obligation de la caution » (Cass. com. 13 mars 2012, n°10-28.635).

Autrement dit, pour la Chambre commerciale, l’extinction partielle de la dette de la caution est sans effet sur la dette principale garantie. La compensation ne libère donc pas le débiteur principal et par voie de conséquence, ne permet pas à la caution d’exercer un recours contre le débiteur principal.

La solution ainsi adoptée permettait de rétablir une certaine équité, la caution étant privée de la possibilité de s’enrichir aux dépens du débiteur principal. Reste qu’elle demeurait contraire aux règles présidant au fonctionnement de la compensation, ce qui, de l’avis général de la doctrine, n’était pas satisfaisant.

II) Droit positif : la consécration légale du devoir de mise en garde

D’origine jurisprudentielle, le devoir de mise en garde est consacré par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Le nouvel article 2299 du Code civil prévoit que « le créancier professionnel est tenu de mettre en garde la caution personne physique lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier. »

Si donc le législateur a entendu fournir au devoir de mise en garde un fondement légal, il n’a pas manqué de saisir l’occasion pour en préciser le domaine, les conditions d’exercice et la sanction.

==> Domaine

Sous l’empire du droit antérieur, le devoir de mise en garde ne jouait qu’en présence de cautions non averties.

L’inconvénient majeur de la règle ainsi posée par la jurisprudence résidait dans la difficulté qu’il y avait à distinguer les cautions averties des cautions profanes.

Les décisions rendues par Cour de cassation manquaient cruellement de lisibilité, de telle sorte que c’est la casuistique qui présidait à sa jurisprudence.

C’est pour mettre un terme à cette confusion, mais également, comme précisé par le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, dans un souci de cohérence avec les autres mesures protectrices de la caution, que le domaine du devoir de mise en garde a été redéfini.

Désormais, il est dû, selon l’article 2299 du Code civil, par les créanciers professionnels au profit des cautions personnes physiques.

À l’analyse, l’abandon par le législateur de la distinction entre caution avertie et caution profane est heureux. Le nouveau critère s’annonce comme étant beaucoup plus simple à mettre en œuvre.

==> Conditions

L’ordonnance du 15 septembre 2021 n’a pas seulement redéfini le domaine du devoir de mise en garde, elle a également modifié ses conditions d’exercice.

Pour mémoire, sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait jugé que « la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur » (Cass. com. 15 nov. 2017, n°16-16.790).

Ainsi le devoir de mise en garde était dû lorsqu’existait un risque d’endettement excessif résultant notamment de l’inadéquation de l’engagement de la caution avec sa capacité financière.

Désormais, le risque d’endettement endettement excessif ne doit s’apprécier qu’au regard de la seule situation financière du débiteur principal.

L’article 2299 du Code civil prévoit en ce sens que le devoir de mise en garde est dû « lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier »

Le rapport au Président de la République justifie la redéfinition des conditions d’exercice du devoir de mise en garde en avançant que « l’adéquation de l’engagement de la caution à ses ressources relève de l’exigence de proportionnalité qui fait l’objet des dispositions figurant à l’article suivant ».

Là encore, cette modification doit être saluée. Elle permet, en effet, de mieux délimiter la frontière entre le devoir de mise en garde et le principe de proportionnalité qui était devenue poreuse.

Pratiquement :

S’agissant de la preuve de l’exercice du devoir de conseil, elle pèse sur le créancier professionnel, auquel il appartiendra de démontrer qu’il a alerté la caution sur l’inadéquation de l’engagement souscrit par le débiteur principal avec sa situation financière.

==> Contenu

Faute de définition du devoir de mise en garde, il y a lieu de reconduire les solutions jurisprudentielles adoptées sous l’empire du droit antérieur.

Ainsi, le devoir de mise en garde consiste à alerter la caution sur le risque que comporte l’opération, à raison de l’inadéquation de l’engagement souscrit par le débiteur principal avec sa capacité financière.

À cet égard, le devoir de mise en garde ne doit pas être confondu avec :

==> Sanction

L’article 2299, al. 2e du Code civil prévoit que, en cas de manquement au devoir de mise en garde « le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci. »

Il ressort de cette disposition que la sanction du devoir de mise en garde est modifiée.

Désormais, il s’agit d’une déchéance du droit du créancier et non plus de la mise en jeu de la responsabilité de celui-ci ouvrant droit à des dommages et intérêts.

Comme précisé par le Rapport au Président de la République, c’est là une source de simplification, en particulier sur le terrain procédural.

En retenant comme sanction la déchéance du droit du créancier contre la caution – à concurrence du préjudice subi par cette dernière – le législateur a souhaité éviter que ne puisse jouer la compensation.

L’application de ce mécanisme avait conduit, pour mémoire, la jurisprudence à considérer, dans un premier temps, que la caution était libérée de son engagement à l’égard du créancier à hauteur de l’indemnisation perçue, en conséquence de quoi elle était alors autorisée à exercer ses recours contre le débiteur principal (Cass. com. 3 nov. 2010, n°09-16.173).

Reste qu’elle n’avait, en réalité, rien déboursé, raison pour laquelle la Cour de cassation avait estimé, dans un second temps, que la mise en jeu de la responsabilité du créancier avait pour effet de neutraliser les effets – indésirables – de la compensation, privant ainsi la caution de la possibilité de poursuivre en paiement le débiteur principal (Cass. com. 13 mars 2012, n°10-28.635).

Afin de mettre un terme à cette solution retenue par la jurisprudence qui, au fond, était incompatible avec les règles de la compensation, le législateur lui a préféré le mécanisme de la déchéance du droit du créancier d’appeler en garantie la caution.

Cette sanction présente l’avantage de n’avoir aucune incidence sur l’obligation principale, en ce sens que l’octroi de dommages et intérêts à la caution n’a pas pour effet de libérer, à due concurrence, le débiteur.

Parce que ce dernier demeure tenu à l’obligation garantie, la caution ne peut exercer aucun recours contre lui, à tout le moins tant qu’elle n’a pas réglé le créancier.

[1] C. Gavalda et J. Stoufflet, Droit bancaire, éd. Litec, 2008

[2] V. en ce sens J. Lasserre-Capdeville, « Responsabilité du banquier – Les arrêts Jauleski, Seydoux et Guigan : l’avènement du devoir de mise en garde », Revue de Droit bancaire et financier, n° 5, Septembre 2015, dossier 47.

[3] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°166, p. 108.

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