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La théorie des récompenses: vue générale

La dissolution du régime légal donne lieu à un état d’indivision post-communautaire d’où les époux doivent pouvoir sortir, cette situation ne devant être que temporaire.

Pour ce faire, ils devront procéder à ce que l’on appelle la liquidation de la communauté.

Par liquidation, il faut entendre « l’ensemble des opérations tendant, sinon à la réduction de la communauté dissoute à un solde en espèces de liquidités, du moins à l’établissement d’une situation nette susceptible d’un règlement par voie de partage »[1].

Il s’agira, autrement dit, pour les époux de déterminer la consistance de la masse partageable, laquelle n’est autre que celle composée des biens communs.

Si, la reconstitution de cette masse ne soulève, a priori, dans son principe, aucune difficulté particulière, l’exercice est, en réalité, bien plus complexe qu’il n’y paraît quant à sa mise en œuvre.

En premier lieu, la formation de la masse partageable suppose d’identifier les actifs qui ont vocation à être intégrés dans cette dernière.

Or parmi ces actifs, il en est certains, notamment les meubles, qui se retrouveront entremêlés avec des biens propres.

Il appartiendra donc aux époux d’opérer un tri, afin que chacun reprenne ses propres, l’objectif étant qu’ils reconstituent, en nature, leurs patrimoines respectifs.

C’est là une première opération qui, certes, est purement matérielle, mais qui est susceptible de se heurter à un obstacle de taille et qui parfois s’avérera insurmontable : la preuve du caractère personnel de certains biens.

Faute pour les époux d’établir leur qualité de propriétaire, le bien convoité est, en effet, réputé tomber en communauté, en application la présomption d’acquêt instituée à l’article 1402 du Code civil.

La conséquence en est l’intégration du bien dans la masse partageable, situation qui peut se révéler injuste pour l’époux qui en avait acquis la propriété, mais qui n’a pas été en mesure d’en rapporter la preuve.

Là ne s’arrête pas les difficultés de reconstitution des patrimoines propres et communs.

En second lieu, de très nombreux mouvements de valeurs interviendront au cours du mariage entre les différentes masses de biens.

Tantôt, un époux aura acquis un bien, qu’il conservera en propre, au moyen de deniers communs, tantôt, c’est la communauté qui s’enrichira de biens financés avec des fonds personnels.

Il est encore des cas où l’opération n’impliquera pas la communauté. Elle ne concernera que les masses de propres. Tel est le cas lorsqu’un époux fournit, dans le cadre d’un prêt, des fonds propres à son conjoint aux fins que celui-ci règle une dette personnelle contractée auprès d’un tiers.

À l’analyse, deux sortes de mouvements de valeurs sont susceptibles d’intervenir entre les masses de biens :

Dans les deux cas, la liquidation du régime matrimonial suppose de rétablir les équilibres qui ont été rompus par ces mouvements de valeurs.

Pratiquement, il s’agira de mettre à la charge du patrimoine qui s’est enrichi une indemnité qui devra être versée au patrimoine qui s’est appauvri.

Selon que le rétablissement de l’équilibre intéresse ou non la masse commune, le calcul de cette indemnité ne répondra toutefois pas aux mêmes règles :

Nous nous focaliserons ici sur le système des récompenses.

==> Notion

Au cours du mariage des mouvements de valeurs sont donc susceptibles de se produire entre la masse commune et les masses de biens propres de l’un et l’autre époux.

Un bien qui appartient en propre à un époux peut avoir été financé au moyen de deniers communs. Une dette personnelle à un époux peut encore avoir été prise en charge par la communauté.

À l’inverse un époux peut avoir financé avec ses fonds personnels l’acquisition ou l’amélioration d’un bien tombé en communauté ou encore réglé une dette commune.

Quel que soit le sens du mouvement de valeur dans les illustrations ci-dessus évoquées, un patrimoine s’est enrichi au détriment d’un autre qui s’est appauvri.

Aussi, lors de la liquidation du régime matrimoniale, l’équité commande de rétablir l’équilibre qui a été rompu et plus précisément de reconstituer, en valeur, les différentes masses de biens, théoriques, instituées sous le régime communautaire pour lequel les époux ont opté.

Pour ce faire, la pratique notariale, suivie par le législateur, a imaginé le mécanisme des récompenses.

Par récompense, il faut entendre une dette due par la communauté envers un patrimoine propre de l’un ou l’autre époux et inversement.

Plus précisément, selon le Professeur Didier R. Martin, « la récompense désigne justement la valeur comptable, exprimée en argent, qu’il y a lieu, dans les opérations liquidatives, de porter au débit ou au crédit d’une masse pour compenser le gain fait ou la perte éprouvée aux dépens ou au bénéfice d’une autre ».

S’il joue désormais en rôle primordial dans le cadre de la phase de liquidation de la communauté, le système des récompenses n’a pas toujours existé : il est le fruit d’une lente évolution, amorcée par la pratique, puis consacré par la loi.

