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Le régime de la séparation de biens: composition des patrimoines, gestion des biens et liquidation

==> Généralités

Classiquement on enseigne que la spécificité du mariage tient à l’association qu’il réalise entre une union des personnes et une union des biens.

Tandis que la première union se traduit par l’instauration d’une communauté de vie, la seconde donne lieu à la mise en commun par les époux de leurs ressources financières et matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.

S’agissant de la communauté de vie, il s’agit d’un principe incompressible, d’un invariant auquel les époux ne peuvent pas se soustraire, y compris par convention contraire.

Tout plus, lorsque les circonstances l’exigent, ils sont autorisés à vivre séparément. Néanmoins, il ne peut y avoir qu’une seule résidence familiale, laquelle est un prérequis à toute communauté de vie.

S’agissant de la mise en commun par les époux de leurs ressources respectives, la marge de manœuvre dont ils disposent est bien plus importante.

Ces derniers sont, en effet, libres d’aménager leurs rapports pécuniaires comme il leur plaît, sous réserve du respect des dispositions du régime primaire impératif. C’est d’ailleurs là l’objet d’étude du droit des régimes matrimoniaux.

À cet égard, le premier choix qui se présentera à eux, avant même la célébration du mariage, portera sur l’adoption d’un régime communautaire ou d’un régime séparatiste.

Le choix d’un régime communautaire ou séparatiste est fondamental car il se répercutera sur tous les aspects de l’union matrimoniale des époux et notamment sur le plan de la répartition de l’actif et du passif, sur le plan de la gestion des patrimoines ou encore sur le plan de la liquidation du régime matrimonial.

Si l’adoption d’un régime communautaire s’inscrit dans le droit fil de l’esprit du mariage en ce qu’il répond à l’objectif de mutualisation des ressources, le choix d’un régime séparatiste apparaît, de prime abord, moins en phase avec cet objectif.

Reste que, au fond, comme l’écrivait Portalis, le mariage vise à instituer une « société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée ».

L’enseignement qui peut être retiré de cette réflexion, c’est que le mariage implique moins une communauté de biens qu’une communauté d’intérêts.

Il s’en déduit que, fondamentalement, le minimum d’association susceptible de faire naître l’union matrimoniale ne requiert pas nécessairement la création d’une masse commune de biens.

Et pour cause, le régime primaire impératif, qui se compose de l’ensemble des règles formant le statut patrimonial de base irréductible du couple marié, ne comporte aucune exigence en ce sens.

C’est la raison pour laquelle, il a toujours été admis que les époux puissent opter pour un régime matrimonial séparatiste, pourvu que ce régime ne contrevienne pas aux règles du régime primaire.

Tel était le cas du régime dotal qui était prépondérant sous l’ancien régime dans les Pays de droit écrit alors même qu’il s’agissait d’une variété de régime séparatiste.

À cet égard, lors de l’adoption du Code civil, la question s’est posée de l’instauration d’un régime de séparation de biens comme régime légal.

Si cette option a finalement été écartée par le législateur, le débat a resurgi à l’occasion des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965.

==> Évolution législative

Dès 1804, le régime de la séparation biens figurait parmi les régimes matrimoniaux conventionnels proposés par la loi.

Il était abordé aux articles 1536 à 1539 du code civil. La principale réforme ayant affecté ce régime n’est autre que celle opérée par la loi du 13 juillet 1965.

En effet, cette loi a instauré un régime primaire égalitaire applicable à l’ensemble des couples mariés, ce qui n’est pas sans avoir eu de répercussions sur la situation des couples mariés sous le régime de séparations de biens qui, désormais, y étaient assujettis.

L’élaboration de ce régime primaire impératif a été guidée par la volonté du législateur d’instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son mari.

Cette recherche d’égalité conjugale s’est traduite par l’instauration d’un savant équilibre entre, d’un côté l’édiction de règles visant à assurer une interdépendance entre les époux et, d’un autre côté, la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie.

Autre apport de la loi du 13 juillet 1965, la consécration de la présomption d’indivision pour les biens dont la preuve de la propriété ne peut pas être rapportée.

La loi n°75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce a, par suite, renforcé la communauté d’intérêts instituée entre époux séparés de biens :

La loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs est, quant à elle, venue parachever la réforme engagée par le législateur en 1965 qui avait cherché à instaurer une égalité dans les rapports conjugaux.

Plusieurs corrections ont notamment été apportées au régime primaire aux fins de gommer les dernières marques d’inégalité qui existaient encore entre la femme mariée et son époux.

S’agissant du régime de la séparation de biens lui-même, cette loi a, par ailleurs, étendu aux créances entre époux, le dispositif institué à l’article 1469, al. 3e du Code civil relatif aux dettes de valeur applicable aux calculs des récompenses opérés sous les régimes communautaires.

Il peut être observé que, nonobstant ces évolutions législatives, le statut matrimonial des couples qui ont opté pour le régime de la séparation de biens avant l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965 est, sauf déclaration contraire des époux, régi par le droit antérieur, outre les règles fixées par leur contrat de mariage.

Seul le régime primaire impératif et la présomption d’indivision sont d’application immédiate et, à ce titre, leur sont donc opposables.

==> Opportunité du choix d’un régime séparatiste

Le choix d’un régime séparatiste n’est pas neutre. Il présente tout autant des avantages que des inconvénients que les époux devront prendre le temps de peser avant de se déterminer.

==> Sources de la séparation de biens

La séparation de biens peut avoir deux sources distinctes : le contrat ou la décision du juge

Nous ne nous focaliserons ici que sur la séparation de biens conventionnelle, soit celle qui procède de la conclusion d’un contrat de mariage.

Quelle que soit la source de la séparation de biens instituée entre les époux, la spécificité de ce régime tient à :

Nous envisagerons successivement ces trois points.

§1 : La composition des patrimoines

I) La composition de l’actif

A) La détermination de la propriété

1. Principe : la séparation des patrimoines

a. Principe général

Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, le principe de séparation des patrimoines implique que chacun conserve la propriété de ses biens présents et futurs.

Le patrimoine de chaque époux est ainsi constitué :

Parce que les époux sont seuls propriétaires des biens qu’ils ont acquis, avant ou au cours de l’union matrimoniale, ils conservent dans leur patrimoine tous les attributs du droit de propriété, ce qui comprend :

Manifestement, le principe de séparation des patrimoines auquel sont assujettis les époux séparés de biens marque une différence profonde avec le dispositif qui préside aux régimes communautaires.

Dès lors, en effet, qu’une communauté est instituée, elle a vocation à capter les richesses, apportées, produites et acquises par les époux.

À cet égard, le pouvoir d’attraction de cette communauté sera plus ou moins grand selon le type de régime communautaire auquel les époux sont soumis.

En schématisant à l’extrême, tandis que sous le régime légal, la communauté est réduite aux biens acquis à titre onéreux au cours du mariage (acquêts), sous le régime de la communauté universelle, outre les acquêts, elle s’étend aux biens présents et aux biens acquis à titre gratuit au cours du mariage.

Sous le régime de la séparation de biens, faute d’instauration d’une communauté, les éléments d’actif que les époux acquièrent séparément, à commencer par leurs revenus, n’ont, par hypothèse, pas vocation à alimenter une troisième masse de biens.

C’est la raison pour laquelle ils en conservent nécessairement la propriété à titre individuel, sans que l’enrichissement que leur procure l’acquisition faite ne puisse, par un transfert de valeur, profiter au patrimoine du conjoint.

Tel sera notamment le cas des gains et salaires, des revenus de propres et plus généralement de tous les biens acquis à titre onéreux ou à titre gratuit au cours du mariage.

Sur le plan purement patrimonial, les époux séparés de biens sont regardés comme des tiers l’un pour l’autre. Et les rapports pécuniaires qu’ils entretiennent entre eux sont, pour l’essentiel, régis par le droit commun.

b. Applications particulières

i. L’acquisition d’un bien par un époux financée par le conjoint

La plupart du temps, lorsqu’un époux se porte acquéreur d’un bien, il le fera au moyen de ses deniers personnels, de sorte que ce bien lui appartiendra en propre, sans qu’il lui soit besoin d’accomplir les formalités d’emploi ou de remploi requises sous le régime légal.

Sous le régime de la séparation de biens, chaque époux reste propriétaire, par principe, des biens qu’ils acquièrent au moyen de leurs deniers personnels.

Il est des cas néanmoins où l’époux qui réalisera l’acquisition ne sera pas nécessairement celui qui l’aura financée. Il peut, en effet, arriver que cette acquisition soit financée par le conjoint.

Lorsque cette situation se présente, la question alors se pose de la propriété du bien. Revient-elle à l’époux qui s’est porté acquéreur ou à celui qui a financé l’acquisition ?

Plusieurs situations doivent être distinguées :

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint en dehors de tout contrat

Le principe est que lorsqu’un bien est acquis par l’un ou l’autre époux, il appartient, non pas à l’époux qui a financé l’acquisition, mais, à celui au nom duquel cette acquisition a été faite.

Aussi, c’est le titre qui confère la qualité de propriétaire et non le financement qui ne confère aucun droit de propriété sur le bien.

Dans un arrêt du 9 octobre 1991, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « sous le régime de la séparation de biens, l’époux qui acquiert un bien pour son compte à l’aide de deniers provenant de son conjoint, devient seul propriétaire de ce bien » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1991, n°90-15.073).

Dans un arrêt du 31 mai 2005, la première chambre civile a encore jugé que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Tout au plus, l’époux qui a financé le bien pourra « obtenir le règlement d’une créance lors de la liquidation du régime matrimonial, s’il prouve avoir financé en tout ou partie l’acquisition » (Cass. 1ère civ. 23 janv. 2007, n°05-14.311).

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de mandat

Dans cette hypothèse, l’époux qui se porte acquéreur endosse la qualité de mandataire ou, le cas échéant, de gérant d’affaires.

Pour déterminer à qui revient la propriété du bien objet de l’acquisition il y a lieu de faire application des règles du mandat.

Or ces règles désignent le mandant comme étant seul propriétaire du bien acquis.

L’époux qui a réalisé l’opération est, en effet, réputé avoir agi en représentation de son conjoint.

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de prêt

Dans cette hypothèse, quand bien même les deniers ont été fournis par le conjoint, le bien acquis demeure la propriété exclusive de l’époux qui s’est porté acquéreur.

La raison en est que la remise de fonds en exécution d’un contrat de prêt opère un transfert de propriété.

Aussi, parce que les fonds prêtés appartiennent en propre à l’époux emprunteur, le bien qu’il acquiert avec ces fonds subit le même sort, charge à lui de rembourser son conjoint selon les règles qui régissent les créances entre époux.

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’une donation

ii. L’acquisition d’un bien selon les règles de l’accession

L’accession est envisagée à l’article 712 du Code civil comme un mode d’acquisition originaire de la propriété, tant mobilière, qu’immobilière.

Plus précisément elle est l’expression du principe aux termes duquel « l’accessoire suit le principal » (accessorium sequitur principale).

Les règles qui régissent l’accession visent, en effet, à étendre l’assiette du droit de propriété aux accessoires de la chose qui en est l’objet.

L’article 546 du Code civil dispose en ce sens « la propriété d’une chose soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement. »

La particularité du « droit d’accession » dont est investi le propriétaire est qu’il lui confère un droit de propriété sur les accessoires de la chose, sans qu’il lui soit besoin accomplir un acte de volonté ou une prise de possession du bien à l’instar de l’occupation.

Aussi, l’assiette de son droit de propriété a-t-elle vocation à s’étendre à tout ce que produit la chose, à tout ce qui s’unit à elle et à tout ce qui s’y incorpore.

Pour exemple, le propriétaire d’un fonds acquiert automatiquement la propriété de toutes les constructions élevées sur ce fonds, tout autant que lui reviennent les fruits produits par les arbres qui y sont plantés.

À cet égard, régulièrement, la Cour de cassation rappelle que les règles de l’accession sont pleinement applicables aux époux séparés de biens.

Dans un arrêt du 27 mars 2002, elle a, par exemple, affirmé, au visa des articles 551 et 555 du Code civil, que « tout ce qui s’unit et s’incorpore à la chose appartient au propriétaire ; que lorsque des constructions ont été faites par un tiers avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire a le droit d’en conserver la propriété, sauf à indemniser le tiers évincé » (Cass. 3e civ. 27 mars 2002, 00-18.201).

Elle en déduit que lorsqu’un époux finance avec ses propres fonds, la construction d’un immeuble sur le terrain de son conjoint, ce dernier acquerra, moyennant indemnisation, la propriété du tout, conformément à l’article 555 du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 15 mai 2008, la Cour de cassation est néanmoins venue préciser que « les dispositions de l’article 555, alinéas 2 et 3, du code civil relatives à l’indemnisation du tiers évincé ne sont pas applicables aux créances entre époux séparés de biens, qui sont exclusivement régies par l’article 1469, alinéa 3, du code civil lorsque la somme prêtée a servi à acquérir un bien qui se retrouve dans le patrimoine de l’époux emprunteur au jour de la liquidation » (Cass. 1ère civ. 15 mai 2008, n°06-16.939).

Autrement dit, l’indemnité due par l’époux propriétaire du terrain à l’époux constructeur doit être calculée selon les règles applicables en matière d’accession immobilière, mais de celles qui régissent l’évaluation des créances entre époux.

Par ailleurs, pour que les règles de l’accession s’appliquent aux époux séparés de biens, encore faut-il qu’aucune convention n’ait été conclue entre eux qui réglerait les conditions d’édification d’un immeuble financé par l’un, sur le terrain appartenant en propre à l’autre.

2. Tempérament : l’indivision

Le Code civil prévoit une exception au principe de séparation des patrimoines lorsque le bien appartient aux époux en indivision.

Cette indivision peut résulter :

2.1 L’acquisition conjointe d’un bien par les époux

Il n’est pas rare que les époux séparés de biens réalisent des acquisitions conjointement, en particulier lorsqu’il s’agit d’acquérir un bien pourvu d’une valeur patrimoniale importante, tel que le logement de famille ou une résidence secondaire.

Lorsqu’ils acquièrent un bien ensemble, il leur appartient en indivision, étant précisé que les quotes-parts attribuées à l’un et l’autre peuvent être déterminées dans l’acte constatant l’acquisition. À défaut, les époux sont réputés être propriétaires du bien indivis à parts égales.

Quoi qu’il en soit, les biens acquis conjointement par les époux séparés de biens ne composent, en aucune façon, une troisième masse de biens à l’instar de la communauté instaurée sous le régime légal.

Il s’agit de biens soumis au seul droit de l’indivision qui se compose de deux corps de règles :

Il peut être observé que, dès lors que l’acte d’acquisition constate que le bien a été acquis conjointement par les époux, il est réputé leur appartenir en copropriété, peu importe qu’il ait été financé par un seul des époux.

Dans un arrêt du 14 novembre 2007, la Cour de cassation validé en ce sens une décision de Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aux termes de l’acte de vente, le terrain avait été acquis indivisément chacun pour moitié par les époux séparés de biens, avait décidé que l’épouse, propriétaire pour moitié du terrain, « devait être présumée propriétaire pour moitié de l’immeuble qui y avait été édifié, les modalités de financement de la construction de cet immeuble n’étant pas, à elles seules, de nature à établir la preuve contraire » (Cass. 1ère civ. 14 nov. 2007, n°06-18.395).

2.2 Les présomptions d’indivision

Les présomptions d’indivision peuvent avoir deux sources différentes :

a. Les présomptions d’indivision légales

a.1 La présomption générale d’indivision

La vie conjugale implique que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Aussi, afin de faciliter la preuve de la propriété de ces biens, le législateur a institué une règle qui, lorsqu’existe une incertitude sur la propriété d’un bien, fait présumer ce bien appartenir aux époux en indivision.

Cette règle, qui est issue de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965, est énoncée à l’article 1538 du Code civil qui prévoit que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié ».

Par le jeu de cette présomption est ainsi instituée une masse indivise de biens qui, à certains égards, se rapproche de la masse commune instituée sous les régimes communautaires.

Elle s’en distingue néanmoins en ce que les biens qui la composent sont soumis au seul droit de l’indivision.

Il en résulte que le sort de cette masse indivise n’est pas lié à la durée du mariage. Plus précisément, cette masse peut cesser d’exister avant la dissolution du mariage, ce qui n’est pas le cas de la communauté qui est instituée pour toute la durée de l’union matrimoniale.

En effet, l’article 815 du Code civil prévoit que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention. ». La situation d’indivision peut donc cesser à tout instant du mariage.

À l’analyse, la présomption d’indivision est un dispositif qui permet d’atténuer le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens.

Comme observé par Gulsen Yildirimn elle « permet d’introduire un facteur d’équité dans l’établissement de la composition des patrimoines des époux. »

D’autres auteurs soulignent qu’« il est significatif de voir ainsi s’établir une union des intérêts pécuniaires, subrepticement en quelque sorte, et à la faveur d’une absence de preuve. Cela autorise à penser qu’une certaine communauté de meubles est peut-être, elle aussi, dans la nature des choses »[6].

S’agissant des effets de cette présomption, elle opère, tant dans les rapports entre époux, que dans les rapports avec les tiers.

a.2 La présomption de cotitularité du bail

==> Vue générale

L’article 1751 du Code civil prévoit que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux est titulaire d’un bail qui assure le logement de la famille, la titularité de ce bail est étendue à son conjoint.

Ainsi que le relève un auteur, est ainsi instituée une sorte d’« indivision forcée atypique »[7]. Cette thèse semble avoir été consacrée par la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 27 janvier 1993, a affirmé que l’article 1751 du Code civil « crée une indivision, conférant à chacun des époux des droits et obligations identiques, notamment l’obligation de payer des loyers et accessoires » (Cass. 3e civ. 27 janv. 1993, n°90-21.825).

Bien que logée dans la partie du Code civil dédiée aux baux des maisons et des biens ruraux, la règle énoncée à l’article 1751 relève du régime primaire impératif puisque, comme précisé par le texte, elle est applicable « quel que soit » le régime matrimonial des époux.