==> Origine

À l’origine, la liquidation du régime matrimonial se limitait aux opérations de reprises, en nature, des biens propres et au partage de la masse commune dans l’état où elle se trouvait au jour de la dissolution du mariage, sans qu’aucune reconstitution des patrimoines en valeur ne soit réalisée.

En réaction à ce mode opératoire qui était de nature à préjudicier, selon les cas, tantôt à la communauté, tantôt au patrimoine propre de l’un des époux, les notaires ont introduit dans les contrats de mariage une clause dite de récompense.

Aux termes de cette clause, il était stipulé que, dans l’hypothèse où un bien propre serait aliéné sans que les formalités d’emploi ou de remploi ne soient accomplies, une récompense serait due par la communauté au patrimoine propre qui s’est appauvri.

Progressivement le dispositif des récompenses s’est imposé chez les praticiens. Puis, à partir du XVIe siècle, il s’est transformé en clause de style avant d’être élevé au rang de règle coutumière, si bien que l’octroi de récompenses était désormais admis en dehors de toute stipulation particulière.

Reconnaissant l’utilité du système des récompenses qui avait fait ses preuves, le législateur l’a consacré lors de l’adoption du Code civil en 1804.

L’application du dispositif n’était dès lors plus cantonnée au seul cas d’encaissement par la communauté du prix de vente d’un bien propre : il était dorénavant généralisé à tout mouvement de valeur intervenant entre la masse commune et une masse propre et inversement.

==> Fonction

Aujourd’hui, le système des récompenses constitue l’une des clés de voûte des régimes communautaires, car vise à corriger les mouvements de valeurs qui sont intervenus au cours du mariage entre les différentes masses de biens.

Ainsi que le relèvent les auteurs, fondamentalement, il répond à un principe d’équité[2], un époux ne devant pas se retrouver lésé par rapport à un autre lors du partage des biens communs.

Cette finalité a parfaitement été exprimée par un ancien arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 8 avril 1872.

Dans cette décision, la haute juridiction a, en effet, affirmé que « le régime de la communauté entre époux est soumis à cette règle fondamentale de droit et d’équité, que toutes les fois que l’un des époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté, ou la communauté un profit semblable des biens propres à l’un des époux, il est dû indemnité ou récompense, dans le premier cas à la communauté, et dans le second cas au conjoint ».

Parce que le système des récompenses a pour fonction de rétablir un équilibre qui a été rompu consécutivement à l’enrichissement d’un patrimoine au détriment d’un autre, il se rapproche très étroitement de la théorie de l’enrichissement sans cause.

De l’avis unanime de la doctrine, ils ne doivent toutefois pas être confondus pour essentiellement deux raisons :

Au bilan, bien que les deux institutions poursuivent sensiblement le même objectif, le système des récompenses n’est pas une application particulière de la théorie de l’enrichissement sans cause.

Non seulement les conditions de mise en œuvre de ces deux dispositifs divergent, mais encore, comme souligné par Isabelle Dauriac, le mécanisme des récompenses « obéit à des préoccupations qui lui sont propres »[3].

La spécificité de ce dispositif réside notamment dans l’objectif qui lui est assigné tenant à la sauvegarde de l’intégrité patrimoniale des trois masses de biens instituées sous les régimes communautaires.

Le système des récompenses vise également, d’une part, à assurer l’immutabilité des conventions matrimoniales et, d’autre part, à empêcher les donations indirectes entre époux qui, comme telles, seraient irrévocables.

==> Absence de caractère impératif

Parce que la liquidation de la communauté intéresse exclusivement les intérêts privés des époux, la loi leur confère une grande liberté quant à aménager leur régime matrimonial sur ce point.

S’agissant spécifiquement des règles relatives aux récompenses, ils jouissent, en la matière, d’une liberté des plus étendues, puisqu’elles ne sont pas d’ordre public.

Aussi, les époux sont-ils autorisés à aménager :

==> Domaine

Parce que les récompenses visent à corriger un déséquilibre créé par un mouvement de valeurs entre la masse commune et une masse de propre, par hypothèse, elles ne sont dues que dans le cadre de rapport entre la communauté et le patrimoine personnel d’un époux.

L’article 1468 du Code civil prévoit en ce sens que « il est établi, au nom de chaque époux, un compte des récompenses que la communauté lui doit et des récompenses qu’il doit à la communauté, d’après les règles prescrites aux sections précédentes. »

Il ressort de cette disposition que pour que le système des récompenses puisse être mobilisé, une valeur doit nécessairement avoir transité par la communauté.

Il en résulte qu’aucun droit à récompense ne peut naître dans les deux situations suivantes :

==> Régime

Le régime des récompenses est abordé, pour l’essentiel, aux articles 1468 à 1474 du Code civil.

À ces dispositions il y a lieu d’adjoindre les articles 1433 et 1437 qui fondent le principe même du droit à récompense.

S’agissant de l’architecture juridique du dispositif, elle s’articule autour de trois corps de règles relatives :

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, n°638, p. 495.

[2] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Amand colin, 2001, n°549, p. 513.

[3] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le PACS, éd. LGDJ, 2010, n°569, p. 349.

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