Il s’agit donc là d’une disposition à laquelle il ne saurait être dérogé par convention contraire et notamment par l’établissement d’un contrat de mariage. Et il est indifférent que les époux aient opté pour un régime de communauté ou un régime de séparation de biens. La règle de cotitularité du bail prévaut.

Reste que le domaine de cette règle demeure circonscrit tout autant que ses effets ainsi que sa durée.

i. Le domaine de la protection instituée pour les baux

Pour que la protection instituée par l’article 1751 du Code civil puisse opérer, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

==> S’agissant de l’exigence d’un bail

Comme précisé par l’article 1751 du Code civil, le dispositif de protection institué n’a vocation à s’appliquer qu’en présence d’un bail.

Par bail, il faut entendre, selon l’article 1709 du Code civil, le contrat par lequel l’une des parties s’oblige (le bailleur) à faire jouir l’autre (le preneur ou locataire) d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle refusé de faire application de l’article 1751 à une convention d’occupation gratuite d’un immeuble qui se distingue d’un bail en ce qu’elle confère au preneur un droit précaire sur le local auquel il peut être mis fin à tout moment.

Dans un arrêt du 13 mars 2002, la Troisième chambre civile affirme que « les dispositions de l’article 1751 du Code civil ne sont pas applicables à une convention d’occupation gratuite d’un local » (Cass. 3e civ. 13 mars 2002, n°00-17.707).

Aussi, est-il absolument nécessaire qu’un bail soit conclu pour que la règle énoncée à l’article 1751 du Code civil puisse jouer.

À cet égard, il est indifférent que le bail ait été conclu avant le mariage ou qu’il soit assujetti à un statut spécifique, encore qu’il doive consister, a minima, en un bail d’habitation.

==> S’agissant de l’exigence d’un bail d’habitation

L’article 1751 du Code civil prévoit que l’extension de la titularité du bail au conjoint ne peut opérer qu’à la condition que les locaux loués soient affectés à un usage d’habitation.

Cette disposition exclut, en effet, de son champ d’application les baux conclus aux fins d’usage professionnel, commercial, rural ou mixte.

Il s’agit là, manifestement d’une différence avec l’article 215, al. 3e du Code civil qui ne distingue pas selon la destination du local. La protection instituée par cette disposition opère, en effet, dès lors que le local constitue le lieu de vie effectif de la famille.

==> S’agissant de l’exigence d’habitation effective du local loué

L’article 1751 du Code civil vise le seul « droit au bail du local […] qui sert effectivement à l’habitation de deux époux ».

Il en résulte que la protection instituée par cette disposition ne pourra pas jouer pour le bail qui se rapporte à une résidence secondaire et plus généralement à un local dans lequel la famille ne vit pas à titre habituel (V. en ce sens CA Orléans, 20 févr. 1964).

Dans le même sens, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que la cotitularité du bail n’avait pas vocation à jouer lorsque les époux n’avaient pas cohabité dans le local (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-21.276).

Pour que l’article 1751 s’applique le local disputé doit nécessairement avoir servi à l’habitation des deux époux (Cass. 3e civ. 28 janv. 1971, n°69-13.314).

ii. Les effets de la protection spéciale instituée pour les baux

L’extension de la titularité du bail au conjoint par le jeu de l’article 1751 du Code civil emporte plusieurs effets :

iii. La durée de la protection spéciale instituée pour les baux

L’article 1751 du Code civil envisage à ses alinéas 2 et 3 le sort du bail en cas, d’une part, de divorce ou de séparation de corps, et, d’autre part, de décès d’un des époux.

b. Les présomptions d’indivision conventionnelles

En application du principe de liberté des conventions matrimoniales, les époux peuvent insérer dans leur contrat de mariage une clause qui institue une présomption d’indivision qui aura vocation s’appliquer à une ou plusieurs catégories de biens.

Depuis que la loi a institué une présomption d’indivision pourvue d’une portée générale, la stipulation d’une telle clause a grandement perdu de son intérêt.

Reste qu’il pourra être recouru à ce dispositif contractuel pour les meubles meublants qui garnissent le logement familial et plus généralement tous les lieux où les époux résident.

Sous l’empire du droit antérieur à la loi du 13 juillet 1965, on s’était demandé si les présomptions d’indivision conventionnelles étaient opposables aux tiers.

L’article 1538, al. 2e du Code civil tranche désormais cette question en prévoyant que « les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l’égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s’il n’en a été autrement convenu. »

La conséquence de l’opposabilité des présomptions d’indivision conventionnelles aux tiers est le renversement de la charge de la preuve.

Autrement dit, c’est au créancier saisissant d’établir que le bien sur lequel il exerce ses poursuites appartient exclusivement à l’époux débiteur.

Dans un arrêt du 29 janvier 1974, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la clause de présomption d’indivision figurant dans le contrat de mariage des époux séparés de biens est opposable au créancier, de sorte qu’il appartient à ce dernier d’administrer la preuve du droit de propriété exclusif de son débiteur sur les biens litigieux (Cass. 1ère civ. 29 janv. 1974, n°72-12.670).

B) La preuve de la propriété

La vie conjugale implique que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Pour cette raison, la preuve de la propriété présente un enjeu particulièrement important pour les époux mariés sous le régime de la séparation de biens.

Des conflits surviendront notamment à la dissolution du mariage, les époux se disputant, au moment du partage, la propriété de tel ou tel bien.

Afin de régler ces conflits, à tout le moins de les prévenir, le législateur a inséré dans le Code civil une disposition qui traite de la preuve de la propriété sous le régime de la séparation de biens.

Cette disposition instaure un dispositif qui distingue selon que les époux ont ou non stipulé dans leur contrat de mariage des présomptions de propriété.

1. La preuve de la propriété en l’absence de présomptions de propriété

==> La charge de la preuve

En l’absence de présomption conventionnelle de propriété, la charge de la preuve pèse sur l’époux qui revendique la propriété d’un bien.

L’article 1538, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « tant à l’égard de son conjoint que des tiers, un époux peut prouver par tous les moyens qu’il a la propriété exclusive d’un bien. »

Il peut être observé que si la règle énoncée par cette disposition ne vise que le cas où celui qui se prévaut de la propriété d’un bien est un époux, elle s’applique également à l’hypothèse où c’est un tiers qui cherchera à attribuer la propriété d’un bien à l’un ou l’autre époux.

Il y aura notamment intérêt lorsqu’il voudra exercer des poursuites sur ce bien, au titre d’une créance qu’il détient contre son débiteur.

==> Objet de la preuve

La preuve de la propriété n’est pas des plus aisée à rapporter. Pour y parvenir, il convient, en effet, d’établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien. Or cela suppose d’être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, ce qui, a priori, est impossible.

D’où la présentation de la preuve de la propriété comme la « probatio diabolica », car seul le diable serait en capacité de la rapporter.

Quoi qu’il en soit, cette preuve doit être rapportée par l’époux qui revendique la propriété d’un bien, faute de quoi, conformément au troisième alinéa de l’article 1538 du Code civil, le bien revendiqué sera réputé appartenir indivisément à chacun des époux pour moitié.

Cette preuve de la propriété est-elle insurmontable ? Il n’en est rien. Comme observé par le Professeur Revêt « la propriété se prouve par sa cause : l’acquisition ».

Aussi, la propriété d’un bien se prouvera différemment selon le mode d’acquisition de ce bien. Il convient, en particulier, de distinguer les modes d’acquisition originaires, des modes d’acquisition dérivés.

==> Les modes de preuve

S’agissant des modes de preuves admis quant à établir la propriété d’un bien, l’article 1538 du Code civil prévoit que la preuve peut être rapportée « par tous moyens ».

Cela signifie que tous les modes de preuves sont admis. Est-ce à dire qu’ils se valent tous ? Il n’en est rien.

Le titre de propriété est, sans aucun doute, le mode de preuve qui est pourvu de la plus grande force probante.

Reste qu’il ne sera établi, en général, que pour les immeubles étant précisé que la jurisprudence considère que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Autrement dit, il est indifférent que le bien ait été financé par un époux en particulier : le titre prime en tout état de cause sur la finance. C’est donc l’époux titulaire du titre qui endosse la qualité de propriétaire du bien.

S’agissant des meubles, cette question ne se posera pas, à tout le moins qu’à titre exceptionnel, dans la mesure il est rare qu’un titre de propriété soit établi lors de l’acquisition de cette catégorie de biens.

Parfois, les meubles acquis avant le mariage feront l’objet d’une énumération dans le contrat de mariage, ce qui permettra d’éviter que les époux se disputent la propriété de ces biens lors de la liquidation de leur régime matrimoniale.

Pour les meubles acquis au cours du mariage, sauf à ce qu’ils aient été expressément visés dans une donation ou un testament, la possession devrait constituer le mode normal de preuve de la propriété.

Reste que pour produire ses effets, elle doit présenter les caractères requis par l’article 2261 du Code civil qui prévoit que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que pour être efficace, la possession ne doit être affectée d’aucun vice. Elle doit, autrement dit, être utile.

Par utile, il faut entendre susceptible de fonder une prescription acquisitive. On dit alors que la possession est utile ad usucapionem, soit par l’usucapion.

Si la situation des époux séparés de biens ne fait pas obstacle à la réunion des trois premiers caractères de la possession utile (continue, paisible et publique), il en va différemment de l’exigence tenant à l’absence d’équivoque.

Par hypothèse, les époux, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, partagent une communauté de vie, ce qui implique qu’ils mettent en commun leurs biens meubles.

Aussi, s’avérera-t-il délicat de déterminer si le possesseur détient la chose à titre exclusif ou si la possession est partagée.

Cette situation conduit, en pratique, à une confusion des biens meubles, ce qui est de nature à rendre la possession équivoque.

Compte tenu de la difficulté à établir l’absence d’équivoque de la possession pour les biens meules, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que « les règles de preuve de la propriété entre époux séparés de biens, édictées par l’article 1538 du Code civil, excluent l’application de l’article 2279 [nouvellement 2276] du même Code » (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-10.051).

Ainsi, pour la Première chambre civile, la règle énoncée à l’article 2276 du Code civil qui confère un titre de propriété à celui qui possède – de bonne foi – un meuble, est paralysée sous l’effet du régime de la séparation de biens.

Bien que vivement critiquée par les auteurs, cette position a été confirmée dans un arrêt du 27 novembre 2001 (Cass. 1ère civ. 27 nov. 2001, n°99-10.633).

Dans ces conditions, la preuve de la propriété devra se faire selon d’autres moyens, ce qui pourra consister à produire des témoignages et plus généralement toutes sortes d’indices.

Ces indices pourront notamment résulter de factures, bien qu’il ne s’agisse pas d’un écrit au sens du droit de la preuve.

Dans un arrêt du 10 mars 1993, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 1538 du Code civil, « qu’une facture, même non acquittée, est de nature à établir, sauf preuve contraire, l’acquisition d’un bien par celui au nom duquel elle est établie » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1993, n°91-13.923).

Elle ajoute, dans cette même décision, « que la propriété d’un bien appartient à celui qui l’a acquis sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont l’acquisition a été financée ».

Les factures ne sont pas les seuls indices susceptibles de prouver la propriété d’un bien acquis par un époux séparé de biens. La jurisprudence a également admis que la preuve puisse être rapportée au moyen de certificats de garantie ou d’origine (CA Versailles 12 déc. 1988).

Pour les véhicules immatriculés, la preuve de leur propriété pourra résulter de la carte grise qui a été établie au nom d’un époux (CA Paris, 4 févr. 1982).

Si, en droit commun de la preuve, on n’accorde aux documents qui ne remplissent pas les conditions d’un écrit qu’une faible valeur probante, car ne prouvant, tout au plus, que le paiement par celui au nom duquel ils sont établis, à l’analyse, il en va différemment lorsque la preuve est rapportée dans le cadre matrimonial.

La jurisprudence reconnaît, en effet, aux indices que sont les factures, les certificats et autres documents contractuels, la valeur d’une présomption simple, en ce sens qu’ils permettent d’établir la propriété du bien jusqu’à la preuve contraire.

C’est là une certaine faveur qui est consentie aux époux séparés de bien pour lesquels le fardeau de la preuve se trouve ainsi allégé.

2. La preuve de la propriété en présence de présomptions de propriété

Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, la principale difficulté soulevée par la composition des patrimoines réside dans la détermination de la propriété de tel ou tel bien.

Pour résoudre cette difficulté, les époux avaient pris l’habitude d’insérer systématiquement dans leur contrat de mariage une clause de style visant à instituer une présomption d’indivision en cas de doute qui surviendrait sur la propriété d’un bien.

Aujourd’hui, cette clause est devenue inutile. Elle a été intégrée à l’article 1538 du Code civil qui prévoit désormais que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié. »

Reste que, en cas de litige, cette issue sera, la plupart du temps, envisagée par les époux comme un dernier recours. Ces derniers chercheront toujours à prouver que le bien disputé leur appartient de manière exclusive.

Afin de faciliter cette preuve, ils disposent de la faculté d’aménager, en amont, leur régime matrimonial.

L’objectif recherché par les époux sera donc de prévenir toute difficulté de reconstitution des masses lors de la liquidation de leur régime matrimonial.

Pour ce faire, il est d’usage d’instituer conventionnellement des présomptions de propriété qui consistent à stipuler que telle catégorie de biens est réputée à partir à tel époux.

Ces présomptions seront le plus souvent stipulées pour les meubles corporels, les difficultés tenant à la preuve se concentrant, pour l’essentiel, sur cette catégorie de bien.

S’agissant des effets attachés aux présomptions de propriété, il n’est pas douteux qu’elles jouent dans les rapports entre époux, mais pas seulement.

L’article 1538, al. 2e du Code civil prévoit, en effet, que « les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l’égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s’il n’en a été autrement convenu ».

Il résulte de cette disposition que les clauses instituant une présomption de propriété sont opposables erga omnes, ce qui implique que les époux sont fondés à s’en prévaloir à l’égard des tiers.

Plus précisément, les présomptions de propriété joueront, tant à l’égard des créanciers de l’époux au profit duquel elles sont stipulées, qu’à l’égard des créanciers du conjoint.

La question qui alors se pose est de savoir s’il s’agit là de règles de propriété, ce qui aurait pour conséquence de conférer un caractère irréfragable aux présomptions de propriété ou si elles poursuivent une finalité seulement probatoire, de sorte qu’elles pourraient souffrir de la preuve contraire.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’alinéa 3 de l’article 1538 qui prévoit que « la preuve contraire sera de droit, et elle se fera par tous les moyens propres à établir que les biens n’appartiennent pas à l’époux que la présomption désigne, ou même, s’ils lui appartiennent, qu’il les a acquis par une libéralité de l’autre époux. »

Aussi, est-il fait interdiction aux époux de conférer un caractère irréfragable aux présomptions de propriété stipulées dans leur contrat de mariage. Il s’agit là d’une règle d’ordre public.

Ces présomptions doivent donc pouvoir être renversées, par tous moyens, par les tiers, ce qui fait d’elles des règles, non pas de propriété, mais de preuve.

Dans un arrêt du 19 juillet 1988, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 1538, al. 2e du Code civil, « qu’il résulte de cet article que la preuve contraire des présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage est de droit et se fait par tous les moyens propres à établir que les biens n’appartiennent pas à l’époux que la présomption désigne ; que ce texte ne distingue pas entre la propriété privative et la propriété indivise ayant pu exister entre les époux » (Cass. 1ère civ. 19 juill. 1988, n°86-10.348).

Ainsi, non seulement une présomption de propriété doit, en tout état de cause, pouvoir être combattue par la preuve contraire, mais encore la preuve doit pouvoir être rapportée par tous moyens.

Il est donc fait interdiction aux époux, non seulement de conférer un caractère irréfragable aux présomptions de propriété stipulées dans leur contrat de mariage, mais encore de restreindre les modes de preuves légalement admis.

Au nombre de ces modes de preuves, la présomption de propriété pourra être combattue par la production de témoignages ou de simples indices établissant que le bien disputé n’appartient pas à l’époux au profit duquel cette présomption est stipulée.

Dans un arrêt du 30 juin 1993, la Cour de cassation a, par ailleurs, admis que la preuve puisse être rapportée au moyen d’une convention conclue entre époux aux termes de laquelle la propriété du bien est reconnu à l’un d’eux à titre exclusif.

Au soutien de sa décision, elle a affirmé que « sous le régime de la séparation de biens, un époux peut prouver, par tous moyens, qu’il a la propriété exclusive d’un bien et écarter par la preuve contraire les présomptions de propriété stipulées par le contrat de mariage ; qu’un acte établi au cours du mariage entre époux séparés de biens, pour reconnaître à l’un d’eux, la propriété personnelle de certains biens, ne constitue pas une convention modificative du régime matrimonial mais un simple moyen de preuve destiné à écarter ces présomptions » (Cass. 1ère civ. 30 juin 1993, n°90-17.602).

On peut enfin signaler un autre arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 21 juin 1983, aux termes duquel elle décide que la situation de confusion des patrimoines est de nature à tenir en échec la clause instituant une présomption de propriété sur un bien qui l’on ne pourrait plus identifier comme appartenant à l’un ou l’autre époux (Cass. 1ère civ. 21 juin 1983, n°82-13.542).

II) La répartition du passif

A) Principe

Le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens ne joue pas seulement pour l’actif du couple marié, il opère également pour le passif.

L’article 1536, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que chacun des époux « reste seul tenu des dettes nées en sa personne avant ou pendant le mariage, hors le cas de l’article 220. »

Il ressort de cette disposition que les époux séparés de biens sont tenus des dettes nées de leur propre chef, avant la célébration du mariage que postérieurement.

Pratiquement, cela signifie que les dettes contractées par un époux seul ne sont exécutoires que sur son patrimoine propre, à l’exclusion des biens personnels de son conjoint.

Sous le régime de la séparation de biens, en raison de l’absence de masse commune, la distinction entre l’obligation à la dette et la contribution à la dette est inopérante.

Seul peut être poursuivi par les créanciers l’époux auquel incombe la charge de la dette, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’établir un passif provisoire.

Aussi, la corrélation entre l’actif et le passif est ici parfaite : ce sont les biens de l’époux qui a personnellement contracté la dette qui répondent du passif, tant au plan de l’obligation à la dette, qu’au plan de la contribution.

À cet égard, dans l’hypothèse où un époux réglerait la dette de son conjoint, il dispose d’un recours contre celui-ci.

B) Exceptions

Le principe de séparation des patrimoines au plan du passif connaît de nombreuses exceptions qui intéressent notamment les obligations solidaires et conjointes auxquelles sont susceptibles d’être tenus les époux séparés de biens.

==> Les dettes solidaires

L’article 1536, al. 2e du Code civil assortit le principe de séparation des patrimoines quant au passif d’une exception : les dettes visées par l’article 220 du Code civil soit, les dettes souscrites pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants.

Ces dettes présentent la particularité d’être solidaires, pourvu qu’elles ne soient manifestement pas excessives (art. 220, al. 2e C. civ.), ni ne résultent d’un emprunt qui ne serait pas modeste ou d’un achat à tempérament (art. 220, al. 3e C. civ.)

À la vérité, le principe de séparation des patrimoines sera écarté toutes les fois que les époux auront contracté une dette solidaire.

Ainsi, lorsqu’une dette est frappée de solidarité, les deux époux sont engagés sur le même plan.

Chacun d’eux peut être actionné en paiement par le créancier pour le tout.

Il en résulte que, quand bien même la dette est née du chef d’un seul époux, elle est exécutoire sur l’ensemble des biens du couple soit :

À cet égard, en application de l’article 1310 du Code civil, « la solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas. »

Pour opérer, la solidarité doit donc être prévue :

S’agissant de la solidarité légale, elle est énoncée notamment :

S’agissant de la dette de loyer, il est également admis qu’elle soit frappée de solidarité en application de la combinaison des articles 220 et 1751 du Code civil.

Pour mémoire, cette seconde disposition prévoit que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »

Il ressort de ce texte que lorsqu’un époux est titulaire d’un bail qui assure le logement de la famille, la titularité de ce bail est étendue à son conjoint.

L’une des conséquences du principe ainsi posé est que les obligations stipulées dans le contrat de bail pèsent sur les deux époux, en particulier l’obligation solidaire de paiement des loyers.

Dans un arrêt du 7 mai 1969, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait décidé, en application de l’article 1751 du Code civil, « que l’épouse est réputée par l’effet du bail conclu au profit du mari et dès cette époque co-preneur avec celui-ci en vertu d’un droit distinct et qu’elle est tenue personnellement des obligations qui en résultent ».

Elle en déduit qu’elle était tenue solidairement du paiement des loyers avec son époux (Cass. 1er civ. 1 mai 1969).

À l’examen, cette solidarité du paiement des loyers tient tout autant à l’application de l’article 1751 du Code civil, qu’à la convocation de la règle énoncée à l’article 220 du Code civil qui prévoit une solidarité des époux pour les dépenses ménagères.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser qu’il était indifférent que l’époux poursuivi en paiement des loyers ait quitté les lieux, le critère déterminant étant le maintien du lien matrimonial (V. en ce sens Cass. 2e civ. 3 oct. 1990, n°88-18.453). Or tant que ce lien perdure, l’article 1751 du Code civil continue à produire ses effets.

Quoi qu’il en soit, en l’absence de solidarité légale ou conventionnelle, c’est au créancier qu’il appartient de prouver que la dette contractée est solidaire (Cass. com. 19 mai 1982, n°80-15.797).

Si l’obligation a été souscrite par les deux époux et que la preuve de la solidarité n’est pas rapportée, cette obligation est présumée être conjointe.

==> Les dettes conjointes

Lorsque les époux souscrivent ensemble un engagement, faute de solidarité prévue par la loi ou stipulée dans l’acte, l’obligation à laquelle ils sont tenus est conjointe.

C’est là une application du droit commun des obligations et plus précisément de l’article 1309 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « l’obligation qui lie plusieurs créanciers ou débiteurs se divise de plein droit entre eux ».

Autrement dit, dans l’hypothèse où une obligation comporte plusieurs sujets, le principe instauré par le législateur est la division de l’obligation en autant de rapports indépendants qu’il existe de créanciers ou de débiteurs.

La conséquence attachée par l’article 1309, al. 2 du Code civil à cette configuration de l’obligation est double :

Appliqué au couple marié sous le régime de la séparation de biens, le principe énoncé par l’article 1309, s’il est sans incidence sur l’étendue du gage des créanciers, lequel s’étend aux biens propres des deux époux, il les contraint à diviser leurs poursuites.

En d’autres termes, chaque époux ne pourra être actionné en paiement sur ses biens propres que pour la moitié de la dette conjointe, alors que lorsque la solidarité joue, ils peuvent être actionnés en paiement pour le tout.

§2: La gestion des patrimoines

==> Vue générale

Dans sa rédaction initiale, le Code civil prévoyait que la femme mariée était frappée d’une incapacité d’exercice générale de sorte que pour aliéner ses biens propres elle devait obtenir le consentement de son mari.

Il a fallu attendre la loi du 13 février 1938 pour que l’incapacité civile de la femme mariée et que, par voie de conséquence, elle jouisse d’une certaine indépendance patrimoniale.

La loi du 13 juillet 1965 a franchi un pas supplémentaire vers l’émancipation de l’épouse de la tutelle de son mari.

Animé par la volonté d’instaurer une égalité dans les rapports conjugaux, le législateur a reconnu à la femme mariée le droit de gérer ses biens personnels quel que soit le régime matrimonial applicable.

Cette règle a été formulée à l’ancien article 223 du Code civil qui disposait que « la femme a le droit d’exercer une profession sans le consentement de son mari, et elle peut toujours, pour les besoins de cette profession, aliéner et obliger seule ses biens personnels en pleine propriété. »

Vingt ans plus tard, le législateur a souhaité parachever la réforme qu’il avait engagée en 1965, l’objectif recherché était de supprimer les dernières marques d’inégalité dont étaient encore empreintes certaines dispositions.

Dans ce contexte, il a saisi l’occasion pour la toiletter la règle énoncée à l’article 223 qui reconnaissait à la femme mariée le pouvoir d’administrer et de disposer de ses biens propres sans le consentement de son mari.

Transférée à l’article 225 du Code civil, la nouvelle règle, toujours en vigueur aujourd’hui, prévoit que « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels. »

Si, à l’analyse, la loi du 23 décembre 1985 n’a apporté aucune modification sur le fond du dispositif, sur la forme elle a « bilatéralisé » la règle.

Désormais, l’article 225 du Code civil confère à chaque époux un pouvoir de gestion exclusive de ses biens personnels, ce qui comprend, tant les actes d’administration, que les actes de disposition.

À cet égard, pour les époux séparés de biens, cette disposition est reprise en des termes similaires à l’article 1536, al. 1er du Code civil.

I) Principe

L’article 1536, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque les époux ont stipulé dans leur contrat de mariage qu’ils seraient séparés de biens, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels. »

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

À l’analyse, la règle énoncée par l’article 225 du Code civil apparaît pour le moins redondante avec les règles spécifiques propres à chaque régime matrimonial et notamment avec l’article 1536, al. 1er applicable aux époux séparés de biens.

Qu’il s’agisse, en effet, d’un régime communautaire ou d’un régime séparatiste, tous confèrent aux époux le droit d’administrer et de disposer seul de leurs biens propres.

Aussi, pour la doctrine, le principal intérêt de cette disposition réside dans son intégration dans le régime primaire ce qui en fait une règle d’ordre public.

Il en résulte que les époux ne peuvent pas y déroger par convention contraire. Il leur est donc fait interdiction de stipuler dans un contrat de mariage :

L’autonomie patrimoniale des époux repose ainsi sur un socle de droits irréductibles, ce qui permet, non seulement de leur garantir une certaine indépendance, mais encore de faire obstacle à toute tentative de remise en cause de l’égalité qui préside aux rapports conjugaux.

II) Tempéraments

Si les articles 1536, al. 1er et 225 du code civil reconnaissent, à chaque époux, le pouvoir de gérer seul ses biens propres, ce pouvoir est assorti de plusieurs limites :

A) Première limite : la protection du logement familial

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. ».

Il ressort de cet article que l’accomplissement d’actes de disposition sur la résidence familiale est soumis à codécision.

Aussi, quand bien même le logement de famille appartient en propre à un époux, celui-ci doit obtenir le consentement de son conjoint pour réaliser l’acte envisagé.

La violation de cette règle est sanctionnée par la nullité – relative – de l’acte accomplir par un époux en dépassement de ses pouvoirs.

L’article 215, al.3e prime ainsi les articles 225 et 1536, al. 1er du Code civil qui s’effacent donc lorsque le bien en présence est le logement familial.

Encore faudra-t-il qu’il endosse cette qualification, ce qui ne sera notamment pas le cas pour une résidence secondaire.

B) Deuxième limite : le jeu des présomptions de pouvoirs

Autre limite au principe de gestion exclusive des biens propres : les règles instituant des présomptions de pouvoirs conférant aux époux la faculté de disposer librement, à titre individuel, de certains biens.

Tel est notamment le cas des présomptions instituées en matière bancaire et mobilière ou encore en matière d’exploitation commune d’une entreprise commerciale, artisanale, libérale ou agricole :

C) Troisième limite : l’aménagement judiciaire des pouvoirs

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[8] et plus encore, comme son « acte fondateur »[9], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent spécifiquement à régler les situations de crise traversées par le couple marié on compte :

À l’analyse, tandis que les deux premières mesures (autorisation et représentation judiciaires) visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure (sauvegarde judiciaire) a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.

Dans tous les cas, les mesures susceptibles d’être prises affectent l’indépendance des époux séparés de biens.

S’agissant de la possibilité offerte à un époux sous le régime légal d’obtenir le dessaisissement des pouvoirs de son conjoint sur ses biens personnels (art. 1429 C. civ.), elle n’est pas envisagée pour le régime de la séparation de biens.

D) Quatrième limite : l’intervention d’un époux dans la gestion des biens de son conjoint

Bien que la loi confère à chaque époux un pouvoir de gestion exclusif sur ses biens propres, en pratique il n’est pas rare qu’un époux s’immisce dans les affaires de son conjoint.

Si, cette immixtion intervient, le plus souvent, dans le cadre de la relation de confiance qui s’est instaurée entre les deux, il est des cas où le conjoint ne sera pas animé d’une intention des plus nobles.

Aussi, se posera la question de la portée, sinon de la validité des actes qui, parfois, auront été accomplis sans l’accord, à tout le moins exprès, du conjoint.

Conscient de grande variété des pratiques conjugales susceptibles d’être adoptées dans la vie du ménage, dès 1965 le législateur s’est emparé du sujet en envisageant trois hypothèses :

1. L’intervention d’un époux dans le cadre d’un mandat dans les affaires de son conjoint

L’article 1539 du Code civil prévoit que « si, pendant le mariage, l’un des époux confie à l’autre l’administration de ses propres, les règles du mandat sont applicables. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux peut donner mandat à son conjoint quant à la gestion de ses biens propres.

Leurs rapports sont alors régis, précise le texte, par le droit commun du mandat que l’on retrouve aux articles 1984 à 2010 du Code civil.

==> Sur la forme du mandat

Si, conformément à l’article 1985 du Code civil, le mandat peut être donné par acte authentique ou par acte sous seing privé, voire par lettre, il est également admis qu’il puisse ne pas être exprès et donc être tacite.

Dans cette dernière hypothèse, il suffira d’établir la volonté de l’époux de confier la gestion de ses biens propres à son conjoint.

À cet égard, le mandat tacite pourra, dès lors qu’il est prouvé, porter tant sur des actes d’administration et de jouissance, que sur des actes de disposition.

Il pourra, en outre, être général ou spécial, c’est-à-dire avoir pour objet, tout autant la gestion de l’ensemble du patrimoine propre du mandant, que la gestion d’un ou plusieurs biens propres en particulier.

==> Sur les effets du mandat

==> Sur l’extinction du mandat

L’une des causes d’extinction du mandat, c’est sa révocation par le mandant, étant précisé qu’il s’agit là d’une règle d’ordre public.

Cette règle est rappelée à l’article 218 du Code civil qui prévoit que l’époux qui a donné mandat à son conjoint « peut, dans tous les cas, révoquer librement ce mandat. »

Si dès lors la technique du mandat permet de réintroduire la clause d’unité d’administration qui était envisagée aux anciens articles 1505 à 1510 du Code civil, lesquels ont été abrogés par la loi du 13 juillet 1965, c’est sous la réserve que cette clause soit toujours révocable.

Ainsi, un époux peut parfaitement être investi du pouvoir de gérer l’intégralité des biens du ménage (actif propre et commun).

Néanmoins, son pouvoir sera nécessairement précaire dans la mesure où il pourra toujours être remis en cause par son conjoint.

2. L’intervention d’un époux en dehors d’un mandat au su et sans opposition du conjoint

L’article 1540 du Code civil prévoit que « quand l’un des époux prend en mains la gestion des biens propres de l’autre, au su de celui-ci, et néanmoins sans opposition de sa part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d’administration et de jouissance, mais non les actes de disposition. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux intervient au su de son conjoint, mais sans que celui-ci ne s’y soit opposé il est présumé avoir été investi du pouvoir de le représenter.

Plusieurs conditions doivent néanmoins être réunies pour que ce mandat présumé produise ses effets :

==> Conditions de validité du mandat présumé

==> Effets du mandat présumé

Lorsque les conditions de validité du mandat présumé sont réunies, il produit les mêmes effets que n’importe quel mandat :

==> Le sort des actes accomplis au mépris de l’opposition du conjoint

Lorsqu’un époux accomplit un acte sur un ou plusieurs biens propres de son conjoint au mépris de l’opposition formulée par celui-ci, cette situation emporte plusieurs conséquences.

==> Les remèdes à l’irrégularité de l’acte accompli au titre d’un mandat présumé

Lorsqu’un acte accompli par un époux sur les biens propres de son conjoint ne répond pas aux conditions de l’article 1540, cela ne signifie pas pour autant qu’il encourt la nullité.

D’autres dispositifs sont, en effet, susceptibles de prendre le relais et de couvrir l’irrégularité dont est frappé l’acte accompli au titre du mandat présumé.

3. L’intervention d’un époux dans les opérations d’aliénation des biens propres de son conjoint et d’encaissement du prix de vente

Sous le régime de la séparation de biens, le remplacement d’un bien propre par un autre ne requiert par l’accomplissement de formalités d’emploi ou de remploi : la subrogation réelle opère, en toute hypothèse, de plein droit.

C’est la une différence avec le régime légal qui subordonne le renouvellement des patrimoines propres des époux à l’accomplissement de ces formalités, faute de quoi le bien acquis au mépris de la règle tombe en communauté.

L’absence d’exigence d’accomplissement de formalités d’emploi ou de remploi est exprimée à l’article 1541 du Code civil qui prévoit que « l’un des époux n’est point garant du défaut d’emploi ou de remploi des biens de l’autre ».

Cette disposition assortie néanmoins le principe d’une réserve : « à moins qu’il ne se soit ingéré dans les opérations d’aliénation ou d’encaissement, ou qu’il ne soit prouvé que les deniers ont été reçus par lui, ou ont tourné à son profit. »

Autrement dit, lorsqu’un époux séparé de biens s’est immiscé dans les affaires de son conjoint, il est garant du défaut d’emploi ou de remploi des biens de ce dernier.

Lorsque, notamment, il a perçu les derniers appartenant à l’autre et qu’il les a utilisés à son avantage personnel et non pour les dépenses relevant des charges du mariage, il devra les lui restituer, sauf à ce qu’il soit en mesure de prouver l’intention libérale de son conjoint.

§3: La liquidation du régime

Lorsque des époux sont communs en biens, la dissolution de leur régime matrimonial requiert l’accomplissement d’opérations de liquidation.

Par liquidation, il faut entendre, « l’ensemble des opérations tendant, sinon à la réduction de la communauté dissoute à un solde en espèces de liquidités, du moins à l’établissement d’une situation nette susceptible d’un règlement par voie de partage »[10].

Il s’agira, autrement dit, pour les époux de déterminer la consistance de la masse partageable, à supposer qu’il y ait actif ou un passif à partager.

Si, sous le régime légal, il est rare que la masse partageable soit inexistante, sous le régime de la séparation de biens, cette situation se rencontrera systématiquement.

Et pour cause, sous ce régime, les patrimoines des époux sont, par hypothèse, restés séparés. Faute de constitution d’une communauté, lors de la dissolution du régime il y a, dès lors, rien à partager.

Est-ce à dire que la dissolution du régime de la séparation de biens ne donne lieu à aucune opération de liquidation ? Il n’en est rien.

En premier lieu, au cours du mariage, de très nombreux mouvements de valeurs interviendront entre les patrimoines respectifs des époux.

Tel est, par exemple, le cas lorsqu’un époux fournit, dans le cadre d’un prêt, des fonds propres à son conjoint aux fins que celui-ci règle une dette personnelle contractée auprès d’un tiers ou encore que l’un finance une construction édifiée sur un terrain appartenant en propre à l’autre.

En second lieu, l’absence de communauté sous le régime de la séparation de biens, ne signifie pas que les époux ne peuvent pas être propriétaire d’un élément d’actif en commun. Cette situation se rencontrera lorsqu’ils auront acquis un bien en indivision.

Pour ces deux raisons, la dissolution du régime de la séparation de biens est susceptible de donner lieu à des opérations de liquidation.

Ces opérations consisteront, en subsistant, à procéder :

I) Le règlement des créances entre époux

Le dispositif des créances entre époux a donc en commun avec les récompenses de viser à rétablir un équilibre qui a été rompu entre deux masses de biens consécutivement à un mouvement de valeur.

Au fond, une créance entre époux n’est autre qu’un lien d’obligation créé entre deux époux au cours du mariage.

Ce lien d’obligation peut avoir pour cause le préjudice causé par un époux à l’autre ou encore le paiement par un époux de la dette de son conjoint.

Plus généralement, une créance entre époux naîtra toutes les fois qu’une dette relevant du passif définitif d’un époux a été supportée par l’autre et réciproquement.

S’agissant du régime juridique des créances entre époux, ces créances sont, en principe, soumises au droit commun des obligations.

En pratique, il apparaît néanmoins que leur règlement est le plus souvent différé dans le temps.

Plus précisément il interviendra, comme les récompenses, à l’issue de la dissolution du mariage.

La raison en est que, avant d’entretenir entre eux un rapport de créancier à débiteur, les époux sont unis par un lien conjugal ce qui constituera un obstacle – de fait – au règlement de la créance.

À cet égard, il peut être observé que l’article 2236 du Code civil dispose que la prescription « ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité ».

Cette règle a été posée par souci de préservation de la paix des ménages. Lorsqu’ils sont encore dans les liens du mariage il peut, en effet, apparaître difficile pour un époux d’engager une action contentieuse à l’encontre de son conjoint, à tout le moins de lui réclamer le paiement de sa créance. Il y a là un empêchement d’ordre affectif.

Conscient de cette situation, le législateur en a tiré la conséquence, lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, qu’il y avait lieu, pour certaines créances entre époux, de tenir compte de la longue période susceptible de s’écouler entre leur fait générateur et leur règlement.

Aussi, a-t-il considéré que ces créances devaient faire l’objet d’une réévaluation selon les modalités applicables aux récompenses.

A) Principe : la soumission des créances entre époux au droit commun des obligations

Sous le régime de la séparation de biens, les créances entre époux sont envisagées par l’article 1543 du Code civil, lequel prévoit que « les règles de l’article 1479 sont applicables aux créances que l’un des époux peut avoir à exercer contre l’autre. »

Il ressort de cette disposition que les créances entre époux nées sous le régime de la séparation de biens sont soumises aux mêmes règles que celles qui s’appliquent sous le régime légal.

Aussi, est-ce à l’article 1479 du Code civil qu’il y a lieu de se reporter. Quel enseignement retirer de cette disposition ?

À l’analyse, par principe, c’est le droit commun des obligations qui préside à l’évaluation des créances entre époux, ce qui emporte plusieurs conséquences :

B) Tempérament : la réévaluation des créances entre époux selon les modalités applicables aux récompenses

Parce que les créances entre époux sont soumises au droit commun des obligations, elles devraient, en toute rigueur, être évaluées selon les règles du nominalisme monétaire.

Prenant conscience que l’application de ces règles était susceptible de donner lieu à des situations injustes, notamment en période de dépréciation monétaire, le législateur a, lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, fait le choix de soustraire certaines créances entre époux à l’application du droit commun.

Afin de bien comprendre ce qui a conduit ce dernier a modifié le système, arrêtons-nous un instant sur le système d’évaluation des créances entre époux avant qu’il ne soit réformé, étant précisé que ce système s’appliquait également aux récompenses avant que la loi du 13 juillet 1965 n’entre en vigueur.

1. Droit antérieur

==> Application des règles d’évaluation du droit commun

Sous l’empire du droit antérieur, pour déterminer le montant d’une créance entre époux, il y avait lieu de distinguer selon que la créance était due au titre d’une impense ou au titre d’une autre cause.

Pour mémoire, une impense consiste en une dépense de conservation ou d’amélioration d’un bien meuble ou d’un immeuble.

En substance, l’évaluation d’une créance entre époux s’opérait donc comme suit :

En période de stabilité monétaire, ce dispositif d’évaluation des créances entre époux et des récompenses a relativement bien fonctionné.

La valeur de la monnaie étant constante, il était indifférent que, en pratique, le montant de la créance due au patrimoine créancier soit la plupart du temps égal à la dépense supportée par le patrimoine débiteur, à tout le moins cela ne contrevenait pas à l’équité.

Ce système a toutefois commencé à montrer ses limites dès lors que la monnaie a fait l’objet de dépréciation au cours de périodes qui se sont multipliées.

Au cours du XXe siècle le franc a fait l’objet de pas moins de 17 dévaluations, dont la plupart au cours des années 1950.

Parce que le règlement des créances entre époux sera, en pratique, la plupart du temps différé à la dissolution du mariage pour les raisons exposées précédemment, il peut s’écouler un long délai entre leur fait générateur et ce règlement.

À l’instar des récompenses, on s’est aperçu que, elles aussi, pouvaient être touchées par l’instabilité monétaire.

Pour illustrer ce phénomène, prenons l’exemple de travaux d’amélioration d’un immeuble appartenant en propre à un époux entièrement financés par le patrimoine de son conjoint en 1950 à hauteur de 20.000 francs.

En période de stabilité monétaire, la plus-value réalisée sur ce bien est généralement inférieure au coût des travaux. Disons que, pour notre exemple, le montant de cette plus-value est de 10.000 francs, ce qui porterait la valeur de l’immeuble de 100.000 à 110.000 francs.

En cas de liquidation du régime matrimonial durant cette période, la créance due à l’époux qui a supporté le coût des travaux devrait, en toute rigueur, être égale au montant de la plus-value réalisée, soit de 10.000 francs, car représentant la plus faible des deux sommes en jeu (10.000 francs vs 20.000 francs).

Envisageons désormais que la dissolution du mariage intervienne trente ans plus tard et notamment après plusieurs périodes de dépréciation monétaire.

Dans cette hypothèse, la plus-value réalisée sur le bien devrait mécaniquement être incomparablement supérieure à la dépense initiale exposée par le patrimoine qui a financé l’opération, à tout le moins en valeur nominale. Si l’immeuble vaut désormais 1.000.000 francs, la plus-value réalisée est de 900.000 francs.

Pour autant, parce que la créance due est égale à la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et l’enrichissement, son montant se limitera à la dépense faite, soit 20.000 francs, alors même que le patrimoine débiteur en a retiré un profit infiniment supérieur.

Manifestement, cette situation s’avère particulièrement inéquitable pour le patrimoine qui a supporté la dépense initiale et qui n’est pas indemnisé à hauteur de l’avantage économique que cette dépense a procuré au patrimoine auquel elle a profité.

Le législateur en a tiré la conséquence, en 1965, en instituant un système de revalorisation des récompenses à hauteur du profit subsistant.

Ce système ne concernait néanmoins pas les créances entre époux qui demeuraient soumises au principe du nominalisme monétaire.

==> Différence de traitement entre les créances entre époux et des récompenses

Cette différence de traitement entre les récompenses et les créances entre époux est apparue pour le moins injustifiée, compte tenu de ce que ces dernières font également l’objet, en pratique, d’un paiement différé et, par voie de conséquence, n’échappent pas aux fluctuations monétaires.

Pour illustrer l’absurdité du dispositif qui opérait sous l’empire du droit antérieur à la loi du 23 décembre 1985, prenons l’exemple d’une construction qui serait édifiée sur un terrain appartenant en propre à un époux et qui serait financé, tantôt par la communauté, tantôt par le conjoint.

Il ressort de ces deux hypothèses que selon que le coût de la construction est supporté par la communauté ou par le conjoint, l’indemnité due au patrimoine créancier est radicalement différente.

On observe ainsi une différence de 100.000 € entre les deux indemnités, alors même que le fait générateur est exactement le même, à la nuance près que, dans un cas, la construction a été financée par la communauté, dans l’autre, son coût a été supporté par un patrimoine propre.

Pourquoi cette différence de traitement ? D’aucuns ont avancé que, s’agissant des créances entre époux, il appartenait à ces derniers de prévoir des clauses d’indexation.

Reste que, en pratique, parce que les époux sont unis par un lien conjugal, il y a là un véritable empêchement moral pour eux à contractualiser l’opération intervenant entre leurs deux patrimoines.

L’argument est, dans ces conditions, difficilement recevable, raison pour laquelle, en 1985, plus rien ne retenait le législateur de franchir le pas et de réformer en profondeur les règles qui présidaient à l’évaluation des créances entre époux.

2. Droit positif

==> Une transposition de règles applicables aux récompenses

Conscient que la différence de traitement entre les récompenses et les créances entre époux n’étaient pas justifiée, à plus forte raison parce que les secondes sont comme les premières susceptibles d’être affectées par les épisodes de dépréciation monétaire, le législateur a, lors de l’adoption de la loi du 23 décembre 1985, cherché à rapprocher les deux régimes.

Pour ce faire, l’article 1479 du Code civil a été pourvu d’un second alinéa qui prévoit que « sauf convention contraire des parties, elles sont évaluées selon les règles de l’article 1469, troisième alinéa, dans les cas prévus par celui-ci ; les intérêts courent alors du jour de la liquidation. »

Deux premiers enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

Seules les dépenses d’investissement étant concernées par le renvoi opéré par l’article 1479 du Code civil, nous nous focaliserons ici sur l’évaluation des créances entre époux dues au titre de cette catégorie de dépense.

==> L’évaluation des créances entre époux dues au titre de dépenses d’investissement

S’agissant de l’évaluation des créances entre époux dues au titre de dépenses d’investissement, l’article 1479 renvoie donc au troisième alinéa de l’article 1479 du Code civil.

Ce texte prévoit que la récompense « ne peut être moindre que le profit subsistant, quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur. Si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné avant la liquidation, le profit est évalué au jour de l’aliénation ; si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, le profit est évalué sur ce nouveau bien. »

L’application de cette disposition aux créances entre époux soulève une première interrogation.

Dans la mesure où la règle énoncée ne s’applique, par hypothèse, qu’aux récompenses dont l’évaluation intervient, après la dissolution de la communauté, est-ce à dire que seules les créances entre époux liquidées également après la dissolution du régime peuvent être évaluées selon cette règle ?

Si les travaux parlementaires sur la base desquels la loi du 23 décembre 1985 a été adoptée vont dans ce sens, cette interprétation conduirait néanmoins à opérer une distinction au sein de la catégorie des créances entre époux.

En effet, il conviendrait de distinguer parmi les créances entre époux dues au titre d’une dépense d’investissement celles liquidées avant la dissolution du régime et celle liquidées après.

Tandis que le montant des premières correspondrait à la valeur nominale de la dépense faite, par application du principe du nominalisme monétaire, le montant des secondes, ne pourrait être moindre que le profit subsistant.

Pour la doctrine, rien ne justifie que le montant d’une créance entre époux diffère selon qu’elle est évaluée avant ou après la dissolution du régime[11].

Pour cette raison, il y a lieu de soumettre toutes créances entre époux aux règles d’évaluation fixées par le troisième alinéa de l’article 1469 du Code civil, pourvu qu’elles soient dues au titre d’une dépense d’investissement.

Si l’on focalise désormais sur les règles d’évaluation énoncée par cette disposition, le texte prévoit que, pour les dépenses d’acquisition, de conservation ou d’amélioration qui ont profité au patrimoine emprunteur, le montant dû au patrimoine créancier ne peut jamais être moindre que le profit subsistant.

Pour mémoire, dans son sens général, le profit subsistant consiste en l’enrichissement dont a bénéficié le patrimoine débiteur de l’indemnité à raison de la dépense faite par le patrimoine créancier.

Dans un arrêt du 11 juin 1991 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le profit subsistant représente l’avantage réellement procuré au fonds emprunteur » (Cass. 1ère civ. 11 juin 1991, n°90-12.142).

C’est là une application de la théorie des dettes de valeur, de sorte que l’évaluation du profit subsistant, contrairement à l’évaluation de la dépense faite, est susceptible de donner lieu à revalorisation.

Pour illustrer la règle énoncée à l’article 1469, al. 3e du Code civil, prenons l’exemple de l’installation d’un système de climatisation, dans un immeuble appartenant en propre à l’épouse, qui aurait été intégralement financée au moyen de deniers appartenant en propre au conjoint.

Afin de déterminer le montant du profit subsistant, il y a lieu de procéder ici à une double évaluation.

Il convient, en effet, d’estimer ce que vaudrait l’immeuble au jour de la liquidation du régime sans la réalisation des travaux d’installation et ce qu’il vaut, à cette même date, en tenant compte de la réalisation des travaux.

La différence entre ces deux évaluations constitue le profit subsistant.

Soit un immeuble dont la valeur est estimée au jour de la liquidation du régime :

Le profit subsistant correspond donc à la différence entre ces deux montants, soit :

120.000 – 100.000 = 20.000 €

À l’analyse, l’application du troisième alinéa de l’article 1469 du Code civil ne soulèvera aucune difficulté lorsque le profit subsistant est supérieur à la dépense faite.

Plus délicate sera, en revanche, l’évaluation de la créance lorsqu’il sera inférieur à la valeur nominale de la valeur empruntée au patrimoine créancier.

Supposons, une dépense la réalisation de travaux d’installation d’un nouveau système de chauffage central dans un immeuble appartenant en propre à un époux et dont le coût est supporté par le patrimoine de son conjoint :

Au cas particulier, le profit subsistant (30.000 €) est inférieur à la dépense faite (50.000 €).

Deux approches sont envisageables pour évaluer le montant de la créance due :

Lorsque cette situation se présente en matière de récompense, il est procédé par renvoi au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil qui prévoit que « la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. »

Aussi, la récompense serait égale au profit subsistant, soit 30.000 € (30.000 < 50.000), sauf à ce que la dépense d’amélioration présente un caractère nécessaire, auquel cas, il y aurait lieu de faire application de l’alinéa 2 de l’article 1469.

Dans cette hypothèse, ce qui est le cas en l’espèce, la récompense ne pourrait être moindre à la dépense faite, soit à 50.000 €.

Reste que, ni l’alinéa 1er, ni l’alinéa 2e de l’article 1469 du Code civil ne sont applicables aux créances entre époux, le renvoi opéré par l’article 1479 ne visant que l’alinéa 3e.

Dès lors, comment sortir de l’impasse ?

La Cour de cassation a offert une porte de sortie dans un arrêt du 24 septembre 2008.

Dans cette affaire, elle s’est prononcée sur une créance due à un époux séparé de biens, étant précisé que, au cas particulier, le profit subsistant était nul, tandis que la valeur empruntée s’élevait à 1.154.775 francs.

Il y avait donc un véritable enjeu pour l’époux qui sollicitait l’évaluation de sa créance due au titre de sa contribution au financement d’une construction édifiée sur un terrain appartenant en propre à sa conjointe.

Pour la Cour de cassation, « lorsque les fonds d’un époux séparé de biens ont servi à améliorer un bien personnel de l’autre, qui l’a aliéné avant la liquidation, sa créance ne peut être moindre que le profit subsistant au jour de l’aliénation ; qu’en l’absence de profit subsistant, la créance est égale au montant nominal de la dépense faite » (Cass. 1ère civ. 24 sept. 2008, n°07-19.710).

La solution retenue ici par la première chambre civile est des plus limpides : lorsque le profit subsistant est inférieur à la dépense faite, le montant de la créance entre époux doit être égal à cette dernière.

À l’analyse, cette solution est extrêmement favorable à l’époux créancier, dans la mesure où il est assuré de ne jamais subir les effets de la moins-value réalisée par le patrimoine emprunteur.

La Cour de cassation fait une application stricte du renvoi opéré par l’article 1479 au seul et l’alinéa 3 de l’article 1469.

L’alinéa 1er de cette disposition n’étant pas applicable aux créances entre époux, lorsque le profit subsistant est inférieur à la dépense faite, c’est le droit commun qui s’applique et plus précisément le principe du nominalisme monétaire.

Or l’application de ce principe conduit à retenir, pour calculer le montant de la créance entre époux, la valeur nominale de la dépense faite ; d’où la solution adoptée par la Cour de cassation.

Assez curieusement, cette solution est bien plus avantageuse que la règle qui s’applique aux récompenses et qui conduit à retenir la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant (art. 1469, al. 1er C. civ.)

II) Le partage des biens indivis

Sous le régime de la séparation de biens, il est deux catégories de biens susceptibles de faire l’objet d’un partage :

Dans les deux cas, ces biens sous soumis au régime de l’indivision, de sorte que le partage peut être provoqué à tout moment (Cass. 1ère civ. 22 oct. 1985, n°84-11.468).

Il peut, par ailleurs, être sollicité tant par les époux, que par leurs créanciers respectifs (Cass. 1ère civ. 4 juill. 1978, n°76-15.253).

S’agissant des modalités du partage, l’article 1542 du Code civil prévoit que « après la dissolution du mariage par le décès de l’un des conjoints, le partage des biens indivis entre époux séparés de biens, pour tout ce qui concerne ses formes, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie et les soultes, est soumis à toutes les règles qui sont établies au titre ” Des successions ” pour les partages entre cohéritiers. »

Il ressort de cette disposition que, sous le régime de la séparation de biens, le partage des biens indivis est soumis aux règles du droit des successions.

Le second alinéa de l’article 1542 du Code civil précise néanmoins que, en cas de dissolution du régime pour cause de divorce ou de séparation de corps :

Bien que la lettre de l’article 1542 du Code civil suggère que ces dérogations au droit commun du partage n’opèrent que si celui-ci intervient postérieurement à la dissolution du régime, la Cour de cassation a adopté une interprétation extensive du texte.

Dans un arrêt du 9 octobre 1990, elle a, en effet, jugé, au visa des articles 832, 1476 et 1542 du Code civil, que « le conjoint séparé de biens peut demander l’attribution préférentielle du local servant à son habitation et dont il est propriétaire par indivis, même si cette indivision est partagée pendant le mariage » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1990, n°89-10.429).

Ainsi, pour la première chambre civile, la date de sollicitation du partage par les époux ou un créancier est indifférente : les dérogations prévues au second alinéa de l’article 1542 peuvent jouer à tant, si le partage est réalisé après la dissolution du régime que s’il intervient au cours du mariage.

[1] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°732, p. 684.

[2] V. en ce sens N. Frémeaux et M. Leturcq, Plus ou moins mariés : l’évolution du mariage et des régimes matrimoniaux en France, Etude accessible à partir du lien suivant :  file:///C:/Users/A020475/Downloads/ES462E%20(1).pdf

[3] Cet exemple nous est donné par Michel Hoguet, rapporteur de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, dans le cadre des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi du 28 décembre 1967

[4] V. en ce sens l’article 953 du Code civil

[5] F. terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°800, p. 647.

[6] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°743, p. 696

[7] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°82, p. 42.

[8] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[9] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[10] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, n°638, p. 495.

[11] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°680, p. 629.

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